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rendus en premier ressort, ni être écouté que dans la bouche des parties mèmes avec lesquelles ils ont été rendus, ou, après leurs décès, dans celle de leurs héritiers.

Il n'en est pas de même de la tierce opposition qui peut être formée également contre les jugements rendus en premier et en dernier ressort, mais qui ne peut l'être que de la part de ceux qui n'y ont pas été parties, c'est-à-dire qui n'y ont été ni ouïs ni appelés, soit personnellement, soit en la personne de ceux qu'ils représentent, et dont les droits sont lésés par ces jugements.

L'ordonnance de 1667 ne dit qu'un mot de ce moyen de recours, et seulement pour condamner à une amende les tiers opposants qui seraient déboutés de leurs oppositions, et pour déclarer qu'un arrêt ou jugement passé en force de chose jugée, portant condamnation de délaisser un héritage, serait exécuté contre le possesseur condamné, nonobstant les oppositions des tierces personnes, et sans préjudice de leurs droits.

Les anciennes ordonnances n'en disaient pas davantage. Celle de Moulins, article 51, se bornait à ordonner l'exécution d'un jugement portant condamnation de délaisser un héritage nonobstant les tierces oppositions; et celle de VillersCotterets, de 1539, article 108, qui ne parlait que de l'amende, n'en déterminait la quotité qu'en laissant aux juges la liberté de l'augmenter selon la qualité et la malice des parties.

Le nouveau projet pourvoit à tout ce qui restait à faire à la loi sur un point assez important pour qu'elle pût s'en occuper avec plus de détail.

Il règle le tribunal où cette tierce opposition sera portée.

Est-elle formée par action principale? C'est le tribunal qui a rendu le jugement attaqué qui peut seul en connaître.

Est-elle incidente à une contestation dont un tribunal est saisi? Ce tribunal est égal ou supérieur à celui qui a rendu le jugement, ou bien il n'est ni l'un ni l'autre. Au premier cas, la tierce opposition sera formée par requête au tribunal saisi de la contestation au second cas, elle sera portée, par action principale, au tribunal qui aura rendu le jugement.

Mais l'instance dans laquelle le jugement aura été produit sera-t-elle suspendue ou non, jusqu'à ce qu'il ait été prononcé sur la tierce opposition? L'un et l'autre parti pourraient être préjudiciables à quelqu'une des parties; et les juges saisis de l'instance pouvant seuls, d'après les circonstances, se décider avec justice pour l'un ou pour l'autre la loi leur en laissera là liberté.

Mais si le jugement n'a pas été produit dans le cours d'une instance, et qu'il ne s'agisse que de son exécution, la tierce opposition suffira-t-elle pour la suspendre?

Si elle attaque un jugement passé en force de chose jugée, portant condamnation de délaisser un héritage, elle n'arrêtera pas son exécution, le nouveau Code ayant adopté en ce point les dispositions des ordonnances de Moulins et de 1667. Mais dans les autres cas, sur lesquels ces ordonnances ne s'expliquent point, les juges pourront, en vertu de la loi, suspendre, si les circonstances l'exigent ou le conseillent, l'exécution du jugement. L'orateur du Gouvernement vous a fait sentir, Messieurs, la sagesse de cette décision dans le cas particulier où le tiers opposant réclamerait la propriété d'un meuble dont le jugement aurait ordonné la vente, et je ne puis rien faire de mieux que d'ajouter avec lui, et après lui, que tels seraient en général les divers cas où l'exécution

pourrait être préjudiciable au tiers opposant. Enfin, l'ordonnance de 1667 condamnait le tiers opposant, débouté de son opposition, en cent cinquante livres d'amende, s'il s'agissait d'un arrêt; et en soixante-quinze livres, s'il s'agissait d'une sentence, le tout applicable, moitié au profit du domaine, et moitié envers la partie. Le nouveau projet a rejeté ce partage inadmissible en fait d'amende, et il l'a fixée à cinquante livres, au moins; mais il a ajouté que ce serait sans préjudice des dommages et intérêts de la partie, s'il y a lieu, seule manière de punir dignement un manque de respect à la sainteté des jugements, et de pourvoir avec justice au dédonimagement des parties lésées.

