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Art. permis de profiter de l'ignorance d'un pauvre 147. plaideur, de le forclore complétement, en laissant dans une fausse sécurité le guide qui doit l'éclairer, et que, ce dessein accompli, il suffirait d'avertir l'avoué, au moment de passer à une exécution devenue inévitable, et contre laquelle les conseils seraient désormais devenus inutiles.

A quoi bon faire revenir ici l'adage: Ignorantia ejus quod quisque tenetur scire neminem excusat? On n'est pas tenu de savoir les règles et les délais de la procédure, puisque la loi elle-mème met sous la conduite d'un avoué, toute personne qui veut s'engager dans les détours du palais.

Quant à cette opinion que le but principal de la signification préalable du jugement à l'avoué, est de mettre ce dernier à portée de satisfaire aux dispositions de l'article 1058, elle me paraît amenée de trop loin, et je ne vois aucune liaison directe entre cet article et l'article 147.

L'article 1058 s'applique au cas où l'exécution d'un jugement définitif exige encore, pour qu'elle puisse être conduite à son terme, quelques procédures à faire. Par exemple : Vous avez été condamné à payer des dommages-intérêts, damnum acceptum, et lucrum impeditum : mais le jugement ne les a pas fixés; leur quotité sera appréciée par des experts, ou liquidée d'après une déclaration que fournira votre adversaire, sauf à contester. Ce jugement est bien définitif, car il n'est plus possible d'y revenir, et de dire que vous ne devez point de dommages-intérêts; mais, pour l'exécuter, il faut une liquidation; pour cette liquidation, il faut un avoué; et celui que vous aviez déjà dans la cause occupera sans nouveaux pouvoirs, parce que sa charge n'est pas finie tant que toutes les procédures judiciaires ne sont pas terminées. Il en est de même lorsqu'il s'agit d'une restitution de fruits, ou d'une opposition à des taxes de dépens, ou d'une condamnation obtenue à la charge de donner caution.

L'article 147 n'appartient point à cette spécialité d'idées. Sa disposition est générale, elle s'étend à tous les jugements qui mettent

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une obligation quelconque à la charge per- Art sonnelle d'une partie, ce qui fait présumer de droit, en elle, le besoin d'ètre avisée sur la marche qu'elle doit suivre.

Que l'exécution soit de nature à nécessiter une continuation de procédure, dans laquelle les avoués devront occuper sans nouveaux pouvoirs, ou qu'il s'agisse d'une exécution parée, comme disent les praticiens, parata executio, qui se fait en vertu du jugement tel qu'il est, parce que la condamnation n'a besoin ni d'ètre liquidée, ni d'être appréciée, il n'y a point de distinction à établir. Il faut toujours signifier le jugement à l'avoué, avant de le signifier au client, afin que celui-ci puisse être averti. Voilà l'intention principale de la loi ; elle s'applique aux arrêts des cours, de même qu'aux jugements de première instance. C'est plus qu'une règle ordinaire de procédure, c'est une mesure d'ordre public. Prétendre que la nullité, en cas de contravention, tombe uniquement sur les actes d'exécution du jugement, et que la signification portée de prime-saut chez la partie condamnée, n'en doit pas moins servir de point de départ pour les délais du recours, c'est décréditer la loi; c'est isoler de son appui l'homme inexpérimenté qui s'y confie, et cacher des piéges de déchéance sous l'extérieur d'une trompeuse garantie.

Peut-être on objectera : le Code ne dit pas que le jugement ne pourra étre signifié a la partie, mais seulement qu'il ne pourra étre exécuté, qu'après avoir été signifié à avoué.

Est-ce que la signification à la partie n'est pas un commencement, et l'une des formalités essentielles de l'exécution des jugements? N'est-ce pas pour y parvenir, que l'on vise à faire courir et à faire expirer les délais durant lesquels elle pourrait être arrêtée ou suspendue? N'est-ce pas un résultat assez grave que de laisser acquérir la force de chose jugée à une décision dont un avis opportun aurait pu procurer la réformation?

Je crois donc qu'il faut dénier toute espèce d'effet à la signification d'un jugement faite au client, sans que l'avoué ait préalablement reçu la sienne. Telle est, en résume,

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Toutefois, si la personne condamnée n'avait point eu d'avoué dans la cause, le jugement ne serait signifié qu'à elle-même, car à l'impossible nul n'est tenu. Il faut en dire autant, si l'avoué qu'elle a constitué vient à mourir ou à ne plus exercer. Mais, dans ce dernier cas, la signification qui n'est faite qu'à la partie doit contenir la mention du décès ou de la cessation des fonctions de son avoué. Ici l'intention de la loi, telle que je l'ai exposée, se manifeste avec toutes les clartés de l'évidence le plaideur qui se repose sur les avis qu'il attend, pour calculer sa chance, peut devenir la victime d'un vain espoir, s'il ignore, en recevant la signification du jugement, qu'il n'a plus d'avoué. Il est essentiel qu'il soit éclairé sur la situation des choses, à cet égard, afin qu'il cherche ailleurs des conseils et des règles de conduite.

