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mettre en vigueur des lois répressives, que le relâchement de la morale publique avait fait tomber en désuétude; il fallait leur donner le degré de sévérité nécessaire pour mettre un terme aux désordres qu'une cupidité sans bornes et la passion d'un luxe effréné avaient introduits dans une profession qui ne peut se soutenir honorablement que par une sage économie et par un respect religieux pour les principes de la bonne foi. C'est à l'homme incomparable que la Providence semble avoir créé pour élever la France au plus haut degré de gloire et de prospérité, qu'il appartenait de la faire jouir de ce nouveau bienfait; et dans quelle circonstance plus favorable pouvait-il le lui procurer, qu'au moment où, venant d'éteindre le flambeau de la guerre sur le continent, il a su, par l'ascendant de son génie autant que par la force de ses armes, établir, entre la nation française et les autres puissances, des liens et des rapports également avantageux aux intérêts de toutes, et qui doivent nécessairement favoriser et augmenter nos relations commerciales?

C'est quand il combattait pour la liberté des mers, et par conséquent du commerce, car vous ne l'ignorez pas, Messieurs, c'était pour soutenir et perpetuer son monopole universel, que l'Angleterre avait allumé de nouveau la guerre continentale; c'est, dis-je, quand le héros de la France défendait la cause commune des nations, de celles mêmes qui s'étaient armées contre lui, qu'il s'occupait de mettre la dernière main au Code commercial, pour la conception duquel il avait d'abord recueilli toutes les lumières de l'expérience. Ainsi, au milieu du tumulte des armes, il méditait sur les lois qui devaient, pendant la paix, régler l'exercice des droits, dont il nous assurait la conservation et la jouissance par ses triomphes.

Le Code auquel SA MAJESTÉ a imprimé le caractère de grandeur qui distingue tous les actes auxquels elle a présidé, sera, comme le Code Napoléon, un monument éternel de la profondeur de ses vues en législation, de son respect pour les principes de l'équité, et de son attention constante à resserrer les liens de la morale, et à mettre un juste frein aux passions des hommes.

Le Tribunat s'honore d'avoir encore pris une part active à ce travail, qui doit faire époque dans le règne le plus glorieux qui ait illustré la France. Mais quand, après une discussion approfondie, et après des conférences dans lesquelles on ne vit jamais d'autre rivalité que celle de faire le bien, il a reconnu qu'un projet de loi est digne de la nation française et de son auguste chef; quand les dispositions de ce projet vous ont été | développées avec autant de clarté que d'éloquence, par un des orateurs les plus distingués du conseil d'Etat, il ne lui resterait plus qu'à vous exprimer son vœu d'adoption, s'il n'était de son devoir d'en exposer les motifs. C'est la tâche que je dois remplir en vous rappelant les principes établis dans les sept premiers titres du projet de Code du commerce, soumis en ce moment à votre délibération.

Vous saisirez facilement, Messieurs,-les changements et les améliorations que ce projet doit apporter aux dispositions de l'ordonnance de 1673, sans qu'il soit nécessaire de les faire remarquer sur chacun des articles

Le titre fer, après avoir défini ce qui constitue l'état ou la qualité de commerçant, règle les formalités auxquelles tout mineur émancipé, ou une femme sous puissance de mari, sont assujettis pour être autorisés à faire le commerce en leur propre et privé nom, et à contracter des engagements pour fait de commerce.

Ces formalités, pour le mineur, sont d'obtenir le consentement de ceux sous l'autorité ou la direction desquels la loi civile l'a placé, et pour la femme, d'obtenir le consentement de son mari; mais une fois que l'un et l'autre ont obtenu ce consentement, ils peuvent s'obliger pour ce qui concerne leur négoce; la femme oblige même son mari, s'il y a communauté entre eux; ils peuvent engager et hypothéquer leurs immeubles et même les aliéner, toutefois avec les exceptions, suivant les formalités prescrites, et dans les cas déterminés par le Code Napoléon pour l'aliénation des biens des mineurs et des biens des femmes stipulés dotaux.

