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Cependant, pour prévenir toute erreur, l'éviction devra être prononcée par un règlement d'administration publique, qui lui-même ne sera rendu que sur le rapport du ministre de l'intérieur, et après avoir entendu les parties intéressées.

Les articles 33 et 34 font aussi contribuer les propriétaires protégés par les digues opposées aux flots de la mer, ou contre les fleuves, rivières et torrents à raison des levées, barrages, pertuis, réparations et curages de canaux; il n'est sans doute aucun de vous, Messieurs, qui ne soit instruit de la difficulté que l'on rencontre lorsqu'il s'agit de la conservation des travaux qui préservent un pays d'inondations désastreuses; tantôt c'est le propriétaire riverain qui est refusant, tantôt ce sont les propriétaires d'usines, encore qu'ils en tirent souvent le plus grand avantage. Le projet ne laisse plus de doute à cet égard, et ces travaux, qui ordinairement requièrent célérité, arrêteront à temps les dommages qui résultent de leur destruction ou de la négligence qui a empêché de les construire.

Les article 35 et 36 ont pour objet la salubrité; le législateur, toujours fidèle au principe qui sert de base au projet de loi, veut que les précautions prises pour la conserver on se la procurer, qui intéressent les villes ou les communes, soient supportées par elles; l'administration publique les ordonne, l'exécution seule est réservée aux préfets et aux conseils de préfecture.

Le titre VIII comprend les articles 38, 39 et 40. Il renferme une exception qui fait supporter les travaux des routes et de navigation relatifs à l'exploitation des forêts et minières, à ceux qui jouissent de cette nature de biens, lorsqu'il sera question de leur fournir des débouchés ou de perfectionner ceux déjà ouverts. En effet, l'on sent que, dans ce cas, il est de la justice de décharger les autres propriétés. Cependant, comme il importe d'encourager des entreprises aussi utiles à la prospérité publique, il est réservé au Gouvernement d'accorder dès secours lorsqu'il le croira convenable.

Le titre IX semble d'abord déroger aux principes sur l'aliénation des domaines; mais si l'on considère que la nature de ceux qui y sont désignés ne permet pas de les soumettre au hasard de la concurrence, soit parce qu'ils sont dépendants des travaux faits ou à faire, soit parce qu'ils ne peuvent être acquis que par ceux qui jouissent des propriétés adjacentes, on sentira la nécessité de donner au Gouvernement la faculté d'en disposer d'une manière utile au trésor public et avantageuse aux particuliers.

Divers articles de la loi ont confié un graud nombre d'opérations à des commissions spéciales; le titre X indique leur composition et leurs attributions.

Il est reconnu, Messieurs, que si la bonté des lois est un titre à la sécurité des citoyens, c'est par les vertus morales des administrations qu'ils jouissent de cette sécurité. Il importe donc que le choix des commissaires soit tel que la confiance puisse les environner. Ils seront au nombre de sept, ne pourront prononcer s'ils ne sont cinq; leurs décisions seront motivées et ne jugeront jamais aucune question de propriété : ce droit est réservé aux tribunaux, sans pourtant que les travaux puissent être suspendus. En effet, puisque même la propriété non contestée doit céder à l'intérêt public, sauf indemnité, à plus forte raison le litige de celle qui est douteuse ne doit-il pas arrêter; la valeur seule faisant l'objet de la difficulté, elle sera remise à celui qui sera

déclaré le véritable propriétaire. Les commissaires seront choisis parmi les personnes présumées avoir le plus de connaissances relatives, soit aux localités, soit aux divers objets sur lesquels ils auront à prononcer; ils offriront donc la garantie des connaissances, et jouiront de la considération dont est investi tout fonctionnaire nommé par S. M. I'EMPEREUR.

J'arrive, Messieurs, au titre II. Il est le développement de l'article 546 du Code civil, qui veut que tout propriétaire soit indemnisé; il était peutêtre inutile d'exprimer que le concessionnaire sera obligé de payer avant qu'il puisse faire cesser le travail des usines, attendu que l'article précité y est formel, et que lorsque l'entreprise est faite au compte du Gouvernement, on doit ètre bien sûr de sa loyauté et de sa justice.

