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CE QU'ON DIT...

Çà et là.

Le 22 juillet 1918, les Compagnies téléphoniques et télégraphiques des Etats-Unis étaient nationalisées. Le ministre Burleson, qui avait préconisé cette mesure, s'était flatté qu'elle permettrait de grosses diminutions de tarifs et qu'elle rapporterait à l'Etat plus de 100 mil

lions de dollars.

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Voici les résultats d'un an de gestion par l'Etat les tarifs ont été augmentés, l'exploitation est en déficit, lè service mal fait soulève l'indignation d'un public jusqu'alors plus gâté que le nôtre. Et l'un des instigateurs de la nationalisation, le sénateur Aswell, déclare : « Je demande pardon à mon pays d'avoir recommandé ce bill. »

Quant au ministre Burleson, il réclame maintenant la remise aux Compagnies des télégraphes et des téléphones.

On sait que la ville flamande de Termonde fut incendiée aux trois-quarts par les Allemands en 1914. Plus de 1.200 maisons brûlèrent. M. Vermeersch, bourgmestre et député de la ville, possède une photographie assez extraordinaire. Elle représente un tableau que des Allemands ivres ont mutilé ou plutôt travesti dans une maison de la ville. Ce tableau est un portrait, le portrait d'une dame, dont les Boches ont gratté la tête qu'ils ont remplacée par une tête de mort. A la place du livre d'heures que la dame tenait à la main ils ont peint une bouteille de schnaps. Enfin, dans le haut du tableau, à droite, ils ont écrit cyniquement: « Hier haben 7 Dresdner raben gehaust. » (Ici ont habité sept corbeaux de Dresde.) Suivent sept noms. Il y a là toute la fantaisie séculaire du reître, avec un certain goût du macabre si remarquable chez le Boche.

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On montre à Termonde des coffres-forts dynamités chez des bijoutiers par l'armée des pillards, et surtout l'extraordinaire travail auquel ils se sont livrés à la Banque de la Dendre pour pénétrer dans le safe de la cave et essayer d'ouvrir au chalumeau l'énorme porte de fer et de béton. La direction de la Banque a placé au-dessus des traces de ce travail de perceurs de murailles et de coffres-forts une inscription discrète mais. éloquente: « La kultur allemande. »

Il faut voir aussi, au musée de l'Hôtel de Ville pillé par ces messieurs le drapeau de l'harmonie locale dont ils ont enlevé les escarboucles, les gros ornements voyants, qu'ils avaient pris pour des pierres précieuses de très grande valeur.

Déjà, un certain nombre de chartes dont la charte de Louis de Maele), déménagées à Berlin et Munich, sont revenues à Termonde.

Les étreintes douloureuses.

Le prince de Galles avait serré tant de mains à Ottawa, qu'il dut, un de ces derniers soirs, cesser d'offrir sa dextre aux visiteurs ; la main gauche dut feindre d'ignorer ce qu'avait souffert la main droite et s'offrir, elle aussi, en holocauste. Cette épreuve du serrement de mains indéfiniment répété doit être un supplice terrible; il est basé, comme ceux de l'Inquisition, sur la répétition indéfinie d'une même sensation. Peu d'hommes publics sont heureusement exposés à pareil traitement. La cérémonie ne peut guère se dérouler que dans des pays nettement démocratiques, et il est probable qu'en une quinzaine le prince de Galles a serré plus de mains que son grand-père au cours de toute son exis

tence. La reine Victoria avait cependant eu l'avantgoût de pareilles épreuves, car elle raconte dans son journal l'épuisement qu'elle ressentit après sa première grand réception lorsque trois mille personnes lui eurent baisé la main.

Ce sont surtout les présidents des Etats-Unis et leurs femmes qui sont exposés aux dangers du handshake. On dit que la main droite de Mme Cleveland était devenue sensiblement plus large que sa main gauche, à la suite de serrements de mains officiels et répétés, et l'on ajoute que, rentrée dans la vie privée, elle prit des leçons de violon afin que ses deux mains redevinssent homologues.

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La Ligue des « Torpillés ».

On se souvient qu'après Caporetto, beaucoup d'officiers généraux furent, en Italie, rendus brusquement à la vie civile. Ils viennent actuellement de constituer, sous la présidence du général Carpi, une ligue qui porte le titre assez bizarre de Fascio ufficiali silurati (Ligue d'officiers « torpillés »). « Torpillé » est, en effet, le terme qui, là-bas, rend à peu près notre expression de «< limogé ».

