du sol. La sécheresse et l'épuisement envahissent le gras terroir, les plantes ont des pâleurs d'anémiées. L'aîné murmure: «Lou praoue bin, lou praoue blat », le pauvre vin, le pauvre blé. Ce mot pauvre lui monte des entrailles. Et soudain, comme un goût amer revient à la bouche, il retrouve le sentiment qui l'avait soulevé làbas. Moins âpre, car ce n'est ici que léthargie, rien n'est gisant ou de flammes: sans désir de vengeance et de châtiment, car il n'entend point de sanglots, car il ne voit point d'agonies. Mais le même apitoiement et le même amour infinis pour la terre revivent en lui. Ils sont profonds comme les générations qui l'en ont imbu. Cette sorte d'envoûtement de la terre ne les a jamais quittés. Les actes que comportent son travail et ses plaisirs, ils les ont repris, au cours de la guerre, ravivant chaque fois le souvenir qu'ils gardaient d'elle. Elever des tertres, creuser des fossés, drainer des eaux, abattre des arbres, construire des chemins ou des ponts de rondins, maçonner des abris avec des pierres et de l'argile, souffler des feux de brande, tailler des torches, demandez aux métayers isolés de nos Gascognes, aux terrassiers, aux bergers, aux résiniers, où donc ils l'ont appris ? Comme vivre en sabots, une couverture pliée sur les épaules, une peau de mouton croisée sur le sein, sous l'averse ou le givre, dans la boue gluante ? Et patienter, peiner, souffrir, « espérer », comme ils disent ? Et aussi se dégourdir au soleil, rire aux éclats, rebondir avec le rayon, enfin prendre l'aubaine à portée ? Les jours de calme, celui-ci, qui était chasseur de palombes, au plus haut de la forêt élevait une cabane de feuillages, attentif aux roucoulements de passage; celui-là, qui braconnait, relevait le poil et la plume restés aux épines des fourrés ou des haies pour y placer un collet; cet autre, pêcheur de gave, posait la ligne et lançait l'épervier. Les quelques balles qui sifflaient aiguisaient le plaisir. Et cet oubli de l'heure, dans la nature un moment complice, rendait l'élasticité à ces coeurs rustiques. Tous ces Antées reprenaient force et souffle en touchant le sol...

La terre les a environnés plus encore. Elle n'a cessé de les appeler à elle. Dans les cantonnements, au repos, entre les relèves, ils vaquaient aux étables, aux jardins et aux greniers. Ils écoutaient le mugissement des taureaux, l'aboi des chiens parmi le piétinement des ouailles. Ils accomplissaient les rites ancestraux Bien que, pour beaucoup, les saisons parussent troublées; le sol étant plus lent sous un soleil plus hâtif ou la nature prématurément engourdie, ils se mirent tout de suite au courant. Le paysan chemine partout du même pas. Ils semaient donc, fauchaient, moissonnaient. Et quand les hasards de la lutte, après l'inertie de l'hiver, les forçait à abandonner les champs déjà poussés, il leur semblait perdre deux fois le terrain, non seulement ce morceau vivant de la patrie, mais encore un lambeau plus intime, où le sol était leur par droit de fécondation, quelque chose de chez eux, comme une parcelle devant leur seuil... Ils portaient jusque sous le feu le besoin de vivre avec la terre. Dans les bandes laissées libres par les tranchées, à l'entour des «< cagnas », d'aucuns jetaient du blé ou de l'avoine emportée dans leur poche et, lorsque le grain commençait à germer, ils T'épiaient avec passion. Le premier frisson de son herbe les émouvait comme un bonheur.

La terre enfin les a instruits. Du moins les poilus de nos contrées. Ils l'ont vue sous des aspects opulents. Des forêts vastes l'enveloppaient ici, mouvementées comme ses reliefs; là, des moissons d'une richesse insoupçonnée, des herbages pareils à des mers intérieures débordaient ses horizons; ailleurs, des arbres de jardin constellaient les enclos et les guérets ou berçaient des dômes de fruits le long des routes. Ils connurent des méthodes de culture plus rapides et plus complètes, des ensemencements plus économiques, des sélections ra

