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Bonaparte contre le rapport de M. Thiers? - Non. La lettre du 18 août, ensevelie dans le rapport, a eu la tribune pour tombeau. Nous comprendrions que le Président de la République ne pardonnât pas à ses ministres le dédain sous lequel ils l'ont accablé, mais nous ne saurions comprendre que la majorité leur en voulût. Il faut lui rendre justice: M. Dufaure, pousse l'arbitraire aussi loin qu'on le peut pousser sans se précipiter dans les hasards du 18 fructidor, suivi d'un 18 brumaire. Si la Majorité n'est pas contente de M. Dufaure, nous déclarons qu'elle est souverainement injuste. Chassât-elle.M. Dufaure pour ramener M. Faucher, qu'elle n'y gagnerait rien, et peut-être même y perdrait-elle! Pourquoi donc changer le cabinet?

Ce changement serait sans but, sans raison et sans effet. Ce que la majorité de l'Assemblée, le président de la République et le cabinet ont de mieux à faire, c'est de continuer à vivre ensemble jusqu'au jour où la France, aux termes de la Constitution, sera appelée à élire soit une Assemblée de révision, soit une nouvelle Assemblée législative et un nouveau président.

- Mais c'est précisément là l'épreuve qu'il s'agit d'éviter! Pas d'Assemblée de révision, car il serait possible que la majorité de cette Assemblée fût animée d'un tout autre esprit que l'esprit qui anime la majorité actuelle. Pas de suffrage universel, car s'il a sauvé la France en mai 1849, il peut la perdre en mai 1852. C'est ce qu'il faut à tout prix empêcher. L'unique moyen, c'est non pas de le supprimer, personne n'y songe, mais de le suspendre. Puisqu'on a suspendu pendant un an le droit de réunion, pourquoi ne suspendrait-on pas pendant dix ans le droit d'élection, si le salut de la France, si le salut de l'Europe, si le salut de la société, sont à ce prix?

- Enfin, que veut-on?

Le régime militaire. Il n'y a que cette manière de conduire les peuples mécontents de leurs gouvernements. D'ailleurs le sol de la France, depuis trente années, a été trop labouré par l'araire de la presse, il faut qu'il se repose.

Pour jachère, il aura l'état de siége pendant cinq ou dix

ans.

- Est-ce sérieusement que vous parlez ainsi?

Très sérieusement.

- Insensés que vous êtes! comment ne voyez-vous donc pas que plus vous étendrez votre pouvoir et plus vous rendrez manifeste votre impuissance! Si vous savez sur quelles bases doit reposer la politique de la France; si vous savez quels sont les moyens d'accomplir les réformes qu'exigent toutes les branches de l'administration publique; si vous savez quelles sont les économies de nature à rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'État; si vous savez ce qu'il y a à faire pour asseoir l'impôt, la production, la consommation, la société, enfin, sur leurs véritables bases, que ne le faites-vous? Qu'est-ce qui vous empêche de le faire? N'avez-vous pas une immense majorité compacte? Où est donc, si ce n'est en vous, l'obstacle qui s'oppose à l'accomplissement de vos vastes desseins, à la réalisation de vos grandes pensées ?

L'obstacle est dans la durée trop courte assignée à l'exercice d'un pouvoir dont le terme expirera en mai 1852. Prétexte! car si le pouvoir exécutif ainsi limité est précaire, l'existence humaine est bien plus précaire encore, puisque nul être vivant aujourd'hui n'est assuré de vivre demain. Il n'y a que l'hérédité du trône qui défie la mort. Proposez donc alors de rétablir l'hérédité du trône ! Mais si vous la rétablissez, que ce soit dans toute la pureté et dans toute la force de son principe. Soyez conséquents! Effacezvous, et agenouillez-vous devant Henri V, roi de France! Vous ne voulez pas de la légitimité! dites-vous. Que voulezvous done? Un régime bâtard qui ne serait ni l'hérédité, ni l'élection, ni la dictature, ni la paix, ni la guerre, ni la liberté, ni la gloire. Insensés! insensés ! Ce régime ne serait pas plutôt mis à l'épreuve que l'impuissance en apparaîtrait à tous les regards dans sa nudité la plus honteuse. Aujourd'hui, cette nudité est couverte d'une erreur qui lui sert de voile; on croit que si le gouvernement ne fait rien, c'est

qu'il a les mains liées par la Constitution. C'est à elle qu'on s'en prend; mais dès que l'on ne pourrait plus s'en prendre à elle, on s'en prendrait à lui. Qu'arriverait-il? C'est qu'au lieu de prolonger sa durée, on n'aurait fait que hâter sa chute. Trente mois de pouvoir, cinq cents voix de majorité sur sept cent cinquante votans, et cent mille soldats sous les murs de Paris; si cela ne vous suffit pas pour vous mettre à l'œuvre, que vous faut-il donc et qu'attendezvous?