De la requête civile.

La requête civile, à la différence de l'appel et de la tierce opposition, ne peut être dirigée que contre un arrêt ou un jugement en dernier ressort, contradictoire, ou non susceptible d'opposition, s'il a été rendu par défaut.

Elle ne peut être formée que par la partie condamnée, où par ses héritiers, successeurs et ayants

cause.

Le but de cette espèce particulière de pourvoi est l'annulation complète du jugement attaqué, ou du chef de ce jugement, contre lequel l'attaque est dirigée; et son effet, lorsqu'il est accueilli, est de remettre les parties au mème état où elles étaient avant le jugement.

Ici, Messieurs, n'aurais-je pas à craindre d'abuser de vos moments, si je m'attachais à la discussion de chacun des articles dont ce titre est composé, après le développement également instructif et lumineux que l'oraleur du Gouvernement vous en a présenté, il y a dix jours, dans cette tribune, et que chacun de vous a pu méditer et apprécier depuis sa publication?

Je me bornerai donc à un petit nombre de remarques, d'abord sur un point jusqu'ici litigieux et qui ne le sera plus dorénavant, et ensuite sur quelques différences notables entre l'ordonnance de 1667 et le nouveau projet.

1o La requête civile peut-elle être valablement dirigée contre un seul des chefs d'un arrêt ou jugement en dernier ressort qui en contient plusieurs?

Le dicton, un peu métaphysique, causa judicati est individua, paraissait à quelques-uns s'y opposer, tandis que d'autres n'y voyaient point d'obstacle, d'après la maxime bien plus simple et dès lors moins susceptible de discussion, tot capita, tot sententiæ.

Mais, si la requête civile dirigée contre un seul chef venait à être entérinée, le jugement attaqué n'était-il rétracté que quant à ce chef, ou l'était-il dans son entier? Les deux maximes respectivement invoquées servaient encore l'une et l'autre opinion.

Le nouveau projet lève ces doutes en statuant que, s'il n'y a ouverture que contre un chef de jugement, il sera seul rétracté, à moins que les auif tres n'en soient dépendants.

Et l'on sent combien cette décision est juste et nécessaire dans un grand nombre de cas, par exemple, dans celui d'un arrêt d'ordre et d'allocation entre des créanciers divisés d'intérêt, et dont les titres sont différents; dans celui d'un jugement sur reddition de compte composé de divers articles formant chacun une question séparée, et autres cas pareils.

2o Cette ordonnance veut qu'il y ait ouverture de requête civile, si la procédure qu'elle prescrit

n'a pas été suivie; et il faut convenir qu'un moyen si vaguement énoncé pouvait devenir très-dangereux avec une procédure aussi compliquée de formalités dont plusieurs pouvaient ne pas paraître d'une très-grande importance.

Cet inconvénient a été prévu dans le nouveau projet, qui n'autorise la requete civile pour inobservation de quelques formes prescrites, que dans le cas où les formes prescrites à peine de nullité ont été violées, soit avant, soit lors des jugements, et pourvu que la nullité n'ait pas été couverte par les parties.

3o L'ordonnance de 1667 place parmi les cas d'ouverture civile celui où il a été prononcé sur choses non demandées ou non contestées; mais comment concilier cette disposition sur les demandes non contestées avec l'effet que la loi donne aux aveux faits en jugement? et les demandes faites en justice verbalement ou par écrit, et sur lesquelles le défendeur passe condamnation, le jugement qui les adjuge pourra-t-il être renversé, sous prétexte qu'elles n'ont pas été contestées?

Cette étrange locution, si susceptible d'équivoque et d'embarras pour les parties et les juges, ne se retrouvera pas dans le nouveau Code, qui admet bien, et avec justice, le moyen fondé sur ce qu'il a été prononcé sur choses non demandées, mais qui a retranché cette addition, tout au moins insignifiante ou non contestée.