La Ligue compte déjà un millier de membres, tous ayant au moins le titre de lieutenant-colonel. Quinze de ses adhérents furent commandants de corps d'armée. Elle a son bureau central à Rome, mais ne compte pas moins de trente sections dans les provinces. La Ligue a pour but de réclamer la revision des décisions prises, tout au moins en ce qui concerne certains officiers généraux, et elle annonce qu'elle profitera de la suppression de la censure pour exposer nettement ses griefs dans la presse.

Mariages australiens.

Nous avons eu en France beaucoup de mariages américains et nous savons que beaucoup se sont terminés par des divorces. En Angleterre, ce furent les mariages australiens qui furent à la mode; beaucoup aussi s'achevèrent de la même façon. Mais, alors que les mariages. américains avaient leur dénouement en Amérique, il est intéressant de remarquer que les mariages australiens se rompent souvent avant le départ. Les femmes, au Sur quarante Anglaises qui, l'autre jou devaient pardernier moment, ne veulent pas partir pour l'Australie. tir pour l'Australie, treize seulement y consentirent.

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Baden-Powel vient de se rappeler encore à l'attention publique par un grand discours qu'il a prononcé à Montréal. Chose assez curieuse, « B.-P. », qui est très acclamé par les foules anglaises dès qu'il apparaît dans une solennité, B.-P. a été tenu à l'écart pendant toute la guerre par les autorités militaires.

C'est seulement comme organisateur et comme chef des Boys-Scouts qu'il a fait parler de lui durant les hostilités. Ses collègues se défient un peu de lui et lui reprochent d'avoir trop de talents. C'est un homme qui a, en effet, beaucoup lu et qui pose un peu à l'omniscience. Non seulement il sait peindre, mais il réussit à peindre des deux mains. Ses cartes militaires étaient de petites œuvres d'art, mais ses collègues en discu

taient l'exactitude.

Lorsque, pendant la guerre du Transvaal, il fut enfermé dans Mafeking, il y fit imprimer des timbres à son effigie que les collectionneurs se disputèrent. Ses collègues trouvèrent l'acte un peu proconsulaire. Or, quelque temps plus tard, Baden-Powell fut encore enfermé dans Rustenberg; le général Mahon se porta à son secours, mais lorsqu'il arriva les Boers s'étaient déjà retirés d'eux-mêmes. Baden-Powell se porta, à cheval, tout sou

riant, au devant de Mahon. Deux lanciers le précédaient « Charmé de vous voir, Mahon, lui dit-il. Vous n'avez pas rencontré beaucoup de Boers, n'est-ce pas ?

De Boers? répliqua Mahon, agacé. Je n'y songeais même pas. Je comptais seulement arriver assez à temps pour avoir quelques timbres-poste. »

Un ennemi de la guerre.

Le vicomte Edward Grey, que le gouvernement britannique envoie comme ambassadeur à Washington, est un des rares hommes dEtat dont tous les projets furent des succès, sauf un.

L'échec unique de sa carrière remonte aux jours mémorables de fin juillet et commencement d'août 1914: c'est en vain qu'il fit tout en son pouvoir pour éviter la grande calamité mondiale. «Mais, a-t-il dit souvent depuis, j'avais contre moi trop d'Allemands qui désiraient la guerre préparée depuis longtemps! »>

S'il ne réussit pas en 1914, le vicomte Edward Grey sut du moins éviter le cataclysme d'une grande guerre en 1911, au moment où le feu faillit être mis aux poudres à propos de la question marocaine.

Les services qu'il rendit à cette occasion lui valurent le titre de chevalier de l'Ordre de la Jarretière.

Le nouvel ambassadeur à Washington est un des plus sincères partisans de la paix, et les Américains sont particulièrement sensibles au choix qui a été fait par la Grande-Bretagne.

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Quand les poules auront des dents!

Le général Allenby, retour de Palestine, a profité de passage en France pour aller rendre visite à M. Lloyd George, à Deauville, et lui a conté une amusante histoire au sujet de Jérusalem, la ville sacrée qui fut, pendant quatre cents ans, sous la domination turque.

dans les villes ; les crimes de la campagne ne les intéressent pas.

Que disent les statistiques françaises ?

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Pour commémorer le voyage de la Mayflower.

Des deux côtés de l'Atlantique, on s'occupe activement à préparer les cérémonies qui l'an prochain doivent commémorer le troisième centenaire du voyage de la Mayflower. C'est à bord de ce navire en effet, qu'à Plymouth s'embarquèrent les puritains persécutés qui devaient là-bas jeter les bases des futurs Etats-Unis d'Amérique.

