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beaucoup du suffrage universel. La loi du 22 décembre 1789 reconnaissait la qualité d'électeur à tout citoyen actif, c'est-à-dire à tous les Français majeurs de 25 ans accomplis, domiciliés dans le canton depuis un an, au moins, et payant une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail. La loi excluait les serviteurs à gages, quel que fùt leur âgé, et alors même qu'ils auraient payé une contribution directe '.

Tous les citoyens actifs ne nommaient pas directement les députés; le suffrage était indirect et les électeurs primaires choisissaient les électeurs du deuxième degré, à raison d'un par cent électeurs inscrits 2. Tout citoyen actif n'était pas éligible; le choix des électeurs primaires ne pouvait porter que sur des électeurs payant une contribution directe égale à la valeur de dix journées de travail3.

Les électeurs du second degré n'étaient pas éligibles à l'Assemblée nationale si aux conditions d'âge et de domicile ils ne joignaient pas les deux conditions suivantes: 1° payement d'une contribution directe égale à un marc d'argent; 2° propriété d'un bien-fonds quelconque*.

390. La Constitution du 3 septembre 1791 modifia ce régime en ce qui concernait l'éligibilité. Elle conserva les conditions exigées par la loi du 22 décembre 1789 pour la qualité de citoyen actif et d'électeur primaire; mais elle établit pour l'éligibilité des élec

1 Loi du 22 décembre 1789, section 1, art. 3.

2 Ibid., art. 17.

3 Ibid., art. 19.

Ibid., art. 32.

teurs du deuxième degré un cens plus élevé. Dans les villes ayant plus de 6,000 mes, ceux-là seuls pouvaient être nommés électeurs du deuxième degré qui possédaient, en propriété ou en jouissance, un bien imposable à la contribution sur un revenu égal à la valeur de deux cents journées de travail ou qui étaient locataires d'une habitation évaluée à un revenu de cent cinquante journées de travail. Dans les campagnes, le cens était moins élevé : étaient éligibles les citoyens actifs propriétaires ou usufruitiers d'une terre imposable sur un revenu égal à cent cinquante journées de travail et les fermiers qui exploitaient des fermes d'un revenu cadastral égal à la valeur de quatre cents journées de travail'. Le cens était également réduit dans les villes au-dessous de 6,000 habitants; il suffisait, pour être éligible, d'avoir en propriété ou jouissance un bien imposable à la contribution directe sur un revenu égal à la valeur de cent cinquante journées de travail ou être locataire d'une habitation égale à la valeur de cent journées de travail.

391. La Constitution du 24 janvier 1793 supprima l'élection à deux degrés et fixa le nombre et la répartition des députés d'après la population, à raison d'un député par 39 à 40,000 habitants. Tout citoyen âgé de 21 ans et domicilié depuis six mois dans le canton était électeur primaire; la qualité de Français n'était même pas exigée, et l'art. 4 accordait le droit de voter à tout étranger âgé de 21 ans qui, domicilié en France depuis une année, y vivait de son travail, y

1 Constitution du 3 septembre 1791, chap. Ir, section II, art. 7.

achetait une propriété, épousait une Française, adoptait ou nourrissait un enfant. La condition d'une année de domicile n'était pas exigée des « étrangers qui seraient jugés par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité. » Mais la condition de Français était exigée pour l'éligibilité'.

On voit que si la Constitution de 1793 avait été appliquée, la révolution aurait fait l'expérience la plus complète du suffrage universel. Mais cette législation fût lettre morte; car la réaction thermidorienne lui substitua une autre Constitution avant qu'elle eût pu être mise en pratique.

392. La Constitution du 5 fructidor an III rétablit le suffrage à deux degrés à peu près dans les conditions fixées par la Constitution de 1791; mais elle donna au vote des citoyens une importance qu'il n'avait pas eue jusqu'alors et que les régimes postérieurs n'ont pas conservée. Les électeurs élus dans les assemblées primaires ne nommaient pas seulement les députés à l'Assemblée nationale; ils étaient aussi chargés d'élire les membres du tribunal de cassation, les hauts-jurés et les juges des tribunaux civils 2.

