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DANS LE DOMAINE PUBLIC DE LA COMMUNE

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diocèses et les paroisses. De même que les métropoles et cathédrales, affectées au service d'une vaste circonscription, sont dans le domaine public national, de même les églises paroissiales, affectées à des services locaux, sont dans le domaine des communes. Cette attribution est incontestable pour les églises construites ou acquises aux frais des communes depuis le Concordat. Elle a été contestée au contraire pour les églises restituées au culte en 1801. La propriété a été tout d'abord réclamée au profit des paroisses. Cette opinion, qui paraît devoir demeurer isolée, repose sur une véritable erreur juridique, car la paroisse n'est pas une personne civile et par suite ne peut pas exercer de droit de propriété. D'après une deuxième opinion, la propriété des églises paroissiales devrait être reconnue à l'Etat. Car si l'Etat, propriétaire des biens ecclésiastiques confisqués au cours de la Révolution, a concédé un droit d'usage ou de jouissance en mettant les églises à la disposition des évêques, en revanche il n'a pas entendu se dessaisir de son droit de propriété. Mais on méconnaît ainsi non seulement le sens vrai des dispositions de la loi organique des cultes, mais aussi la valeur des textes postérieurs où les communes puisent les meilleurs de leurs titres.

Enfin dans un dernier système qui peut se réclamer de quelques décisions de jurisprudence, rendues en France ou dans des ressorts voisins ou le Concordat est resté en vigueur, la propriété des églises paroissiales appartiendrait aux fabriques 1. On s'appuie sur les raisons suivantes. En confirmant les ventes nationales des biens ecclésiastiques, le Concordat a entendu comme contre partie stipuler la restitution à l'Église des biens non aliénés. Mises à la disposition des évêques, les églises paroissiales appartiennent aux établissements chargés de pourvoir au culte, c'est-à-dire aux fabriques, auxquelles les décrets du 7 thermidor an XI et du 30 mai 1806 ont également attribué la propriété des églises et presbytères supprimés, et auxquelles le décret du 30 décembre 1809 a imposé l'obligation de subvenir à toutes les dépenses du culte, y compris les réparations des églises.

1 Nancy, 31 mai 1827, Chambéry, 30 mai 1856, D. 57,2,112; et 4 fév. 1880. D, 80,2,81; Bruxelles, Cass., 20 juill, 1843, et 3 juin 1869.

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PRÉTENTIONS INJUSTIFIÉES DES FABRIQUES

Cette prétention doit être écartée pour les motifs suivants : 1° les fabriques n'étaient pas réorganisées lorsque le Concordat et les articles organiques ont affecté ces édifices au service du culte. C'est seulement par l'arrêté du 7 thermidor an XI que les fabriques ont été dotées, et ce qui prouve bien que ni le Concordat, ni les articles organiques, ni l'arrêté de l'an XI ne leur conféraient aucun des anciens édifices religieux, c'est qu'il a fallu un décret du 30 mai 1806 pour leur attribuer les églises et presbytères supprimés, ce qui exclut les églises et presbytères conservés; 2o on ne comprend pas pourquoi le législateur n'aurait pas donné aux communes les mêmes droits sur les églises qu'elles fournissent elles-mêmes et sur les églises remises par l'État. Toutes ces églises, ayant même destination, doivent avoir même caractère domanial; 3° la question a été formellement résolue par deux avis du Conseil d'État : l'un, du 3 nivôse an XIII, porte que « les presbytères et les églises ne peuvent cesser d'appartenir aux communes »; l'autre, du 2 pluviose an XIII, décide que « les communes sont devenues propriétaires des églises et des presbytères qui leur ont été abandonnés en exécution de la loi du 18 germinal de l'an X ». L'approbation impériale a donné force de loi à ces avis du Conseil d'État 1.

2291. Le domaine public communal ne comprend que les édifices actuellement affectés au service du culte. Les anciennes ¿glises désaffectées avant ou après le Concordat et non rendues à leur destination primitive ne font pas partie de ce domaine et ont pu être valablement aliénées.