L'article 48 du projet de loi ne veut cependant pas que le remboursement se fasse avant l'examen du titre; à cet égard, il faut remarquer que dans cet article il s'agit particulièrement des usines, et que le plus souvent leur construction n'a été qu'à temps ou à des conditions qu'il est bon de vérifier. Ce n'est pas que la prescription du sol, de l'objet même, ne puisse être acquise d'après les lois,mais il convient qu'on n'accorde pas légèrement un payement qui pourrait être le prix d'usurpations.

L'article 50 n'alloue d'indemnité que pour le terrain seulement que perd le propriétaire, obligé de se conformer aux alignements lorsqu'il fait démolir volontairement sa maison, ou qu'il y est contraint pour cause de vétusté. Cette exception est fondée sur ce que, dans l'un et l'autre cas, le retranchement n'est pas la cause première de la démolition.

Il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de faire démolir et d'enlever une portion pour cause d'utilité publique.

La restriction portée en l'article 50 prouve que le propriétaire a le droit d'obtenir une indemnité plus considérable, et, par l'article 51, il a celui d'exiger que la totalité soit acquise. Cette disposition salutaire dispensera ceux qui n'en auraient pas les moyens d'entreprendre des reconstructions au-dessus de leurs foyers. C'est une innovation heureuse dans la législation sur la voirie.

L'article 52 règle la manière de donner les alignements dans les villes, en exigeant qu'ils soient arrêtés au conseil; on établit des directions invariables et qui ne sont plus sujettes à l'influence résultante de quelques intérêts particuliers ou même de l'amour-propre de quelques administrateurs, plus jaloux de perpétuer par des constructions nouvelles le souvenir dé leur édilité, que de conserver des établissements importants. de frein, loin de mettre obstacle aux projets utiles, assure plus puissamment leur exécution.

L'article 53 contient encore une disposition nouvelle; il impose aux propriétaires qui, par l'effet des nouveaux alignements, ont la faculté de s'avancer sur la voie publique, l'obligation de payer la valeur du terrain qui lui sera cédé. A défaut de cette préférence, le propriétaire était exposé à voir acquérir par un envieux le terrain à sa convenance, à moins qu'il ne fùt extrêmement modique. Son passage et ses jours étaient souvent la seule chose qu'il pût obtenir, et c'était encore, par suite, une source de procès.

Il ne sera donc plus exposé à ce désagrément, et le public n'aura pas à craindre que l'abandou des terrains vains et vagues ne compromette la sûreté par l'inégalité des angles, qui laissent des retraites aussi dangereuses que désagréables.

Mais aussi, Messieurs, le propriétaire sera tenu d'acquérir la portion qui lui est offerte, ou de délaisser sa propriété, et c'est cette contrainte qui a donné lieu à plusieurs observations. Cependant si vous voulez de la régularité dans les travaux publics, il faut un terme à l'option du particulier; il n'est pas à croire que cet abandon soit bien fréquent, car il n'est pas probable que le terrain délaissé par l'alignement puisse être bien important; en ce cas l'acquisition sera facile; s'il est vaste, ne pourra-t-il pas alors être vendu séparément, ou distribué de manière à accommoder plusieurs acquéreurs? Si l'article 55 exige encore des sacrifices à la chose publique, il assure aussi au propriétaire l'indemnité que la cupidité des entrepreneurs lui refuse souvent. Je sais que les administrations ont cherché à remédier à ces abus; mais le nombre des discussions, la lenteur des décisions, leur incertitude à cause de l'absence des règles, ont privé beaucoup de propriétaires de la justice qu'ils avaient droit d'attendre; et l'on doit espérer que leurs droits reconnus par une loi nouvelle, ainsi que l'autorisation d'y faire droit donnée aux administrations, fera cesser les plaintes à cet égard.

La nomination et le nombre des experts, dans le cas où ils sont requis, la manière de les départager, sont réglés par l'article 56.

L'article 57 veut que le directeur et le contrôleur des contributions soient entendus, que le préfet puisse faire refaire une nouvelle expertise. L'article dernier fait cesser les lois qui seraient contraires au projet qui vous est présenté, et dont nous venons de faire l'analyse.

