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Au dessert, il servait à ses invités des fruits artifi- | ciels d'où jaillissaient, comme d'une fontaine, des eaux de senteur! Au milieu du repas, il lui suffisait de frapper du pied le parquet pour en faire surgir un automate qui faisait le tour de la table et versait à boire !

Comme on le voit, la lecture des gazettes de 1716 est réconfortante et bien faite pour nous consoler. Malgré tout, nous ne sommes pas encore arrivés à ces extravagances. La dépensicite était alors plus aiguë qu'aujourd'hui et pourtant la France s'était guérie ! Ne désespérons donc pas !

Les docteurs honoraires.

Oxford a conféré des titres de docteur aux glorieux vainqueurs de la grande guerre. Dans le discours la in que le président de Magdalen College prononça, à cette occasion, nous relevons quelques jeux de mots sur les noms des candidats. C'est là une fantaisie que bien peu de gens peuvent se permettre.

Au sujet du général Foch, l'orateur s'exprima ainsi « a foco nomen ducens qui pro focis stetit ». L'amiral Beatty fut surnommé « Nauta Beatissimus ». M. Clemenceau « Clemens sed non dentibus carens tigris ».

Ce qu'on lit...

Dunkerque, ville héroïque, par HENRI MALO

Ce que Dunkerque a été dans le passé, ce qu'elle est dans le présent, et qu'elle sera une fois restaurée et relevée de ses ruines (« les ruines seules seront allemandes, la terre restera française » ! a dit M. Terquem, maire de Dunkerque), voilà ce que M. Malo a su exprimer dans ce livre consacré à l'une des villes françaises qui, pendant cinq ans, ont le plus souffert. Historien érudit, M. Henri Malo aime et célèbre Dunkerque d'un style souple et d'une âme fervente. Dès le seuil de son livre se détache, autour des armes de la ville, ornées de la Croix de guerre et montrées sur le flot d'azur de la mer, l'admirable citation : 1793-1917: Dunkerque a bien mérité de la patrie, sert d'exemple à toute la nation.

Attaquée et prise jadis par Turenne, défendue plus tard par Hoche, Dunkerque, par son héroïsme, a retenu, de tous temps, l'attention. « Ils sont enfin partis! s'écriait Hoche, sous la Révolution, en parlant des ennemis qu'il avait repoussés. «‹ Soldats de la Liberté, n'oublions pas que c'est à notre vigilance que nous devons notre salut!» Paroles toujours actuelles et qu'on eût pu répéter de nos jours. De nos jours comme jadis, la vigilance, la ténacité des Dunkerquois ont eu raison, une fois de plus, d'un siège à distance, d'un bombardement permanent et meurtrier. «Sert d'exemple à toute la nation! » Cela résume en cinq ou six mots le livre où M. Henri Malo a retracé, le mieux du monde, la physionomie digne et résolue de Dunkerque au cours de cette guerre brutale et dans l'épreuve la plus dure de toutes celles que cette ville subit jamais.

F. JEAN DESTHIEUX. Produire.

Le titre de cet ouvrage indique assez à quel point il est de circonstance. Plût à Dieu qu'on entendît l'auteur et qu'on ne parlât plus de « produire » comme les chœurs des anciens opéras parlaient de marcher, en marquant le pas sur place. M. Desthieux apporte le plan d'une organisation économique. Il la fonde, cette organisation, sur le régionalisme. Il délimite les centres de production, étudie les organes de la vie économique, chambres de commerce et autres, s'occupe de l'apprentissage. Pour produire, dit-il, il faut agir... Nous devons

lui reconnaître ce mérite de ne pas parler en l'air et de nous tracer de cette action une économie raisonnable. M. Jean Desthieux n'a pas compris les grèves dans les moyens de production.

La Chanson de Roland. Traduction nouvelle, d'après le manuscrit d'Oxford, par HENRI CHAMARD (1).

Cette traduction rythmée et rimée, où l'auteur, fidèle au texte d'Oxford, s'est efforcé de conserver à notre vieille chanson de geste son mouvement et sa couleur, ne s'adresse pas, comme il semblerait, aux purs érudits. C'est une œuvre de science et d'art; c'est aussi une œuvre de patriotisme sortie des pensées de la grande guerre. L'auteur l'a conçue et réalisée pour ses élèves de Fontenay-aux-Roses, avec l'intention de rendre service à toute la jeunesse studieuse de France en mettant à sa portée un de nos antiques poèmes où s'incarne le mieux notre esprit national. Par là même, cette tentative ne saurait laisser indifférent le public lettré qui sent et qui pense.

