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EFFETS DE LA RÉDUCTION

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succession ab intestat qu'il était dans le droit et dans la volonté du disposant de repousser ». En réalité, ce raisonnement abou1». tirait à la négation de la faculté de réduire et par suite porterait une profonde atteinte au droit d'autorisation que l'autorité doit pouvoir exercer en sa plénitude. S'il était permis d'user de dispositions de ce genre, elles deviendraient de pratique courante, et les testateurs y trouveraient un moyen commode de supprimer l'une des prérogatives les plus précieuses du gouvernement.

Lorsque le gouvernement exerce le droit de réduction, la portion du legs dont l'acceptation n'est pas autorisée rentre dans la masse pour être répartie entre les ayants droit. Mais il n'appartient à l'autorité,ni d'attribuer la partie retranchée à tels héritiers à l'exclusion de tels autres, ni de leur assigner des parts différentes de celles auxquelles ils sont appelés par la loi, ni d'imposer à l'établissement légataire des obligations qui ne découleraient pas du testament. Rien ne s'oppose néanmoins à ce que le gouvernement subordonne l'autorisation à certains arrangements à intervenir entre la commune et les héritiers. La commune pourra par exemple prendre l'engagement, pour le cas où elle serait autorisée à recueillir, de verser un secours ou de servir une rente viagère à certains héritiers. Ces arrangements, dus ou non à l'intervention officieuse de l'administration, et homologués dans un article spécial du décret d'autorisation, ne peuvent donner lieu à aucune contestation de la part des tiers et permettent de remédier équitablement à des situations dignes d'intérêt, auxquelles le simple exercice du droit de réduction ne suffirait pas à pourvoir. Ils fournissent également le moyen, en déterminant l'administration à autoriser l'acceptation, d'écarter le substitué vulgaire désigné par le testateur pour recueillir le legs fait à la commune au cas où celui-ci deviendrait caduc. Le substitué ne peut en effet s'opposer à l'exécution des conventions intervenues entre les parties intéressées, ni prétendre à l'ouverture des droits éventuels qu'il tenait du testament, ni même aux valeurs abandonnées aux

1 Cass. 23 mars 1863, D. 63,1,113; Amiens, 24 juillet 1863, D. 63, 2,138.

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EFFETS DE LA RÉDUCTION

héritiers comme condition de leur consentement à l'exécution des dispositions testamentaires 1.

Si l'exercice du droit de réduction a pour effet de diminuer le montant du legs, il n'en modifie pas le caractère. Le décret qui autorise, jusqu'à concurrence d'une quotité ou d'une somme déterminée, l'acceptation d'un legs universel, n'a pas pour conséquence de le transformer en legs à titre universel ou à titre particulier. La qualité du légataire, résultant du testament et non de l'acte d'autorisation, est déterminée à l'ouverture de la succession. Le caractère du legs n'est pas plus modifié par l'effet ulté rieur de l'autorisation que par la présence des héritiers réservataires. Quoique réduit dans son émolument,il demeure universel. S'il n'y a pas d'héritiers à réserve, l'établissement est saisi de plein droit des biens légués dans la limite de la réduction prononcée, et les fruits et intérêts lui sont acquis du jour de l'ouverture de la succession 2. Toutefois la réduction produit certaines conséquences au point de vue des charges et de l'accroissement. Ainsi la commune, tout en conservant la qualité de légataire universel, n'est tenue de contribuer au paiement des dettes et charges que dans la proportion où elle est appelée à recueillir. Le surplus incombe aux héritiers appelés à bénéfier de la réduction, qui sont tenus d'acquitter les dettes et legs au prorata de la part et portion dont ils profitent dans la succession 3.

D'autre part l'établissement dont la vocation a été réduite à une certaine quotité ne saurait, sous le prétexte que son legs est à titre universel, prétendre à aucun droit sur des biens demeurés libres par suite de la caducité de legs particuliers. Toute autre décision serait contraire au but même de la réduction, en faisant attribuer à l'établissement des biens qu'il n'a pas été autorisé à recueillir. (Civ. 23 fév. 1886, D. 86,1,242.)

