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EXPOSÉ DES MOTIFS

Du projet de loi concernant le budget de 1806. M. Cretet. Messieurs, Sa Majesté nous a ordonné de mettre sous vos yeux la situation actuelle des finances publiques et le budget de 1806, qui comprend aussi les cent premiers jours de l'an XIV.

Nous aurons à vous retracer les circonstances générales dans lesquelles se trouve l'empire français; nous ne vous parlerons ni de sa force, ni de la gloire qui couvre son auguste chef; l'univers en retentit.

L'ensemble des finances comprend invariablement trois époques distinctes; le passé, ou la situation des anciens exercices écoulés ; le présent, ou la situation de l'exercice courant; l'avenir, ou les moyens de pourvoir à l'exercice prochain. Nous placerons sous ces trois divisions les résultats des comptes que les ministres ont rendus à Sa Majesté, et qui sont entre vos mains.

CHAPITRE PREMIER.

Situation des anciens exercices, et moyens de liquidation de ce qui reste dú.

L'examen de la situation des anciens exercices doit être classé en deux époques, à raison de la différence des moyens établis pour leur liquidation. A la première époque appartiennent les années V, VI, VII et VIII, et à la seconde les années IX, X, XI et XII.

En l'an IX, on évalua par approximation la dette à liquider, résultante des quatre années précédentes; il fut créé, par la loi du 30 ventôse, pour 2,700,000 francs de rentes à trois pour cent et un million à cinq pour cent. Ces rentes furent destinées à apurer ce qui pourrait être dù sur ces exercices.

Indépendamment de ces rentes, on conserva comme moyen de libération les produits du recouvrement à faire sur les recettes des mêmes exercices. Au 1er vendémiaire an XIII, il restait libre au trésor public sur les produits des recouvrements faits jusqu'alors 1,073,356 fr.

Il est rentré en l'an XIII sur ces anciens exercices.

747,675 1,821,031 fr. Cette somme a été employée en payements. Sur les 37 millions de francs de rente créée par la loi du 30 ventôse, il en avait été consommé en payements, au 1er vendémiaire an XIII, 2,594,805 francs. Il en a été employé en l'an XIII, 751,227 francs. Il ne reste plus de disponible que 353,938 francs.

Outre les 3,700,000 francs de rente créée par la loi de ventôse an IX, celle du 21 floréal an X a ouvert deux nouveaux crédits, l'un de 3,000,000 fr. destinés à liquider l'ancienne dette constituée, ci. 3,000,000 fr. 4,000,000 7,000,000 fr. 3,000,000

L'autre applicable à la consolidation du tiers provisoire.

Total.

Sur la première partie de.

il a été employé dans les années

X, XI, XII, et XIII.

2,636,124

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années X, XI, XII, XIII et XIV. Il restait libre au 1er vendémiaire an XIV.

4,258,021 fr.

1,741,979

Il a paru convenable de réunir aujourd'hui tous les reliquats des crédits en rentes, ouverts par les lois des 30 ventôse an IX, 21 floréal an X, et 4 germinal an XI, et d'en former une masse qui désormais sera destinée à pourvoir aux liquidations de toutes natures de dettes pour les exercices an V, VI, VII et VIII, et pour ce qui reste à inscrire ou à consolider de l'ancienne dette. On aura donc pour ressources et pour satisfaire aux liquidations qui s'exécuteront en 1806 : 1o Le reliquat du crédit de 3,700,000 francs, loi du 30 ventôse an IX, ci.

2o Le reliquat des 3 millions de fr., loi du 21 floréal an X.

3o Le reliquat d'un autre crédit de 4millions de francs, même loi, et de celui de 2 millions de francs, loi du 4 germinal an XI.

Total

353,938 fr.

363,876

1,741,979 2,459,793 fr.

Cette somme suffira pour acquitter les liquidations qui pourront être exécutées dans le courant de 1806.