Affaires Extérieures

La méthode diplomatique
et le dilemne gouvernemental

La supériorité de la diplomatie italienne reste un axiome universellement admis. Il ne semble pas cependant que la variété de leurs combinaisons, la souplesse de leur ingéniosité et la violence de leurs sentiments aient valu aux héritiers de la Rome vaticane et de la Florence médiévale des succès particulièrement notables dans le Congrès de Paris. La diplomatie britannique est raison, à ses agents de manquer d'imagination pénétrante moins connue et moins appréciée. On reproche, non sans raison, à ses agents de manquer d'imagination pénétrante et de sens psychologique. Il est certain que l'Anglais aime à vivre au jour le jour et dans un isolement aristocratique, prévoit difficilement les événements prochains et comprend mal les peuples étrangers.

Mais, en revanche, combien il est préparé à l'action diplomatique par son tempérament moral, par sa méthode intellectuelle et par sa formation sociale!

Le gentleman, cet idéal que tout Anglo-Saxon admire, respecte, copie, est un diplomate-né. Il parle peu et écoute poliment. Il garde les secrets et méprise l'exubérance. Il est maître de ses nerfs et sûr de ses muscles. Il sait manier une raquette et porter un smoking, respecter les usages et boire du thé. La pensée britannique produit lentement et oublie lentement, recherche les formules concrètes et évite les idées abstraites, répugne aux solutions générales et préfère toujours un règlement particulier, ignore les conflits de doctrine et possède l'art de transiger. Enumérer ces caractères, n'est-ce point définir la vraie méthode d'action diplomatique ? Et lorsqu'elle est dirigée par ce patriotisme unanime et constant, intransigeant et religieux, par cette recherche exclusive de l'intérêt économique et par cette expérience approfondie du gouvernement colonial, qui caractérisent la formation sociale de l'élite politique, - comment s'étonner des nouveaux succès du Foreign Office?

Certes la délégation britannique était appelée à négocier, dans des conditions qui lui étaient défavorables, dans l'atmosphère de Paris, au milieu d'une véritable cohue, avec le concours de parlementaires nombreux, en présence de cette formidable inconnue qu'était l'action américaine. Néanmoins, les experts, les professionnels, auxquels M. Lloyd George vient de rendre un hommage mérité, sont arrivés à leurs fins. Ils ont progressivement

(1) Librairie Armand Colin.

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Le dernier discours de M. Lloyd George est passé, en France, complètement inaperçu. La presse quotidienne, victime de conditions économiques qu'elle subit, elle aussi, avec une coupable docilité,- -n'a pu, faute de place, qu'en citer des extraits informes. D'autres organes sont même allés plus loin ils ont publié des fragments inexacts.

Texte publié par l'Humanité, le 5 juillet :

«Je défie n'importe qui de découvrir, dans les conditions du traité, quoi que ce soit,sur lequel (?) un tribunal IMPÉRIAL ne se fût pas prononcé exactement de la même manière que nous l'avons fait nous-mêmes. ››

(

Texte publié par le Times (Mail édit., 4 juillet) :

Je demande (ask) à n'importe qui de signaler, pour ce qui touche à ces conditions principales, un seul acte d'injustice, ou quoi que ce soit qu'un tribunal PARFAITEMENT IMPARTIAL (perfectly impartial) n'eût pas tranché exactement dans le même sens que le Conseil qui siégea pendant six mois à Paris pour examiner ces clauses d'une manière scrupuleuse. »

Ces déformations et ce silence sont d'autant plus fâcheux que le discours de M.Lloyd George constituait une manoeuvre politique, dont les extrémistes n'eussent pas tardé à reconnaître l'efficacité.

Les commentaires qu'a inspirés leur œuvre diplomatique à MM. Clemenceau et Lloyd George sont très différents. L'un est un manifeste. L'autre une démonstration. Le premier reste une œuvre d'art. Le second fait ceuvre utile. M. Clemenceau s'élève à la hauteur d'événements dont l'histoire proclamera la grandeur. M. D. Lloyd George ramène les événements au niveau d'une pensée simple. Tous les deux aboutissent à la même conclusion, demandent le même effort patriotique, proclament la nécessité de l'union et de la concorde. M. Clemenceau force l'admiration : c'est bien. M. D. Lloyd George force la conviction: c'est juste.

