Page images
PDF
EPUB

Mais d'abord, et pendant longtemps, chaque pays aura beaucoup de petits Royaumes et de petits Rois; dans chaque Royaume les Aristocrates se rendront indépendants des Rois et presque Souverains eux-mêmes.

Ce sera la Féodalité, ou le Régime féodal, ou l'Aristocratie féodale, ou plutôt l'Anarchie féodale.

[blocks in formation]

Les Barbares ne cultivant pas la terre avant l'invasion, et par conséquent la terre ayant peu de prix à leurs yeux, ils laissent d'abord à leurs Rois la Propriété ou la disposition de toutes les terres.

Il en est de même après l'invasion, et les Rois sont considérés comme Propriétaires ou dispensateurs de tout le territoire conquis.

C'est le Royaume ou le Domaine de la Couronne ; et quand la Royauté sera devenue héréditaire ou quasi-héréditaire, elle se partagera entre les enfants du Roi comme un domaine privé, jusqu'à ce que les inconvénients de ce partage aient fait établir le droit de primogéniture pour l'aîné avec des apanages pour les cadets.

Mais des terres cultivées, fertiles, et dans lesquelles on veut s'établir à jamais, sont bien différentes des terres incultes sur lesquelles les Barbares erraient avant l'invasion; la terre devient alors le principal bien; chacun veut en avoir; et le Roi n'en est laissé le maître qu'à la condition qu'il en fera des concessions à tous les soldats.

Les terres concédées s'appellent Bénéfices ou Fiefs.

Le Roi impose à sa concession les charges ou conditions qui lui conviennent, notamment que le concessionnaire, ou le bénéficier, ou le feudataire, se reconnaîtra son vassal ou son sujet, qu'il le reconnaîtra pour son Suzerain, qu'il lui rendra hommage et lui jurera foi ou fidélité, et qu'il s'engagera à le servir à la guerre et à lui amener tous les hommes dont il pourra disposer.

Les terres concédées s'appellent aussi terres saliques, dont les femmes sont exclues parce qu'elles ne peuvent fournir le service militaire, d'où vient, chez les Francs, l'usage d'exclure les femmes de la Couronne.

Ces fiefs sont d'abord personnels et viagers, c'est-à-dire qu'ils sont accordés au titulaire seul, pour sa vie seulement, et qu'ils doivent, à sa mort, revenir à la Couronne, qui en dispose au profit des enfants, ou de l'un d'eux, ou de tout

autre.

Ils sont même révocables, c'est-à-dire qu'ils peuvent être révoqués par le Suzerain, en cas d'infidélité commise envers lui, ou dans d'autres cas prévus, comme le Roi lui-même est déposable.

On prétend même qu'ils ne sont accordés d'abord que temporairement et attachés à des fonctions temporaires.

Les Vassaux ou les feudataires sont donc d'abord dans la dépendance de leur Suzerain; c'est le servage féodal : mais ils finiront par rendre leurs fiefs irrévocables et héréditaires, et par se rendre eux-mêmes fonctionnaires indépendants et héréditaires, comme la Royauté finira par se rendre indépendante et souveraine.

Tout le pays est ainsi partagé en fiefs auxquels on donne différents noms chez les différents Peuples. Admettons qu'on les appelle Duchés, Comtés, Marquisats, Baronnies, Seigneuries: voici, à-peu-près, comment s'en fait la distribution.

Le Roi ne concède pas directement des fiefs à tous ses Généraux, Officiers et Soldats : les Généraux, qui sont ses compagnons, ses conseillers, presque ses égaux et ses pairs, s'obligent, dans leur intérêt, à suivre en quelque sorte la hiérarchie et la discipline militaires. Il partage donc tout le pays en grandes Provinces ou Duchés et les donne à ses Généraux, qu'il appelle Ducs, se réservant pour lui le plus grand Duché. Chaque Général ou Duc agit de même envers

ses Officiers inférieurs : il divise son Duché en Comtés et les donne à ses Officiers, qu'il appelle Comtes, en se réservant le plus grand Comté; chaque Comte distribue des Marquisats à ses Officiers inférieurs, appelés Marquis; chaque Marquis distribue des Baronnies ; et chaque Baron distribue des Seigneuries à ses soldats, transformés en Seigneurs. Les Duchés sont les Grands fiefs de la Couronne ; les Comtés, Marquisats, Baronnies et Seigneuries en sont les Arrière-fiefs.

Le Clergé a aussi des terres et des fiefs ecclésiastiques, des Evéchés, Canonicats, Cures, Abbayes, Prieurés, Bénéfices, etc.

