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PRONONCÉES CONTRE LES COMMUNES

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affectés à un service ou à un usage public, laquelle peut être ordonnée par un décret (art. 110).

Mais d'ailleurs l'administration est investie d'un pouvoir souverain d'appréciation relativement aux mesures de contrainte à employer. Elle n'est pas tenue de déférer aux réquisitions des créanciers réclamant l'exécution immédiate et intégrale des engagements pris par la commune ou des obligations qui lui sont imposées. Chargée de veiller aux intérêts publics, son devoir est de s'opposer à des mesures qui auraient pour conséquence d'entraîner la ruine irrémédiable de la commune et la désorganisation des services. Sans contester la validité des titres du créancier, l'administration pourrait donc répartir le paiement de la dette communale sur plusieurs exercices, ou même refuser d'autoriser des impositions extraordinaires dont le résultat serait,en tarissant la matière imposable, de rendre impossible la rentrée des contributions publiques. Et comme les décisions rendues à cet effet constituent des actes de pure administration, elles sont simplement susceptibles de recours hiérarchique, mais ne peuvent pas faire l'objet d'un recours contentieux devant le Conseil d'Etat 1.

L'application aux communes du régime spécial de la comptabilité publique a pour conséquence d'écarter les règles relatives à l'hypothèque judiciaire. Serait nulle l'inscription hypothécaire qui aurait été prise sur les biens du domaine communal en vertu d'un jugement obtenu par le créancier. On a prétendu que l'hypothèque judiciaire n'a rien d'incompatible avec les prescriptions administratives concernant le paiement des dettes des communes; que l'inscription hypothécaire est un acte conservatoire, ayant pour objet de maintenir les droits du créancier à l'encontre des tiers acquéreurs et des autres créanciers, mais sans effet coercitif à l'égard de la commune, envers laquelle elle ne saurait avoir le caractère d'un acte d'exécution la mettant dans la nécessité de payer; et qu'au surplus les biens communaux pouvant être soumis à des hypothèques conventionnelles, il n'y a pas de raison

C. d'Et., 29 mars 1853, D. 53,3,50; 16 mai 1873, D. 76,3,41: 15 janvier 1875, D. 75,3,94: 4 août 1876, D. 76,3,100; 17 avril 1885 et 1er mai 1885, D. 86.3.131.

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EXCLUSION DE L'HYPOTHÈQUE JUDICIAIRE

pour qu'ils ne puissent être grevés par des hypothèques judiciaires, dont les effets sont les mêmes 1. Cette doctrine ne nous parait pas exacte. Elle a été victorieusement réfutée par un jugement du tribunal de la Seine, en date du 7 février 1895 [no 558. Il faut observer d'abord que si, à l'égard du créancier, l'inscription peut être considérée comme un acte conservatoire, à l'égard de la commune elle revêt le caractère d'un acte d'exécution, puisqu'elle tend à procurer l'exécution du jugement et à conférer au créancier un droit de préférence et un droit de suite. Ces droits eux-mêmes sont absolument inconciliables avec les règles de la comptabilité et les prérogatives de l'Administration supérieure. Assurément, ils ne permettent pas au créancier de poursuivre l'aliénation forcée des immeubles communaux. Mais au cas même d'aliénation volontaire, le créancier ne serait pas admis à exercer son droit de préférence sur le prix, car les deniers versés par l'acquéreur ne peuvent être saisis et tombent immédiatement dans le budget municipal; ils deviennent des deniers communaux, soumis aux règles de la comptabilité publique,dont la destination ne peut être déterminée qu'en vertu d'une inscription au budget. Quant au droit de suite, il ne peut être exercé davantage, car le créancier ne saurait avoir plus de droits contre un tiers détenteur que contre le débiteur lui-même. L'hypothèque judiciaire serait donc destituée de tout effet utile. En cela elle diffère de l'hypothèque conventionnelle. Cette dernière est consentie avec l'approbation de l'autorité administrative, en sorte que les deniers à provenir de l'aliénation reçoivent à l'avance une affectation déterminée. Elle peut donc produire ses effets, sans porter atteinte aux droits réservés à l'administration.