Ce projet, Messieurs, est une nouvelle preuve que S. M. l'EMPEREUR ET ROI veut que ce qui est utile soit grand, et que ce qui est magnifique soit utile. Ainsi, l'aspect de la France offrant un jour la mesure de sa puissance et de son génie, apprendra à tous que ce suprême spectacle est moins le résultat d'une grande dépense, que des dispositions sagement combinées d'une bonne administration. La section de l'intérieur du Tribunat vous propose, par notre organe, de voter l'adoption du projet.

La discussion est fermée.

Le Corps législatif délibère sur le projet, et le convertit en loi à la majorité de 163 votants contre 79.

La parole est aux orateurs du Tribunat sur le projet relatif aux jugements de la cour de cassation rendus dans la même affaire.

M. Lahary (des Landes), orateur du Tribunat. Messieurs, il doit nécessairement y avoir un terme aux débats judiciaires.

En effet, la raison et la vérité elles-mêmes prononceraient sur les discussions de certains plaideurs, qu'ils n'en persévéreraient pas moins dans leurs injustes prétentions.

Que serait-ce donc s'ils croyaient ne défendre que leurs droits? Que serait-ce si, chaque fois qu'ils les auraient vus proscrire en cause d'appel, ils les voyaient momentanément triompher par le pourvoi en cassation? Que serait-ce enfin si plusieurs arrêts, rendus sur le même fait et annulés par les mêmes moyens, ne promettaient un succès décisif qu'à des réclamations toujours reproduites, et les invitaient ainsi à parcourir autant de degrés de juridictions qu'il y a de cours souveraines dans l'empire? Alors s'ouvrirait une carrière scandaleuse et effrayante. Plus de concorde ni de repos dans les familles; plus de paix intérieure ni de tranquillité publique dans l'Etat. La facilité et l'inutilité d'un continuel recours aux tribunaux,

en déconsidérant les magistrats, éterniseraient parmi les citoyens les inimitiés, les haines, les dissensions; et la justice elle-même deviendrait un des fléaux de la société.

Il a donc fallu, pour écarter ces malheurs publics, que le législateur traçat le cercle où doivent se renfermer les discussions judiciaires, et qu'il y posât une barrière que le plaideur le plus acharné ne peut pas franchir.

C'est ici sans doute une ressource extrême; mais elle est nécessaire au maintien de la loi, qui veut que les arrêts des cours souveraines fixent les incertitudes et terminent les contestations. Peut-être même cette mesure a-t-elle l'inconvénient d'affaiblir pour un temps le respect dû aux magistrats, en faisant naître des doutes sur leur sagesse et leurs lumières. Mais qu'est ce léger inconvénient comparé au désordre qu'il est urgent de prévenir ? D'ailleurs, les magistrats sont des hommes qui peuvent se tromper et être trompés; et lorsqu'il est indubitablement reconnu par une contrariété d'arrêts rendus sur le même fait et entre les mêmes parties que l'obscurité de la loi occasionne seule leurs erreurs, c'est un devoir pressant pour le législateur de s'expliquer pour la faire disparaître. De là résulte invinciblement la nécessité d'interpréter la loi dans ces cas extraordinaires, non-seulement pour faire cesser une fluctuation perpétuelle et funeste, mais encore pour concilier aux cours souveraines le respect et la confiance que doivent inspirer leurs jugements, et qui seraient sans cesse compromis dans le système contraire.

Tels sont, Messieurs, les puissants motifs qui ont dicté les sages dispositions du projet de loi dont je viens vous proposer l'adoption.

Le rapport qui vous a été fait par l'orateur du Gouvernement me dispense d'entrer dans de grands détails; je vais donc me borner à de légères observations.

Les articles 1er et 3e de ce projet fixent les deux seuls cas où l'interprétation doit avoir lieu.

C'est lorsque la cour de cassation aura « annulé <«< deux arrêts qu jugements en dernier ressort, « rendus dans la même affaire, entre les mêmes << parties et attaqués par les mêmes moyens; et « encore lorsque la cour de cassation aura elle« même demandé cette interprétation, avant de « prononcer le second arrêt. »

L'article 2 porte que cette interprétation sera donnée dans la forme des règlements d'administration publique.