Il a fallu trois mois à la Mayflower pour traverser l'Atlantique et les organisateurs des fêtes voudraient qu'un navire, chargé de nouveaux pèlerins, quittât Plymouth un peu après la date anniversaire de ce départ, si bien qu'il puisse arriver en Amérique exactement au jour anniversaire du débarquement des « Pilgrim Fathers ». On pense que 2.000 pèlerins environ prendront part au voyage, à bord d'un des plus grands paquebots britanniques.

Une grande compagnie cinématographique se propose aussi de filmer le voyage des anciens « Pilgrim Fathers ». Elle va, à cette occasion, faire construire une nouvelle Mayflower sur le modèle ancien. Le scénario du film a déjà été écrit par un des prédicateurs anglais les plus connus, le révérend F. B. Meyer qui doit justement guider vers l'Amérique les modernes pèlerins.

On espère que le président Wilson assistera au débarquement et prendra part aux fêtes qui seront alors organisées; puis les pèlerins anglais se répandront dans les diverses villes américaines pour y prêcher la fidélité au vieil idéal puritain.

De nombreux Américains se rendent dès maintenant en Angleterre pour collaborer aux fêtes du troisième centenaire; ils retourneront en Amérique avec les pèlerins anglais.

Les habitants de la Palestine se croyaient asservis à tout jamais, d'où ce vieux dicton en usage en Terre Sainte« Les Turcs quitteront Jérusalem lorsque les eaux du Nil couleront en Palestine. » Ce qui aurait Affaires Intérieures pu se traduire par « Les Turcs quitteront Jérusalem lorsque... les poules auront des dents! >>

Une des nombreuses difficultés pour l'expédition anglaise en Palestine était le ravitaillement en eau. Le corps du génie anglais construisit une immense conduite d'eau qui, partant des rives du Nil, traversait le canal de Suez, le mont Sinaï et apportait aux troupes anglaises en Palestine les eaux du Nil!

Et les Turcs ont bien été chassés de Jérusalem deux mois après l'arrivée des eaux du Nil en Palestine ! Le vieux dicton s'est trouvé réalisé à la lettre !

La ville contre la campagnée.

C'est une question toujours controversée que de savoir si la ville est plus vertueuse que la campagne. Dans l'Unpopular Review, de New-York, un écrivain affirme que, si l'on s'en tient aux statistiques, les villes, en Amérique, tout au moins, sont bien plus vertueuses que les campagnes. « Le pourcentage de divorces est dit-il, moins élevé dans les Etats urbains que dans les Etats ruraux; et, dans bien des régions des Etats-Unis, les meurtres sont plus fréquents dans les campagnes que dans les villes. Les petites villes du Kansas enregistrent quatre fois plus d'homicides que les grandes villes de l'Etat de New-York; les petites villes de la Virginie, sept fois plus d'homicides que les grandes cités de Massachussetts; les districts ruraux de Californie. quatre fois plus d'homicides que les cités manufacturières du Connecticut. » Seulement, les journaux décrivent avec force détails toutes les infractions aux lois qui se commettent

Les idées de M. Loucheur

De tous les discours qui ont été prononcés dans la lignes, celui de M. Loucheur est à la fois le plus optidiscussion du Traité de Paix, à l'heure où j'écris ces miste et le plus franc. Parmi les orateurs qui avaient précédé à la tribune le ministre de la Reconstitution, les uns s'étaient efforcés de justifier leur œuvre, les autres s'étaient attachés à montrer les lacunes de cette œuvre. M. Loucheur n'a pas nié les lacunes, il n'a pas prétendu que le Traité fût irréprochable, il a affirmé que tel qu'il était il donnait à la France d'immenses avantages -- et voilà pour l'optimisme. Mais en même temps il a démontré que, ces avantages, deux facteurs décisifs les conditionnaient l'activité de la France et la prospérité de l'Allemagne dans l'avenir - voilà pour la franchise.

Une telle franchise doit être louée. Sans doute il faut beaucoup d'aveuglement pour ne pas discerner que le traité reportant sur un grand nombre d'années le paiement des justes réparations que l'Allemagne a souscrites, va multiplier entre débiteur et créancier, entre Allemagne et France les rapports et les contacts pour ne pas comprendre que nous sommes désormais intéressés à la productivité et donc à la prospérité d'un Etat dont nous comptons toucher annuellement, pendant trentesept années, en valeurs, prestations ou marchandises une somme égale à la moitié de notre charge budgétaire. Mais il y a des aveugles, et les pires sont ceux qui ne veulent pas voir. Quand même le discours de M. Lou

cheur ne les aurait qu'obligés à regarder en face d'évi- | l'essentiel. Le lecteur y trouvera d'autres considérations, dentes vérités, il ne serait pas inutile.

