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CRITIQUE DE L'INTITULÉ ET DE L'ARTICLE 1er

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2175. La seconde partie de la brève disposition de l'article 1er de la loi du 4 février 1901 est inutile. Elle s'applique aux dons et legs faits << aux services nationaux qui ne sont pas pourvus de la personnalité civile ». Puisqu'il s'agit de services « non pourvus << de la personnalité civile », ce ne sont pas des établissements publics, soumis au principe de l'autorisation écrit dans l'article 910 du Code civil. Mais puisqu'il s'agit de « services nationaux », ils font partie intégrante de l'Etat, et il n'a jamais été sérieusement contesté que l'Etat eût qualité pour accepter de semblables libéralités. Nous en avons cité de nombreux exemples [nos 1382 et 1383]. La situation est donc, au point de vue juridique, comme si la libéralité est adressée à l'Etat lui-même,et tout ce que nous avons dit de la première hypothèse s'applique à la seconde.

En outre de la mesure d'ordre dont nous avons parlé, nous aimons à voir, dans cette disposition, une exclusion implicite de « la théorie dite « du démembrement de la personnalité civile << de l'Etat au profit des divers services publics, dont l'ensemble constitue l'Etat », réfutée [nos 1379 à 1382]. Sur ce point aussi, il ne faut pas s'en tenir à la lettre de l'article 1er de la loi du 4 février 1901.

2176. La très importante disposition de l'article 8 de cette loi doit être également ici l'objet d'une observation critique. En déclarant que « tous établissements peuvent, sans autorisation

préalable, accepter provisoirement ou à titre conservatoire les « dons et legs qui leurs sont faits », cet article abroge entièrement, sans le dire autrement et peut-être sans que le législateur s'en soit bien rendu compte, l'article 937 du Code civil. Cette abrogation absolue résulte, d'une part, de la disposition générale de l'article 9 et dernier de la loi, contenant la formule habituelle: * Sont abrogées toutes dispositions contraires à la présente loi. » Elle résulte, d'autre part, de la contradiction absolue entre l'article 8 ci-dessus de la loi du 4 février 1901 et de l'article 937 du Code civil ainsi conçu: « Les donations faites au profit d'hospices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité a publique, seront acceptées par les administrateurs de ces com

6 CRITIQUE DE L'ART. 8 DE LA LOI DU 4 FÉVRIER 1901

<<< munes ou établissements, après y avoir été dûment autorisés». Ces derniers mots ajoutaient d'une façon précise à l'article 910 du Code civil l'interdiction formelle de toute acceptation provisoire ou à titre conservatoire, faite avant le décret d'autorisation. Il devait être mentionné dans l'acte d'acceptation de la libéralité et y être annexé. L'article 937 était ainsi le corollaire de l'article 910. Ce n'est pas sans raison que le législateur du Code civil avait tenu à édicter expressément cette seconde disposition, bien qu'elle pût être considérée comme résultant naturellement de la première. L'acceptation de la libéralité faite à titre provisoire, avant le décret d'autorisation, place en effet l'autorité compétente pour autoriser en présence du fait accompli. Non seulement elle met obstacle au changement de volonté du disposant et aux chances de caducité, au cas de donation; mais elle permet à l'établissement légataire, bien que non encore autorisé à accepter, de former les demandes en délivrance prescrites par les articles 1004, 4005, 1011, 1014 du Code civil, avec tous les avantages en résultant. Il était sans inconvénient de renoncer à ce corollaire de l'article 910 du Code civil, pour des personnes civiles peu dangereuses au point de vue de l'accumulation des biens de main morte et pour les familles, tels que les départements, les communes, les hospices, les bureaux d'assistance. Les lois de 1838-1871, 18371884, 1851, 1873, y avaient pourvu. Mais le législateur, souvent sollicité d'étendre cette abrogation partielle aux établissements religieux et aux congrégations religieuses de femmes autorisées, s'y était toujours refusé. Il était réservé au législateur qui allait voter les dispositions relatives aux congrégations écrites dans la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association, de consacrer dans les articles 8 et 9 de celle du 4 février 1901, l'abandon absolu, au profit de << tous les établissements », de la disposition prudente et protectrice des familles, de l'article 937 du Code civil.

Nous devons rappeler que cet article n'était pas plus applicable à l'Etat que l'article 910 [n 1395). Telle était bien aussi la manière de voir de tous les législateurs du xix siècle. Dans le cas contraire, ne se seraient-ils pas certainement, et avec raison, empressés de l'abroger en ce qui concerne l'Etat, avant de l'abro

DIVISION DU PRÉSENT TOME 6

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ger même au profit des départements, des communes, des hospices et des bureaux d'assistance?