2356. Actions diverses contre les communes. Les actions dirigées contre les communes peuvent porter sur des questions de propriété. Elles peuvent aussi dériver de contrats ou de quasicontrats, de délits ou de quasi-délits engageant la responsabilité de la commune à raison de dommages causés directement par

sa

1 Trib. civ., Agen, 12 déc. 1891; C. d'Agen, 18 juill. 1892; Cass. req.' 18 déc. 1893, D. 94,1,97.

ACTIONS DÉRIVANT DE CONTRAT

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faute (C. civ.,art. 1382), ou par le fait de ses préposés (art. 1384). Toutes ces questions de propriété ou d'obligations sont en principe de la compétence judiciaire. La règle ne comporte d'exception qu'au cas où un texte attribue compétence à la juridiction administrative.

Spécialement les contrats intéressant les communes relèvent des tribunaux au point de vue de leur validité, de leur exécution et de leur interprétation. Les exceptions sont peu nombreuses. Une dérogation existe pour les marchés de travaux publics, dont le contentieux appartient au conseil de préfecture, en vertu de l'article 4 § 2-4 de la loi du 28 pluviôse an VIII.D'après la jurisprudence, la compétence administrative s'étend même aux conventions financières, offres de concours, ou cessions de terrains par lesquelles la commune a pu s'engager, avant la déclaration d'utilité publique, à contribuer à l'exécution des travaux [n° 586]. Sont également assimilés aux marchés de travaux publics les traités, entreprises ou concessions, intervenus pour le service de l'éclairage par le gaz ou l'électricité 1, ou pour la distribution de l'eau dans les villes 2; comme aussi les marchés passés pour le nettoyage des rues [no 585].

En dehors de ces exceptions, il faut revenir à la règle, sans distinguer entre les traités de gré à gré et ceux qui ont lieu par voie d'adjudication publique; sans distinguer si l'acte est passé dans la forme ordinaire ou dans la forme administrative; sans même distinguer entre les contrats relatifs au domaine de la commune et les conventions en vue de l'exécution des services publics. On comprend que, dans l'intérêt de ces services, la loi ait consenti plus facilement à déroger aux règles ordinaires de compétence. Mais à défaut de texte formel, ces dérogations ne sauraient être admises ni étendues en dehors des hypothèses spéciales en vue desquelles elles ont été écrites. Ainsi, tandis que les marchés de fournitures au nom de l'Etat relèvent de la juridiction adminis

1

Trib. conflits, 16 déc. 1876, D. 77,3,57, Cass. civ., 29 nov. 1881; Req., 8 août 1883, D. 84,1,81; C. d'Et., 12 juill. 1889, D. 91,3,18; 16 mai 1902, D. 1904, 3,5-6.

2 Trib. conflits, 20 déc. 1879, D. 80,3,102; 22 mars 1890, civ., 1er mars 1882, D. 83,1,20.

D. 91,3,94; Cass.

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ACTIONS RÉSULTANT DE QUASI-CONTRATS

trative (décr.11 juin 1806,art. 14), les contestations relatives aux mêmes marchés concernant les communes doivent être portées devant les tribunaux judiciaires 1. De même l'article 4 § 7 de la loi de pluviôse an VIII attribue aux conseils de préfecture le contentieux des biens domaniaux, mais ne doit pas être étendu aux aliénations de biens communaux 2. Ainsi encore l'arrêté du 3 floréal de l'an VIII défère aux conseils de préfecture les baux des sources minérales de l'Etat, mais ne s'applique pas aux baux des sources appartenant aux communes [n° 2319].

