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CONSECRATION PAR LES TEXTES MODERNES

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faction aux aspirations de l'Etat et aux nécessités sociales. Elle reconnaissait au souverain, au législateur, le droit absolu de dispenser à son gré ses faveurs en tenant compte de l'intérêt général et des intérêts légitimes des particuliers. Elle permettait aux pouvoirs publics, sans proscrire les associations, de discerner entre elles, pour leur mesurer les avantages de la capacité juridique. Elle consacrait et justifiait la suprématie traditionnelle de l'Etat sur les personnes civiles.

2186. Reprise et développée en France, où elle trouvait dans nos codes et nos lois administratives une assise solide, la théorie est devenue classique. La personnalité civile, fiction légale, concession bénévole de l'Etat doit être considérée comme un axiome de notre droit public et moderne.

Les termes de personnes morales, personnes civiles, personnes juridiques, peu usités au début du siècle, sont devenus de pratique courante et ont revêtu une signification précise. Ils ont mêine pénétré dans la loi. On ne saurait dire si nos Codes avaient évité intentionnellement ces dénominations, dont ils n'ont jamais usé; il est vraisemblable que les rédacteurs n'avaient pas songé à les employer, alors qu'ils se servaient des expressions presque équivalentes d'établissements publics ou d'utilité publique. Mais lorsque la théorie eut reçu de la doctrine sa forme définitive, lorsque l'usage eut consacré les nouvelles formules, le législateur, qui s'était approprié la théorie, n'a pas hésité à s'approprier le langage. Depuis vingt ans, un grand nombre de lois ont prononcé les noms de personnes civiles ou de personnalité civile. Ce terme se rencontre deux fois dans la loi municipale, sous l'art. 111 § 2, où il a été maintenu par la loi du 4 février 1901, et sous l'art. 170, au titre des Syndicats de commune, ajouté à la loi municipale par la loi du 22 mars 1890. Ce dernier texte réunit même en une formule unique les deux mots de personnalité civile et d'établissements publics, en qualifiant les syndicats de communes « d'établissements publics investis de la personnalité civile ». Les mêmes termes se retrouvent dans l'art. 8 de la loi du 14 avril 1893, qui a conféré la personnalité civile aux sociétés indigènes

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LOIS RÉCENTES CRÉANT DES PERSONNES CIVILES

de secours mutuels en Algérie 1; dans l'art. 2 § 1 de la loi du 21 avril 1898, d'après lequel « la Caisse de prévoyance entre marins français est revêtue de la personnalité civile »; dans l'art. 1er de la loi du 19 décembre 1900 qui fait une personne civile de l'Algérie elle-même; dans la loi du 14 juillet 1901, « portant création d'une Caisse des recherches scientifiques investie de la personnalité civile» (art. 1er); dans l'art. 1er de la loi du 18 février 1904, aux termes duquel « l'Office colonial, créé par le décret du 14 mars 1899, est investi de la personnalité civile ». Enfin presque toutes les lois de finances votées au cours des dix dernières années renferment des dispositions attribuant la personnalité civile à divers établissements, sous réserve, pour certains d'entre eux, de l'approbation du Gouvernement 2.

Les législations étrangères n'ont pas davantage hésité à employer les mêmes dénominations, et à consacrer, dans leurs Codes les plus récents, la théorie de la personnalité civile 3.

2187. Puisque la personnalité civile se résout en une concession de capacité, en une attribution de droits, on comprend que le législateur ait pu procéder à la constitution des personnes civiles de deux manières. Tantôt il investit directement un établisse

1 L. 44 avril 1893 art. 8: « Les sociétés indigènes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels approuvées jouissent de la personnalité civile dans les conditions déterminées ci-dessous. >>

L. de finances 28 avril 1893, art. 71: « Le corps formé par la réunion de plusieurs facultés de l'État est investi de la personnalité civile; » L. de finances, 16 avril 1895, art. 52: « Est investie de la personnalité civile, sous le titre de Musées nationaux, la réunion des Musées du Louvre, de Versailles, de Saint-Germain et du Luxembourg. Les musées départementaux et communaux peuvent être investis de la même personnalité, si les départements ou les villes propriétaires en font la demande au gouvernement; L 13 avril 1900, art. 32: « Le Conservatoire national des arts et métiers est investi de la personnalité civile; » art. 34: « L'Ecole nationale supérieure des mines est investie de la personnalité civile; »– L. 23 fév. 1901, art. 57: « L'Institut national agronomique est investi de la personnalité civile; » art. 58, renvoyant à l'art. 34 de la L. 13 avril 1900 pour l'Ecole des mines; L. 30 mars 1902, art. 72: « Il est institué, sous le nom de Musée Gustave Moreau, un Musée national investi de la personnalité civile; L. 30 mars 1903, art. 71 : « L'Ecole française d'Athènes et l'École française de Rome sont investies de la personnalité civile. »