Ce qui restera dû au delà ne peut être encore bien connu, parce qu'après avoir épuisé la liquidation de la plus grande partie de cette masse d'arriéré, ce qui en reste est d'une nature plus contentieuse et plus difficile à reconnaître. L'administration prend des mesures pour hâter les opérations de cette liquidation. Il est bien désirable que ce triste héritage de l'ancien Gouvernement soit enfin connu, et que les finances de l'empire soient débarrassées des incertitudes qui enveloppent tant de prétentions réduites aujourd'hui à des résultats probablement très-faibles.

La règle salutaire de la séparation des exercices sans laquelle tout se confondrait dans l'administration et en comptabilité, cette régle, source de l'ordre, deviendrait un élément de confusion si elle était sans limites.

S'il est important de distinguer la masse des recettes et dépenses de chaque année, il l'est également de faire cesser cette division, lorsqu'il n'est plus question que de quelques reliquats actifs où passifs de l'exercice, sans quoi il faudrait pour ces simples reliquats maintenir dans les finances un ordre d'écritures séparées, ce qui produirait un effet tel que les années, en s'accumulant, donneraient lieu à un nombre indéterminé de comptes; nous disons indéterminé, car on ne saurait assigner le temps où la totalité d'un exercice pourrait être apurée sans restriction. Il est donc convenable, à certaines époques, de réunir ces résultats épars et de les employer à former des masses particulières, au moyen de quoi la simplicité se rétablit dans les comptes.

Il faut observer cependant que ce genre de réduction des exercices n'influe pour rien dans la comptabilité élémentaire des recettes et dépenses publiques. Chaque compte à rendre reste dans l'ordre des exercices séparés; ce n'est qu'à la comptabilité centrale du trésor public que cette méthode s'applique.

Ainsi, et déjà les reliquats des exercices ans V, VI, VII et VIII, ne font depuis longtemps qu'une seule masse: il est aujourd'hui nécessaire de comprendre aussi dans une autre masse les reliquats des exercices ans IX, X, XI et XII. Nous devons rechercher d'abord quelles sont les sommes qu peuvent rester dues sur ces quatre exercices, e

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déterminer ensuite quels sont les moyens qui seront employés à leur acquittement.

Il résulte des comptes généraux rendus par les ministres pour les quatre exercices, que la totalité des dépenses s'élève à. 2,486,269,132 fr.

Il a été payé sur ces dépenses, jusques et compris le mois de février 1806.

Reste à payer pour solder le tout.

Il sera pourvu au payement de cette somme au moyen des recettes appartenant à ces exercices, versées au trésor public, employées par lui en faveur des exercices ultérieurs qui les restitueront aux exercices précédents. Ces avantages s'élèvent à

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2,414,788,661

71,480,471 fr.

28,077,736

Il restera. 43,402,735 fr. Cette dernière somme exige l'ouverture d'un nouveau crédit législatif; et en considérant qu'elle doit apurer quatre exercices, on reconnaît que les dépenses effectives auront excédé de bien peu celles prévues pas le budget de ces quatre années: nous disons bien peu, puisque cette époque renferme une nouvelle guerre avec l'Angleterre, la création de la flottille, et la dépense de l'expédition de Saint-Domingue.

Il vient d'être établi que le nouveau crédit à ouvrir pour solder les exercices IX, X, XI et XII, est de 43,402,735 francs. Cette somme, pour éviter les fractions, est portée à 44 millions de francs par le ministre des finances.

Le Gouvernement demande en même temps un nouveau crédit de 16 millions pour l'an XIII, prévoyant que les sommes accordées par le budget de la même année ne suffiront pas pour acquitter toutes les dépenses qui se sont nécessairement accrues par la courte et brillante guerre continentale dont les préparatifs ont dû s'exécuter en l'an XIII. Ainsi, l'on vous propose, Messieurs, d'ouvrir un nouveau crédit de 60 millions dont 44 serviront à liquider les exercices IX, X, XI, et 16 millions à liquider l'exercice de l'an XIII.