Dans une forme extrêmement simple, mais avec une extrême clarté dans le plan, le premier ministre anglais s'est attaché à démontrer aux masses ouvrières que les clauses territoriales, financières, militaires, pénales, commerciales du Traité de Paris ne violaient, à aucun degré, la règle de la simple équité et le principe de libre déter- mination dont les bolcheviks, ces impérialistes de la guerre civile,-- prétendent, non sans ironie, avoir la garde exclusive. Il leur a rappelé la responsabilité de la nation allemande dans le crime commis. Il leur a démontré la nécessité de garanties, à la fois militaires, territoriales et diplomatiques. Il leur a prouvé que, sans la concorde et l'union, il serait impossible de rétablir la prospérité économique et d'organiser la paix internationale.

Les adversaires du traité, de l'autre côté de la Manche, ne songent point à nier l'effet produit par ce plaidoyer. Certes, la Westminster Gazette et le Manchester Guardian, dans leurs numéros du 4 juillet, ne retirent par les objections connues contre le « corridor » de Dantzig et contre le chapitre de la Sarre. Mais ces deux organes du radicalisme les présentent avec plus de modération dans les termes, sous la forme de réserves pieuses. Ils se bornent à dégager leur responsabilité. İls insistent davantage sur l'habileté de cette manœuvre et sur la clarté de cette démonstration. J'entends bien que M. Adamson, le leader du Labour Party, a affiché avec plus d'intransigeance une opposition de principe, célébré l'heure prochaine de la réconciliation anglo-ger- |

manique. Mais je cherche en vain, dans les journaux anglais, la preuve que des organisations ouvrières aient adopté l'attitude des socialistes de Lyon et décidé de boycotter les fêtes de la Victoire. Leurs adhérents chômeront ce jour-là, mais travailleront le 21 juillet, donnant ainsi à nos bolcheviks, comme le signalait M. Varenne dans la Politique, une double leçon de patriotisme et de légalité de bonne foi et de bon sens.

Il n'est pas trop tard pour éclairer l'opinion française et changer de méthode diplomatique. Certes, des progrès ont été réalisés. Des groupes d'experts ont été constitués pour organiser la commission des réparations, régler les questions bulgares et assurer l'application du traité. Des règles de méthode rôle des sous-commissions, établissement des procès-verbaux, fixation des ordres du jour passent pour avoir été étudiées et fixées. Mais tous les rouages des congrès continuent à être actionnés par le Conseil Suprême, de même que tous les dossiers lui sont transmis pour décision. C'est lui et lui seul qui règle l'activité et détermine les solutions du congrès. Il en est à la fois le moteur et l'arbitre..

Cet organisme central, pour avoir été mal conçu et mal composé, pour avoir manqué de méthode et de spécialistes, reste responsable des lenteurs et des querelles, des improvisations de texte et des lacunes de détail qui caractérisent, jusqu'ici,l'œuvre diplomatique du Congrès de Paris. Une faute initiale et décisive, l'intervention directe et permanente des chefs de gouvernement, a tout retardé et failli tout compromettre. La France n'en est point scule responsable. Interprétant inexactement une dépêche où le président Wilson annonçait qu'il viendrait à Paris suivre les délibérations du Congrès et contester les décisions de ses négociateurs, M. Lloyd George vint demander à M. Clemenceau s'il était d'avis, lui aussi, de délibérer entre gouvernements. Et le Tigre ne put résister à l'attrait de la bataille... et à l'espoir du succès. Certes, il ne l'a point perdue. Mais la victoire a été trop lente et trop coûteuse comme l'autre. Aujourd'hui, une occasion se présente de réparer cete erreur et de changer de méthode, de renoncer aux négociations entre gouvernements et de revenir à l'intermédiaire des « experts » Le président Wilson engage à Washington une lutte difficile et nécessaire. M. Lloyd George doit reprendre en mains sa majorité, qui renâcle, et donner à ses Gallois les sermons qu'ils réclament. M. Orlando goûte un repos mérité à l'ombre de la Roche Tarpéienne. M. Clemenceau reste seul. Et le Conseil Suprême, avec une lenteur croissante, continue, dans le même silence, avec les mêmes à-coups, au milieu du même isolement, à rendre des arrêts tardifs, que les puissances, dites à « intérêts limités critiquent tou jours et exécutent mal.