X

«Nous avons réclamé ce que dans des hypothèses optimistes l'Allemagne pourra payer », et nous l'avons obtenu. On vous a cité des chiffres. Pour juger de leur valeur, rappelez-vous qu'un milliard or 1919 ne vaut guère plus que 300 millions or 1914. Si l'AIlemagne devait payer en trente-sept ans 18 milliards or 1914 elle n'y arriverait pas. Elle arrivera à solder 18 milliards or 1919 (1) quand elle aura réinstallé dans les territoires qu'elle conserve les industries mères qui se trouvent dans les territoires qu'elle cède, quand elle scra sortie de sa période de dépression, car elle en sortira, la plupart de ses enfants ayant conservé leur ardeur au travail, leur hardiesse de conception, leur capacité organisatrice. Dans cinq ou six ans, la courbe fiéchissante de son activité se relèvera. Alors nous sommes fondés à espérer que le surplus de ses exportations sur ses importations atteindra les 18 milliards or, valeur nouvelle, qui sont nécessaires et suffisants pour que l'Allemagne fasse honneur à sa signature. Nous sommes fondés à l'espérer, bien que ce soit là une bien grosse somme, parce que le monde aura, pendant un long temps, de bien gros besoins. Mais, pour l'espérer, il faut admettre que la «< concurrence allemande sera plus grande qu'avant la guerre ». Par conséquent, il faut se préparer à la soutenir. Les clauses du traité améliorent très sensiblement notre situation matérielle en augmentant nos ressources en charbon, en fer, en potasse, etc., en nous apportant la collabo ration de l'énergie alsacienne et lorraine. A l'intérieur, il s'agit maintenant de s'équiper (outillage industriel, agricole, transports par terre et par eau) de s'orga

niser (nouvelles formules de collaboration, d'exploitation, de crédit) — il s'agit que les volontés individuelles

se manifestent hardiment (pas d'étatisme) que la

France entière aime le travail, l'effort. le risque, les vastes plans et les larges horizons. A l'extérieur, il s'agit de ne pas ignorer ses concurrents, d'être présent partout et toujours. « Il y a des tables autour desquelles il faut être sans tarder. Tardis venientibus ossa. »

Tel est, brièvement résumé, le programme de M. Lou cheur, et c'est, à la fois, un programme de politique intérieure et un programme de politique extérieure. Mais ce n'est pas un programme de matérialisme économique ». Homme d'affaires, M. Loucheur sait que, dans les affaires, un certain idéalisme ajoute au capital

que, dans les affaires, il y a d'abord les hommes. Aussi a-t-il terminé par un appel à tous ces braves gens de France qui sont allés à la bataille, à la mort, sans faire les malins », et qui restent, de toutes les richesses françaises, la plus merveilleuse, la plus iné puisable.

Du discours de M. Loucheur, je n'ai retenu là que

(1) Bien entendu M. Loucheur n'a pas prétendu que 18 milliards or versés annuellement pendant 37 ans correspondaient à une indemnité de 37× 18 milliards, soit 666 milliards. 18 milliards par an pendant 37 ans représentant intérêts et capital 300 milliards valeur actuelle. 18 milliards par an pendant 99 ans ne représenteraient que 336 milliards. Ceci confirme ce que nous avons dit à maintes reprises et remet au point certains calculs qui se moquaient vraiment un peu trop des règles d'intérêts. Bien entendu aussi ces 18 milliards s'entendent de l'annuité totale et approximative.

Pour les « Bons », M. Loucheur a clairement expliqué qu'ils n'étaient ni une évaluation de la dette allemande ni un moyen de paiement. Ce que doit l'Allemagne c'est le traité qui l'établit. L'évaluation viendra plus tard. Quant au paiement il se fera par les versements annuels de l'Allemagne. Les bons ne sont que des « à valoir » destinés à faciliter l'escompte. Nous ne sommes pas tenus de les accepter.

d'autres chiffres ; quel que soit l'intérêt de ces considérations et de ces chiffres, l'intérêt du programme est plus grand.