Cette proposition est suivie d'un projet qui tend à réaliser ce crédit, et à mettre entre les mains du Gouvernement les moyens de l'appliquer effectivement à l'apurement de tout ce qui peut être dû pour les exercices IX, X, XI, XII et XIII.

On aurait pu, comme pour les années précédentes, réaliser ce crédit par une création de rente sur le grand livre de la dette publique; elles auraient été remises en payement aux créanciers : mais des motifs puissants ont éloigné le Gouvernement de cette mesure. Il a dù s'occuper de l'influence qu'elle aurait sur l'intérêt des créanciers qui, payés sous cette forme inattendue, pourraient être obligés, pour l'ordre de leurs affaires, de vendre les rentes qu'ils auraient reçues en payement, de supporter la perte qu'éprouvent les rentes lorsque l'on est contraint de les réaliser, perte qui aurait pu s'accroître par l'influence, sur la place, des rentes nouvellement créés.

Le sort des créanciers sera mieux ménagé, parce qu'au lieu de rentes ils recevront leur payement intégral en effets à ordre portant intérêt, échéant à des époques fixes et parfaitement assurées. Le crédit de ces effets sera d'autant mieux soutenu, que, sans attendre leur échéance, ils pourront être réalisés, par leur admission comme numéraire dans le payement des domaines nationaux à vendre par la caise d'amortissement:

tel sera le résultat de la combinaison qui va vous être développée,

Pour réaliser le nouveau crédit de 60 millions il sera créé 3 millions d'inscriptions, au grand livre, avec la jouissance du 1er janvier 1806. Ces rentes, au lieu d'être distribuées aux créanciers, seront inscrites en faveur de la caisse d'amortissement, qui se chargera de payer les 60 millions dans soixante mois, à partir du 1er juillet 1806, à raison d'un million par mois. Elle remettra en conséquence, au trésor public, ses bons payables à ordre. Le trésor public en usera pour payer aux créanciers des exercices IX, X, XI, XII et XIII, le montant des liquidations successives qui auront été exécutées.

Les bons qui écherront dans les six derniers mois de 1806 ne produiront pas d'intérêt, parce qu'ils seront, en général, délivrés à des époques très-rapprochées de leurs échéances.

Les bons qui écherront dans les douze mois de 1807, et les six premiers mois de 1808, porteront intérêt à 6 pour cent l'an, à partir du 1er janvier 1807 ceux qui écherront dans les six derniers mois de 1808, et dans les années suivantes, jusques au 30 juin 1811, dernière échéance, jouiront d'un intérêt de 7 pour cent, mais seulement à partir du 1er janvier 1808, époque correspondant à l'ordre successif et préalable des liquidateurs.

Mais avant de s'attacher à ce système de liquidation, il a fallu s'assurer que la caisse d'amortissement aurait des moyens certains d'acquitter rigoureusement, à l'échéance, les obligations qu'elle va contracter; on ne pourrait faire dépendre ces moyens des 3 millions de rentes créées en faveur de la caisse, puisqu'elle ne doit point les aliéner, et que si elle le faisait, rien ne pourrait la soustraire à une perte considérable.

Les ressources de la caisse seront puisées dans sa propre fortune, et prises dans la valeur des domaines nationaux vendus ou à vendre, qui ont été ou qui seront mis entre ses mains. Ce gage très-certain n'a besoin que de délais pour vendre et recouvrer. La caisse aura soixante mois pour exécuter, sans une hâte préjudiciable, l'aliénation d'une quantité de domaine suffisante pour être mise incontestablement en état de payer, à échéance, les bons qu'elle va souscrire.

Ceci nous conduit au dernier terme du problème. La caisse d'amortissement aura-t-elle assez de domaines nationaux à vendre pour lui assurer une rentrée de 60 millions? On répondra que la caise possède de ce genre de ressources avec un grand excès, ce qui est établi par le compte du ministre des finances, où l'on trouve le détail de ces propriétés en domaines et en rentes foncières.