Or, il faudrait aller vite. M. Clemenceau a annoncé que les négociations avec la Bulgarie et la Turquie ne seraient point achevées avant plusieurs mois. Le Manchester Guardian a protesté avec énergie et son argumentation mérite d'être rappelée : « Les origines de la guerre actuelle se trouvent dans les Balkans et dans l'empire turc; le règlement balkanique, le règlement turc ne sauraient être considérés comme de simples appen dices du traité de paix qui peuvent être ajournés autant qu'il le plaît aux hommes d'Etat alliés. Les peuples des Balkans et ceux du pays qui fut l'empire ottaman ont le même droit que les peuples de l'Europe centrale et occidentale à connaître leur sort, à voir terminer leurs incertitudes et leurs angoisses, à être libres de reprendre leur travail paisible de restauration et de reconstruction. Il est impossible que les hommes d'Etat alliés considèrent que le retard soit sans dangers. Les régions intéressées sont si ardeminent convoitées par des rivaux, que plus la décision est ajournée, plus l'occasion de troubles grandit. L'ajournement ne rendra

pas moins difficile la solution des questions délicates. Elle les rendra seulement plus complexes. Les faits sont aussi connus qu'ils peuvent l'être. Les problèmes sont bien précisés. Les solutions et transactions possibles sont connues. Les retards n'apporteront ni plus de lumière, ni plus de raison. » (26 juin.) Bien au contraire, et le Manchester Guardian cite la guerre locale qui met aux prises, autour de Smyrne, des divisions grecques et des troupes turques. A Fiume, des conflits sanglants entre la garnison française et la population n'ont fait qu'aggraver la situation. La Bulgarie reste aussi suspecte et Bela Kun aussi dangereux. La Roumanie n'est pas moins intransigeante, ni la Syrie plus paisible. Et si la délégation autrichienne continue à sommeiller, dès que le temps le permet, dans la forêt de Saint-Germain, ces ajournements, incorrects et, ridicules, n'accroissent ni la cordialité des négociateurs viennois, ni le prestige des gouvernements alliés.

Il faut aller vite, intensifier le rendement, siéger matin et soir, doubler et tripler les séances.

Mais le président qui dirige l'organisme central de la Conférence diplomatique a d'autres tâches non moins. urgentes. Il ne peut plus ignorer le problème de la reconstitution, et une visite vraiment tardive lui a appris que, du train dont vont les choses, un demi-siècle au moins passera avant que les villes renaissent et que les moissons lèvent dans la zone dévastée. Et, cependant, dès le mois d'octobre 1918, des officiers dont j'étais signalaient, dans leurs rapports, qu'en présence de l'impuissance des préfectures et de la médiocrité des administrations, seule la centralisation dans chaque région de tous les services et de toute l'autorité entre les mains d'un «proconsul de la reconstitution >, pourrait assurer ici-bas la fin des souffrances et la reprise de la vie. M. Clemenceau ne peut plus ignorer le problème de la cherté de la vie et un soulèvement des fonctionnaires lui en révèle toute l'acuité. Il ne peut plus ignorer la propagande bolchevik s'il assiste aux préparatifs d'une grève générale à objectifs politiques, qui, par sa double illégalité, relève des tribunaux. Il ne peut, enfin, ignorer le malaise social, et le Times (chart édition 7 juillet), dans un article sévère, mais exact, rappelle que la classe ouvrière est, en France, médiocrement payée, mal logée et mal gouvernée ». Seul, un programme de production économique, industriel et agricole, son exécution immédiate, peut conserver à la France une paix intérieure - plus nécessaire encore que l'autre.

M. Clemenceau se doit de négliger la dernière pour se consacrer, tout entier, avec une équipe renouvelée, à maintenir et étendre la première.

11 а autour de lui, s'il veut bien les utiliser tous les experts nécessaires, pour achever, conformément à la méthode anglaise, la liquidation diplomatique. Le maréchal Foch, qui commande tous les ponts allemands et qui a négocié les deux armistices, peut assurer, avec le concours de quelques diplomates, l'exécution progressive des clauses militaires et territoriales du traité. M. Jules Cambon est tout qualifié pour représenter la France dans les commissions qui préparent les dossiers autrichien, hongrois, bulgare et turc. M. André Tardieu, ainsi doublement déchargé, vice-présidera le Conseil Suprême et avec une double expérience d'historien et de diplomate, avec la puissance de labeur et la force de réalisation dont il vient de donner les preuves, lui imprimera l'activité néces

saire.

Mais, il ne faut pas s'y tromper le dilemme est irrésistible. Si M. Clemenceau gouverne, il ne négocie pas. S'il négocie, il ne gouverne pas. JACQUES BARDOUX.