Ainsi, des explications de M. Tardieu, il résultait que notre sécurité dépend de la solidité des alliances et de l'action vigilante de la Société des Nations. M. Loucheur a démontré que notre prospérité dépend de la prospérité allemande, de la consolidation des « nouveaux prix » et, bien entendu, de notre propre labeur. Nous ne contredisons ni à l'une ni à l'autre de ces thèses. Nous ne cherchons pas à les opposer. Nous ne cherchons pas à les ruiner. Nous reconnaissons leur valeur. Nous demandons à M. Tardieu et à M. Loucheur de reconnaître avec nous que tant de conditions et de si graves seraient impossibles à réaliser dans un gime où le gouvernement resterait faible et précaire. Le moins qu'elles exigent, c'est de la suite dans les idées, c'est une représentation nationale éclairée, c'est une diplomatie active, c'est une administrations rajeunie, c'est un pouvoir exécutif durable et fort. Quand et comment aurons-nous tout cela? Par quelles réformes profondes des institutions et des mœurs? La question est posée; elle n'est pas résolue.

A propos de M. Viviani

La Chambre doit à M. Viviani deux heures d'élévation. Jamais l'ancien président du Conseil. ne fut plus orateur. Jamais le prestige de l'orateur ne fut plus sensible. M. Clemenceau, qui passe pour avoir tordu le cou à l'éloquence l'a subi comme les autres. Les ailes des strophes magnifiques le soulevaient à son banc et l'emportaient avec tous ses collègues vers les hautes régions de l'idéal où les hommes se rappellent qu'ils sont frères et où ils ont un instant l'illusion de croire qu'ils ne l'oublieront jamais. Pendant quelques minutes, la Chambre a communié dans l'enthousiasme. On vous dira que le lendemain il ne reste rien de cet état de grâce, de cet embrasement, de ces larmes, que chacun revient à son pêché d'habitude. Peut-être! Il en reste cependant le désir de ne plus entendre de méchants discours. Hélas! on peut refaire celui de M. Viviani en charabia! On n'y manquera pas. Quelle que soit l'éloquence de M. Viviani, elle n'a découragé personne. Elle a escaladé les cimes. Que n'a-t-elle brisé les marches de la tribune!

Je n'ai pas la prétention d'analyser ici la pathétique harangue de M. Viviani. Il faut l'avoir entendue sortir frémissante des lèvres de l'orateur pour savoir le crédit que gardent toujours chez nous les nobles sentiments qui ont exalté nos aïeux de 48 et de 89, pour comprendre la force en France de la tradition révolutionnaire. A l'appel de M. Viviani, la Chambre entière s'est avouée républicaine et démocrate. Oui, les monarchistes euxprivilèges s'ils en avaient eu. Je ne parle pas de leurs mêmes ont prêté le serment. Ils auraient renoncé à leurs doctrines. Nous n'étions montés si haut qu'en nous débarrassant de nos doctrines.

Pour des républicains démocrates, le problème de la paix est avant tout un problème de psychologie. Ou bien l'Allemagne se convertira ou bien elle ne se convertira pas. A quoi ? A l'idéal républicain démocrate. Si elle ne se convertissait pas, elle demeurerait l'ennemi du genre humain et par conséquent le nôtre puisque la France est le soldat d'avant-garde du genre humain. Il est douteux qu'elle se convertisse tout de suite. Mais il est certain qu'elle se convertira un jour, parce que l'état d'esprit républicain démocrate est le dernier terme d'une évolution fatale. Or, l'Allemagne convertie cesse d'être dangereuse. Elle a le remords de ses crimes, le culte du droit, le mépris de la force brutale. Une Allemagne convertie est une Allemagne qui se repent, qui

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paye et dont le marteau ne travaille plus que pour la paix. Supposer qu'une nation puisse être à la fois républicaine-démocrate et belliqueuse, c'est reconnaître qu'on n'est pas soi-même républicain démocrate. Il faut croire. Il faut désirer que la chose soit pour qu'elle soit. En ne le désirant pas, vous devenez hérétique, vous empêchez le Verbe de de se faire chair.

Mais enfin, il se rencontre dans l'histoire des démocraties qui... Ce n'étaient pas de véritables démocraties. Mais comment distinguez-vous que l'Allemagne est réellement et substantiellement une démocratie orthodoxe ? A ce qu'elle ne pensera plus de même sur la guerre.

Voilà, ou je m'abuse fort, le cercle vicieux. Pour avoir raison et pour avoir la paix et pour que nous soyons payés, il faut et il suffit que l'Allemagne comprenne la démocratie comme nous. A l'heure où nous proclamons le principe des nationalités, nous nions qu'il existe entre les nations des manières différentes de concevoir le progrès. Cependant si de tels antagonismes n'existent pas, s'ils sont faciles à résoudre, si l'homme est le même partout, pourquoi partageons-nous l'Autriche ?