La caisse possédait 43 millions de capitaux en domaines nationaux vendus ou à vendre, qu'elle a acquis, tant du Sénat que de la Légion d'honneur, en leur transférant les rentes constituées sur l'Etat, qu'elle avait en propriété, ci.

Elle avait recouvré, au 1er février 1806, sur cette somme, ci. Reste à recouvrer

La caisse a acquis les immeubles du Prytanée et 96,000 francs de rente foncière, le tout estimé

La Légion d'honneur possédait en domaines, au delà de la dotation particulière de ses seize cohortes, un capital de

A reporter.

43,000,000 fr.

2,050,000 40,950,000 fr.

7.000,000

25,385,000 73,335,000 fr.

Report.

Ces domaines ont été cédés à la caisse moyennat une rente de 1,370,000 francs, et son capital s'est ainsi accru de.

La caisse a encore acquis du Sénat, en domaines, un capital de.

Il lui reste du 17,856,000 fr. sur une délégation de 26,856,000 fr. sur le produit des domaines vendus antérieurement au 1er vendémiaire an X.

Enfin la caisse possède en capitaux de rentes à recouvrer environ 5 millions, ci.

Total de capitaux dont la caisse est actuellement propriétaire.

Ce capital pourra s'accroître encore de 21 millions en domaines nationaux qu'il convient de transporter à la caisse pour libérer le trésor public de ce qu'il peut lui devoir pour fonds d'amortissement, en exécution de la loi de floréal an X, et pour remboursement de cautionnements versés au trésor public, ci. . .

Ce qui élèvera le capital de la caisse à.

73,335,000 fr.

25,385,000

11,591,000

17,856,000

5,000,000

107,785,000

21,000,000

120,785,000 fr. Nous avons dit que la caisse était propriétaire de tous ces capitaux; mais il faut observer qu'elle redoit au Sénat 8 à 900,000 francs de rentes dont elle lui fournira les inscriptions par la suite.

Il est évident qu'au delà de cette restriction, la caisse possède plus de cent millions de capitaux en biens nationaux ou en rentes foncières, vendues ou à vendre. Chaque jour des ventes s'opèrent et remplissent son portefeuille de recouvrements à faire à époques fixes. On a déjà remarqué que, dans un seul article, elle a à recouvrer à des époques rapprochées 17,856,000 francs.

C'est sur cette large fortune qu'est établi le payement des 60 millions de bons que la caisse doit souscrire, et c'est avec ces bons que l'Etat se libérera intégralement de ce qu'il reste devoir sur les exercices IX, X, XI et XII, non compris un fonds de 16 millions qui lui restera pour couvrir l'insuffisance des fonds de l'an XIII.

Ainsi, en combinant ses ressources, en les ménageant avec intelligence, le Gouvernement aura apuré les finances publiques dans toute l'étendue d'une époque marquée par deux années de guerre maritime, et par les préparatifs d'une guerre continentale. Les créanciers auront reçu les valeurs les plus réelles, et ils n'auront eu à supporter qu'une atteinte modérée, compensée par un intérêt élevé à un taux convenable.

Compte rendu de l'exercice an XIII. Les recettes de l'an XIII avaient été évaluées, au budget de cette année, à.

Les produits en sommes rentrées ou à rentrer n'ont atteint que la somme de

Les dépenses du même exercice avaient été évaluées à.

Il en a été payé jusqu'au 1er jan

vier 1806.

Il reste à en payer.

684,000,000 fr.

677,776,054

684,000,000

657,016,423

17,177,488 fr.

L'aperçu ultérieur des dépenses de cet exercice et la différence entre les recettes effectuées et les recettes présumées, indiquent la nécessité d'ouvrir un nouveau crédit de 16 millions à l'exercice de l'an XIII. Nous avons annoncé comment il y était pourvu par la création de 60 millions de bons de la caisse d'amortissement.

CHAPITRE 11.