Ainsi vous voyez, Messieurs, qu'en leur donnant, pour contracter des engagements en matière dé commerce, toute la latitude nécessaire pour étáblir leur crédit et pour la sûreté de ceux qui peuvent traiter avec eux, la loi maintient cependant toutes les précautions conservatrices que le Code Napoléon a consacrées, pour qu'ils ne soient pas victimes de leur inexpérience.

Le titre II enjoint à tout commerçant la tenue indispensable de trois registres, savoir: 1o un livre-journal qui présente jour par jour ses dettes actives et passives, les opérations de son commerce, ses négociations, acceptations ou endossements d'effets, et généralement tout ce qu'il reçoit et paye, à quelque titre que ce soit, et qui énonce, mois par mois, les sommes employées à la dépense de sa maison.

2o Un livre de copies des lettres qu'il envoie; enfin, un registre spécial pour l'inscription de l'inventaire qu'il est tenu de faire tous les ans de ses effets mobiliers et immobiliers, et de ses dettes actives et passives.

Ces formalités, quelque gênantes et minutieuses qu'elles puissent paraitre, sont devenues indispensables pour mettre un terme aux désordres qui se sont introduits dans le commerce. L'obligation de les remplir, en éclairant à chaque instant le commerçant honnête sur sa véritable position, empêchera qu'il ne puisse s'abuser lui-même sur ses moyens réels, lorsque le succès de ses spéculations n'aura pas répondu à son attente, et elle l'avertira de s'arrêter à temps, pour sauver son honneur, et ne pas entraîner dans sa ruine ceux qui pourraient avoir confiance en lui. En cas de faillite, ces formalités mettront à même de distinguer l'homme honnête et malheureux de l'homme inconsidéré ou de mauvaise foi, qui aura spéculé sans prudence ni discernement, ou qui aura prémédité une banqueroute frauduleuse.

Dans ce même cas, leur omission sera un motif de prévention contre l'individu qui s'en sera rendu coupable, et aucun négociant ne pourra raisonnablement se plaindre d'ètre astreint à une obligation qui a pour objet d'établir de l'ordre dans ses affaires, d'éclairer la justice sur sa conduite, et de le justifier, en cas de besoin, dans l'opinion publique.

La loi prescrit, au surplus, les formes dont les livres de commerce doivent être revêtus pour qu'elles ne soient pas illusoires.

Les affaires de commerce étant l'objet le plus ordinaire des sociétés, et cette espèce de contrat offrant les moyens d'étendre toutes les spéculations, et de former des entreprises qui exigent des mises de fonds au-dessus des facultés d'un seul particulier, il était indispensable que le Code du commerce déterminat les règles principales de leur formation et de leur administration, sans déroger aux principes généraux établis par le Code Napoléon sur cette matière, ni même à ceux éta

blis par l'ordonnance de 1673; c'est ce qu'on vous propose de faire par les dispositions du titre III du projet.

Ces dispositions reconnaissent trois espèces de sociétés commerciales, savoir la société en nom collectif, qui est celle que contractent deux personnes ou un plus grand nombre, et qui a pour objet de faire le commerce sous une raison sociale, et dont tous les associés indiqués dans l'acte de société sont solidaires;.

La société en commandite, qui est celle qui se contracte entre un ou plusieurs associés solidaires, et un ou plusieurs associés simples bailleurs de fonds, qui ne peuvent gérer, ne sont point responsables, et ne sont jamais passibles que de la perte des fonds qu'ils ont mis ou dû mettre dans la société;

Enfin, la société anonyme, qui n'est désignée que par l'objet de son entreprise, dont les fonds se forment d'un capital divisé en actions ou coupons d'actions d'une valeur égale, qui est administrée par des mandataires à temps, qui ne sont responsables que de l'exécution du mandat qu'ils ont reçu, et dont les associés ne sont passibles que de la perte du montant de leur intérêt dans la société.

Vous remarquerez, Messieurs, que cette définition de la société anonyme diffère essentiellement de celles qui en avaient été données dans le commentaire de l'ordonnance de 1673; mais vous jugerez sans doute que celle que nous avons adoptée est plus juste, et que la dénomination de société en participation, dont nous parlerons plus bas, convient infiniment mieux aux espèces de sociétés que le commentateur avait appelées anonymes.