La question ottomane

Tout le monde en parle, très peu la connaissent et, récemment encore, ceux qui s'en approchèrent firent de son cas particulier un rébus indéchiffrable. En réalité, son état, que chaque jour aggrave, n'offre rien de si mystérieux.

Depuis que le déplorable Abdul-Hamid, reniant la formule libérale, laissa pénétrer l'organisation allemande cette maffia qui s'incruste là où les richesses naturelles abondent une sorte de mauvais sort poursuivit la Turquie. Saisie de la folie du suicide, sous l'adroite impulsion d'un ami qui la poussait doucement vers son tombeau, elle accumula toutes les erreurs. Au Yemen, dans toute l'Arabie, en Albanie, en Crète, elle provoqua l'insurrection.

Quand l'Union et Progrès vint au pouvoir, l'empire se trouvait dans un tel état de désagrégation qu'il ne subsistait plus que par l'effet de l'habitude dont l'emprise est si forte sur les populations musulmanes.

Le Comité eut sa courte crise de libéralisme, un instant, il se tourna vers nois, appelant notre aide, mais l'Allemagne veillait. Elle usa, pour le convaincre, de cet argument qu'elle n'a jamais ménagé, et les jeunes révolutionnaires, convertis par l'or allemand, se rallièrent avec une fidélité qui n'eut que des déchissements éphémères.

Aujourd'hui, la Turquie, bolchevisée par l'Allemagne, pour les besoins de si cause, est, après la Russie. et la Hongrie, le pays le plus profondément atteint par l'épidémie régnante.

Le soviet Union et Progrès s'apparente aux équipes de Trotzky et de Lénine; il a trouvé, lui aussi, une population crédule, ignorante, affamée par dix ans de vie misérable. En 1914, elle sortait à peine d'une interminable guerre, elle avait déjà longuement connu la famine et donné à la conscription le meilleur d'ellemême. Nous avons souvent assisté, dans les villages turcs, aux enrôlements forcés.

Toujours trompé, toujours rançonné, comme le fut le paysan russe, ayant, comme lui, le grand fatalisme de la misère, le paysan turc était facile à convaincre.

La lutte, à Constantinople, fut très vive entre notre influence et l'influence allemande. Malgré notre petit nombre opposé à la fourmilière austro-allemande, il porterait, mais nous manquions de ces moyens de perparut, à plusieurs reprises, que notre rayonnement l'emsuasion que nos adversaires, eux, ne ménageaient pas.

Après les hauts et les bas de cette partie où l'Allemagne gagnait toujours, en fin de compte, parce qu'elle jetait à pleines mains vers l'enjeu l'or et les honneurs ; fut 1914, le coup d'audace du Gaben et du Breslau, les erreurs franco-anglaises et, quelques mois après, l'attaque brusquée de l'amiral Souchon sur Odessa.

L'Union et Progrès se démasquait ouvertement. S'il y eut quelques remords, parmi ceux qui venaient de nous trahir en mentant jusqu'à la dernière minute, ils n'eurent pour effet que d'exaspérer les fortes têtes du Comité, et l'on peut dire, sans exagération, qu'elles en donnèrent à l'Allemagne pour son argent.

Aujourd'hui, l'empire ottoman est réduit, par la force des faits, à l'Anatolie, à ces provinces vraiment turques dont le vilayet d'Aidin et Smyrne sont le

débouché naturel.

Toutes les propagandes du monde n'y changeront rien. A moins de détruire les Turcs ou de les déporter, ils restent dans ce dernier foyer de l'empire, l'indiscutable majorité, masse laborieuse et paisible lorsque l'action révolutionnaire ne la fanatise pas momentané.nent.

Cet empire ottoman, très réduit mais viable, parce qu'il est essentiellement turc, voici la solution que les Turcs libéraux seraient enchantés de se voir imposer

par la force, la solution qu'ils ne peuvent eux-mêmes réclamer mais qu'ils appuieront si elle leur apporte encore la certitude d'être effectivement protégés et encadrés.

Quant aux chefs de l'Union et Progrès, toujours étroitement inféodés à l'Allemagne, ils mettent à profit les hésitations franco-anglaises, le temps perdu, le prestige entamé; ils travaillent, en ce moment même, avec une énergie renouvelée, jouant du sentiment islamique d'autant plus habilement qu'ils ne le partagent

pas.

Profondément incrédules, ils continuent à fanatiser les foules turques par leur propagande touranienne. Ici, on en a ri; les effets n'en sont pas moins formidables.