Ce que vous désirez, dites-vous, c'est que le président de la République puisse être réélu : ce que vous craignez, c'est que la majorité de l'Assemblée de révision ne fasse obstacle à ce désir. Il est pour le président de la République et ses conseillers un moyen sûr d'atteindre à leur but sans sortir de la Constitution.

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- C'est de se montrer supérieurs aux événements et aux partis; c'est de résoudre les questions au lieu de les ajourner; c'est plonger au fond des choses au lieu de flotter à leur surface: c'est de faire du Passé et du Présent la double caution de l'Avenir. Qu'est-ce qui empêche de suivre cette voie à la fois la plus droite, la plus large, la seule sûre? Est-ce le défaut d'hommes capables et d'idées fécondes? Mais alors que le président de la République serait indéfiniment rééligible ou élu à vie, expliquez-nous donc comment il se ferait que les hommes supérieurs, s'ils n'existent pas, surgiraient tout à coup, et, s'ils existent, qu'est-ce qui empêche le président de la République de les choisir?

Ou ils n'existent pas ou ils existent; s'ils existent, qu'on nous dise leurs noms; s'ils n'existent pas, qu'on renonce à tromper la France par une espérance qui serait une déception de plus!

Assez de déceptions comme cela!

Après le 24 février que disait-on? On disait : Attendez les élections générales du 23 avril, attendez la réunion de de l'Assemblée constituante. Cette réunion a lieu. Que diton? On dit Attendez la Constitution. La Constitution est

volée. Que dit-on? On dit : Attendez l'élection définitive du président de la République. Louis-Napoléon Bonaparte est élu par cinq millions et demi de suffrages. Que dit-on? On dit: Attendez l'Assemblée législative. Depuis cinq mois, cette Assemblée a voté tout ce que le ministère lui a demandé suspension du droit de réunion, état de siége, etc. Que dit-on? On dit : Attendez l'Assemblée de révision; attendez qu'elle ait décidé que le président de la République sera rééligible. Maintenant supposez qu'il soit indéfiniment rééligible, on dirait : Attendez qu'il soit président à vie. Supposez qu'il soit président à vie, on dirait : Attendez qu'il soit empereur ou roi héréditaire. Dans cette voie d'ajournement dérisoire, où s'arrêtera-t-on?

« Cela ne peut pas durer! »

A ceux qui s'expriment ainsi nous répondons :
Il faut cependant que cela dure!

Oui, il faut que cela dure, afin que l'expérience commencée se complète; afin que la France sache avec exactitude ce qu'elle devra conserver et ce qu'elle devra retrancher de la Constitution de 1848; afin que l'impuissance de tous ces faux libérateurs, qui se donnent entre eux et sans rire le nom d'hommes d'État, soit plus évidente encore; afin que toutes les erreurs aient eu le temps de se révéler, et toutes les illusions le temps de tomber; afin que le cynisme des apostasies reçoive, enfin, le châtiment qu'il a mérité.

1849.

LE MINISTÈRE DU 1er NOVEMBRE 1849.

3 novembre 1849.

Les journaux s'étonnent du silence que nous avons gardé sur le Message du président de la République et sur la formation du nouveau cabinet. Rien de moins étonnant cependant.

Après les démentis que MM. Odilon Barot et Dufaure ont donnés à tout leur passé d'opposition, dès qu'ils ont eu entre les mains le pouvoir, nous n'avons aucun motif de prendre parti pour le cabinet qui tombe contre le cabinet qui s'élève (1).

L'article 67 de la Constitution déclare « que les actes du » président de la République, autres que ceux par lesquels >> il nomme et révoque les ministres, n'ont d'effet que s'ils » sont contresignés par un ministre;» mais l'article 64, don

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