L'article 4 veut que « si l'interprétation n'est << pas demandée, la cour de cassation ne puisse << rendre le second arrêt qu'en sections réunies et «sous la présidence d'un grand juge.

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Enfin, l'article 5 dispose que « si le troisième arrêt est attaqué, l'interprétation est de droit et qu'il y sera procédé comme il est dit à l'article 2.

Rien de plus conforme à notre système actuel, rien de mieux coordonné avec les principes du Gouvernement impérial, que la combinaison de ces diverses dispositions.

Et d'abord, je crois avoir démontré l'indispensable nécessité de l'interprétation de la loi, alors qu'il y a trois arrêts de cours souveraines en opposition directe avec deux arrêts de la cour de cassation. Il est, en effet, bien évident, qu'en ce cas, la cour de cassation, ne pouvant être contraire à elle-même, annullerait encore le troisième arrêt, et qu'elle prolongerait ainsi les incertitudes au lieu de les fixer. Or, Messieurs, vous avez vu combien il est essentiel de prévenir ce grave inconvénient.

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Lorsqu'un jugement aura été cassé deux fois, « et qu'un troisième tribunal aura jugé, en dernier « ressort, de la même manière que les deux pre« miers, la question ne pourra être agitée au tribu«nal de cassation, qu'elle n'ait été soumise au « Corps législatif, qui, en ce cas, portera un décret « déclaratoire de la loi. »

Cette disposition est claire et précise; en voici une plus expresse encore et plus rigoureuse; c'est celle de l'article 256 de la Constitution de l'an III.

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Lorsqu'après une cassation, est-il dit, le second jugement, sur le fond est attaqué par les mêmes « moyens que le premier, la question ne peut plus « être agitée au tribunal de cassation, sans avoir « été soumise au Corps législatif, qui porte une a loi, à laquelle le tribunal de cassation est tenu « de se conformer. »

Vous voyez, Messieurs, que la Convention a été tellement frappée du mal qu'elle avait à prévenir, qu'elle a cru même devoir en outrer le remède. Mais c'est précisément dans cet excès de précaution que je trouve la preuve la plus irrésistible de la nécessité d'interpréter la loi, dans le cas où son sens est méconnu. Alors, en effet, la loi cesse d'être un guide assuré, et devient une pierre d'acboppement, qui n'offre plus aux magistrats qu'une source de dissentiments et d'erreurs, lorsqu'elle devrait leur présenter le type invariable de leurs décisions.

La Constitution de l'an VIII n'a rien statué sur ce point capital et l'a par conséquent laissé dans le domaine de la loi.

C'est aussi pour suppléer à ce silence qu'on inséra dans celle du 27 ventôse an VIII, sur l'organisation des tribunaux, un article conçu dans ces

termes :

«Lorsqu'après une eassation, le second juge<«<ment sur le fond sera attaqué par les mêmes « moyens que le premier, la question sera portée << devant toutes les sections réunies du tribunal de «< cassation. >>

Mais soit que le besoin d'activer, à cette époque, les travaux législatifs ne permit pas d'y apporter toute la maturité possible, soit qu'on se flattâl que des demi-mesures pouvaient obvier aux inconvénients qu'on redoutait, toujours est-il certain que cette disposition est absolument insuffisante et incomplète; car cet article ne prohibant pas un nouveau recours, après une seconde cassation, il est incontestable qu'un nouvel arrêt pourrait donner lieu à un troisième pourvoi, puis à un quatrième, et ainsi de suite, sans qu'on pùt en assigner le terme.

Il était donc bien important de remplir cette lacune; et c'est là le but des articles 1er, 3 et 4 du projet de loi.

Or, ce but a été d'autant plus parfaitement atteint, qu'il me paraît réunir tous les avantages et écarter tous les inconvénients.

Remarquez, en effet, Messieurs, avec quelle prévoyance le Gouvernement a su concilier et le principe sur lequel est fondé l'article 21 de la joi du 27 novembre 1790, et la modification qu'y

avait apportée, la Constitution de l'an III. Il n'a exclusivement adopté ni l'un ni l'autre système nouveau, et d'autant plus sagement combiné, qu'il étend ou restreint, selon le besoin, les cas où il y a lieu à interprétation de la loi.