Situation de l'exercice courant, ou budget des cent premiers jours de l'an XIV et de l'année 1806. Nous venons de reconnaitre l'état des finances relativement au passé, et de nous assurer de leur véritable position; nous avons vu que la dette des anciens gouvernements, quoique incomplétement connue, ne présente plus que des résultats peu considérables, qui seront liquidés, et que la dette du Gouvernement, qui nous régit si glorieusement, se réduit à 60 millions. Tels sont les effets de l'ordre et de la volonté du génie; tels sont les moyens de la puissance, de la persévévérance, des soins infatigables et du travail prodigieux du chef de l'empire. Une légère augmentation de la dette publique, balancée par un amortissement, exécuté ou préparé, les ressources tirées des débris de la masse des domaines nationaux, des secours extérieurs, fruits de la victoire et d'une sage politique; ces moyens, ajoutés aux contributions publiques' ordinaires, ont suffi pour soutenir, accroître et porter au dernier terme de la gloire un vaste empire accablé naguère sous les débris d'une terrible révolution.

Mais ce que le génie, la puissance et la fortune édifient, doit être conservé par la prudence; elle nous avertit de fixer, sans interruption, notre attention sur la situation de l'empire, relativement aux desseins, à la force et à la politique des peuples qui l'environnent.

On l'a dit, et malheureusement il n'est que trop vrai, que l'Europe semble ne pouvoir plus compter sur les bienfaits de la paix; des traités mensongers la promettent: ils n'ont pas même l'avantage des trêves, celui d'un délai convenu avant la reprise des armes.

Si l'on examine comment, au milieu des progrès de la civilisation, les peuples se trouvent reportés aux effets de la barbarie, on reconnaîtra que quelque cause extraordinaire a dù jeter l'Europe dans le système le plus opposé au repos et à l'intérêt des nations qui la composent.

Cette cause nait évidemment de la rupture récente d'un seul lien qui contenait jadis les gouvernements dans des mesures revêtues de modération; je parle du droit des nations : il n'existe plus, et avec lui se sont évanouis et la foi de la plupart des souverains envers leurs promesses, et les procédés de déférence et d'obligeance pendant la paix, et ceux de modération pendant la guerre, et l'indépendance des neutres, et le respect pour leurs propriétés ou leur territoire:

L'abrogation du droit des nations fut préparée dès le commencement du siècle dernier par les mépris d'une nation ambitieuse qui se préparait à la domination universelle; il fut brisé sans retour à l'époque où l'un de ses ministres, élevant une voix audacieuse, osa proclamer qu'il ne se tirerait pas un coup de canon en Europe sans la permission de son gouvernement. L'Europe resta muette et indifférente à cette insultante déclaration; elle sembla se dissimuler que ce signal de domination était la perte de son indépendance, et que, puisque l'on prétendait lui commander, il

faudrait qu'elle obéit; sommeil imprudent qui, depuis, a produit de si tristes résultats!

L'assertion du ministre Chatam flattait l'orgueil et l'ambition de sa nation, et lui indiquait un but vers lequel elle n'a cessé depuis de s'élancer avec fureur et persévérance. L'Angleterre, jetée ainsi dans un système de despotisme universel, n'a pu se soutenir que par la violence et l'injustice. Les obstacles n'ont fait qu'irriter sa soif de domination; détruire vingt peuples dans l'Asie, porter le fer et la destruction dans l'antique berceau de la famille des hommes, attaquer des nations au milieu de la paix la plus profonde, envahir leurs propriétés, plonger des neutres dans l'esclavage, les contraindre à entrer dans les rangs de ses armées, corrompre, séduire des gouvernements, les attirer dans ses querelles, les entraîner dans des guerres fatales: tous ces excès sont les effets funestes de son système usurpateur. Et comment aurait résisté à ces invasions farouches le droit des nations, ce faible réseau tissu par la simple raison ?

La France, appelée par son rang, sa puissance et ses plus chers intérêts à arrêter le fléau qui menace l'Europe, se borna à lui opposer de faibles obstacles; son gouvernement souffrit imprudemment que la nation fùt humiliée, et la plaçant ainsi dans une position qui blessait son noble caractère, il anima d'autant plus cet esprit d'inquiétude, de murmures et d'agitation qui amena la révolution et la chute de la monarchie.