Chaque fief (Duché, Comté, etc.,) a ses charges ou servitudes féodales envers le fief supérieur, et ses droits féodaux envers le fief inférieur; car il semble que les Barbares donnent la préférence à la terre sur l'homme et placent l'homme sous la dépendance de la terre; c'est la terre qui annoblit son possesseur et non le possesseur qui annoblit la terre; c'est le Duché qui fait le Duc et non le Duc qui fait le Duché; c'est la terre qui a les titres et les droits, les engagements et les servitudes, et qui les transmet à son possesseur, tandis que celui-ci n'a plus ni les uns ni les autres quand il cesse de posséder la terre. En un mot, on dit homme de haut LIEU, ou homme de bas LIEU.

Le droit électoral et d'éligibilité attaché à la Propriété foncière est donc originairement un droit féodal!

En Angleterre, par exemple', avant sa récente Réforme parlementaire, le droit de nommer un ou plusieurs Députés áu Parlement, attaché à certaines terres, même possédées par des femmes ou des enfants, était un droit féodal,

Les Seigneurs concèdent même quelques domaines, surtout des terres encore incultes, moyennant un cens féodal, soit à d'anciens habitants laissés libres, soit à des serfs affranchis.

Il y a plus ceux des anciens habitants auxquels on a laissé

quelques terres appelées libres ou franc-aleux, les cèdent à quelque Seigneur du voisinage pour les recevoir de lui à titre de fiefs et moyennant un faible cens, afin de n'être pas opprimés par lui.

Voilà donc presque partout la division des terres très-peu de terres libres et quelques terres grevées de cens féodaux appartenant au Peuple qui les défriche; et presque tout le territoire couvert de Duchés, Comtés, etc. Evéchés, etc., possédés par les Conquérants, devenus Ducs, Comtes, etc., et cultivés à leur profit par les anciens habitants, devenus leurs serfs ou leurs esclaves.

Ajoutons à cela que les droits d'aínesse et de masculinité, qui donnent les successions aux aînés des garçons, et les substitutions ou les majorats, qui rendent les biens inalié nables, concentrent et perpétuent la Propriété de toute la terre dans quelques familles et sur quelques têtes.

Le partage ne s'opère cependant pas absolument comme nous venons de l'exposer pour nous faire mieux comprendre ; il ne se fait pas partout de même; il ne se fait pas d'un seul coup; et l'on ne sait pas bien si ce sont les bénéfices romains et les colonies militaires romaines qui en ont donné l'idée et le modèle, ou si ce sont les Lombards ou tout autre Peuple barbare qui en ont donné l'exemple: mais, au commencement du dixième siècle, par suite de la faiblesse des Rois ou des usurpations des Seigneurs, la France, presque toute l'Europe, et même presque toute l'Asie et l'Afrique septentrionale, se trouvent organisées féodalement.

Et voilà cependant la première origine de la plupart des grandes Propriétés et des grandes fortunes aristocratiques!

Le Roi est un Duc Suzerain qui n'a, dit-on alors, d'autre Suzerain que Dieu tout le reste est vassal et sujet.

Les Ducs sont les grands-vassaux ou les grands-officiers de la Couronne; ils se diront même les pairs du Roi, prétendant avoir seuls le droit d'élire son successeur et de le

[ocr errors]
[ocr errors]

prendre parmi eux. Les Comtes, Marquis, Seigneurs, etc., sont ses arrière-vassaux, tandis que ceux de son propre Duché sont ses vassaux directs.

Chaque Duc est Suzerain vis-à-vis de ses Comtes, qui sont ses vassaux ; chaque Comte est Suzerain dans son Comté, chaque Marquis dans son Marquisat, et chaque Baron dans sa Baronnie; chaque Seigneur est maître de ses serfs ou esclaves.

Les Archevêques, etc., sont également vassaux et Suzerains.

Chacun est donc à la fois sujet et suzerain, ayant un supérieur auquel il obéit et des inférieurs ou vassaux auxquels il commande.

Et remarquons-le bien, chaque Duc, Comte, etc., chaque Évêque, Abbé, etc., a son territoire et ses frontières, ses forteresses et ses châteaux, sa cour et son armée, ses lois et sa monnaie, sa justice et ses prisons.

Cette armée d'Aristocrates militaires et ecclésiastiques est donc une armée de Rois subordonnés les uns aux autres! Comment l'ordre pourra-t-il régner au milieu de tant de milliers de Rois!

Bientôt, chacun de ces Aristocrates-Rois veut se rendre indépendant de son Suzerain, envahisseur des domaines voisins, oppresseur de ses vassaux; et chacun cherche à former des ligues et à exciter des révoltes et des trahisons contre son ennemi.

Mais, de même que les Aristocrates-vassaux s'efforcent de se rendre indépendants du Suzerain, le Suzerain s'efforce de soumettre tous ses vassaux, d'agrandir son autorité, et de se rendre même héréditaire et absolu. Pendant tout le moyen-âge, les Rois sont ennemis de l'Aristocratie, et l'Aristocratie, soit militaire, soit sacerdotale, est l'ennemie des Rois; les Nobles même sont souvent les ennemis des Prêtres.

« PreviousContinue »