Je n'ai plus qu'une distinction à indiquer : elle sort du principe d'utilité, dont il faut toujours chercher la trace dans les moindres détails du système.

Le jugement qui vient d'être rendu n'est-il qu'un règlement de procédure, ne contient-il aucune condamnation ou aucune disposition qui soit directement à la charge de l'une des parties? Ce jugement ne devra être signifié

(1) Jurispr. des cours souv, t. 5, p. 470. (2) Comment., t. 1er, p. 559.

qu'à l'avoué, parce que dans tout ce qui concerne la marche de l'affaire, et dans tout ce qui n'exige pas absolument l'accession personnelle du client, l'avoué le représente. Par exemple : une instruction par écrit est ordonnée, c'est l'avoué seul qui pourvoit à l'exécution de cette mesure; il s'agit d'une descente sur le lieu contentieux ou d'une expertise, c'est encore à l'avoué seul que sont faites les significations pour la poursuite des opérations de cette espèce, car ce ne sont pas des circonstances où le client doive payer de sa personne.

Mais toutes les fois qu'un jugement impose une obligation qui ne peut être remplie que par la partie elle-même, comme une comparution personnelle, un interrogatoire, un serment, c'est le cas de la double signification l'une à l'avoué, afin qu'il avertisse le client de se tenir sur ses gardes, soit pour obéir, soit pour protester, soit pour appeler ; et l'autre au client, parce que, comme disent les praticiens, le jugement git en exécution directe contre lui (b).

Il me reste encore beaucoup à dire sur cette vaste matière des jugements. J'ai cru qu'il me serait permis de la diviser et de ne pas m'astreindre à suivre l'ordre du Code, dans l'explication des articles dont je me suis occupé jusqu'à ce moment. Je vais en donner les motifs.

(a) Conf. Carré, no 609-611.-Dalloz,
(b) Conf. Carré, no 607.—Dalloz, t. 18,

18, p. 246. p.

274.

Art.

147.

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Art.

Les lois ont dù confier à la prudence des 119. juges tous les moyens d'instruction qui peuvent servir à la découverte de la vérité : Cui jurisdictio data est, ea quoque videntur concessa sine quibus jurisdictio explicari non potest (1).

Toutefois l'emploi de ces moyens est subordonné, pour la plupart des cas, à des conditions et à des formes, dont l'importance a fourni dans le Code la matière de plusieurs titres particuliers. Tels sont ceux de la vérification des écritures, du faux incident, des enquêtes, des expertises, des visites de lieux, et des interrogatoires sur faits et articles.

Mais il en est d'autres qui n'exigent pas autant de préparations, et qui peuvent souvent être mis en usage à l'audience même où leur nécessité vient se manifester: je veux parler de la comparution personnelle et du serment. C'est à cette considération qu'il faut attribuer la place qu'ils occupent, au milieu des articles relatifs à la composition des jugements. On y a mêlé les règles sur les dépens et sur l'exécution provisoire, avec des pouvoirs donnés aux tribunaux pour accorder un délai de grâce aux débiteurs, ou pour ajouter à quelques condamnations la rigueur de la contrainte par corps.

(1) L. 2, ff. de jurisdict.

(a) Voyez sur cette matière une article de M. Bil

Cette interférence contrariait l'ordre naturel de mes explications. J'ai donc commencé 18. par traiter tout ce qui comprenait la formation, la rédaction et la signification des jugements, et je consacre ce chapitre aux dispositions accessoires que je viens d'indiquer.

L'opposition entre les plaideurs sur les faits d'une cause, jette souvent la justice dans une désespérante perplexité. Il est difficile de pénétrer jusqu'au vrai, à travers ces luttes alternatives de doutes et de vraisemblances, qui s'engagent au palais.

Les intermédiaires y sont fort utiles pour la direction des procédures, et pour la discussion des points de droit; mais il ne dépend pas toujours d'eux d'apporter dans les détails et dans les nuances des faits toute l'exactitude et toute la fidélité désirables. Un moyen est offert aujourd'hui pour écarter ce voile de nuages; c'est la comparution personnelle (a).