L'Angleterre, favorisée par des événements inouïs, marchait rapidement dans ses desseins. Londres serait probablement aujourd'hui la métropole de l'univers, si le ciel n'eût fait naître un homme extraordinaire, et ne l'eût chargé du rétablissement du droit des nations, en le douant de la prudence et de tous les moyens d'accomplir avec succès ses destinées.

Son génie conjure les orages sans cesse renaissants qu'excite notre implacable ennemi; sa main puissante brise ses efforts; mais en même temps il construit un vaste système, le seul qui puisse guérir les maux de l'Europe.

La lutte qui subsiste entre l'empire français et l'Angleterre paraît d'abord ne pouvoir se terminer que par la raison ou par la force. Les effets de la raison seront éloignés autant que nos ennemis prétendront à la domination de l'univers par celle des mers, et autant que l'on pourra faire écouter dans leurs conseils les cris farouches d'une guerre interminable; quant à la force, elle prépare ses moyens contre cette nation, mais la nature interpose à leur exécution des obstacles dont on ne peut assigner la durée.

Des combinaisons nouvelles vont fixer l'avenir et fonder nos espérances sur le retour plus ou moins prochain d'une paix durable; il se forme, au centre de l'Europe une puissance assez forte pour voir briser contre elle et les attaques qu'elle reçoit et celles que l'on pourrait lui préparer.

L'Angleterre, en abusant de sa situation et de ses immenses forces maritimes, a elle-même indiqué les points sur lesquels on pouvait lui résister aux efforts qu'elle fait sur les mers, il faut opposer de plus grands efforts sur la terre; et puisqu'elle prétend s'isoler des autres nations et leur interdire les mers, celles-ci, par de justes représailles, doivent aussi s'isoler d'elle, et lui interdire la plus grande étendue possible de continent.

A tant d'oppression, il fallait opposer une telle confédération, qui pût défendre les libertés de l'Europe sans fes alarmer. Elle s'exécute; la

France voit se réunir autour d'elle des alliés invariablement associés à sa politique par des intérêts communs, par leur voisinage et par les liens du sang; ainsi se constitue l'empire français, composé du territoire naturel de la France et des pays qui désormais seront attachés à sa fortune. Nous le savons, cette pieuse ligue formée dans le légitime but de la défense, sera calomniée; nos ennemis taxeront d'ambition les précautions qu'ils ont rendues nécessaires; mais l'Europe ne se méprendra pas longtemps: elle jugera que, pour sa sûreté, quelque chose doit remplacer ce vain et impuissant système d'équilibre auquel était confiée toute sa politique, système qui, au lieu de repos, ne produisit que des balancements, c'est à-dire des orages et des guerres sans cesse renaissantes; système enfin remplacé par la simple loi de gravité, l'établissement d'un centre inébranlable relativement à chacune des forces qui l'entourent.

Il était temps d'établir au milieu de l'Europe des moyens de réprimer les entreprises de l'Angleterre et de certains de ses alliés qu'elle cherche à séduire en leur offrant le partage du monde ; il faut que leurs efforts viennent se briser contre la puissance de l'empire français. Ce ne sont point ici de vaines terreurs; le danger existera tant que la modération et la justice seront bannies des cabinets des princes, et tant que de nouveaux desseins d'invasion et de destruction de l'indépendance des peuples troubleront le monde. En pourra-t-on douter, si l'on se rappelle qu'à peine quelques mois se sont écoulés depuis qu'un monarque puissant crut, à la veille du combat, avant que la fortune se fût expliquée, pouvoir aspirer aux fruits de la victoire, et demander la dispersion de cette France, dont les parties furent réunies au prix de tant de sang et de sacrifices?

