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1850.

LES INTENTIONS ET LES ACTES.

2 janvier 1850.

<< Avez-vous apaisé les discordes, réuni les partis autour » de l'autel de la patrie? Avez-vous acquis aux différents » pouvoirs de l'État la prépondérance morale que la loi lui » concède et qui est un gage de stabilité ?

» Avez-vous conservé à l'institution de la Légion-d'Hon>> neur la pureté et le prestige de sa première organisation? » Avez-vous fait servir l'influence du pouvoir à l'amé>> lioration des mœurs? Les crimes, au lieu de diminuer, » n'ont-ils pas suivi une progression croissante ?

» Avez-vous, comme moi, fait jaillir du sol cent nouvelles >> industries?

>> Avez-vous achevé pendant une longue paix la moitié » des travaux que j'avais commencés pendant de cruelles » guerres ?

>> Avez-vous ouvert de nouveaux débouchés au com» merce?

» Avez-vous amélioré le sort des classes pauvres ?

>> Avez-vous conservé à l'armée cette considération et >> cette popularité qu'elle avait acquises à si juste titre ? » La noble mission du soldat, n'avez-vous pas cherché à » l'avilir?

>> Le drapeau tricolore, le nom de Français, ont-ils con

» servé le prestige et cette influence qui les faisaient res» pecter de tout l'univers ?

» Avez-vous assuré à la France des alliés sur lesquels elle » puisse compter au jour du danger?

» Avez-vous diminué les charges du peuple? Vos impôts » ne sont-ils pas, au contraire, plus élevés que mes impôts » de guerre ?

» Enfin, avez-vous affaibli cette centralisation adminis»trative que je n'avais établie que pour organiser l'intérieur » et pour résister à l'étranger?

» Non; vous avez gardé de mon règne tout ce qui n'était » que transitoire, qu'obligation momentanée, et vous avez » rejeté tous les avantages qui en palliaient les défauts. » Les bienfaits de la paix, vous n'avez pu les obtenir, et » tous les inconvénients de la guerre, vous les avez con» servés, sans ses précieuses compensations, l'honneur et » la gloire de la patrie ! » (1)

Telles étaient les interpellations qu'adressait au roi Louis-Philippe, du fond de sa prison de Ham, le prince Louis Bonaparte.

A notre tour, nous demandons à l'Élu du 10 décembre, du droit que nous a donné l'énergique et décisif concours que nous avons prêté à sa candidature, alors qu'elle n'excitait encore que le dédain, les railleries et l'injure, nous lui demandons : Qu'avez-vous fait, depuis le 20 décembre, de l'immense pouvoir que vous teniez de cinq millions et demi de suffrages; deux millions de suffrages de plus (2) que le vainqueur d'Arcole et d'Aboukir n'en avait recueillis pour arriver au Consulat; que le premier consul n'en avait recueillis pour s'élever du Consulat à l'Empire?

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Cette demande, nous vous la faisons avec tristesse, mais sans amertume, car nous distinguons entre vos actes et vos intentions.

Non, il ne se peut pas, qu'après avoir écrit ce que vous avez écrit à Arenemberg et à Ham, risqué ce que vous avez risqué à Strasbourg et à Boulogne, souffert ce que vous avez souffert dans l'exil et dans la captivité, dit ce que vous avez dit avant et après votre retour de Londres; non, il ne se peut pas qu'héritier du nom et dépositaire de la gloire dont vous serez responsable devant la postérité, vos intentions ne soient pas ce qu'elles s'annonçaient, quand, bravant les sarcasmes et les dangers, nous donnions à la sincérité de vos paroles notre publicité pour caution; non, il ne se peut pas que l'immortalité oblige moins que la noblesse, non, il ne se peut pas que vous ne soyez point l'homme de France le plus malheureux, d'avoir été contraint de faire, d'un pouvoir si grand, un usage si petit !

1850.

L'UNIVERSITÉ, L'ÉGLISE, L'ÉTAT.

I.

3 janvier 1850.

L'Univers publie un article intitulé : L'UNIVERSITÉ ET LE SOCIALISME. Suppression du budget de l'instruction publique et restitution de l'enseignement aux communes et aux corporations, voilà ce que demande l'Univers, en invoquant l'autorité de Domat; mais l'Univers a-t-il calculé que la suppression du budget de l'instruction publique menait droit à la suppression du budget des cultes et à l'abolition de toute religion d'État? C'était l'opinion que soutenait, en 1843, M. de Lamartine, s'exprimant en ces termes :

« En matière d'enseignement et de religion, nous sommes dans le faux. Et pourquoi sommes-nous dans le faux? C'est que nous ne sommes pas dans la liberté. Non, croyants ou sceptiques, catholiques ou dissidents, chrétiens ou rationalistes, Etat ou Église, ni les uns ni les autres nous ne sommes dans la liberté. Nous nous gênons, nous nous contraignons, nous nous opprimons réciproquement, et en nous opprimant nous opprimons quelque chose de plus saint que nous-mêmes la vérité! Il faut ou la sacrifier tout à fait ou nous séparer. »

:

L'Univers a cité Domat; nous pouvons donc, à notre tour, citer Tertullien, décrivant ainsi, au troisième siècle, la pratique des chrétiens :

« Le dépôt commun des oblations sacrées n'est pas parmi nous le fruit

des taxes imposées, comme si aucune partie de la religion pouvait être mise à prix, mais il est formé par les petites sommes que chaque fidèle y apporte tous les mois, ou quand il lui plait, ou même s'il le peut; car personne n'y est contraint, et toutes les oblations sont libres et volontaires (1). » La question est posée; que l'Univers y réponde nettement.

L'Univers, qui demande la liberté de l'enseignement, veut-il également la liberté des cultes (2), et entend-il l'une comme il entend l'autre ?

II.

4 janvier 1850.

Nous recueillons la déclaration de l'Univers sur la grave et délicate question de la séparation de l'Eglise et de l'État :

« Nous avouons que la restitution de l'enseignement aux communes et aux corporations aurait pour conséquence inévitable, dans un temps donné, non pas la suppression totale, mais bien une diminution très grande du budget de l'instruction publique, et nous avons calculé que la suppression de ce budget menait droit à la suppression du budget des cultes, qui nous semble encore plus désirable, parce que l'État se fait de ce budget un prétexte pour charger l'Église de chaînes. Seulement, nous entendons qu'en supprimant ou diminuant le budget de l'instruction publique, on respecte les droits acquis, et que l'État tienne compte aux membres de l'Université de ce qu'il leur doit. De même, s'il plaît à l'État de supprimer le budget des cultes, bien loin de nous y opposer, nous appuierions cette entreprise de tous nos efforts, à la seule condition que l'État voudra bien tenir compte à l'Église des biens qu'il lui a pris et dont le budget du culte catholique représente le revenu. Ce budget appartient à l'Eglise comme les propriétés de MM. les rédacteurs de la Presse leur appartiennent, et l'État n'a pas plus le droit d'exproprier l'Église que de confisquer les propriétés des particuliers.

» La Presse cite Tertullien, décrivant ainsi la pratique des chrétiens de son siècle :

« Le dépôt commun des oblations sacrées n'est pas parmi nous le fruit

(1) Apologétique de Tertullien, chap. 30.

(2) La Constitution de l'an III (1795), art. 354, est ainsi conçue: «Nul ne peut être empéché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi.

» Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'aucun culte. La Répu blique n'en salarie aucun. »

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