Admettons si vous le voulez, que la contradiction ne soit que dans les mots. Admettons que la démocratie universelle étant réalisée il ne se passera plus rien, qu'elle arrêtera le cours des choses comme Josué arrêtait le cours des astres. D'ici là il faut vivre et ceux-là même qui pensent que le Droit régnera un jour sans conteste et que le royaume de Jésus est de ce monde doivent se souvenir qu'en politique il y a autant de danger à négliger le présent qu'à négliger l'avenir

Affaires Extérieures

MAURICE COLRAT.

La bataille du Rhin

UNE PAGE D'HISTOIRE

La note interalliée du 12 septembre, par sa lumineuse et énergique précision, servira utilement la cause de la paix et du droit. Elle déjoue une manoeuvre qui n'est encore qu'esquissée. Elle confirme un traité, dont l'ennemi discute déjà la validité. Ele exprime l'accord interallié, avant que les Allemands aient tenté de le dissocier. La Commission, chargée d'assurer l'application du pacte de Versailles, voit clair dans le jeu de Berlin. Elle connaît les obstacles qui vont gêner sa tâche. Son président écrit avec l'encre qui convient.

Si les négociations avaient été, au cours de la guerre et depuis l'armistice, dirigées avec la même méthode, les garanties obtenues par la France, eussent été plus complètes et moins précaires. Les débats parlementaires permettent, dès maintenant, d'écrire quelques pages de ce chapitre dramatique de l'histoire française.

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Etait-il possible d'obtenir de la Grande-Bretagne, en 1916-17, qu'elle consentît à une réorganisation de l'Europe occidentale, à élargir la Belgique au nord comme au sud, à compenser les sacrifices hollandais par l'annexion des districts frisons, à rétablir la France dans ses frontières de 1814, à affranchir les terres rhénanes du joug prussien; à accepter enfin le principe d'une participation collective à la garde du seuil romain, rétabli et renforcé ?

C'était demander à Londres de modifier une tradition séculaire, solennellement confirmée en 1793, 1814, 1863, et 1870 et de rouvrir à la France républicaine

l'accès qu'elle avait refusé, avec une égale ténacité, à la France monarchique et impériale. J'entends bien, que le jour où le Foreign Office contresigna les accords de mai 1916, relatifs au partage de l'Asie turque, il dénonçait aussi radicalement une politique aussi ancienne. Mais pour décider à un nouveau bouleversement cette diplomatie, qui participe à la lenteur et à la stabilité des institutions anglo-saxonnes, plusieurs conditions étaient nécessaires.

Il fallait présenter ces modifications sous une forme qui ne fût pas nouvelle, les rattacher à des conversations antérieurcs, reprendre ces documents de 1814, où l'Angleterre admettait que l'action de la France put s'étendre jusqu'au Rhin, mais une action indirecte et limitée, réalisée par l'intermédiaire d'Etats allemands. Cette conversation, enfin et surtout, devait avoir un caractère général et collectif. Il convenait d'y associer, dès les débuts, nos amis Belges, de la lier à la liquidation des colonies et des flottes allemandes, ainsi qu'à la création de la Société des Nations et à la réorganisation de l'Europe orientale, d'offrir ainsi des garanties d'équilibre à une monnaie d'échange, de présenter ces entretiens sous la forme de l'accord préalable, qu'il convenait de réaliser entre les trois Alliés, les plus anciens et les plus intimes, afin d'assurer des négociations faciles et rapides.

M. Briand eut l'intuition de cette manoeuvre. Il écrivait, le 12 janvier 1917, à M. Paul Cambon, qui paraissait tout désigné pour représenter la France dans cette négociation à trois :

la

« Vous avez parfaitement indiqué à Lord Grey, que récupération de l'Alsace-Lorraine non seulement ne doit pas faire question, mais ne doit pas être considérée comme un avantage, comme un accroissement nouveau. Il doit être également entendu, que l'Alsace et la Lorraine doivent nous être rendues, non pas mutilées, comme elles l'avaient été par les traités de 1815, mais délimitées, comme elles l'étaient avant 1790... Il est à craindre que la reprise des provinces rhénanes, qui nous ont été enlevées il y a un siècle, ne soit considérée comme une conquête et qu'elle ne soit de nature à nous créer de grandes difficultés. Ce qui importe plus qu'un avantage glorieux, mais précaire, c'est de créer un état de choses, qui soit une garantie pour l'Europe, autant que pour nous et qui fasse couverture devant nos territoires. A nos yeux, D'Alle magne ne doit plus avoir qu'un pied au delà du Rhin. L'organisation des territoires, leur neutralité, leur occupation provisoire sont à envisager dans des échanges de vues... mais il importe que la France ait voix prépondérante, dans l'examen de la solution de cette grave question. >>