Ainsi, jusqu'à ce que l'Angleterre veuille consoler le commerce éploré des nations, jusqu'à ce que, renonçant au monopole universel, elle leur rende leurs droits naturels, et ne prétende lutter contre elles que par les avantages de son sol et la perfection de ses arts, ses vaisseaux, chargés de stériles richesses, se montreront en vain sur les côtes étendues qui les repousseront ce rigoureux divorce lassera sans doute un jour l'Angleterre; il ramènera en Europe l'empire de la raison, et avec elle une paix durable.

Vous apercevez, Messieurs, les obstacles qui s'opposent encore à cette paix si désirable: nous devons nous en rendre dignes en nous mettant en état de la conquérir.

La France, malgré même son système d'alliance, ne doit compter ni sur sa masse, ni sur sa force intrinsèque, ni sur les bornes absolues fixées par la nature à son territoire, ni sur la modération de son Gouvernement, ni sur son amour pour la paix; elle sera toujours exposée à se voir troublée par d'injustes prétextes, autant de temps surtout qu'une nation, son ennemie invétérée, s'acharnera à confirmer le despotisme qu'elle exerce sur l'univers, autant que cette même nation aura tant d'intérêt et de moyens pour troubler son repos et entraîner à la guerre les nations continentales de l'Europe.

Cet état de choses indique à la France ce qu'elle doit faire pour la paix, et ce qu'elle doit préparer pour la guerre. Il lui marque la nécessité de s'occuper sans cesse de son armée et de sa marine; il lui commande des mesures telles que, sans alarmer ses voisins, elle puisse n'en avoir rien à craindre et comme tous les moyens de force et de résistance sont dans la dépendance des finances

publiques, la nation doit être constamment pourvue d'un système de finances tellement organisé, qu'elle puisse en attendre la plus complète sécurité.

Il serait imprudent de se confier à la ressource des emprunts: elle semble interdite aujourd'hui aux nations de l'Europe. Une seule continue à s'en prévaloir et à en abuser; on sait assez que ce genre de puissance est chez elle voisin de sa chute, et qu'un instant suffira pour rompre le cercle des illusions dans lequel circule son crédit. Ainsi, en ne considérant les emprunts que comme un moyen très-limité, tres-incertain, ils ne peuvent entrer comme partie essentielle dans le système des finances françaises.

Si, ne comptant plus sur le succès des emprunts, la nation française se livrait à une dangereuse imprévoyance, et si elle s'abandonnait imprudemment aux hasards des événements et de la fortune, elle n'aurait évidemment de ressources, la nécessité survenant, que dans des contributions nouvelles ou dans des additions aux contributions antérieurement établies.

Mais il est hors de doute que, si les moyens d'user de cette ressource n'étaient pas d'avance organisés, elle s'annullerait dans ses mains, sans produire les effets qu'on devrait en attendre.

Alors, les besoins ne permettant plus le choix des moyens, on verrait se renouveler les mesures désastreuses d'appel sur les capitaux, les réquisitions en nature, les contributious arbitraires; ces résultats désastreux de l'imprévoyance placeraient la nation auprès de sa ruine, en contraignant son Gouvernement à exercer une guerre intérieure, pour être en état de soutenir une guerre étrangère.

On conclut inévitablement de cette exposition que les finances de la République doivent être constituées d'avance pour l'état de paix et pour l'état de guerre.

Pour l'état de paix, tout est établi : notre situation pendant l'an X et une partie de l'an XI a suffisamment prouvé que des contributions ordinaires et modérées assureront l'équilibre entre les recettes et les dépenses.

Pour l'état de guerre, celui dans lequel nous nous trouvons et dont la durée est si incertaine, il faut instituer un système général et coordonner des contributions variées, qui, formant le type immuable des ressources de l'Etat, nous préserve désormais de la nécessité d'en établir de nouvelles; type que nous disons immuable, parce qu'il sera propre à admettre les diminutions que réclamera l'état de paix, et les augmentations qu'exigeront les besoins impérieux de l'état de

guerre.

Tel est, en effet, Messieurs, le système de contributions contenues dans la loi sur laquelle vous avez à délibérer.