Tous les individus ont le droit de former, si bon leur semble, les deux premières espèces de société, à la charge de se conformer aux règles prescrites par la loi pour chacune d'elles, et de remettre l'extrait de leur acte, dans la quinzaine de sa date, au greffe du tribunal de commerce de l'arrondissement dans lequel est établie la maison du commerce social, pour y être transcrit sur le registre, et affiché pendant trois mois dans la salle des audiences.

Cette précaution suffit pour éclairer la confiance des commerçants, en leur faisant connaître les membres de la société avec laquelle ils pourraient avoir à traiter, ainsi que les conditions et la durée de leurs engagements.

Mais il n'en est pas de même dans la société anonyme. Les associés qui la composent n'étant pas connus du public, ses opérations embrassant nécessairement un plus grand nombre d'intérêts, et pouvant, dans des circonstances difficiles ou malheureuses, compromettre la tranquillité publique, ou tout au moins le crédit d'un grand nombre d'individus, elle ne peut exister qu'avec l'autorisation du Gouvernement. C'est une condition que réclament également l'intérêt du commercé en général, et celui des actionnaires en particulier; et pour garantir qu'elle a été remplie, la loi exige que l'acte du Gouvernement qui autorise les sociétés anonymes soit affiché avec l'acte d'association.

Enfin, la loi reconnait aussi une espèce de société qu'on appelle association commerciale en participation; mais comme cette association n'est que momentanée, qu'elle n'a pour objet qu'une ou un petit nombre d'opérations déterminées, et qu'elle se règle par les conventions des parties, elle n'est point sujette aux formalités prescrites pour les autres sociétés, qui, d'ailleurs, ont toutes

un avantage commun, celui de faire juger par des arbitres leurs contestations, c'est-à-dire les contestations qui s'élèvent entre les associés d'une même société, et pour raison de cette société. On sent combien il importe aux intérêts du commerce, et particulièrement à celui des associés, que de pareilles contestations ne subissent pas l'instruction ni les lenteurs d'un jugement ordinaire. Une décision rendue par des arbitres choisis par les parties sera bien plus prompte; elle sera plus éclairée par la facilité qu'auront les arbitres de recueillir toutes les notions nécessaires pour fixer leur opinion; elle portera plus le caractère de conciliation qui calme les haines entre des individus, qui finissent par se soumettre volontairement aux principes de la justice.

Les dispositions du Code de procédure civile sur l'arbitrage ne pouvant suffire ni s'appliquer entièrement au jugement des contestations dont il s'agit, la section II du titre III du projet qui vous est soumis en contient de particulières qu'on a jugées nécessaires pour remplir l'objet qu'on avait en vue; elles sont d'ailleurs conformes aux principes consacrés sur cette matière et aux règles de l'équité.

L'un des orateurs du conseil d'Etat qui vous ont présenté le IIIe livre du Code de commerce, vous a retracé avec énergie le tableau des collusions scandaleuses mises en pratique par quelquels commerçants, artisans de banqueroutes préméditées, qui se préparent les moyens de frustrer leurs créanciers, soit par des reconnaissances de dots simulées, soit par des séparations de biens frauduleuses. Ces abus si imprudemment renouvelés depuis quelques années ont excité l'indignation de tous les gens de bien, et l'opinion publique réclame hautement les moyens de les prévenir ou de les réprimer.

Vous aurez, Messieurs, à prononcer sur les moyens de répression, lorsque vous délibérerez sur les dispositions du livre III; aujourd'hui nous vous proposons d'adopter les mesures qui ont été jugées propres à prévenir le mal auquel il s'agit de remédier. Ces mesures consistent dans la publicité à donner à tout contrat de mariage, entre époux dont l'un sera commerçant, en énonçant sí le contrat a été fait sous le régime en communauté ou sous le régime dotal; à toute demande en séparation de corps ou de biens, et à tout jugement qui l'aura prononcée entre époux dont l'un fera aussi le commerce, lors même que ces actes seront antérieurs à l'époque où l'un des époux aura embrassé la profession de commerçant.