Mais ce qui est encore bien plus remarquable, c'est qu'à côté de la disposition qui régularise cette mesure, il place la garantie qui en prévient l'abus, en laissant à la cour de cassation la faculté d'avancer le terme de l'interprétation, et en l'associant, en quelque sorte, à l'exercice d'une prérogative qui appartient tout entière au législa

teur.

Je le demande, Messieurs, qui pourrait ici méconnaître le religieux attachement du chef suprême de l'Etat aux principes conservateurs de la liberté civile et de l'indépendance judiciaire, et surtout ses constantes sollicitudes pour le bonheur du grand peuple qui lui doit son salut et ses glorieuses destinées ?

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Je passe aux articles 2 et 5, qui portent « que l'interprétation de la loi est donnée dans la «forme des règlements d'administration publi« que. »>

Je n'ai pas besoin, je pense, de faire beaucoup d'efforts pour justifier cette disposition.

En effet, à quel corps, à quelle autorité cette attribution peut-elle être plus dignement confiée qu'au chef suprême de l'Etat, puisqu'à lui seul appartient la proposition et la rédaction de la loi; que par conséquent nul ne connaît mieux que lui, et l'esprit dans lequel il l'a conçue, et le but qu'il a voulu atteindre?

Ici encore je puis m'appuyer de l'autorité de l'Assemblée constituante et de la Convention, qui, toutes deux, ont attribué au Corps législatif le droit d'interpréter la loi dans les cas prévus.

Or, pourquoi le Corps législatif a-t-il constamment et exclusivement exercé ce droit? N'est-ce point par cela seul qu'il avait l'initiative de la loi, et que le droit, comme le pouvoir de l'interpréter, réside éminemment dans les attributions de l'autorité qui l'a proposée ?

Si cette attribution a toujours été confiée aux assemblées législatives, à combien plus forte raison ne doit-elle pas appartenir à l'Empereur, puisqu'il est tout à la fois, et le législateur qui propose la loi, et le chef suprême qui règle seul l'administration publique ?

Ainsi donc, sous ce double rapport, on peut d'autant moins lui contester ce droit, qu'il lui est implicitement garanti par les constitutions de l'empire; car en donnant à SA MAJESTÉ IMPÉRIALE l'initiative de la loi, elles lui imposent nécessairement le devoir de l'interpréter, lorsque son obscurité paralyse l'administration de la justice, qui est la dette du souverain envers ses peuples.

Or, comme le droit et le mode d'interprétation n'ont point été réglés par la loi du 27 ventôse an VIII, il résulte de cette grave omission qu'il est indispensable d'adopter le projet de loi organique qui doit y suppléer.

Ici, Messieurs, devrait se terminer mon rapport. Mais vous voudrez bien me permettre d'insister quelques moments sur une observation qui a été faite par l'orateur du Gouvernement, et qui est tellement importante, que je croirais compromettre le projet de loi que j'ai à défendre, si je la passais sous silence.

Cet orateur vous a dit que l'article de la loi du 27 novembre 1790, juste sous le point de vue de l'initiative de la loi, était vicieuse sous un autre rapport. Et la raison qu'il en a donnée, « c'est « que le décret émané du Corps législatif étant

une loi, on donnait à la loi un effet rétroactif « aussitôt qu'on la faisait servir à juger un procès préexistant. »>

S'il était vrai que le décret qu'aurait rendu le Corps législatif put toujours être inculpé de rétroactivité, certes, il me serait difficile de ne pas convenir que le règlement d'administration pu blique, qui doit le remplacer, serait aussi entaché du même vice.

Mais dans cette supposition même, serait-ce un motif assez puissant pour rejeter la loi qu'on vous propose, puisque la rétroactivité d'une loi n'est point expressément prohibée par la Constitution de l'an VIII, et qu'elle serait justifiée en ce cas par le salut public qui légitime toutes les mesures.