Mais il ne suffit pas qu'un édifice soit consacré au culte pour qu'il tombe dans le domaine de la commune. Ainsi les églises ou chapelles domestiques, les oratoires particuliers, appartenant

1 Avis C. d'Et. et ord. 31 janv. 1838 ; C. d'Et., 15 juin 1832, 7 mars 1838, 6 avr. 1854, 22 déc. 1859; Cass., 10 déc. 1849, 15 nov. 1853; Paris, 29 déc. 1835; Poitiers, 20 déc. 1835; Grenoble, 2 janv. 1836; Limoges, 3 mai 1836; Caen, 8 oct. 1837; Bordeaux, 6 déc. 1838; Paris, 18 déc. 1831; Paris, 11 juill. 1879 et mars 1880, D. 80,2,297 Trib. Saint-Nazaire, 22 déc. 1895. D. 95,2,263. — Pour la Belgique, Bruxelles, 25 mai et 21 juin 1880, D.

81.2.11.

AVANTAGES RÉSULTANT DE L'INDISPONIBILITÉ

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à des établissements ou à de simp les citoyens, alors même que ces édifices seraient ouverts au public et bien qu'ils ne puissent être consacrés au culte sans une permission expresse du Gouvernement,constituent de simples propriétés privées 1. L'article 12 du Concordat n'a mis hors du commerce que les églises nécessaires au culte, c'est-à-dire affectées au service du culte dans les circonscriptions ecclésiastiques établies par la loi, et l'article 75 des organiques, qui règle la restitution des anciennes églises, ne parle que d'un édifice par cure et par succursale. Cependant, en dehors des églises paroissiales, il faut comprendre dans le domaine public communal les édifices affectés au culte paroissial sous le nom de chapelles vicariales, chapelles simples, chapelles annexes ou chapelles de secours. Toutes ces églises ou chapelles, relevant d'une circonscription ou subdivision de circonscription ecclésiastique ou s'y rattachant étroitement, rentrent dans la formule de l'article 12. Elles participent au caractère légal des églises paroissiales et forment des dépendances du domaine public communal, à l'exclusion de tous autres édifices consacrés au culte.

2292. Les avantages qui résultent pour les églises de leur classement dans le domaine public sont considérables. Ils dérivent tous de l'indisponibilité, attribut essentiel de la domanialité publique. Tant que dure leur affectation, les églises sont inaliénables. Elles sont imprescriptibles, car la prescription mènerait à l'aliénation. De ce qu'elles sont imprescriptibles, il suit qu'elles ne peuvent être l'objet d'une possession utile de la part des tiers. Ceux-ci ne peuvent donc exercer les actions possessoires. Mais au contraire l'action possessoire pourrait être exercée par lacommune, gardienne du domaine public, dans l'intérêt de la conservation. de l'église et en vue d'en mieux assurer l'imprescriptibilité 2. Du principe d'indisponibilité, il résulte encore que les dispositions relatives à l'acquisition forcée de la mitoyenneté sont inapplicables aux murs des églises. Le droit accordé par l'article 661

L. 18 germ. an X, art. 44; décret du 22 déc. 1812, relatif au mode d'autorisation des chapelles domestiques et oratoires particuliers.

Cass., 18 août 1842, S. 42,1,965; 31 déc. 1855, S. 56,1,209).

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DÉPENDANCES DES ÉGLISES

du Code civil à tout propriétaire joignant un mur de le rendre mitoyen en remboursant la moitié de la valeur, ne saurait être invoqué à l'occasion d'un édifice placé hors du commerce et insusceptible de propriété privée. Enfin les églises ne sont pas davantage susceptibles d'être grevées de servitudes par titre ou prescription.