2177. Le présent volume est donc exclusivement consacré à l'étude des personnes civiles autres que l'Etat, ainsi que nous l'avons établi ci-dessus [no 2171], sauf les notions complémentaires de la personnalité civile de l'Etat qui précèdent et que la loi du 4 février 1901, postérieure à la publication de notre tome IV, a rendues nécessaires. La division de ce volume résulte naturellement de celle en trois classes, ci-dessus rappelée, des personnes civiles autres que l'Etat. Toutefois, il est utile, au point de vue de la généralisation des idées, et pour éviter des redites à propos de chaque catégorie d'établissements, de faire précéder ces trois chapitres déjà annoncés [n° 1364], d'un chapitre préalable consacré à un examen d'ensemble des principes et des règles applicables à ces trois sortes de personnes civiles ou qui les distinguent. C'est ce que nous avons appelé depuis longtemps la théorie générale de la personnalité civile. A propos de l'Etat nous l'avons commencée [nos 1371 à 1425]. Ce chapitre que nous annonçons ici la complétera. Il sera le premier du présent tome VI, mais le second de ce long titre troisième, consacré aux «< personnes civiles », qui est le dernier de notre œuvre tout entière, et dont le chapitre 1er, relatif à l'Etat, a demandé l'ensemble des tomes IV et V. Ce chapitre II contiendra donc, dans autant de sections et de paragraphes distincts, ce complément de la théorie générale de la personnalité civile; les règles communes à toutes les personnes civiles, soit nouvelles, résultant de lois telles que celle du 1er juillet 1901, relative au contrat d'association dans sa partie générale, soit anciennes, telles que celles de la reconnaissance légale, de l'autorisation administrative pour certains actes de la vie civile, et la règle fondamentale dite de la spécialité, limitant les effets de la personnalité civile au but légal et à la compétence de chaque établissement. Nous avons vu que l'Etat lui-même, à l'étranger

Les programmes publiés par la Faculté de Droit de Paris de nos cours de Doctorat des années 1888-1889, 1891-1892, et 1893-1894.

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CADRE ET PLAN DU VOLUME

et même en France, n'est pas à l'abri de ces restrictions légitimes [n° 1396], et qu'elles protègent chaque pays contre les abus possibles de la personnalité civile des Etats et souverains étrangers en dehors du territoire de chacun d'eux [no 1421 à 1425]. Ce chapitre II présentera aussi le tableau des nombreuses différences existantes entre les diverses catégories d'établissements.

Le chapitre III sera consacré aux établissements publics Il sera nécessairement le plus étendu en raison de la grande place que doivent y occuper les départements et surtout les communes, considérés au point de vue des actes de leur vie civile, de leur domaine, public et privé, et de leur budget, même sans revenir sur les questions d'organisation départementale et communale, entièrement exposées dans le tome Ier.

Par suite, ce chapitre III devra se subdiviser en huit sections, relatives aux départements, aux communes, sections et syndicats de communes, aux établissements scientifiques ou d'enseignement, aux établissements publics ecclésiastiques, aux établissements publics d'assistance, aux établissements publics de prévoyance, et aux établissements publics divers ne rentrant pas dans les catégories qui précèdent.

Le chapitre IV sera consacré aux établissements d'utilité publique, avec une division analogue à celle relative aux quatre dernières parties du chapitre III, en établissements d'utilité publique d'ordre scientifique, établissements d'utilité publique d'ordre religieux ou confessionnel (où se trouvera l'étude de la législation relative aux congrégations religieuses, tant nouvelle qu'ancienne, à laquelle cet ouvrage, dans ses éditions successives, a toujours fait la part importante qui leur appartient), établissements d'utilité publique d'assistance, établissements d'utilité publique de prévoyance et établissements d'utilité publique divers ne rentrant pas dans les autres catégories.

Enfin, le chapitre V et dernier sera consacré aux personnes civiles, dont nous avons dit n° 1364], en indiquant plusieurs d'entre elles, qu'« elles ne sont ni l'Etat, ni des établissements publics, ni des établissements d'utilité publique, et que leur « capacité est beaucoup plus restreinte ».

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CHAPITRE II

THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PERSONNALITÉ CIVILE

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2178. Eléments de la théorie dans le droit public et privé.

2178. Le terme de personne civile éveille surtout l'idée d'une institution de droit public. Les plus nombreuses, comme les plus importantes de ces personnes se rencontrent en effet dans la législation administrative: tels sont l'Etat, les départements, les communes, les hôpitaux et hospices, les bureaux de bienfaisance et d'assistance, les fabriques d'églises et tous les autres établissements compris sous les dénominations d'établissements publics ou d'utilité publique.

Mais ce serait une erreur de croire que la théorie de la personnalité civile relève exclusivement du droit public. D'abord, parmi les personnes civiles, il en est qui rentrent d'une manière presque absolue dans le domaine du droit privé. Telles sont les diverses sociétés commerciales, compagnies de finance, de commerce ou d'industrie, constituées en sociétés anonymes, en commandite ou en nom collectif (C. civ., art. 529 et 1832; L. 24 juillet 1867); ou encore les sociétés civiles à formes commerciales (L. 21 août 1893, art. 68); et même, d'après la récente jurisprudence de la Cour de cassation, les simples sociétés civiles ordinaires. Toutes ces sociétés, formées en vue d'un partage de bénéfices, trouvent leur réglementation dans la législation civile et commerciale. Mais en outre, parmi les personnes civiles de droit public, il n'en est pas une qui par de certains côtés ne soit tributaire du droit privé. Bien que constituées pour des fins d'intérêt public, toutes sont soumises, dans l'exercice de leur vie civile, aux règles et aux dispositions de la législation privée. C'est la conséquence de leur caractère de personnes civiles. Comme les particuliers, elles sont propriétaires; comme eux, elles s'obligent, aliènent, acquièrent

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