Dans les provinces devenues leur refuge, le sentiment populaire est avec eux. Nous les verrons bientôt reparaître. Enver rétablira, par quelque coup de force, son étoile pâlissante, et la plèbe oubliera que les soldats périrent de faim pendant que lui s'enrichissait et spéculait. Talaat conserve intact son prestige, malgré la défaite, il n'a rien perdu de sa germanophilie.

On travaille dans l'ombre, brochures, tracts d'inspi

ration bolchevik circulent. La révolution et le marxisme se prêchent à l'air libre.

Et cependant, malgré tout, quelle n'est pas encore la force profonde de notre influence ? Demandez-le aux officiers et aux soldats qui rentrent de Turquie. Demandez-le aux Français d'Orient, aux Anglais même qui s'en inquiètent.

Demandez à tous s'ils ont eu besoin d'apprendre ou le turc, ou le grec, ou l'anglais, ou l'italien, ou l'allemand pour se faire entendre ? Demandez-leur comment ils ont été accueillis ? Avec quelle surprise ils se sont trouvés chez eux et combien ils s'étonnèrent d'apprendre que, pendant la guerre, officiers et fonctionnaires allemands durent adopter le français pour converser avec leurs collègues ottomans.

Nous avons, jusque dans l'armée turque, des partisans convaincus. Nous en avons aussi parmi les ulémas et hodjas fort mécontents des Unionistes, qui les traitèrent de façon cavalière.

Le sultan et les libéraux turcs n'envisagent que la protection de l'Entente comme remède au fléau de la ruine totale et du démembrement, mais ils ne peuvent encore parler. L'Union et Progrès les guette.

est

En Turquie, comme ailleurs, un titre nouveau souvent une étiquette qui abrite les différents avatars d'une même formule. Ainsi, l'Union et Progrès se maquille, provisoirement, sous le nom de « Société des amis des principes de Wilson ».

Si l'Entente ne se résoud pas à solutionner le cas ottoman, cette soi-disant société wilsonienne reprendra le pouvoir par l'un de ces rétablissements brusqués dont elle a la coutume, quelques coups de feu, quelques assassinats, et le tour sera joué.

Bien que les unionistes et l'Allemagne aient soigneusement razzié la Turquie, leur influence n'en est pas très amoindrie. Le Comité galvanise le fanatisme national qu'un peu de bien-être apaiserait, turquisme en politique intérieure, panislamisme en politique extérieure, ce sont les succédanés qui trompent l'estomac creux. On fait encore miroiter, devant les yeux du peuple, la conquête des régions musulmanes russes, l'expulsion des Anglais de l'Egypte, la libération de l'Algérie et de la Tunisie, le soulèvement des musulmans de l'Inde. Caucase, Crimée, Egypte, Tripolitaine, Algérie, Tunisie, autant d'Alsaces et de Lorraines.

L'Union et Progrès, par une propagande acharnée, montra l'entrée dans la lutte comme une guerre d'indépendance, menée pour sortir le peuple turc du régime d'exception que l'Europe lui imposa; on pro

mettait de lui faire prendre rang parmi les grandes puissances européennes.

Eternel rêve de l'Islam ottoman qui dirigea ses visées conquérantes. L'orgueil national turc adopte facilement les idées toutes faites lorsqu'elles exaltent ses passions, il suit ses meneurs avec une rare discipline.

Cet orgueil a beaucoup souffert d'être tenu à l'écart du mouvement économique et social que les étrangers. organisaient chez lui, et les buts de l'Union et Progrès sont tout entiers dans le mot de ralliement : « la Turquie aux Turcs », ou, plus pratiquement, la Turquie à l'Union et Progrès, ainsi qu'aux Allemands, ses seuls soutiens, tant que ceux-ci seront indispensables.

Ce programme comporte l'anéantissement des éléments chrétiens et européens non allemands.

Les destructions de l'Union et Progrès organisées par l'Allemagne ont eu un caractère d'ampleur et de continuité fort inattendus. De tout temps, jusque-là, les courte en Turquie étaient localisés et de durée. L'Allemagne apprit à ses élèves la destruction méthodique et complète.

massacres

Quelle est aujourd'hui la question qui se pose ? Va-t-on laisser aux quelques hommes devenus, en Turquie, nos adversaires, le loisir de bolcheviser, au profit de l'Allemagne, en le fanatisant à plaisir, un pays dans lequel nous comptons encore un si grand nombre d'adhérents ? Renoncerons-nous, sans nécessité aucune, à ce patrimoine d'influence et d'idées qui est encore le nôtre ?