Le jugement qui l'ordonne ne contient pas d'autre motif que celui tiré de l'utilité qu'il promet; il dit que les parties viendront ellesmèmes à l'audience se placer sous les yeux des magistrats, et donner les renseignements qui seront demandés; il ne préjuge rien, car il n'énonce ni les faits qu'il s'agit d'éclaircir ni les questions qui seront faites.

lequin, inséré dans la Revue des revues de droil. t. 1, p. 154.

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Art.

119.

Les parties sont-elles là présentes? ce jugement est exécuté aussitôt que prononcé. Par conséquent il n'est ni rédigé, ni levé, ni expédié; seulement, dans la sentence définitive qui le suit immédiatement, il est fait mention de tout ce qui a précédé.

Si la comparution ne peut pas avoir lieu audience tenante, le préparatoire qui appelle les parties, et qui indique le jour auquel elles seront entendues, doit être signifié à la requête de la plus diligente, d'abord à l'avoué, puis à la personne ou au domicile de l'autre, avec sommation d'obéir, car il s'agit d'une exécution à sa charge (1).

La nécessité de la signification préalable à l'avoué, dans ce cas, n'est pas généralement admise (2). On s'appuie, pour la rejeter, sur l'article 70 du tarif, d'après lequel tous avoués sont tenus de se présenter au jour indiqué par un jugement préparatoire, ou par un jugement de remise (5), sans qu'il soit besoin d'aucune sommation. Mais cet article ne s'applique qu'aux actes d'instruction et aux mesures d'ordre qui concernent uniquement l'office des avoués. Toutes les fois qu'une disposition de jugement s'adresse directement à la partie, comme pour une comparution personnelle, l'article 147 du Code ne reçoit aucune exception; la double signification est indispensable. Ne peut-il pas arriver que cé jugement soit attaquable pour quelque cause de nullité qu'il importe de ne pas couvrir, ou qu'une exception d'incompétence, une fin de non-recevoir soient compromises par la comparution? La signification préalable à l'avoué devrait encore être faite, quand tout l'avantage que la loi s'en promet se réduirait, en définitive, à faire savoir au client que les faits sur lesquels on se propose de l'interroger pourront être tenus pour avérés, s'il ne vient pas.

La comparution personnelle est, sans contredit, le moyen le plus simple et le plus efficace, le moins long et le moins dispendieux que puisse employer un tribunal, pour

(1) Voyez ci-dessus, p. 327.

(2) Voyez M. Carré, Lois de la proc., t. 1, p. 274. (Brux., 1824-1-319.)

(5) De remise: C'est-à-dire un jugement qui ren

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119.

faire jaillir quelque lumière dans ces téné- Art. breuses disputes de faits. Combien de fois n'a-t-on pas vu s'évanouir, à cette épreuve, une faveur trop prompte, que l'art ou l'intrigue avaient su répandre d'abord sur la plus mauvaise cause!

Cependant on en fait rarement usage. Cela tient à d'anciennes habitudes, et à de vieilles traditions qui composent encore la science de beaucoup de gens, dans l'ordre judiciaire.

On ne doutait point, à Rome, qu'il ne fût toujours permis au juge d'interroger les parties Ubicunque judicem æquitas moverit, æquè oportere fieri interrogationem dubium non est (4).

Mais lorsque la procédure devint secrète en France, les enquètes, les interrogatoires, les rapports, tout se fit dans l'ombre des greffes. Cette révolution date de l'ordonnance de 1539; elle fut le résultat des progrès de l'écriture, si l'on en croit M. de Montesquieu : « L'usage de l'écriture arrête les idées, et peut faire établir le secret; mais quand on n'a point cet usage, il n'y a que la publicité de la procédure qui puisse fixer ces mêmes idées (5). »

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Il ne fut plus permis à un tribunal de faire venir les parties à l'audience, pour les questionner d'office, pour les entendre ensemble ou séparément, pour les confronter, les voir, les observer. On dirait que les législateurs de ce temps-là s'étaient proposé le problème du mode le plus sûr de ne point atteindre la vérité, suivant l'expression de M. Bellot (6). Afin de le résoudre, ils imaginèrent ce que nous appelons encore l'interrogatoire sur faits et articles. Ce moyen d'instruction qui se retrouve, par tradition, dans le Code de procédure, ne peut jamais être ordonné que sur la réquisition écrite de l'une des parties, et les questions sont communiquées à celle qui doit répondre, vingt-quatre heures d'avance, pour le moins. Ce n'était point assez que cette grande facilité de préparation, on a pris le soin de lui épargner le désagrément de la publicité, et la présence d'un contradicteur;

voie la plaidoirie de la cause d'un jour à un autre. (4) L. 21, ff. de interrog. in jure faciend. (5) Esprit des lois, liv. 28, chap. 54. (6) Exposé, etc., p. 109.