Quoi donc le législateur sera placé entre deux inconvénients majeurs, et il ne pourrait pas écarter le plus grave! Il verraits'ouvrir une carrière alarmante où les familles, que dis-je, des générations entières viendraient s'attaquer, se ruiner, se détruire, et il serait dans la fatale impossibilité de faire fléchir un principe pour les soustraire à cette calamité !

Et quel autre motif a donné lieu à ces utiles dérogations à la loi commune, à ces grandes injustices que les lois ont consacrées pour éviter de plus grands maux? La prescription, par exemple, n'est-elle pas la plus grave des injustices, et cependant elle est le plus sûr, le plus solide garant du droit de propriété.

Je n'aurais donc rien à craindre pour le sort du projet de loi, dût-il même consacrer le principe de rétroactivité, dès qu'elle serait bornée au seul cas où les circonstances la rendraient impérieusement nécessaire.

Mais il s'en faut bien que j'aie besoin de justifier le projet de loi sous ce point de vue; je n'ai été entraîné dans cette discussion que par la nécessité de répondre à l'observation que vous a présentée l'orateur du Gouvernement. Au surplus, il me suffira d'expliquer la pensée qu'il n'a pas cru devoir développer pour nous mettre d'accord sur ce point décisif.

Sans doute, si l'on ne consultait que les dates du décret du Corps législatif et de l'arrêt de la cour de cassation, il serait vrai de dire que la loi nouvelle serait rétroactive, en ce sens seulement qu'elle aurait précédé l'époque de cet arrêt qui n'eût pu être rendu sans elle.

Sans doute aussi (et c'est là toute la pensée de l'orateur du Gouvernement), sans doute si le décret du Corps législatif, en interprétant la loi, eût ajouté un article supplémentaire à son interprétation, ou qu'il eût développé un tout autre sens que celui contenu dans la précédente loi, il est bien incontestable qu'alors ce décret aurait eu un effet rétroactif, puisque ce ne serait plus la loi interprétée, mais l'article supplémentaire, qui aurait servi à juger le procès préexistant.

Mais qu'on veuille bien prendre garde que ce décret ne pourrait être que declaratoire, c'est-àdire interprétatif d'une loi également préexistante, et qu'il cesserait de l'être s'il contenait une nouvelle disposition législative; que le règlement d'administration, comme le décret, ne pouvant ni rectifier ni modifier la disposition qu'il interprète, doit nécessairement se borner à l'expliquer pour éclaircir le doute qui a donné lieu à l'interprétation; qu'ainsi en déclarant seulement que tel est le sens de la loi interprétée, et que c'est de telle ou telle manière qu'elle doit être entendue, il se reporte nécessairement à l'époque de la promulgation de cette loi, et que, par conséquent, si le règlement interprétatif est nécessaire pour auto

riser la cour de cassation à juger le procès, c'es toujours la loi interprétée qui est la seule règle de son jugement.

Done, dans les cas prévus par le projet, le règlement d'administration publique n'aura ni ne pourra avoir d'effet rétroactif; car s'il était possible qu'il rétroagit, ce ne serait plus un règlement d'administration; ce serait une loi nouvelle, et cette hypothèse ne peut se supposer.

Ainsi disparaissent, par une simple explication, les doutes qui auraient pu s'élever à ce dissentiment apparent qu'on aurait pu remarquer entre les motifs et la défense du projet de loi. Je me résume :

Vous avez vu, Messieurs, que toutes les dispositions de ce projet sont justes, sages, et en accord parfait avec notre système actuel. Vous avez vu combien il est urgent de remplir cette lacune qu'a laissée la loi du 27 ventôse an VIII, pour faire cesser cet état d'incertitude et de fluctuation qui déconsidère les magistrats et tourmente les citoyens.

Enfin vous avez assez vu que l'état de la législation, la dignité de l'ordre judiciaire, les principes du gouvernement impérial, et le vœu implicite des constitutions de l'empire, que tout, dis-je, se réunit pour attribuer au chef suprême de l'Etat le droit d'interpréter la loi lorsque son obscurité produit des divergences et qu'elle enchaine le cours de la justice.