On ne peut pas se dissimuler que, malgré cette publicité, il se trouvera bien encore quelques hommes sans pudeur, qui, pour se ménager les moyens de soustraire leurs biens à leurs créanciers, en cas d'une faillite qu'ils auront préméditée, ou qu'au moins ils n'auront pas pris soin d'éviter, reconnaîtront à leurs femmes des dots beaucoup plus considérables que celles qu'ils auront reçues réellement; mais quand, d'après la notoriété publique, cette reconnaissance sera jugée évidemment fausse, il s'élèvera contre le commerçant qui l'aura souscrite une prévention défavorable qui excitera une juste défiance dans l'esprit de tous ceux qui pourront avoir à traiter avec lui; et dans tous les cas, on saura du moins jusqu'à quel point il s'est engagé envers son épouse. Dès lors, les piéges qu'il aura tendus cesseront d'être dangereux, et ceux qui s'y laisseraient prendre n'auraient point à reprocher à la loi de ne leur avoir pas fourni les moyens de les

découvrir. Il est sans doute fâcheux d'être obligé de prendre de pareilles précautions contre les abus dans l'exercice d'une profession où l'on ne devrait connaître que la bonne foi, et dans laquelle il peut souvent être désavantageux à ceux mêmes qui possèdent éminemment cette vertu de faire connaître l'état réel de leur fortune; mais une funeste expérience en a démontré la nécessité, et tous les commerçants honnêtes applaudiront sûrement à une mesure qui n'a pour objet que de les mettre en garde contre les fripons.

Messieurs, après avoir, pour ainsi dire, organisé l'état du commerce, en déterminant les règles et les formalités auxquelles sont astreints ceux qui veulent se livrer à cette profession, la loi doit aussi fixer les attributions et préciser les devoirs des agents intermédiaires qu'elle reconnaît. Ces dispositions sont contenues dans le titre V, qui traite des bourses de commerce, des agents de change, et des courtiers.

Ces divers agents sont des officiers publics que le Gouvernement nomme et autorise à s'interposer entre les négociants de tous les genres, pour faciliter leurs opérations de change ou de commerce. Pendant longtemps, et même jusqu'ici, malgré quelques dispositions légales, leurs fonctions avaient été confondues; la loi qui vous est soumise les détermine d'une manière positive. Les agents de change sont spécialement et exclusivement chargés de faire les négociations des effets publics et autres susceptibles d'être cotés; de faire pour le compte d'autrui les négociations de lettres de change ou billets, et d'en constater le cours, de même que celui des matières métalliques.

Les attributions de chaque espèce de courtiers seront indiquées par sa dénomination, qui est relative à la branche de commerce pour laquelle on l'emploie, et elles sont déterminées de manière que le même individu ne peut les cumuler ni les exercer en même temps, à moins qu'il n'y soit spécialement autorisé par l'acte de sa nomination. Ces divers agents étant institués par le Gouvernement, qui exige d'eux une espèce de garantie sous forme de cautionnement, dont la somme est proportionnée à l'importance de leurs fonctions, il est de justice pour eux, et de l'intérêt public, qu'ils aient le droit exclusif d'exercer leurs attributions respectives.

Au surplus, la loi honore leur profession, en déclarant qu'elle ne peut être exercée par un homme qui a fait fallite, à moins qu'il n'ait été réhabilité, et elle porte la prévoyance en leur faveur jusqu'à leur interdire la possibilité de se mettre dans le cas de l'exclusion par ce motif, en leur défendant, sous peine de destitution irrévocable, de faire des opérations de commerce ou banque pour leur propre compte, et de se rendre garants de l'exécution des marchés dans lesquels ils s'entremettent.

L'espèce de confiance absolue que doivent leur accorder ceux qui ont recours à leur ministère nécessite cette mesure. Il ne faut pas qu'ils puissent s'exposer à compromettre les intérêts de leurs clients en compromettant leur propre fortune par une entreprise hasardée ou malheureuse. C'est ce que la loi a voulu prévenir par une disposition que quelques-uns d'entre eux trouveront peut-être trop sévère, mais qui aura l'approbation de tous ceux qui sont sages et de bonne foi, et qui est plus que jamais nécessaire aujourd'hui que le jeu sur les effets publics est devenu une fureur qui cause la ruine d'une multitude de particuliers, sans aucun avantage pour

le Gouvernement ni pour les possesseurs de rentes sur l'Etat, qui les considère comme une propriété réelle et à conserver.