3 C. italien, 1866, art. 2; C. espagnol, 24 juillet 1889, art. 35; C. allemand, 1900, art. 21 et 22. »>

DIVERS MODES DE CONCESSION DE LA PERSONNALITÉ

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ment de la personnalité civile. Nous venons de voir qu'il a fréquemment usé de ce procédé au cours des années dernières. Par exemple il déclare que telle institution constituera désormais un établissement public ou d'utilité publique, ce qui équivaut à dire qu'elle rentre dans l'une des catégories des personnes civiles. C'est ainsi qu'aux termes de l'art. 47 de la loi du 19 juillet 1889, « les écoles normales primaires constituent des établissements publics ». Par ces formules, la loi entend signifier que l'établissement jouira désormais de toutes les prérogatives attachées à la personnalité civile, et notamment qu'il aura un budget distinct, un patrimoine propre et la faculté de recevoir à titre gratuit. Parfois aussi elle entend signifier qu'un service, jusqu'alors rattaché à l'Etat ou à la commune, est institué avec la qualité de service autonome, pourvu de ressources propres qui ne se confondront plus avec celles de la personne morale dont il est détaché. Mais le législateur peut également user d'une autre voie. Sans qualifier l'établissement du nom de personne civile, il lui concède les divers attributs de la personnalité. Par exemple il reconnaîtra aux sociétés commerciales le droit de plaider en justice sous leur nom social (C. de procéd., art. 60, no 6); ou bien il décide que le droit des associés est toujours mobilier, encore qu'il existe des immeubles sociaux (C. civ., art. 529). S'agit-il d'une association? Il suffira de déclarer qu'elle aura la faculté de posséder des biens, de plaider devant les tribunaux, de recevoir des dons et legs (21 juillet 1901, art. 6 et 11). S'agit-il d'un établissement public ou d'utilité publique? La loi se bornera souvent à lui attribuer certains biens, comme elle l'a fait pour les départements (décr. 9 avril 1811); ou bien à lui reconnaître le droit d'être propriétaire, créancier, débiteur, comme elle l'a fait pour la plupart des établissements publics ou d'utilité publique visés par le Code civil ou par les lois spéciales. Dans toutes ces hypothèses, la concession de droits, attributs et conséquences de la personnalité civile, équivaut, puisqu'il la suppose, à la concession de la personnalité elle-même. Ce dernier procédé a même un avantage: il permet de préciser l'étendue de la concession, en spécifiant les droits accordés à l'établissement dont la capacité

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CONCESSIONS INDIVIDUELLES OU GÉNÉRALES

est plus ou moins restreinte. Cette observation explique la préférence du législateur pour ce deuxième procédé. Longtemps il l'a seul employé, alors que la notion de personnalité civile n'avait pas encore été nettement dégagée par la doctrine; aujourd'hui même, où cette notion a revêtu une signification précise, la loi sera conduite à recourir à une énumération de droits, toutes les fois qu'elle voudra limiter la capacité concédée à la personne civile.

A un autre point de vue, la constitution des personnes civiles peut se présenter sous des formes différentes. Soit qu'il reconnaisse en termes exprès la qualité de personne civile, soit qu'il concède séparément et par voie d'énumération tout ou partie des avantages attachés à la personnalité, le législateur peut procéder par voie de prescriptions générales ou de dispositions particulières. Tantôt une loi interviendra pour admettre à la vie civile tel établissement déterminé. Tantôt, au contraire, la loi élève au rang de personnes civiles tout un groupe d'établissements désignés d'avance et en bloc. Ainsi ont été institués dans toutes les communes de France les bureaux d'assistance par la loi du 15 juillet 1893. On peut considérer comme une application large du même mode d'opérer la disposition de la loi du 1er juillet 1901 en vertu de laquelle toutes les associations déclarées jouissent d'une certaine capacité définie par le texte.

Souvent, au lieu de créer directement, la loi se borne à déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement pourra être institué, et délégue au Gouvernement le soin de procéder à l'autorisation de chaque établissement par des mesures individuelles. Il intervient alors deux reconnaissances successives: la première, contenue dans la loi, est générale et s'applique à toute une catégorie d'établissements de même espèce; l'autre, spéciale et individuelle, émane du Gouvernement et tend à la création d'un établissement particulier. Cette manière de procéder constituait la règle, au moins jusqu'à ces années dernières. En vertu de la délégation législative, le Gouvernement statuait par décret, le plus souvent rendu après délibération du Conseil d'Etat (Règl. 2 août 1879 et 3 avril 1886, art. 7). C'est sous cette forme que se sont produites la plupart des créations de personnes civiles.

DÉFINITION DE LA PERSONNALITÉ CIVILE

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2188. Le projet de loi présenté par le Gouvernement sur le contrat d'association, qui est devenu la loi du 1er juillet 1901, contenait un art. 10 ainsi conçu : « La personnalité civile est la fiction légale en vertu de laquelle une association est considérée comme constituant une personne morale distincte de la personne de ses membres, qui leur survit et en qui réside la propriété des biens de l'association. » Un second paragraphe ajoutait : « Cette personnalité civile est subordonnée à la reconnaissance de l'utilité publique par décrets rendus en la forme des règlements d'administration publique.» Cette définition, dont les termes ont été vivement critiqués, était doctrinalement irréprochable. Elle était l'expression simple de la théorie moderne, à laquelle aboutit l'évolution historique. Si elle a disparu dans la rédaction définitive de la loi actuelle, dont l'art. 10 se borne à déléguer au Gouvernement le soin de procéder à la reconnaissance d'utilité publique, ce n'est pas parce qu'elle a été considérée comme inexacte, c'est parce qu'elle était devenue insuffisante et incomplète, du moment où la Chambre accordait « une personnalité civile restreinte » aux associations déclarées. Certes il n'y a pas lieu de le regretter; ce n'est pas en effet le rôle du législateur d'intervenir dans les discussions de doctrine, même pour rendre hommage à la rectitude des idées, et il est vraisemblable que son intervention n'eût pas réussi à mettre fin aux controverses dont la nature de la personnalité civile est l'objet.

§ II

NATURE DE LA PERSONNALITÉ CIVILE

2189. Théories opposées à la doctrine de la fiction légale. 2190. Théorie de la personne civile réelle; réfutation.

2191. Théorie d'après laquelle la personne civile consiste simplement en une masse de biens.

2192. Système de M. Planiol; réfutation.

2193. Théorie qui ne voit dans la personne civile que les membres de l'association ou de la collectivité.

2194. Réfutation.

2189. Nous avons vu comment s'est formée et développée la

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