Non, répondent les Français récemment arrivés de Turquie, répétant mot pour mot ce qu'écrivent de làbas nos nationaux qui luttent pour l'idée française.

Ce n'est pas à ceux-ci qu'il faut chercher à faire accroire que le maintien de notre influence nécessiterait l'envoi d'un corps d'arinée.

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Les ravages et les deuils de la guerre rendent nos méditations obstinément graves mais notre amour de la vie n'en est que plus religieux et plus ardent. Nous voulons que le corps, l'esprit, et l'âme de tous ceux qui auront l'honneur de porter l'uniforme français s'épanouissent dans une atmosphère saine. Faudra-t-il retrouver ces casernes mornes. si médiocrement aménagées ou distribuées? Il nous tarde de voir jeter bas les vieux murs, pour construire suivant les lois normales du confort. Nous écrivons le mot avec intention; il est grand temps de lutter contre cette idée toute faite que pour devenir un héros il faut d'abord être un ascète. Sous prétexte qu'en campagne les pires misères sont à supporter, il nous semble absurde en temps de paix de compromettre par insalubrité la vigueur physique et morale du troupier.

Soyons modernes. Il ne s'agit pas d'ériger les bâtiments militaires en palaces luxueux, il s'agit d'organiser rationnellement l'éclairage, le chauffage, le couchage et l'alimentation. Que partout les lampes électriques remplacent les falots et les lumignons antédiluviens, plus de corridors, d'escaliers et d'écuries dangereusement obscurs. Que les fourneaux allumés pour la soupe soient gé

(1) Voir l'Opinion des 3, 10, 17, 24, 31 mai, 7, 14, 21, 28 juin, 5 juillet.

nérateurs de chaleur par un tuyautage approprié, plus de chambrées, de réfectoires et de bibliothèques où l'on grelotte. Que les sommiers métalliques et les fournitures convenables permettent le repos, plus de chalits infestés de punaises: Que les ventilateurs, le ripolin, et les ustensiles bien conditionnés transforment les boucheries, les cuisines et les salles de distributions, plus de locaux enfumés et nauséabonds.

Mais de toutes les installations, l'essentielle c'est celle des douches. Nous nous souvenons d'avoir rougi tandis que des étrangers visitant Saint-Cyr s'arrêtaient ironiquement devant nos lavabos stilligouttes. Evidemment, si pénible que soit la constatation, notre peuple n'a ni le goût ni les habitudes de la propreté. Cependant, il est loin d'en être complètement responsable.

L'évolution des mœurs est une question d'exemple et de réalisations pratiques. Parlant par expérience, nous savons que pendant la guerre tous les chefs qui ont réellement voulu procurer aux hommes les moyens de se laver et leur imposer les usages d'hygiène ont triomphé des apathies les plus déplorables. Le jour où tous ceux qui instruisent et éduquent la jeunesse feront une règle imprescriptible des larges ablutions, le jour où les municipalités multiplieront les établissements de bains à bon marché, où dans les logements ouvriers, dans les écoles et dans les casernes l'hydrothérapie cessera d'être considérée scandaleusement comme un luxe, il n'y a pas de raison pour que les Français gardent leur incurie corporelle si choquante.

Puis, pour compléter ces réformes de l'existence militaire, au point de vue des conditions matérielles, nous voudrions, quitte à passer cette fois pour complètement subversifs, combattre une tradition illogique, celle du réveil auroral. Elle est due d'ailleurs trop souvent à l'insuffisance des locaux, des manèges, des stands, dans lesquels les unités doivent se succéder pour un temps strictement limité. Or, jamais nous ne pourrons considérer comme une vertu guerrière de se lever aux heures indues quelles que soient la température et la saison Seule, la chaleur excessive en été nécessite les exercices très matinaux; mais d'une façon générale, c'est une exigence anormale. Si le soldat veut, ce qui est bien légitime, prendre le soir une distraction, même peu tardive, il est condamné à une privation de sommeil incompatible avec sa fatigue physique et les besoins de son âge.

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Maintenant que nous avons pensé au corps, pensons à l'esprit.