La garantie à laquelle quelques agents de change ne craignent pas de s'engager par l'appât d'un droit de commission plus ou moins fort, pour un marché dans lequel le vendeur et l'acheteur négocient des effets qu'ils n'ont pas, et que souvent le décuple de leur fortune effective ne pourrait pas réaliser, compromet non-seulement leur fortune, et quelquefois leur honneur personnel, mais encore la réputation de leur compagnie, que les hommes honnêtes qui la composent ont intérêt de conserver intacte. Nous devons espérer que la crainte d'être nécessairement poursuivis comme banqueroutiers, en cas de fallite, en imposera à ceux que leur propre intérêt bien entendu n'a pu empêcher jusqu'ici de contracter des engagements si hasardeux; et qu'à défaut de trouver des garants solvables, les hommes imprudents, ou sans consistance, qui ont puisé chez les Anglais la funeste manie de ce qu'on appelle vulgairement agiotage, renonceront à ce jeu dangereux pour se livrer à des professions plus honorables et plus utiles.

Il est une autre espèce d'agent sur laquelle l'ordonnance de 1673 ne contient que des dispositions insuffisantes, au moins aujourd'hui, que, par l'extension donnée au commerce, elle a acquis beaucoup plus d'importance et d'utilité. Je veux parler des commissionnaires en général. Leurs devoirs et leurs droits sont déterminés par le Code Napoléon, livre III, titre XIII. Mais comme il est souvent utile, pour favoriser des opérations de commerce, qu'ils fassent des avances sur des marchandises qui leur sont expédiées, le projet de loi qui vous est soumis leur donne, de plus, privilége sur lesdites marchandises pour le remboursement de leurs avances, intérêts et frais: il en excepte cependant les marchandises qui leur sont déposées ou consignées par un individu résidant dans le lieu de leur domicile, à moins qu'ils ne se soient conformés aux dispositions prescrites par le Code Napoléon, pour les prêts sur gages ou nantissements.

Des dispositions particulières déterminent aussi les obligations des commissionnaires pour les transports par terre et par eau, et fixent la jurisprudence, qui variait dans plusieurs tribunaux, sur la quotité de la garantie, à laquelle ces commissionnaires étaient tenus en cas de perte de marchandises ou effets qu'ils étaient chargés de faire transporter. La garantie sera désormais de la totalité de la valeur des marchandises, s'il n'y a stipulation contraire dans la lettre de voiture, ou force majeure, sauf le recours du commissionnaire contre le voiturier ou maître du bateau, dont les devoirs sont également réglés par le projet.

Enfin, le titre VII règle les diverses espèces de preuves par lesquelles se constatent les ventes et les achats, et indique l'ordre dans lequel elles doivent être admises, soit qu'elles concourent ensemble, soit à défaut les unes des autres. Il laisse même aux tribunaux la faculté d'admettre la preuve testimoniale, parce qu'il est une multitude de cas, même d'une assez grande importance, tels que les ventes et achats de denrées territoriales et de bestiaux, dans les foires et marchés, où elle est la seule que l'on puisse se procurer. C'est une latitude que l'intérêt même du commerce exige qu'on laisse à la discrétion des juges, dont on ne doit pas craindre que ceux-ci puissent abuser sans attirer sur eux l'animadversion

publique et celle du Gouvernement, quand même la réputation de probité qui leur aura mérité le choix des commerçants n'offrirait pas une garantie suffisante de leur délicatesse et de leur intégrité.

Telles sont, Messieurs, les dispositions des sept premiers titres du Code de commerce soumises à votre délibération. Elles contiennent des règles de conduite pour la bonne foi, et des mesures pour prévenir la fraude dans l'exercice d'une des professions les plus importantes pour la prospérité publique. Vous êtes déjà à même de juger qu'elles sont en harmonie avec les autres parties du Code qui vous ont été présentées, et que leur ensemble forme un corps de loi propre à rétablir l'ordre dans les relations commerciales.