4o Le nouveau projet donne, comme l'ordonnance de 1667, un autre moyen d'ouverture de requète civile, si on a jugé sur pieces fausses; mais l'ordonnance ne disait pas comment leur fausseté devait être établie, ni à quelle époque elle devait l'avoir été, et il est aisé de sentir les conséquences de cette omission. Le nouveau Code la répare en exigeant que les pièces aient été reconnues ou déclarées fausses depuis le jugement.

5° L'ordonnance voulait qu'on ne pût plaider que les ouvertures de requêté civile et les réponses du défendeur, sans entrer au moyen du fond. Mais comment plaider le moyen pris du recouvrement d'une pièce décisive? Comment établir en plaidant que l'Etat, les communes, les établissements publics ou les mineurs n'ont pas été valablement défendus? Comment défendre à ces moyens sans entrer en connaissance du fond? Cette disposition qu'il était impossible d'exécuter, au moins dans ces deux cas, a été retranchée du nouveau projet. Une loi dont l'exécution est quelquefois impossible ne peut pas être une bonne loi.

6o Le nouveau Code, comme l'ordonnance, ou vre la voie de la requête civile dans le cas de contrariété de jugements en dernier ressort entre les mêmes parties, sur les mêmes moyens, et dans les mêmes cours ou tribunaux, mais elle ne disait ni lequel des deux jugements contraires devait être conservé, ni si tous les deux devaient être anéantis, ce qui laissait subsister des difficultés que le nouveau projet a résolues, en déclarant que, lorsque la requête civile aura été entérinée pour raison de contrariété de jugements, le jugement qui entérinera la requête civile ordonnera que le premier sera exécuté selon la forme et teneur.

7° Entin Tordonnance donnait ouverture à la requête civile, lorsque dans les affaires qui intéressaient l'Etat ou l'Eglise, le Public ou la Police, il n'y avait pas eu de communication au ministère public; et, d'après cette généralité d'expression, cette voie était ouverte même à la partie dont la qualité n'exigeait pas la communication préalable au ministère public.

Le projet fait cesser cet abus; il ouvre bien un

moyen de requête civile, si, dans le cas où la loi exige la communication au ministère public, cette communication n'a pas eu lieu, mais seulement lorsque le jugement a été rendu contre celui pour qui elle était ordonnée.

Vous voyez, Messieurs, par ces rapprochements, que rien n'a été négligé de ce qui pouvait maintenir le respect dù à la chose jugée, et remplir le vœu de la justice pour la régularité des jugements.

L'orateur du Gouvernement vous a montré avec quelle sollicitude il a été pourvu à ce double intérêt, par l'établissement de peines capables de prévenir de téméraires agressions, et par la défeuse d'en entreprendre aucune sans l'attache de trois jurisconsultes d'un mérite éprouvé.

Bacon, en gémsisant sur les causes de l'instabilité des jugements, voulait aussi que leur attaque fut environnée de dangers, que la voie ouverte pour y conduire fùt étroite, raboteuse et pleine d'embarras (!); et prévoyant que malgré ces précautions, la loi ouvertement violée pourrait quelquefois en commander inexorablement le sacrifice, il désirait que du moins il leur fùt fait d'honorables obsèques (2).

De la prise à partię.

La prise à partie est un remède violent, mais nécessaire, lorsque le juge a eu le malheur de se mettre dans quelqu'un des cas où la loi permet de l'employer.

Mais ces cas doivent être assez distinctement spécifiés par la loi pour fermer tout accès à l'arbitraire;

Mais l'usage de ce déplorable remède ne doit être permis qu'avec des précautions capables de le légitimer par la preuve acquise de sa nécessité.

Car, s'il est d'une extrême importance pour l'ordre public que les juges ne puissent pas abuser impunément du pouvoir que la loi leur confie, il ne lui importe pas moins de mettre leur réputation et leur dignité à l'abri des atteintes que l'animosité seule pourrait être tentée de leur porter.

Les anciennes ordonnances, ni celle de 1667, n'avaient rien de complet ni de précis sur les cas de la prise à partie.