Mais je suppose, pour un moment, que ce ne fût pas un droit déjà acquis à l'EMPEREUR, et qu'il ne faut que le déclarer. Je suppose que ce fut une nouvelle prérogative que vous puissiez lui donner; eh bien! Messieurs, dans cette hypothèse même, j'oserais pressentir votre opinion. Oui, je n'en doute pas, votre respect et votre amour s'empresseraient de la déférer au plus grand des monarques, à ce héros qui a conquis toutes les gloires et qui offre tous les genres de garanties; enfin, à ce génie supérieur, qui, s'élevant par la sublimité de sa pensée au-dessus même de la masse de lumières dont il est environné, se place constamment dans une sphère d'où ne peuvent approcher ni l'injustice ni l'erreur.

La section de législation du Tribunat m'a chargé de vous proposer l'adoption du projet de loi.

M. Faure, orateur du conseil d'Etat. Messieurs, l'orateur qui vient de proposer le vœu d'adoption des sections du Tribunat a cru devoir placer parmi ses motifs une observation qui nécessite de ma part quelques mots de réponse.

Selon sa pensée, il n'est pas exact de dire que la loi du 27 novembre 1790 était vicieuse en ce sens que tout décret émaué du Corps légistatif étant une loi, faire prononcer le Corps législatif sur une question de droit pour fixer le sort d'un procès existant, c'était donner à la loi un effet rétroactif.

S'il en était ainsi, a-t-il ajouté, la décision de l'Empereur contiendrait le même vice, puisque l'effet rétroactif doit également en être le résultat.

Une telle observation n'eut pas eu licu, si la distinction qui doit être faite en pareille matière eût été bien saisie.

A l'époque de 1790, le Corps législatif avait l'initiative de la loi, et, par une conséquence naturelle, il avait aussi le droit de l'interpréter: lui seul pouvait apprécier la valeur de la signification des termes employés dans la rédaction, puisque la rédaction était son propre ouvrage.

Mais en même temps un inconvénient réel exis tait; c'est que le même corps qui, lorsqu'il décrétait les lois, ne devait les faire que pour les ca

futurs, en faisait aussi qui s'appliquaient au passé, et que par là il participait à l'exercice des pouvoirs administratifs et judiciaires; confusion dont l'expérience a démontré tous les dangers.

Aujourd'hui, dans notre état constitutionnel, l'initiative de la loi appartient à l'EMPEREUR, et, comme nous l'avons déjà dit, qui peut mieux connaître le véritable sens d'une loi que l'autorité chargée de sa rédaction et proposition? C'est donc à cette autorité que l'interprétation doit être confiée. Quant à l'effet rétroactif, il serait absurde d'opposer ici le principe rigoureux qui concerne la Îoi.

Les décisions que donnera le chef suprême de l'Etat, sur les obscurités de loi qui arrêtent la marche de l'autorité judiciaire, auront un effet rétroactif à la contestation, pour le jugement de laquelle l'explication est nécessaire, de même que tout jugement a un véritable effet rétroactif au proces préexistant.

Ce résultat est inévitable.

Mais on a toujours consacré en principe que l'avenir seul est dans le domaine de la loi. Ce principe reconnu dans tous les temps se retrouve au Code Napoléon.

«La loi, porte l'article 2, ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif. »

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le projet actuel a pour but non des lois à faire, mais des lois déjà faites, dont il importe, toutes les fois que les tribunaux sont discors sur le véritable sens, que l'explication soit donnée de la manière la plus prompte et la plus sûre, et il est hors de doute que le projet atteint ce but si désidérable.

Messieurs, ces réflexions rapides que j'abandonne à votre sagesse, concourent à réclamer votre sanction en faveur d'une loi qui justifiée par les principes, con.mandée par le besoin, fera cesser désormais toute entrave à l'action des tribunaux et à la distribution de la justice.

Aucun orateur du Tribunat ni du conseil d'Etat ne prenant la parole, la discussion est fermée. Le Corps législatif délibère sur le projet, et le convertit en loi à la majorité de 166 votants contre 60.

La séance est levée.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FONTANES.

Séance du 17 septembre 1807.

Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. On procède à un nouveau scrutin pour la désignation de trois candidats qui, avec M. Fontanes déjà proclamé, doivent être présentés à Sa Majesté pour le choix du président du Corps législatif pendant l'année 1808.

Les membres qui obtiennent la majorité des suffrages sont: MM. Tupinier, Raynouard et de Barral; ils sont proclamés candidats.

La discussion s'établit sur le projet de loi relatif à des concessions définitives à des hospices, etc., présenté le 15 septembre par M. Ségur.

M. Pictet, orateur du Tribunat. Messieurs, en vous indiquant seulement le titre de la loi que je viens défendre, je crois tout dire en sa faveur. Če projet est relatif à des concessions définitives à des établissements de charité. C'est encore une de ces lois réparatrices vers lesquelles une heureuse impulsion qui, j'aime à le croire, vient d'en haut, porte, de concert, le souverain et son peuple.

La section de l'intérieur du Tribunat, après avoir adopté ce projet, m'a chargé de vous inviter à le convertir en loi par vos suffrages.

Le Corps législatif adopte le projet à l'unanimité de 223 votants.

Le même orateur est entendu sur le projet de foi relatif à des acquisitions, alienations, échanges, etc., présenté le 15 septembre par M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély).

M. Pictet. Messieurs, lorsque des lois d'intérêt local vous sont portées en grand nombre, notre fonction se réduit nécessairement à vous garantir que les formes protectrices de la propriété des citoyens et de l'action tutélaire du Gouvernement sur les communes ont été observées dans la confection de ces lois.

Je viens, Messieurs, vous offrir cette garantie de la part de la section de l'intérieur du Tribunat.

L'une des sept divisions du projet qui vous est soumis est intitulée : impositions extraordinaires.

Ce titre a provoqué notre examen plus particulier, comme sans doute il attire aussi votre attention.

Quarante-sept communes sont autorisées dans ce titre de la loi à pourvoir, par des centimes ajoutés aux impositions directes, à des acquisitions ou réparations locales plus ou moins nécessaires et urgentes. La somme totale de ces impositions s'élève à environ 124,000 francs, répartis sur deux à trois ans de perception; sur cette somme, 14,000 francs sont destinés par six de ces communes à des objets civils, savoir: une fontaine, un pont, une digue, un moulin, un procès et un cimetière; 10,000 francs sont appliqués, dans les quarante et une communes restantes à la réparation des outrages faits au culte religieux pendant les orages de la Révolution.

Ces dispositions sont d'un heureux augure; elles annoncent un retour rapide aux principes de morale publique, sur lesquels se fondent le repos des Etats et le bonheur des peuples. Je dis le repos des Etats, parce que la sage loi qui a établi la liberté des cultes, et la volonté constante et fréquemment énoncée de SA MAJESTÉ de la maintenir, vous promettent la tranquillité au dedans comme ses victoires ont assuré la paix au dehors.

La section de l'intérieur du Tribunat me charge de vous communiquer son you d'adoption de cette loi, et de vous inviter à le ratifier.

Le Corps législatif délibère sur le projet, et le convertit en loi à l'unanimité de 223 votants.

La discussion s'ouvre sur le projet de loi relatif à la prorogation des lois concernant les crimes de faux.

M. Gillet (de Seine-et-Oise). Messieurs, trois Codes ont déjà honoré vos travaux, et préparé des modèles à la législation de l'Europe.

Un quatrième est médité dans le silence, et le même génie qui fit sortir un droit civil uniforme du chaos de nos anciennes coutumes, qui donna des règles plus précises à l'ordre judiciaire et des garanties nouvelles au commerce, saura bien, quand les temps seront arrivés, pourvoir d'une organisation durable l'action nécessaire de la justice pour la poursuite des délits et des crimes.

Mais jusqu'au moment où cet important ouvrage aura complété la restauration de nos lois, il ne faut pas que la société reste sans défense, et que le crime, toujours actif, laisse loin derrière lui la peine qui doit l'atteindre.

Cette juste considération, depuis huit ans, Messieurs, vous a déjà dicté plusieurs lois temporaires; par elles la juridiction criminelle a pris une marche plus sûre, et le scandale de l'impunité a cessé d'encourager les actions punissables.

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