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Art. 119.

car elle sera interrogée en secret, par un seul juge, et son adversaire n'y pourra point assister (1).

Les juges consuls furent seuls autorisés à faire comparaître les parties devant eux, et à les interpeller comme ils le jugeraient convenable (2). La raison de la différence était prise de ce que l'ordre de comparaître personnellement à l'audience, pendant le cours du procès, étant une sorte de réajournement, c'eût été porter atteinte à l'institution des procureurs ad lites, que de conférer aux tribunaux ordinaires le pouvoir de donner cet ordre. Mais on n'y voyait rien d'irrégulier, en ce qui concernait les juridictions consulaires, parce que les personnes assignées étaient toujours tenues de s'y présenter, sans assistance de procureurs ni d'avocats (3).

Le bon sens a triomphé de cette métaphysique surannée; aujourd'hui tous les juges peuvent faire comparaître devant eux les parties en personne (a). Fallait-il donc conserver en même temps l'usage de l'interrogatoire sur faits et articles? Oui, pour les cas où un trop grand éloignement, une maladie, une infirmité grave rendraient impossible la comparution à l'audience. Mais ne pouvait-on pas rendre ses formes moins apprètées et moins mystérieuses? Je reviendrai plus tard sur ce point (4).

Cependant la perte de temps et les frais de déplacement qu'entraîne la comparution personnelle, doivent être compensés par une évidente utilité. Si les tribunaux en usaient indistinctement et sans mesure, ce serait bientôt un moyen de vexation, et la justice s'enchaînerait souvent elle-même par d'injustes retards (b).

(1) Voy. l'ordonnance de Villers-Cotterets, art. 57; celle de Roussillon, art. 6; celle de Blois, art. 168; celle de 1667, titre 10, art. 1; et le titre 15, liv. 2, part. 1re du Code de proc.

(2) Ordonn. de 1667, titre 16, art. 4.

(3) Ibid., art. 1 et 2. Voyez Rodier, p. 290. (a) Voyez l'arrêt rendu par la cour de Bruxelles, le 27 nov. 1825. (Jurispr. de Brux., 1824-1-399.) (4) Au chapitre des interrogatoires sur faits et articles.

(b) V. en ce sens l'arrêt de la cour de Bruxelles du 14 mars 1827. (Jurisprudence de Bruxelles, 1827

Celui que les juges ont appelé à l'audience pour être interrogé, et qui refuse de comparaître ou de répondre, s'expose à ce que les faits allégués par son adversaire soient tenus pour avérés. Le Code ne s'en exprime pas, en parlant de la comparution personnelle, mais c'est un argument qui dérive tout naturellement de l'article 330, au titre de l'interrogatoire. Il y a même droit où il y a même raison (c).

Ce n'est pas que le défaut de comparution, ou le refus de répondre, impose aux tribunaux l'obligation étroite de tenir les faits pour avérés ; il faut entendre ce que je viens de dire dans le sens d'une simple faculté. Certes une juste prévention s'élève contre le plaideur honteux qui craint de se présenter et de s'expliquer Nimis indignum est proprio testimonio resistere (5); toutefois cette prévention ne constitue pas une preuve qui doive dominer l'opinion du juge, et interdire tout accès à des documents contraires. Il était mieux de s'en remettre, comme on l'a fait, à ses lumières et à sa pénétration. Les circonstances agiront sur son esprit; il se décidera, en toute sécurité, à tenir pour avérés des faits que rien ne contredit, qui s'accordent entre eux, et qui se lient sans effort, sans invraisemblance, à ce qui se trouve déjà constant et reconnu dans l'affaire.

Les réponses qui s'obtiennent par la comparution personnelle des parties forment des aveux judiciaires (6).

« L'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait (7). » Litigatoribus sufficiunt ad probationes, ea quæ ab adversú parte expressa fuerint apud judices (8).

2-278. Jurisprud. du XIXe siècle, 1827-3-181.)

(c) La cour de Rennes l'a ainsi jugé par arrêt du 15 août 1828. (Sirey, 29-2-125. — Voy. aussi Carré, Proc., nos 502 et suiv.)

(5) L. 13, Cod. de non numeratâ pecuniâ.

(6) Les aveux qui se trouvent dans les conclusions et dans les autres écritures du procès, sont également des aveux judiciaires, et font foi contre les parties au nom desquelles ils ont été faits, jusqu'au désaveu. J'en parlerai dans le chapitre du désaveu.

(7) Code civil, art. 1356.

(8) L. 1, § 1, ff. de interrog, in jure faciendis.

Art. 119.

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