Aucune n'exigeait qu'elle ne pût être intentée qu'après une autorisation donnée, en connaissance de cause, par le tribunal auquel elle devait être portée. La jurisprudence seule en avait établi la nécessité

Le nouveau projet s'explique avec précision sur tous ces points, ainsi que sur la marche et les résultats de la procédure relative à cet objet particulier.

Les juges ne peuvent être pris à partie que dans l'un des quatre cas suivants :

1° S'il y a dol, fraude ou concussion, qu'on prétendrait avoir été commis, soit dans le cours de l'instruction, soit lors des jugements;

2° Si la prise à partie est expressément prononcée par la loi;

30 Si la loi déclare les juges responsables à peine de dommages et intérêts;

4° S'il y a déni de justice, et le projet ajoute dans quels cas il y a déni de justice.

Les tribunaux qui doivent connaitre de la prise à partie sont spécialement désignés,

(1) Non facilis esto aut proclivis ad judicia rescendenda aditus...., providendum est ut via ad rescidenda judicia, sit arcta, confragosa, et tanquam muricibus strata..... exemplum. (Tractatus de justitia univ.).

(2) Si forte rescindi necesse sit, saltem sepeliuntur cum honore. (Ibid.).

7

L'autorisation préalable de chacun de ces tribunaux est formellement exigée.

Des peines graves sont imposées au plaideur irrespectueux et à son défenseur imprudent, qu se permettraient aucun terme injurieux contre lus juges; et, en cas de rejection de la requête en autorisation, la partie est condamnée en une amende qui ne pourra être moindre de trois cents francs, sans préjudice des dommages et intérêts envers les parties, s'il y a lieu.

Rien n'est plus simple que la procédure à suivre, si la requête est admise.

Et en cas de déboutement, amende de trois cents francs au moins, sans préjudice encore des dommages et intérêts envers les parties, s'il y a lieu.

Ainsi, Messieurs, dans les Ille et IVe livres du nouveau projet de Code de procédure civile, comme dans les deux précédents, rien d'omis, ni de va» gue, ni d'incomplet; et il le fallait pour porter au degré de perfection auquel il était aujourd'hui possible d'atteindre deux parties du Code judiciaire qui n'ont d'autre objet que de rectifier, déblayer et applanir les voies diverses par lesquelles les jugements peuvent être attaqués.

Grâce à notre nouveau Code civil, dont celui de la procédure sera le complément comme la pratique l'est de la théorie; grâce surtout à l'excellent esprit qui règne dans nos tribunaux, aux lumières et à l'application de nos magistrats, qui veillent, avec une si religieuse jalousie, à l'inviolabilité du dépôt sacré que le chef auguste de l'empire leur a confié pour le bonheur de son peuple et la sécurité de chaque citoyen, les routes qui conduisent à l'attaque des jugements seront inoins battues que jamais.

Ils savent bien, ces dignes magistrats, que si les lois sont les ancres de l'empire, les jugeinents sont les ancres des lois (1).

La section de législation du Tribunat, qui m'a chargé, Messieurs, de vous exposer les motifs de son vote d'adoption des Ille et IVe livres de la 1re partie du Code de procédure civile, vous invite à donner à ce vote l'honorable sanction de vos suffrages.

La discussion est fermée.

Le projet de loi est mis aux voix et adopté par 234 voix contre 11,

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coupables. Lorsque l'expérience a démontré que certaines formalités établies dans ces vues d'utilité n'ont été d'aucun avantage pour les prévenus, et qu'ils en ont abusé pour avoir occasion de se soustraire à la justice, pour prolonger le temps de la procédure, pour profiter du dépérissement des preuves, ou de la difficulté de les recueillir, il est dès lors évident qu'il faut mettre au nombre des besoins pressants de la législation celui de retrancher des dispositions devenues nuisibles à l'ordre public.

L'une des dispositions à réformer est relative à la procédure en police correctionnelle.