Les privilèges de la domanialité publique ne s'appliquent pas seulement à l'église considérée dans son ensemble. Ils s'étendent aux diverses parties de l'édifice, extérieures ou intérieures, principales ou accessoires. Ainsi la propriété d'une chapelle dans une église paroissiale ne peut pas être acquise par prescription. Il suffit que la chapelle forme une dépendance inhérente à l'église pour qu'elle participe à l'imprescriptibilité de celle-ci, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des droits de jouissance anciennement attachés à la qualité de fondateur ou de patron de l'église. Une simple place dans une chapelle ne peut être acquise par possession prolongée. Les bancs de l'église sont également imprescriptibles.

Les mêmes règles protègent les dépendances extérieures de l'édifice, comme les murs, les piliers et contreforts. D'où suit que la démolition des constructions établies par les tiers contre les piliers extérieurs peut être demandée à toute époque, même après 30 ans. Mais il ne faut pas aller plus loin. L'indisponibi lité est de droit étroit et ne doit pas être étendue à ce qui n'est pas l'édifice lui-même. Il faudrait donc déclarer aliénables et prescriptibles un chemin de ronde, ou un passage donnant accès à l'église, ou même ce qu'on appelle le tour d'échelle, c'est-à-dire la bande de terrain réservée autour de l'édifice à l'effet de faciliter les réparations des murs et contreforts. La jurisprudence a reconnu que le terrain situé entre les piliers extérieurs avait pu être acquis soit par titre soit par prescription 1.

2293. Le classement des églises dans le domaine public com

1 Paris, 16 déc. 1849, et Cass. req., 10 déc. 1849, S. 50,1,253; Cass., 7 nov. 1860, S. 61,1,353.- Contra. Agen, 23 janv. 1860, S. 60,2,318; et 2 juill.1862, S. 62,2,510.

OBJETS MOBILIERS PLACES DANS LES ÉGLISES

239 munal produit aussi ses effets relativement aux objets placés dans les églises et se rattachant au culte. Tout ce qui a été placé à perpétuelle demeure, tout ce qui fait corps avec le bâtiment, tout ce qui en droit commun serait immeuble par destination en vertu de l'article 525 du Code civil, participe du caractère légal de l'édifice et fait partie du domaine public inaliénable et imprescriptible. Telles sont les pierres tombales, avec bas-reliefs ou inscriptions funéraires, encastrées dans le pavé de l'église ou dans les murailles; les statues même mutilées élevées sur socle rattaché au sol ou posées dans des niches fixées aux piliers par maçonnerie (Paris, 18 mars 1880, D. 80,2,97); les stalles, chaires, orgues établies sur constructions spéciales et concourant à la décoration d'ensemble; les boiseries scellées dans les murs et les tableaux encadrés dans ces boiseries. Tous ces objets, incorporés à l'église avant ou après la restitution au culte, ne peuvent être ni prescrits, ni aliénés, ni même remplacés en dehors des conditions et formalités prévues pour les modifications à apporter à l'immeu

ble lui-même.

Quant aux objets purement mobiliers et non incorporés à l'édifice, la situation n'est plus la même. Quoique consacrés au service du culte, ils ne participent pas de la nature légale de l'église. Il n'y a pas à distinguer entre les objets destinés à l'usage courant et ceux qui ne sont pas destinés à être renouvelés, entre les meubles sans valeur et les objets d'art précieux ou historiques. Tous ces objets, depuis la nappe d'autel de la modeste chapelle de village jusqu'aux œuvres d'art inestimables conservées dans les trésors d'églises, ont la même condition légale. Tous sont susceptibles de propriété privée, et la loi, qui n'a pas reconnu de domaine public mobilier, n'a attaché le privilège d'indisponibilité ni à l'antiquité, ni au caractère artistique, ni même à la destination de ces objets. On peut le regretter, mais telle est la loi. Sous réserve des dispositions écrites dans la loi du 30 mars 1887, tous ces objets doivent être considérés comme aliénables et prescriptibles [nos 1732-1737].

Mais la question de propriété de ces objets n'a pas donné lieu à moins de discussions que celle de la propriété des églises. Elle

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