Puissent les principes de la morale, supplément nécessaire des lois, même les meilleures, venir à l'appui de celles dont nous vous proposons l'adoption! Puissent l'esprit d'une sage économie, la prudence dans les spéculations, et l'expérience dans les affaires, remplacer ce goût effréné pour le luxe, cette avidité de faire des fortunes rapides et colossales, et cette témérité dans les entreprises qui ont amené tant de désordres dans le commerce! Alors cette profession, honorable en ellemême, refleurira sous l'influence du génie qui veille sur les destinées de l'empire, parce que la bonne foi sera la règle de ses opérations dans l'intérieur; elle recouvrera son ancienne splendeur, parce que son retour aux vertús qui lui sont propres lui méritera la confiance des nations avec lesquelles la paix continentale ya lui permettre de renouveler ses relations; elle fera des bénéfices assurés, et qu'elle pourra avouer, parce qu'ils seront le résultat de spéculations sages et légitimes; enfin, elle jouira de toute la considération qu'on doit à une des principales sources des resSources de l'Etat, lorsqu'elle n'est souillée par rien qui soit contraire aux règles de l'honneur et de la probité.

Le Tribunat vote l'adoption du projet de loi sur lequel vous allez délibérer.

La discussion est fermée.

Le Corps législatif procède au scrutin et vote l'adoption du projet de loi à la majorité de 228 boules blanches contre 12 boules noires.

L'ordre du jour appelle ensuite la discussion du projet de loi concernant la contrainte par corps pour deltes contractées par des étrangers.

M. le Président. La parole est aux orateurs du Tribunat.

M. Mallarmé. Messieurs, l'ordre public et le bonheur des citoyens ne dépendent pas moins de l'exécution des jugements rendus par les tribunaux, que de l'observation des lois émanées de l'autorité suprême.

Cette vérité, dont le projet de loi qui vous est présenté est la juste conséquence, est reconnue de toutes les nations. Elle n'a besoin ni de preuves, ni de développements.

Nous lui avons rendu un solennel hommage lors de la rédaction du Code Napoléon et de celui de procédure civile, en plaçant dans l'un et l'autre de nombreuses dispositions propres à assurer, autant qu'il est possible, l'effet de toutes les condamnations que peuvent prononcer les tribunaux en matière civile.

Cette partie importante de notre législation atteste avec quelle sollicitude, avec quel scrupule le législateur a cherché à concilier le respect dû à la chose jugée et celui dû à la liberté civile. Si, dans un petit nombre de cas, il a permis d'exercer la contrainte par corps contre un citoyen con

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damné par un jugement, il a déterminé ces cas rares et extraordinaires avec la plus grande précision, et défendu aux juges de la prononcer dans aucune autre, à moins qu'une loi formelle ne leur en imposât l'obligation.

Le projet sur lequel nous venons émettre le vœu du Tribunat a pour objet d'autoriser cette contrainte dans un cas qui n'est prévu ni par le Code Napoléon, ni par celui de procédure civile. Des usages et des lois antérieurs à ces deux Codes ne peuvent plus maintenant servir de base aux jugements des tribunaux dans cette matière. L'article 2063 du Code Napoléon abroge ces lois et ces usages. Il faut une loi nouvelle pour rétablir celles de leurs dispositions que réclament l'intérêt de l'Etat et celui des citoyens.

En vous proposant aujourd'hui de déclarer contraignable par corps l'étranger domicilié qui, condamné ou sur le point de l'être à payer à un Français une somme exigible, ne peut offrir à celui-ci une garantie suffisante, S. M. L'EMPEREUR ET Ro veut non déroger, mais revenir au droit commun de la France, droit observé pendant une longue suite de siècles, et formellement établi par une loi rendue dans cette enceinte, aussitôt qu'on y abjura l'erreur qui avait fait abolir la contrainte par corps en matière civile.

Considéré sous ce seul rapport, le projet de loi appelait vos suffrages. Il ne pouvait manquer de les réunir, puisqu'il ouvre aux Français la seule voie par laquelle ils peuvent atteindre un étranger non domicilié qui ose se jouer de ses engagements et désobéir à nos lois.

Aussi, Messieurs, ce projet nous a-t-il paru d'une justice et d'une utilité évidentes, et pour me servir des expressions d'un jurisconsulte estimable qui a traité le même sujet, fondé en droit et en raison (1).