L'article 202 du Code du 3 brumaire an IV porte que si le jugement est annulé pour violation ou omission des formes prescrites par la loi, à peine « de nullité, ou pour incompétence, à raison du « lieu du délit ou de la résidence du prévenu, le tribunal criminel renvoie le procès à un autre « tribunal correctionnel du même département pour «< y être recommencé, à partir du plus ancien des « actes dans lesquels il s'est trouvé une nullité. »

C'était, en matière correctionnelle, la seule disposition où on se fût écarté de la simplicité qu'elle comporte. L'instruction se fait à l'audience; le prévenu y est interrogé ; les témoins y déposent en sa présence; il propose ses reproches; sa défense est entendue; s'il y a des pièces, elles sont lues, et le jugement doit être prononcé de suite, ou, au plus tard, à l'audience suivante.

Ces règles d'instruction orale sont si précises et leur exécution si simple et tellement indispensable, que l'on ne connaît point d'exemples que les juges s'en soient écartés. Les nullités dont les condamnés se prévalent ne sont presque jamais fondées que sur des omissions dans des formalités moins importantes.

Les noms, l'âge, la profession des témoins doivent être insérés dans le jugement; le témoin aura manqué de dire son âge ou sa profession; le greffier aura omis de l'écrire; il aura omis d'exiger avant le jugement les conclusions par écrit du prévenu, ou la rédaction du jugement ne contiendra pas exactement et assez complétement les diverses parties dont il doit se composer; le texte de la loi pénale n'y sera pas inséré, ou il n'y sera pas constaté que ce texte ait été lu à l'audience;

Telles sont les causes habituelles des nullités qui, dans l'état présent de la législation, autorisent les prévenus à demander que la procédure soit de nouveau commencée devant un autre tribunal correctionnel.

Il faut sans doute conserver au prévenu d'un délit correctionnel tous les droits, tous les moyens de défense qu'il peut justement réclamer.

La loi lui donne le droit de recourir à la cour d'appel contre un jugement qu'il regarde comme inique.

Pourvu que ce double examen soit fait et par les premiers juges et par la cour d'appel, il ne peut plus prétendre qu'il y ait erreur dans l'un et l'autre jugement.

Or, il est démontré par l'expérience et par la marche de la procédure devant les premiers juges, que les nullités opposées par le condamné qui interjette appel, ne sauraient être de nature à faire présumer qu'ils aient prononcé sans connaissance de cause. L'intention de la loi sera donc remplie, et le prévenu aura toutes les sûretés qu'il peut désirer, si, au lieu de renvoyer devant un autre tribunal de première instance, la cour criminelle statue sur le fond.

Alors le prévenu n'opposera même pas les nullités qu'il croira indifférentes pour sa défense, et

s'il en est dont il ait un véritable intérêt de se prévaloir, la cour d'appel rétablira ou réformera ce qui aura été omis où ce qui sera défectueux.

Ainsi la justice aura un cours régulier, prompt et sûr, et on évitera tous les inconvénients du renvoi que les cours d'appel sont maintenant obligées de faire à un autre tribunal.

On évitera une multiplicité de procédures ruineuses pour le condamné, s'il est solvable, et pour le trésor public, dans les cas fréquents où les frais restent à sa charge.

Les témoins faciles à réunir sur les lieux ne se déplacent qu'avec peine et à grands frais.

L'exécution du renvoi entraîne des délais; le prévenu a le temps de gagner les témoins qui lui sont contraires et d'en faire paraître de nouveaux en sa faveur.

Les juges auxquels on renvoie sont le plus souvent très-surpris que, dans ce passage d'un tribunal à l'autre, l'affaire ait entièrement changé de face.

Chaque nullité commise dans la procédure, loin d'inspirer au prévenu la crainte que la religion de ses juges soit surprise, ou ne soit pas éclairée, est pour lui, en cas de condamnation, une ressource, une chance nouvelle.

Il en est même qui se gardent d'opposer devant la cour d'appel les nullités commises en première instance. Ils trouvent que, pour écarter les preuves et tromper la justice, ils ont un avantage bien plus grand à réserver ces nullités, pour s'en faire, lorsqu'ils auront été condamnés, des moyens de cassation, dans l'espoir de prolonger ainsi à l'infini une procédure dont ils redoutent le résultat définitif.

