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1849.

LE PARTI DE LA RÉALISATION.

18 avril 1849.

Nous n'avons pas, on le sait, la passion des vains débats et des paroles stériles, aussi serions-nous pour le Parti de la Réalisation, de préférence au Parti de la Discussion, si le labour ne devait pas précéder la semence, et la semence, à son tour, précéder la moisson.

Selon nous, le Parti de l'Insurrection n'a d'existence durable que celle que lui donne le Parti de la Répression; supprimez le Parti de la Répression, et vous en aurez bien vite fini avec le Parti de l'Insurrection; il ne restera plus alors en présence que deux Partis sans danger; - le Parti de la Discussion et le Parti de la Réalisation, le premier étant au second ce que la meule est à la farine.

Quand nous parlons du Parti de la Répression, nous n'entendons parler que de la répression appliquée aux discours et aux écrits. Nous admettons le droit de tout dire, le droit de tout écrire, sous le seul contrôle de l'opinion publique; mais nous n'admettons le droit de tout faire que dans les limites tracées par la loi.

N'arrivera-t-on donc jamais, en France, à comprendre que le Droit de tout dire, de tout écrire, ne nuit qu'aux partis qui en abusent, et profite, au contraire, aux intérêts que ces partis menacent? Il avertit la société, il en resserre les liens détendus. Qui a contribué en mars, avril et mai

1848, plus qu'aucun autre journal, sans même en excepter la Presse, à rendre de la vigueur aux esprits ? N'est-ce pas le langage, n'est-ce pas jusqu'au titre de ces feuilles qui s'appelaient le Père Duchêne, le Journal, de la Canaille, le Pilori, etc., etc., etc.? C'est par l'excès de l'indignation que la France a échappé à l'abattement de la peur.

Ne l'oublions pas! On l'oublie.

Depuis que le Peuple et la Révolution démocratique et sociale ont été condamnés à des peines exorbitantes, il y a, pour qui sait voir, plus de motifs de s'effrayer après qu'avant leur condamnation. La violence de leurs articles entretenait l'esprit de résistance, tandis que la fausse modération dont ils vont s'appliquer à revêtir habilement les dehors afin d'échapper sûrement aux rigueurs de la loi, ne fera que rendre leurs traits plus aigus et leurs coups plus sûrs, car on s'en défiera moins.

Ce qu'il est défendu de dire sous une forme, il est permis de le dire sous une autre; tout peut se dire, tout peut s'écrire; ce n'est qu'une question de vocabulaire. MM. Garnier-Pagès et Ledru-Rollin l'ont bien prouvé à la tribune, alors qu'il était défendu de s'avouer républicain, alors qu'il fallait, pour siéger à la Chambre des députés, prêter serment à la Charte constitutionnelle et au roi des Français; le National et la Réforme aussi l'ont bien prouvé, sans attendre le 25 février 1848, car si sévères que fussent les lois de septembre 1835, elles ne les ont pas beaucoup gênés.

Le Parti de la Discussion est le moyen d'en finir d'un seul coup avec le Parti de la Répression et le Parti de l'Insurrection; c'est pourquoi le Parti de la Discussion est le nôtre, en attendant, et nous souhaitons que ce soit le plus tôt possible, en attendant que le jour soit venu de nous ranger sous le drapeau du Parti de la Réalisation.

1849.

LA LIBERTÉ INTERMITTENTE.

I.

20 avril 1849.

Nous sommes pour la liberté permanente, mais nous ne sommes pas pour la liberté intermittente, et c'est précisément parce que nous ne sommes pas pour la liberté intermittente que nous sommes pour la liberté permanente. La liberté intermittente, c'est la fièvre qui emporte le malade. Comme on ne saurait vouloir interdire la liberté intermittente de réunion, nous sommes pour la liberté permanente de réunion; nous croyons à celle-ci infiniment moins de dangers qu'à l'autre, et ce qui nous étonne, c'est que pour faire comprendre une chose si simple on ait besoin d'y revenir si souvent.

Nous sommes également pour qu'en matière de liberté de presse on abolisse les cautionnements; il n'y a pas un motif, un seul, qui puisse en justifier le maintien; mais, si on ne les abolit pas, ce n'est point une raison suffisante pour créer le régime exceptionnel que l'on propose d'établir pendant les quarante-cinq jours qui précéderont les élections, régime qui consisterait à affranchir de toute entrave toutes publications, pendant ce temps de quarantecinq jours, sorte de jours gras de la Liberté.

Liberté entière ou restreinte, mais point de liberté intermittente!

II.

9 mai 1849.

La liberté de tout dire n'étant qu'une question de forme, en faire une question de fond est puéril. C'est ce qu'on a reconnu aux Etats-Unis, en Angleterre, en Belgique ; c'est ce qu'il est impossible qu'on ne finisse point par reconnaître en France. Depuis quinze jours, la liberté d'afficher et de crier est entière; consultez les crieurs, consultez les afficheurs, consultez l'expérience!

Cette expérience nous donne pleinement raison, et cependant, nous qui réclamons comme tutélaire la liberté incontestée, nous avions repoussé comme dangereuse la liberté intermittente!

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Qu'est-ce que cela prouve? Cela prouve que si nous méritons un reproche, ce serait plutôt d'incliner à la timidité qu'à la témérité.

1849.

L'AGITATION PERMANENTE.

22 avril 1849.

Nous persistons à soutenir plus fermement que jamais que la liberté limitée, c'est l'agitation permanente; vous persistez, vous, à soutenir que cette doctrine est fausse et dangereuse, et qu'il n'y a de liberté durable que la liberté restreinte. Eh bien! nous vous diróns: Imitez l'exemple de ce philosophe de l'antiquité devant lequel on niait le mouvement et qui se mit à marcher. Si nous avons tort de soutenir qu'il n'y a pas de régime intermédiaire possible entre le régime d'interdiction absolue du droit d'examen, tel qu'il est pratiqué en Russie, et le régime de l'inviolabilité absolue du droit d'examen, tel qu'il existe aux Etats-Unis; s'il est possible de tracer des limites à la liberté de la pensée, de la parole et de la plume, prouvez-nous-le! Ces limites que trois gouvernements ont vainement cherchées, trouvezles! Tracez-les!

Les dépositaires actuels du pouvoir sont favorables aux idées de liberté restreinte; eh bien ! qu'ils fassent donc trois lois qui règlent efficacement:

La liberté de réunion;

La liberté de l'enseignement;

La liberté de la presse!

S'ils y parviennent, nous prenons d'avance l'engagement

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