1 Avis du C. d'Etat,24 avril 1873, Cass. civ., 18 janvier 1869, D. 72,1,61; Req., 2 janvier 1877, D. 77,1,13.

Amiens, 8 mars 1860, D. 60,2,209; Bordeaux 20 févr. 1865, D.65,2,152; Req. 4 déc. 1866, D 67,1,107; Lyon 22 mars 1866, D. 66,2,84; Req. 8 mai 1878, D. 79,1,161. Cass. Belgique 8 déc. 1898, D. 1900,2,355.

Trib. Seine, 28 juin 1870, D. 70,3,118; C. d'Et,, 28 mai 1866, 11 février 1881, D.82,5,166-167.

DROIT DE STATUER D'OFFICE

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2339. g) Droit de statuer d'office. Des motifs sur lesquels est fondé le principe de l'autorisation et des textes qui le consacrent, la jurisprudence avait déduit le droit de statuer d'office. L'intervention du gouvernement est motivée non seulement par l'intérêt de l'Etat, peu favorable à l'extension de la propriété de mainmorte, non seulement par l'intérêt des familles frustrées dans leurs légitimes espérances, mais aussi par l'intérêt de l'établissement gratifié lui-même qui peut être mal défendu par ses représentants. Or pour être vraiment efficace, le droit d'autoriser doit comprendre le pouvoir d'accorder ou refuser l'autorisation, non seulement lorsque cette autorisation est demandée, mais encore lorsqu'elle n'est pas demandée, et même lorsque l'établissement gratifié prétend refuser la libéralité. L'autorité chargée de statuer peutalors prendre l'un des trois partis suivants : autoriser, refuser ou réduire. Le droit de statuer d'office comporte donc le droit d'autoriser, le droit de refuser et le droit de réduire d'office.

La jurisprudence n'avait pas hésité à admettre l'autorisation d'office. Ce droit était implicitement reconnu et consacré par l'article 48 de la loi de 18 juillet 1837 (Avis 22 mai 1838. Ord. du 5 juillet 1838). Si les délibérations des conseils municipaux portant refus de dons et legs n'étaient exécutoires qu'en vertu d'une ordonnance royale, c'était donc que le chef de l'Etat était appelé à apprécier les motifs sur lesquels étaient fondées ces délibérations. Il était constitué juge de leur opportunité, et s'il pouvait en permettre l'exécution, il avait également qualité pour s'y opposer, au cas où la décision du conseil n'était pas conforme aux intérêts de la commune. Le droit de s'opposer à l'exécution de la délibération portant refus devait nécessairement avoir pour conséquence le droit d'imposer l'acceptation de la libéralité.

Si le droit d'autoriser d'office ne peut être contesté au cas où le conseil s'est prononcé pour le refus, il doit exister également au cas où le conseil a négligé ou refusé de délibérer. Dans ce cas encore, l'administration est appelée à protéger l'intérêt des communes compromis par l'inertie ou la mauvaise volonté de ses représentants. En outre il est impossible de laisser indéfiniment en suspens la question d'autorisation. Donc l'administration

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SUPPRESSION DU DROIT D'AUTORISER D'OFFICE

pourra, faute de demande de la part de la commune, se saisir d'office. Sans doute elle ne prononcera pas avant d'avoir mis le conseil municipal en demeure de faire connaître ses intentions, mais, après avoir fixé un délai, elle pourra passer outre el autoriser d'office l'acceptation de la libéralité.

Le droit d'autoriser d'office n'appartenait encore qu'au pouvoir central. Quand le décret du 25 mars 1852 eut transféré aux préfets le droit de statuer sur les dons et legs en l'absence de réclamation, ceux-ci se trouvèrent investis du pouvoir d'autoriser d'office.