Nous avons toujours protesté avec indignation contre ce que certains nomment, en termes grossiers « l'abrutissement du métier », et nous tenons à éviter cette injuste critique. L'ankylose intellectuelle peut avoir pour causes déterminantes les corvées et la bureaucratie; les unes affectent la troupe, l'autre affecte les cadres. Appliquons-nous à en supprimer les funestes pratiques.

ou

Grâce à l'outillage scientifique actuel rien n'est plus aisé que de réduire au minimum la main-d'œuvre et les œuvres de fastidieux labeur. Des voies de o m. 60, des camionnettes automobiles achemineront les denrées, des éplucheuses supprimeront le légendaire appel aux patates, des balayeuses mécaniques nettoieront les cours et des « vacuum cleaner » les locaux, le téléphone et les side-cars réduiront le nombre des plantons, des vriers et des ouvrières civiles aménageront les casernements et repasseront les vêtements, des machines à écrire économiseront des scribes. Oui, en vérité, soyons modernes. Et puis renouvelons les rites et les méthodes. Réduisons les routines administratives, les formalités des « états », des « comptes rendus »,des « situations ». Que le vieux dicton de veulerie cette d'être encouragé : «Quand on fait cela, on ne fait pas autre chose », répè

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tent l'homme et les gradés employés aux stériles besognes. On économise des centimes - et l'on a raison, dans toutes les gestions pécuniaires, mais ce capital si précieux le « temps », on le gaspille.

De plus, faisons à la détente, à la récréation intellectuelle sa part. Utilisons avec goût le phonographe, le cinéma, sans tomber dans le répertoire lamentable du café-concert. Encourageons les représentations théâtrales et musicales. Ayons à cœur de célébrer nos fêtes de régiment. La gaîté, voilà une véritable vertu professionneile. D'ailleurs à cet égard, le décor lui-même a son importance. Pourquoi les casernes ressemblent-elles à des prisons? Nous demandons des jardins bien entretenus, des salles de réunion et des chambres agréables d'aspect, ornées d'inscriptions, dont les gloires historiques donneront tant de textes, garnies de gravures et tableaux que les achats annuels de l'Etat pourraient fournir. Il devrait y avoir autant de petits musées de l'armée que d'établissements militaires. Ce sera la meilleure façon de prêcher, sans discours, le patriotisme et d'honorer le souvenir des exploits accomplis pendant la guerre.

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Enfin, veillons. Oh ! veillons de notre mieux à l'âme. Il ne s'agit pas d'inscrire au tableau du travail << Les conférences morales » qui, malheureusement, devenaient en quelque sorte des exercices réglementaires. Que le dieu des armées nous garde de l'éloquence, que notre vareuse ne vise pas aux vaines éloquences de la toge ! Il y a moins à dire et plus à faire. Hommes d'action, nous ne comprenons que la morale en action. Il faut donner pratiquement à nos jeunes gens,le moyen d'avoir des plaisirs sains. A l'intérieur de la caserne, outre les bibliothèques et les salles de réunion, des coopératives bien achalandées doivent lui permettre d'échapper à l'exploitation méprisable du mercanti. En ville, les autorités civiles, et le commandement ne sauraient trop collaborer pour enrayer avec énergie l'alcoolisme et la prostitution.

Nous ne sommes point des quakers et nous prétendons comprendre les aspirations de nos gars de 20 ans. La France est le charmant pays des bons vins et des jolies femmes. Mais l'ignoble mixture du bistro, la suspecte entôleuse du bouge ne doivent plus se trouver désormais à la porte même du corps de garde. Contre le bistro, nous lutterons grâce aux Foyers du soldat, en autorisant, sous la seule réserve de ne faire aucun scandale, le soldat à y amener ses amis civils. Contre le bouge nous lutterons par la police du proxénétisme et du racolage, et aussi par l'octri judiiceux des permissions. Nous accorderons aussi toutes facilités au troupier, pour se marier. Il touchera, dans ce cas, une prime spéciale et aura l'autorisation de coucher chez lui.

En décrivant ce qui précède, nous affrontons avec calme les railleries de ceux qui nous reprocheraient de mettre les «< hommes dans du coton ». Phrase toute faite encore, formule derrière laquelle s'abritent la paresse et l'égoïsme. L'ensemble de ces mesures n'est nullement incompatible avec la plus stricte discipline, au contraire. Cette dernière ayant pour base le respect, nous voulons inculquer d'abord à nos subordonnés le respect de soimême pour qu'ils se plient aux règles d'une hygiène physique, intellectuelle et morale. La santé de la race, le relèvement de la natalité, le goût du travail, l'équilibre de la raison et du cœur, tels sont nos buts, tant nous redoutons la pire des guerres: la guerre sociale. En sociologie, comme en stratégie et en tactique, les projets restent inopérants sans l'agencement et la réunion des moyens.

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