Nous avons prévu la paix, mais nous envisageons sans crainte la continuité de la guerre; la prudence exige que les forces de terre soient maintenues et que celles de mer soient augmentées; les finances publiques doivent être organisées en conséquence, et dès ce moment elles doivent être préparées dans ce but conforme à la gloire et à l'indépendance de la nation.

Le budget des cent premiers jours de l'an XIV et de l'an 1806, offre le tableau des besoins et des moyens d'y pourvoir. Les dépenses assignées à l'an XIII montaient à 684 millions; on les élève, pour les douze mois de l'an 1806, jusqu'à 689,095,913 francs, y compris 30 millions pour fonds de réserve. C'est le résultat de quelques

variations dans les crédits destinés aux différents ministères; mais surtout d'une augmentation en faveur de celui de la guerre.

1

Les recettes sont évaluées, pour les douze mois de 1806, à 700,839,455 francs; enfin la réunion des cent premiers jours de l'an XIV et des douze mois de 1806 présente une dépense totale de 894,239,455 francs, et une recette égale.

Telles sont nos ressources: elles excèdent les besoins de l'état de paix. L'exercice de l'an X en fournit une preuve. Il s'est liquidé avec une somme beaucoup moins forte. Ces mêmes ressources suffiront à l'état de guerre ; et si, par sa longue durée, elles pouvaient devenir incomplètes, vous allez y pourvoir par l'adoption de plusieurs mesures qui vous sont proposées, tendant à augmenter les produits des contributions indirectes.

Les améliorations dont les contributions indirectes ont paru susceptibles, portent sur les douanes, les postes, les droits réunis et le sel. Nous examinerons successivement quels sont, sur ces objets, les motifs de la loi qui vous est proposée. CHAPITRE III.

Des douanes.

Les produits des douanes furent évalués, pour l'an XIII, à 46 millions de francs. Ils se sont élevés effectivement à 52,725,918 francs. On suppose qu'elles produiront 55 millions de francs en 1806; cette augmentation prévue résultera des améliorations nombreuses qu'a éprouvées la législation. des douanes et les droits étendus dans une juste mesure sur le tabac, le sucre et le café. Ces consommations du luxe, de l'aisance ou d'une vaine habitude, sont aujourd'hui considérées dans toute l'Europe comme l'une des principales ressources des contributions publiques, celles qui ménagent le plus la classe la plus nombreuse de la société.

Des décrets spéciaux ont réglé les innovations apportées dans l'état des douanes depuis votre dernière session; ils vous seront soumis pour recevoir la sanction législative.

Vous ne perdrez pas de vue, Messieurs, que l'institution des douanes a un double but: celui de préserver le territoire de l'empire de l'invasion des fabriques étrangères qui tendrait à nuire à notre industrie ou à la ruiner, et celui de percevoir une importante contribution. Les précautions à prendre contre l'introduction des marchandises prohibées nécessitent une organisation très-coùteuse dont la dépense n'augmente point lorsque des droits nouveaux ou plus forts sont établis. Ce genre d'économie sera toujours une invitation d'étendre la contribution des douanes, lorsque les besoins de l'Etat l'exigeront, lorsque la mesure nouvelle ne provoquera pas une dangereuse contrebande, et lorsque le tout se fera de la manière la plus conforme aux intérêts de l'industrie et du commerce français.

Des postes.

Les produits des postes ont été évalués, par le budget de l'an XII, à 10 millions de francs; les produits effectifs ne se sont élevés qu'à 9,987,564 francs. Les postes ne sont encore portées dans le budget de 1806, que pour 10 millions. Cependant, et par le résultat d'une nouvelle progression proposée pour la taxe des lettres, ces mêmes produits devront s'élever, à l'avenir, à 11,500,000 francs; mais le temps qu'exigera l'établissement des nouvelles taxes ne permet pas d'en espérer aucun fruit sensible pendant l'exercice courant.

La nouvelle progression est fondée sur l'étude de la proportion des distances; elle fut négligée

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