M. L. Barthou, à qui nous empruntons ce remarquable document, ajoute quil fut connu au Foreign Office en juillet 1917. Le secrétaire d'Etat fit des réserves sur un seul point : « l'organisation sur la rive gauche du Rhin d'un état de choses nous offrant des garanties contre un retour offensif de l'Allemagne. » Doit-on en conclure que le gouvernement britannique acceptait, à cette date, le principe du retour aux frontières de 1790? Et, dans ce cas, pourquoi n'a-t-il point été pris acte de cette adhésion? Elle n'eût, d'ailleurs, constitué qu'un succès partiel, insuffisant pour masquer l'échec de la manoeuvre française.

les accords anglo-français sur l'Orient datent de mai Elle avait été mal engagée. Remarquons d'abord que à dix mois. La négociation est morcelée et échelonnée, 1916, et que cette dépêche leur est postérieure de neuf c'est-à-dire doublement compromise. De plus, elle est engagée à Saint-Pétersbourg et non à Londres, c'est dire, enfin, au prix de concessions singulièrement fâcheuses en Orient. Cette double révélation surprend et inquiète le Foreign Office. Il y voit l'amorce d'annexions, à les intérêts politiques et économiques dont il a la garde. l'est et à l'ouest de l'Europe, qui menacent à la fois I lit, dans le document qui lui est communiqué :

«L'Allemagne ne doit plus avoir qu'un pied au delà du Rhin. L'organisation des territoires, leur neutralité, leur occupation provisoire sont à envisager. » Chacun de ces mots accroît les inquiétudes anglaises, réveille des souvenirs tenaces, heurte des traditions séculaires. C'est la Russie telle que la voulait Alexandre, c'est la France telle que l'avait faite la Première République, qui reparaissent, qui tentent de reparaître sur la carte de l'Europe. En 1814, lord Castlereagh s'était attardé à les rogner l'une et l'autre, à les opposer l'une à l'autre, pour les mieux brider et ligoter. Et le Foreign Office n'a point oublié les instructions, les dépêches de lord Castlereagh. Fidèle à cette lecture, autant qu'à ces objectifs, il signifia en juillet 1917 des réserves expresses, dont le Quai d'Orsay qui connaît mal ses auteurs fut tout marri.

x

M. Clemenceau était trop pénétré des traditions de la patrie pour ne pas renouer les négociations.

Au lendemain de l'armistice, le maréchal Foch rédige sa fameuse note du 27 novembre 1918. Je la connais mieux que personne. Et je n'oublierai jamais cette matinée de novembre où, à Senlis, en face de la grande carte du front français, assis au bureau du maréchal, j'écrivais sous sa dictée... Cette note est celle d'un chef de guerre. Elle pose un problème exclusivement militaire et donne une solution toute militaire. Elle porte l'empreinte d'un grand soldat. Il définit le problème. tactique, dans toute sa gravité, sans rien céler. Il détermine la solution logique, avec toutes ses conséquences, sans rien cacher. Le style rappelle les débuts de notre ère classique : les phrases longues, drues et frustes sont éclairées, de temps en temps, par des formules nettes, des images frappantes, d'un raccourci souvent audacieux.

M. L. Barthou a cité les conclusions de ce document historique. Je ne puis que les reproduire :

« Pour avoir une paix assurée, vis-à-vis d'une Allemagne, animée jusqu'à présent d'un désir incontestable de conquête, au mépris des traités les mieux établis, il faut : 1) une frontière naturelle le Rhin, dont les places seront tenues par des contingents alliés; 2) l'organisation militaire, à charges égales, de tous les pays, à l'ouest du Rhin, avec l'appui éventuel de la Grande-Bretagne... » Le maréchal s'attachait à préciser uniquement la garantie européenne, collective, internationale, nécessaire à l'ensemble des nations, qui, après avoir combattu pour le droit, la liberté et la justice, entendent aujourd'hui préparer, sur de nouvelles bases inspirées de ces trois idées, les relations entre les peuples. >>

Présentée sous cette forme nouvelle, comme une garantie interalliée, imposée par les circonstances, comme un accord anglo-franco-belge né de la paix et dicté pour la paix, une participation générale à une œuvre d'intérêt collectif, la conversation rhénane pouvait être reprise avec Londres. L'occasion était favorable. La Conférence allait se réunir à Paris et il importait, avant l'intervention du président Wilson, de réaliser l'accord occidental. Mais deux conditions étaient nécessaires pour que le succès couronnât cette seconde tentative, toujours les mêmes négociation générale et collective sur l'ensemble des questions qu'aurait à trancher la Conférence de Paris..