En droit, vous le savez, Messieurs, toujours on a considéré la désobéissance aux décrets de la justice comme un délit public, et toujours cette désobéissance a été réprimée avec sévérité.

Les lois romaines voulaient qu'elle le fut par une peine, pænali judicio; les premières lois de la France, par l'emprisonnement. Pendant plus de huit siècles tous les jugements, sans aucune distinction, ont emporté la contrainte par corps.

Une ordonnance donnée par saint Louis, en décembre 1254, avait défendu aux juges de la prononcer, mais seulement contre ses sujets (2), laissant ainsi subsister dans toute leur force, à l'égard des étrangers, les lois et usages qui les assujettissaient à cette contrainte.

Les ordonnances de 1566 et 1667 l'ont rétablie dans certains cas, et défendue dans d'autres, avec diverses modifications, mais toujours à l'égard des Français seulement. Ces ordonnances ne pouvaient s'appliquer aux étrangers non domiciliés en France, étant de principe incontestable, en droit public, que les étrangers ne peuvent invoquer les statuts personnels et les droits municipaux ou particuliers des nations sur le territoire desquelles ils passent et voyagent sans intention de s'y fixer (3).

Aussi l'usage de la contrainte par corps contre les étrangers, en matière purement civile, a-t-il été universellement pratiqué en France jusqu'au 9 mars 1793, comme vous l'a observé M. l'orateur

(1) Bourjeon Dr. Com., p. 4 tit. VIII, chap. v.

(2) Senescallis nostris inhibimus ne procumque debito, aliquem subjectorum capiant aut captum relineant. Ord. de Fr., tom., I, pag. 72.

(3) Boullenois, Traité de la Pers, et de la Real. des lois et statuts.

du conseil d'Etat, et comme l'attestent tous les jurisconsultes qui se sont occupés de cet obJet (1).

Il fallait, pour faire cesser cet usage une loi aussi précisé que le décret du 9 mars 1793. Depuis sa promulgation, tous les tribunaux crurent, avec raison, qu'il n'était pas plus en leur pouvoir de prononcer, contre les étrangers que contre les Français, une peine indéfiniment et absolument abolic.

Mais à peine eut-on reconnu les inconvénients de cette abolition et rétabli la contrainte par corps dans certains cas et sous des modifications nouvelles, contre les Français, qu'une loi rendit toute son autorité à l'ancien droit commun à l'égard des étrangers.

Le même jour où, à cette tribune, on établissait que nous devions être très-difficiles à admettre la contrainte par corps contre les Français, à raison des ressources que leur promettent les propriétés, que leur procure l'industrie, à raison aussi de la considération que nous devions faire d'un citoyen, ce jour même on prenait la résolution convertie en loi, le 4 floréal an VI, qui porte (j'en répète les propres expressions), que tout étranger résidant en France y sera soumis à la contrainte par corps, pour tous engagements par lui contractés avec des Français, s'il ne possède pas en France des propriétés foncières ou un établissement de commerce.

Ainsi, Messieurs, dans une même séance, le Corps législatif fit profession de son respect pour la liberté civile, et rétablit la différence que les lois anciennes et les anciens usages avaient faite entre le naturel français et l'étranger, difféence qui, suivant un publiciste estimé (2), a toujours existe en toutes républiques bien ordonnées.

Cette loi du 4 floréal an VI a été suivie depuis sa promulgation jusqu'à celle du Code civil. Ce Code l'a abrogée, au moins tacitement, en défendant aux juges de prononcer la contrainte par corps hors les cas qu'il a déterminés, et ceux qui pourraient l'être à l'avenir par une loi formelle. C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient de lui rendre sa force, si vous êtes convaincus de son utilité.

Le projet que nous discutons en retrace les principales dispositions: ainsi il est conforme, comme je l'ai déjà dit, non-seulement au droit ancien, mais aussi au droit nouveau de l'empire. Il l'est aussi aux principes les plus certains du droit public.

Le droit de domaine donne incontestablementaux nations le droit de défendre aux étrangers l'entrée de leur territoire. Il leur donne, à plus forte raison, le droit de ne permettre cette entrée qu'à certaines conditions dont elles sont seules àrbitres, et qu'elles doivent déterminer d'après les devoirs de l'hospitalité, le salut de l'Etat et l'intérêt des citoyens.