Il est vrai que la cour de cassation se montre sévère dans l'examen de pareils moyens. C'est ainsi que la sagesse de sa jurisprudence avertit les législateurs des abus que l'application des lois lui découvre, et des modifications qu'elles exigent pour faire cesser ces abus.

On a dû, dans tous les cas, maintenir la disposition relative aux nullités par cause d'incompétence. Elles tiennent essentiellement à l'ordre public. Celui qui les oppose ne peut être repoussé comme non recevable.

Un autre objet de réforme d'une grande importance est celui qui concerne le droit d'option accordé aux accusés par le même Code.

Lorsqu'un accusé est traduit devant une cour criminelle qui est établie dans une commune audessous de 40,000 habitants, l'accusé peut, dans l'un des deux cas prévus par cette loi, récuser ce tribunal et demander à être jugé par l'une des deux cours les plus voisines, à son choix.

Le premier cas est celui où la déclaration du jury d'accusation a été rendue dans la commune où est établi le tribunal criminel.

Le deuxième, celui où la commune dans laquelle est établi le tribunal criminel, est la rési

dence habituelle de l'accusé.

Ces dispositions n'ont point été nouvellement établies en l'an IV. Elles sont une répétition du premier Code de procédure par jurés, faite en 1791.

L'intention qui les a dictées est sans doute respectable: le plus grand malheur pour la société entière est qu'un innocent soit condamné ; l'intérêt de la vengeance publique n'est rien auprès de l'intérêt qu'inspire la vie ou l'honneur de celui qui est faussement accusé. D'une autre part, il ne faut point oublier que le scélérat auquel la loi laisserait quelque moyen d'échapper au supplice, ferait d'autres victimes que l'humanité aurait aussi à regretter. La loi serait donc également impar

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faite, si elle ne donnait pas en même temps l'assurance que l'innocent n'a rien à craindre et le coupable rien à espérer.

Il ne saurait y avoir sur des principes aussi sacrés diversité d'opinions; il ne s'agit pas ici des principes, mais seulement de la bonté ou du vice de moyens employés pour mettre l'innocence à l'abri.

Dans cette partie de la législation, comme dans toute autre, l'expérience est le premier guide: ceux qui ont mis, en 1791, au nombre des dispositions de la loi sur la procédure criminelle celles qui sont ici discutées, ne pouvaient s'appuyer d'aucun exemple dans une autre législation; c'étaient des idées nouvelles qu'ils soumettaient à l'épreuve du temps, et le temps a convaincu qu'il y aurait de grands inconvénients à les maintenir au moins entièrement.

La loi doit sans doute mettre un soin religieux à ce qu'il n'y ait contre les juges qui doivent prononcer sur la vie et l'honneur d'un accusé aucune cause de défiance. Le tribunal où il va paraître ne doit être à ses yeux qu'un sanctuaire où la justice seule puisse avoir succès. Quelque respect que doive en général inspirer le caractère de ceux qui remplissent des fonctions aussi sacrées, on ne doit pas craindre que leur dignité soit troublée par une plus grande facilité que l'on donnera à l'accusé de demander tels ou tels juges.

Cependant, non-seulement il serait contraire à la raison, mais encore il serait extrêmement préjudiciable à l'ordre public qu'un accusé pût, sans aucun motif, récuser ses juges naturels.

Les auteurs de la loi de 1791 ont pensé qu'il était certaines circonstances dans lesquelles cette récusation d'un tribunal entier devait être autorisée, sans que les accusés fussent tenus de citer ni de prouver aucuns faits particuliers.

Une présomption établie par la loi elle-même doit être fondée sur des motifs tels que leur justesse se conforme de plus en plus par l'application; mais si, dans la suite, une pareille présomption est démentie par les faits, si elle n'a point été utile à l'innocence, si le crime seul en a profité, on ne peut plus laisser dans la loi comme faits à présumer des faits contre l'existence desquels il y a certitude acquise.