2357. Les communes peuvent-elles être tenues en vertu d'un quasi-contrat? Les dispositions relatives à la répétition de l'indú paraissent s'appliquer sans difficulté aux communes comme aux particuliers, sous la réserve des règles de la comptabilité publique, en vertu desquelles toute dépense doit faire l'objet d'une inscription au budget. Mais la question est plus délicate en ce qui concerne la gestion d'affaires. On a même soutenu que les règles de la gestion d'affaires étaient inconciliables avec les règles de l'administration municipale. Si la commune pouvait être contrainte à payer, des dépenses facultatives seraient ainsi transformées en dépenses obligatoires; or, dans aucun cas les autorités municipales ne peuvent être privées du droit qui leur est reconnu par la loi d'apprécier l'utilité et de voter l'inscription des dépenses à la charge de la commune.

Nous ne croyons pas que ces motifs soient de nature à écarter les règles du droit commun. La gestion d'affaires a précisément pour résultat de créer des obligations à la charge de tiers, à leur insu et en dehors de leur volonté. Les dispositions des articles 1371 et suivants sont fondées sur ce principe d'équité que quiconque retire un avantage des dépenses faites à son profit doit en tenir compte au moins dans la mesure du gain qu'il réalise. Les obligations qui en dérivent résultent de la loi et non pas de la

1 C. d'Et., 10 janv. 1861, D. 61,3,14; 3 janv. 1873, D. 73,3,55; 2 fév. 1877, D. 77,3,48; Trib. conflits, 7 mai 1881, D. 82,3,106.

* C. d'Et., 4 juill. 1860, D. 60,3,52; 7 mai 1867, D. 68,3,14; 1er juin 1870 et 30 août 1871, D. 72,3,47; 26 janv. et 2 fév. 1877. D. 77,3,35.

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volonté des parties. C'est pourquoi elles s'appliquent non seulement aux individus capables, mais aussi aux incapables, aux personnes civiles comme aux particuliers, toutes les fois qu'un texte n'en décide pas autrement. Il n'est pas exact de dire que les règles de la gestion d'affaires sont incompatibles avec celles de l'administration communale. Car la commune n'est pas tenue seulement des dettes contractées par ses représentants légaux; elle est également tenue de celles qui sont mises à sa charge par la loi, ou qui résultent des condamnations prononcées contre elles. Peu importe que l'affaire gérée soit de celles qui donnent lieu à des dépenses facultatives ou de celles qui sont comprises dans les dépenses obligatoires. Les obligations qui dérivent de la gestion sont à la charge de la commnne par ce seul fait qu'elle en retire un profit. Si le conseil municipal refuse de reconnaître les droits du gérant d'affaires, celui-ci s'adressera aux tribunaux pour les faire constater. Et si le conseil refuse de voter le crédit nécessaire, l'autorité supérieure, appelée à procurer l'exécution des condamnations, pourra recourir à l'inscription d'office, sans que rien dans ces procédés soit de nature à porter atteinte aux règles de l'administration municipale ou de la comptabilité publique.

La jurisprudence a fait de nombreuses applications de ces principes en matière de fournitures et de travaux. Il a été décidé que si des fournitures ont été faites, en dehors de toute autorisation régulière du conseil municipal, la commune est néanmoins tenue dans la mesure de l'utilité qu'elle en a retiré; et les tribunaux sont compétents pour reconnaître l'existence et fixer le chiffre de la dette, sauf au créancier à se pourvoir ensuite devant l'autorité administrative pour faire exécuter la décision 1. C'est par application des règles de la gestion d'affaires que les dépenses relatives à des travaux non régulièrement autorisés, imprévus ou supplémentaires, ont été mis à la charge des communes qui en ont profité 2; sous réserve de la responsabilité per

Cass. civ., 14 mars 1870, D. 71,1,142; Req., 15 juill. 1873, D. 73,1,457; Agen, 20 déc. 1876, Req. 19 déc. 1877, D. 78,1,205; C. d'Et., 16 déc.1881, D. 83,3,26; Alger, 26 mai 1894, D. 96,2,234.

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C. d'Et., 4 et 18 mai 1870, D. 72,3,29; 21 nov.1879, D. 81,3,77; 19 mai 1882, D. 83,3,92; 13 avril 1883, D. 84,3.116; 26 nov. 1886, D. 88,5, 496;

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