La nation française, naturellement hospitalière, ne repoussera jamais de son territoire un étranger honnête et paisible. Loin de là, elle lui ouvre ses barrières; elle l'appelle, pour ainsi dire, en lui offrant la jouissance de tous les droits civils si, après en avoir obtenu la permission du chef de l'Etat, il établit son domicile en France.

A ces conditions, si faciles à remplir, nos lois ne laissent subsister aucune différence entre l'étranger et le naturel. Tous les droits civils accordés aux Français, elles les donnent à l'étranger.

(1) Bacquet, Ferrières, Lacombe, Denizart, Guyot, etc. (2) Bacquet, Traité du domaine, pag. 2 chap. xvi, no 8.

Doivent-elles avoir la même indulgence à l'égard de l'étranger qui ne se constitue pas de domicile; qui, sans la permission du Gouvernement, à son insu peut-être, ne passe et ne séjourne en France que comme un simple voyageur?

Nous ne le pensons pas, Messieurs; si nous ne sommes pas, autant que l'ont été des peuples célèbres, avares du droit de cité, du moins ne devons-nous pas le prodiguer; et l'honneur, autant que l'intérêt de la nation, nous semble exiger qu'un étranger parcourant la France, sans y établir de domicile, ne soit pas confondu avec le citoyen, ne jouisse pas des prérogatives attachées à la qualité de citoyen.

C'en serait une bien extaordinaire pour un étranger allant et venant en France, sans y avoir de domicile, que de ne pouvoir eire contraint par corps à l'exécution d'un jugement rendu contre lui par un tribunal français. D'après les principes reconnus en matière de juridiction, ce jugement ne serait pas exécutoire sur les biens que l'étranger pourrait avoir dans sa patrie; il ne pourrait être exécuté en France faute de matière à asseoir exécution; en sorte que l'étranger soustrairait à la condamnation la plus juste sa personne, parce qu'elle serait dans le territoire français; ses biens, parce qu'ils seraient situés hors de ce territoire. Ce serait là une nouvelle espèce de droit d'asile, à l'ombre duquel l'étranger insulterait aux citoyens, à la justice, mais que nous n'accorderons jamais.

Je n'ajouterai rien à ces courtes réflexions pour motiver le vœu de Tribunat sur la première et principale disposition du projet dont il s'agit.

Il en contient deux autres, dont l'objet est d'assurer l'effet et d'empêcher l'abus de la mesure proposée.

On conçoit aisément combien il sera facile à un étranger sans domicile, poursuivi et même condamné dans un tribunal français, d'échapper par une fuite soudaine à la contrainte par corps, si elle ne pouvait être exercée qu'après le jugement qui l'ordonnerait. Le projet tend à éviter cet abus, en donnant au président du tribunal compétent le pouvoir de faire arrêter provisoirement l'étranger.

Gette disposition paraît d'abord d'une extrême rigueur; mais lorsque l'on considère, d'une part, que pour l'appliquer il faut que le président du tribunal reconnaisse que la dette répétée est actuellement exigible; lorsque, d'autre part, on remarque que la loi ne sera pas impérative, qu'elle laissera au président à juger dans sa conscience si de suffisants motifs demandent l'arrestation provisoire, c'est-à-dire s'il y a péril imminent d'évasion; lorsque l'on voit enfin que l'étranger qui pourra donner à son créancier une garantie, une simple caution, ne pourra être arrêté, on devra, s'il l'a été, être remis en liberté; on reconnait bientôt que la mesure dont il s'agit ne pourra jamais être employée que contre des hommes sans aveu et sans ressources, qui doivent sans doute inspirer moins d'intérêt qu'un citoyen qui va devenir la victime de leur ruse et de sa trop facile confiance.

Au reste, comme l'a observé M. le conseiller d'Etat qui a présenté le projet, il est évident que sans les mesures provisoires proposées, la condamnation par corps serait toujours illusoire; car on ne peut raisonnablement supposer qu'un étranger sans domicile, sans commerce, dans l'impuissance de payer une dette échue ou de donner caution, attendrait tranquillement, dans le lieu où il serait assigné, qu'une con

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