La seule chose qu'il me soit possible de dire des entretiens de Londres (novembre 1918), c'est qu'ils n'eurent pas ce double caractère.

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résistance britannique serait d'autant plus tenace qu'elle pourrait invoquer d'autres arguments que les intérêts anglais et les traditions anglaises. Le président Wilson, qui avait quitté Washington sans connaître le dossier des revendications françaises, assistait en arbitre à un débat dont il ignorait la gravité historique et les solutions multiples.

Et cependant la thèse française fut présentée dans deux documents dont l'effet eût été probablement décisif s'ils avaient été remis à Londres, en janvier 1917, par les ambassadeurs de France et de Belgique : la note du maréchal Foch, du 10 janvier 1919, et la note de M. André Tardieu, du 25 février 1919.

M. L. Barthou a reproduit, tout entier, dans son rapport, ces dernières pages. Je ne puis résister au plaisir d'en citer quelques lignes :

« Il ne s'agit pas d'annexer un pouce du sol allemand: il s'agit de retirer à l'Allemagne ses instruments offensifs... A nos portes, à quelques jours de marche, de notre capitale, l'Allemagne dispose de la plus formidable place d'armes offensive, que l'histoire ait jamais connue... Neuf grands courants de transports allemands convergent vers les ponts du fleuve, et se prolongent par eux sur la rive gauche. La puissance d'agression est fonction du débit des ponts... Sur mer, la livraison totale de la flotte crée une sécurité complète : sur terre, rien de tel n'est possible... Sans aucune ambition territoriale, mais pénétrée de la nécessité de créer une zone de sécurité, à la fois internationale et nationale, la France attend de l'occupation interalliée du Rhin, ce que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis attendent du maintien de leur force navale : rien de plus, rien de moins. Dans les deux cas, la nécessité nationale concorde avec la garantie internationale.

Du 6 au 18 mars, pendant douze longs jours, M. Clemenceau bataille. Il lutte, avec une énergie, dont l'histoire gardera le souvenir. Il lutte seul, car il a voulu, seul, porter le poids et garder la responsabilité. Les formules les plus diverses furent suggérées. Toutes échouent.

Une éclaircie se dessine, le jour où le Président Wilson rentre d'Amérique. Il est possible qu'il ait joué, ce jour-là, un rôle analogue à celui que remplit l'Empereur Alexandre en 1814-15 et que M. Lloyd George ait formulé une transaction avec d'autant plus d'empressement qu'il redoutait de voir le Président en prendre l'initia

tive.

Les quatre éléments de cette transaction, - neutrali sation militaire définitive des terres rhénanes jusqu'à 50 kilomètres à l'est du fleuve (art. 42-44), et droit permanent d'enquête de la Ligue des Nations, dans les armements allemands (art. 263) ; — occupation provisoire des têtes de pont et garantie provisoire de l'Angleterr et des Etats-Unis, datent des 28 mars, 20, 22 et 23 avril.

X

Consciemment ou non, lorsque M. Lloyd George a accepté de faire fléchir, sur ces quatre points, la résistance britannique aux revendications françaises, n'innovait pas. Il recopiait, tout simplement, les instructions que son prédécesseur, il y a 115 ans, adressait à lord Castlereagh qui allait représenter l'Angleterre au Congrès de Châtillon et communiquer les condition de l'Europe à la France napoléonienne : « Les limites naturelles ne signifient point que le territoire de la France doit s'étendre jusqu'à ces limites: il ne s'agit que de sa puissance et de sa prépondérance. Bien qu'ell puisse exercer quelque influence sur de petits Etats er deçà du Rhin, cette influence doit être assez restreinte pour qu'elle ne puisse s'étendre, ainsi que sa prépondé. rence, au-delà du Rhin. » (5 janvier 1814).

politique française dans les terres rhénanes. Exploitant Edward Cokoe a défini, ce jour-là, ce que doit être la les intérêts communs, que crée le recul de la frontière militaire, l'action politique que permet une occupation prolongée, les avantages économiques qu'autorise l'arti

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