393. La mission du corps électoral fut considérablement réduite par la Constitution consulaire du 22 frimaire an VIII. Les citoyens ne furent plus appelés à nommer directement des mandataires, mais seulement à désigner des éligibles parmi lesquels étaient choisis les dépositaires de l'autorité.

Art. 28 de la Constitution du 24 juin 1793.

Tit. IV, art 33-41.

Les citoyens de l'arrondissement choisissaient, en nombre égal au dixième des électeurs inscrits, ceux qui leur paraissaient être le plus aptes à gérer les affaires publiques. Ces élus formaient la première liste sur laquelle étaient pris les fonctionnaires de l'arrondissement. Les élus devenaient électeurs à leur tour. et nommaient, en nombre égal au dixième de leur chiffre, ceux qui devaient former la liste départementale. Sur cette deuxième liste étaient pris les fonctionnaires du département. Enfin les élus portés sur la liste départementale choisissaient ceux qui forme. raient la liste nationale, et c'est parmi ces derniers que le Sénat choisissait les législateurs, les tribuns, les consuls, les juges de cassation et les commissaires de la comptabilité'.

394. La Charte du 4 juin 1814 prit dans la contribution directe la base du système électoral et fixa le cens au chiffre élevé de 1,000 fr. pour l'éligibilité et de 300 fr. pour l'électorat. Elle recula aussi l'âge de l'éligibilité jusqu'à quarante ans et celui de l'électorat jusqu'à trente. Les députés étaient nommés pour cinq ans et renouvelables par cinquième ; la moitié au moins devait être choisie parmi les éligíbles qui avaient leur domicile politique dans le département.

395. La Charte s'était bornée à poser les principes et elle renvoyait à une loi spéciale pour régler tout ce

1 Constitution du 22 frimaire an VIII, art. 7, 8, 9 et 20. - Sénatus-consulte du 16 thermidor an X, art. 1 à 39.- Foucart, Éléments de droit public, t. I, p. 672.

⚫ Charte du 4 juin 1814. art. 36 à 42.

qui concernait la convocation des colléges électoraux; mais soit que le temps eût manqué pour rédiger la loi, soit que le gouvernement voulût retenir, aussi longtemps que possible, cette importante matière sous sa main, le système électoral demeura provisoirement régi par des ordonnances jusqu'au 5 février 1817'.

La loi du 5 février 1817 disposa qu'il n'y aurait par département qu'un seul collége composé de tous les citoyens âgés de trente ans et payant 300 fr. de contributions directes. Tous les électeurs de ce collége étaient appelés à nommer, au scrutin de liste, les députés du département*.

396. On aurait pu croire que cette loi était de nature à satisfaire l'aristocratie; mais la pratique de ce système ne fut pas favorable à la droite. Les électeurs à 300 fr. envoyèrent à la Chambre un grand nombre de députés libéraux, et la loi de 1817, attaquée par les uns comme trop restrictive et par les autres pour des raisons opposées, fut remplacée par celle

1 Ordonnance du 13 juillet 1815. L'art. 75 de la Charte de 1814 avait appelé le Corps législatif à continuer ses fonctions; l'ordonnance de 1815 en prononça, au contraire, la dissolution. Cette ordonnance contenait plus d'une modification aux dispositions de la Charte, en matière électorale. M. de Vaublanc, ministre de l'intérieur, proposa, le 18 décembre 1815, un projet de loi qui distinguait entre les colléges de canton et les colléges de département. Les soixante plus imposés du canton réunis à certains fonctionnaires désignés par la loi composaient le collége du canton. Les électeurs du premier collége nommaient les électeurs du second degré, qui, réunis à un certain nombre de fonctionnaires désignés par la loi, composaient le collège du département. Ce projet fut combattu par M. de Villèle, qui fit adopter à la Chambre des députés un contre-projet. Ce contre-projet échoua à la Chambre des pairs. M. de Villèle proposait de revenir au système de la Charte, de prendre pour base unique la contribution foncière, et de substituer le renouvellement par cinquième au renouvellement intégral (art. 37 de la Charte). 2 Art. 13 de la loi du 5 février 1817.

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