D'un autre côté le droit d'autoriser d'office s'appliquait alors à toutes les dispositions faites au profit des communes, toutes étant soumises à autorisation. Mais à mesure que les pouvoirs des conseils municipaux se développaient, diminuaient d'autre part les prérogatives conférées à l'autorité supérieure. Lorsque la loi du 24 juillet 1867 eut permis aux conseils de régler par leurs délibérations non seulement l'acceptation, mais encore le refus des dons et legs sans charges ni conditions, le droit d'autoriser d'office cessa d'être applicable à cette catégorie de dispositions. Il subsistait encore dans tous les cas où la loi avait conservé la nécessité d'une autorisation gouvernementale ou préfectorale. La loi du 5 avril 1884 ayant attribué aux conseils municipaux le pouvoir de refuser dans tous les cas, et sous la seule réserve stipulée dans l'article 112, le droit d'autoriser d'office a désormais disparu, au moins en ce qui concerne les communes. Il n'est plus applicable qu'aux seuls établissements publics auxquels la loi du 4 février 1901 n'a pas étendu le droit de statuer par une délibération définitive sur le refus des libéralités (art. 4).

2340. Le droit de refuser d'office, seconde forme du droit de statuer d'office, est fondé sur des motifs analogues, sinon plus impérieux. Il a pour raison d'être, non plus la protection de l'éta blissement gratifié, mais celle de la famille dépouillée. Or, des trois intérêts sur lesquels repose la disposition de l'article 910. celui de l'établissement légataire est le moindre, celui de la famille est au contraire prépondérant. Si la lésion possible de l'intérêt de l'établissement a dù faire admettre l'autorisation d'office,

DROIT DE REFUSER ET RÉDUIRE D'OFFICE

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comment la lésion certaine, évidente, de l'intérêt de la famille ne ferait-il pas admettre le refus d'office? Il se présente comme le seul moyen de donner satisfaction aux héritiers à qui l'inertie de la commune est de nature à causer un préjudice, comme la seule mesure propre à déjouer les calculs d'un légataire qui compterait sur l'œuvre du temps et le dépérissement des preuves pour triompher plus aisément de l'opposition des intéressés. Les questions d'autorisation sont de celles qui, pour être sainement appréciées, exigent un examen sinon immédiat, au moins très rapproché de la date des faits accomplis. Sans attendre la fin des trente années de la prescription légale, le gouvernement fixera au conseil municipal un délai pour se prononcer, à l'expiration duquel il se saisira d'office, ou sur la demande des héritiers opposants, non plus pour contraindre la commune à accepter, mais pour lui refuser dès à présent l'autorisation sans laquelle elle ne peut pas recueillir la libéralité.

En supprimant l'autorisation d'office, la loi du 5 avril 1884 n'a pas eu pour effet d'abolir complètement le droit de refuser d'office. Si elle a permis aux conseils municipaux de refuser les libéralités faites aux communes, elle a maintenu au gouvernement le droit d'autoriser l'acceptation des dons et legs lorsqu'il y a réclamation. Le droit de refuser d'office continue donc d'exister au cas où l'autorité supérieure est appelée à statuer. En l'absence de réclamations, le gouvernement ne peut plus refuser d'office. Mais s'il y a des réclamations, sans attendre une demande en autorisation, après simple mise en demeure du conseil, le gouvernement pourra se saisir d'office et refuser l'autorisation.

2341. Le droit d'autoriser d'office avait pour conséquence le droit de réduire d'office. Toutes les fois qu'il est appelé à autoriser, le gouvernement est en effet investi du droit de réduire. Avant 1884, il pouvait donc réduire d'office, parce qu'il pouvait contraindre une commune à accepter. Mais depuis la loi de 1884, l'acceptation ne pouvant plus être imposée, il en résulte que la réduction d'office n'est plus applicable aux communes. Le gouvernement ne peut plus user du droit de réduction qu'autant

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