Le prévenu d'un crime est mis en jugement par un jury d'accusation qui a rendu sa déclaration dans la commune où siége la cour criminelle.

Telle est la première des circonstances sur lesquelles la loi de 1791, et ensuite celle de l'an IV, ont établi une présomption suffisante pour récuser ce tribunal.

Quelle est, dans ce cas, l'espèce de défiance qui peut s'élever contre les jurés et les juges? De ce que le prévenu a été accusé dans la ville où il doit être jugé, peut-on tirer la conséquence qu'il y ait des inquiétudes à concevoir sur leur impartialité? Dira-t-on que la mise en accusation suffit pour faire naître, pour faire circuler des préventions contre l'accusé, et qu'il peut y avoir pour lui de l'avantage à comparaître devant des juges qui, jusqu'au temps où ils prononceront sur son sort, n'auront point encore eu connaissance de l'accusation?

L'expérience a découvert sous combien de rapports ces idées manquent de réalité.

L'accusation ne dépend pas, dans le système de la loi sur les jurés, du degré de preuves, mais de la nature des faits. S'il est sur la culpabilité une présomption que fasse naître la mise en jugement, cette présomption résulte des faits même contenus dans l'acte d'accusation, et qui doivent être mis

sous les yeux du tribunal choisi par le comme ils l'eussent été sous ceux du tribunal récusé.

Il s'agit ici d'un accusé qui n'a point sa résidence dans la commune où siége le tribunal criminel quelle est donc cette espèce de rumeur capable d'ébranler la partialité des jurés du département et des magistrats de la ville, rumeur à laquelle on ne donne pour cause que la mise en jugement par une déclaration donnée dans une ville à laquelle le prévenu est étranger?

Le temps a démontré que c'est une crainte absolument chimérique; mais en même temps il a découvert tous les inconvénients de la récusation établie sur cette crainte.

On n'a point vu les accusés à qui leur innocence fait désirer un prompt jugement exercer une faculté contraire à leur véritable intérêt ; mais tous ceux qui étaient dans le cas de prévoir, dans le terme de la procédure, l'époque de leur condamnation, ont saisi avec empressement un moyen de la retarder, et peut-être même de l'éviter. Ils ont espéré que, dans la translation d'une prison à l'autre, ils trouveraient les moyens de s'évader; qu'en gagnant du temps, les preuves dépériraient; qu'ils pourraient réussir à corrompre des témoins.

C'est surtout à l'égard des scélérats les plus redoutables que ce droit d'option a de funestes effets. J'entends parler de ces bandes coalisées dont l'association meurtrière couvre un certain nombre de départements. Sont-ils mis en accusation dans une ville où ils aient à craindre d'être jugés, ils ne manquent pas de choisir le département où ils présument que, par leurs ramifications plus multipliées, et par la terreur qu'elles inspirent, ils ont altéré l'indépendance des jurés.

Enfin, j'observerai que les déclarations des jurys sont le plus souvent dans les villes où siégent les cours criminelles; ainsi on voit se multiplier journellement des récusations qui n'ont d'effet que d'écarter les regards et le glaive de la justice, en même temps qu'ils portent atteinte à la dignité des tribunaux.

On vous propose, Messieurs, de supprimer entièrement le droit de récusation et d'option fondé sur ce premier motif.

Le second cas dans lequel un accusé peut récuser ses juges naturels est celui de sa résidence ordinaire dans une commune où siége la cour criminelle.

En mettant aussi à cette faculté de récuser la condition d'une population inférieure au nombre de 40,000 habitants, la loi ne laisse aucun doute sur son motif; ce sont encore des inquiétudes sur les impressions fàcheuses qui peuvent avoir été provoquées par des préventions, par des dissensions, par cette tendance injuste à donner foi aux plus graves accusations, par ces rumeurs qui se propagent plus facilement dans les petites villes.

C'est pour l'innocent accusé qué ces alarmes ont été conçues.

Mettons nous à sa place; voyons ce qu'il doit faire voyons ce que l'expérience nous prouve qu'il fait toujours.

Faussement accusé, il a pour lui sa moralité; c'est dans la ville où il fait sa résidence ordinaire que cette moralité est plus connue : il ne voudra pas perdre l'avantage d'une impression aussi forte et aussi certaine sur l'esprit de tous les cœurs droits, pour recourir à des juges auxquels l'habitude de sa vie serait inconnue.

Supposera-t-on un homme qui ait déjà subi dans sa ville une première condamnation, et qui

T. IX.

ensuite ait été mis en accusation à raison d'un délit qu'il n'a point commis? Présumera-t-on qu'il y ait alors à craindre une trop grande prévention contre lui?

Il ne peut pas se flatter que sa première condamnation soit ignorée par les juges qu'il voudrait choisir ; et s'il est une prévention qui naisse du premier jugement, elle est inévitable.

Les passions et les préjugés naissent, dit-on, plus facilement, et prennent dans les petites villes une plus grande intensité. Il faudrait, dans cette opinion, aller plus loin : il faudrait supposer que les jurés, qui ne sont convoqués des diverses parties du département que pour le jour où ils doivent juger, seront aussi tout à coup saisis par une impression que repousse la conscience d'un homme qui va remplir l'auguste fonction de prononcer sur le sort d'un autre homme.

Mais enfin, supposons qu'un malheur aussi invraisemblable soit possible, et qu'il puisse être attribué au degré de population de la commune où réside ordinairement l'accusé; au moins n'aurait-on pas dû étendre cette présomption à tous les cas où cette population serait au-dessous de 40,000 habitants. Le nombre de 40,000 se rencontre à peine dans quatorze ou quinze villes du nombre de celles de tout l'empire où sont établies des cours criminelles.

On eût dù, dans ce système, ne considérer que les villes où, à raison d'un nombre d'habitants beaucoup inférieur, on eût pu, avec un peu moins d'invraisemblance, supposer la réunion des esprits, des passions, des intérêts, pour opposer à l'innocence un préjugé redoutable. On a pensé que l'idée d'une pareille réunion dans une commune au-dessus de 10,000 habitants ne pouvait pas être plus longtemps maintenue: c'est même pour éviter de porter la moindre atteinte au système actuel de la législation sur la procédure criminelle, jusqu'à ce qu'un code définitif soit publié, que l'on vous propose, Messieurs, de maintenir l'option dans le cas de la résidence habituelle de l'accusé dans une commune d'une populatiou au-dessous de 10,000 âmes. Ce sera d'ailleurs un moyen d'éprouver à quel degré la loi ainsi modifiée serait encore, par l'abus qu'en feraient les coupables, un obstacle à la poursuite des crimes.

Tels sont les motifs de la loi dont je vais, Messieurs, vous faire lecture.

Projet de loi.

Art. 1er. Lorsque, sur l'appel d'un jugement définitif en matière correctionnelle, la cour de justice criminelle en prononcera la nullité pour violation ou omission de forme prescrites par la loi, ladite cour statuera sur le fond; il est, quant à ce, dérogé à l'article 202 du Code des délits et des peines, du 3 brumaire an IV. La disposition de cet article, relative à l'annulation de jugement pour cause d'incompétence, continuera son exécution.

Art. 2. Le prévenu en police correctionnelle ne sera pas recevable à présenter, comme moyen de cassation, les nullités commises en première instance et qu'il n'aurait pas opposées devant la cour d'appel, en exceptant seulement la nullité pour cause d'incompétence.

Art. 3. Le droit d'option accordé aux accusés par l'article 303 et suivants jusqu'à l'article 314 du Code des délits et des peines, ne pourra être exercé à l'avenir, par les accusés, que dans le seul cas où la commune dans laquelle siége la cour criminelle, sera celle de la résidence habituelle de l'accusé, et où la population de cette commune sera au-dessous de 10,000 âmes.

Le Corps législatif arrête que ce projet de loi sera transmis au Tribunat par un message. MM. Galli, Jaubert et Berlier, conseillers d'Etat, sont introduits.

M. Galli présente le livre III de la seconde 21

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