riées, des assolements constants, partant des rendements élevés. Ils restaient « jaloux » devant 40 hectolitres de blé, 6o d'avoine, obtenus à l'hectare: parfois davantage. Et les fournées de betteraves enfouies dans les silos, les charretées et les charretées de légumineuses transportées qui permettaient la stabulation d'hiver, les emplissaient de curiosité. On leur disait que, plus au Nord encore, en Hollande, en Danemark, dans cette Allemagne qu'ils voulaient réduire, l'enfantement du sol devenait par endroits merveilleux. Que le rendement de l'Allemagne était en moyenne double de celui de la France pour une superficie sensiblement égale, soit 12.500.000 hectares environ. Et, par-dessus tout, en entrant au foyer de familles nombreuses, où les chaises se touchaient encore autour de la table, bien que les grands fils fussent au feu, où les mille travaux de l'année restaient divisés, ils se prenaient à songer, les yeux attachés sur cette ruche humaine qui vivait, qui grandissait, qui prospérait cependant... L'un d'eux ajoutait « Il y a là-bas des enfants comme ici des poussins. J'ai aimé cette comparaison, elle est jolie. Ils envahissent cuisine, cellier et chambres. Ils assiègent les bancs, les fauteuils, les genoux...

Donc, ils sont revenus avec plus d'amour mais plus d'ambition aussi pour la terre. Ils la trouvent pauvre à présent, comme avare, comme rentrée en elle-même. Ils ne disent pas ingrate. Ils ont compris qu'ils avaient manqué de science, de méthode, d'assiduité, de soins. Ils ne parlent pas de la quitter. Autour de moi, au loin, partout où je me suis enquis, ils ont repris la charrue avec «< amitié ». Chacun possède dans son étable une jeune paire, bouvillons ou génisses, qu'il se promet de dresser au premier moment libre. Il les suit, en attendant, au passage, les examine, suppute leur force et leur ardeur. Et tous sont possédés d'une sorte d'envie d'essayer autre chose que les cultures paternelles, d'adapter les façons qu'ils ont reconnues judicieuses. Dans les foires, aux marchés où ils fréquentent, ils s'informent entre eux de ce qu'ils ont vu ou fait sur le front. Non plus des actes glorieux accomplis ou des hasards courus. Les insignes qu'ils portent parlent assez haut et les traces de blessures sur leurs jeunes faces. Mais telle machine employée, tel ameublissement obtenu, tel ensemencement inconnu, comme celui du blé en lignes, entretient sans fin leurs propos. Assis, la cigarette aux lèvres, en choquant des verres de vin clair, ils causent intarissablement. La vague de paresse ne les a point touchés. Ils sont impatients de tenter.

Tout le problème agricole futur tient dans cette impatience. Il faut la guider et la satisfaire. Les maîtres : ceux de l'esprit, ceux du cœur, ceux du corps ont également à intervenir et l'Etat. Ce qui a trait à la maind'œuvre, au salaire, à l'instruction, à l'assistance, à l'organisation économique, à la situation familiale, à l'habitude ou à la coutume, au divertissement même; ce qui tient entre ces deux lits, le berceau où l'on vagit et le cercueil où l'on se tait pour jamais, ce qui peuple le temps et achemine vers l'éternité doit être envisagé, pesé, réalisé, pour la dignité et pour le bien-être de la créature marquée du sceau divin... Autant au moins qu'il se peut. Autant qu'il est permis à l'homme qui, jusqu'à la fin, « traîne après soi la longue chaîne de ses espérances trompées ».

JOSEPH DE PESQUIDOUX.

P.-S. Une erreur de typographie m'a fait écrire dans mon dernier article, première colonne, deuxième alinéa : a porté en deux ans »; il faut lire en dix ans. On me demande des précisions et des développements sur la méthode Jean et l'adresse du Cultivateur. M. Jean vend ses Cultivateurs. Il possède des brochures de propagande et de renseignements. Il habite: 18, rue de Toulouse, Carcassonne (Aude).

J. P.

A nos adhérents

Adhérents de l'Association « France », nous faisons appel à vous.

Vous savez la gravité des heures présentes les destinées du pays vont se décider aux élections prochaines. Rester inerte, c'est favoriser le succès des éléments de trouble, des ambitions personnelles, des rancunes et des haines.

Nous faisons appel à votre énergie.

Nous voulons que chaque citoyen affirme sa volonté de bien public et vous, qui avez déjà donné votre adhésion, vous devez nous aider à secouer l'indifférence qui laisserait le pays s'enliser dans les vices de son organisation actuelle.

Nous vous adjurons de nous prêter un concours actif. L'A. N. O. D. a maintenant acquis les forces suffi

Plus d'exploitation patronale! Plus d'inertie ouvrière!

santes pour conduire dans toute la France une progagande décisive. Il faut que vous marchiez avec nous, que vous redoubliez vos efforts comme nous redoublons les nôtres, dans l'espoir que les conceptions pratiques et concrètes pour lesquelles nous luttons ensemble l'emportent pour le bien de la France.

Nous vous prions instamment aujourd'hui de commencer des démarches personnelles auprès des candidats futurs que vous connaissez pour leur faire signer la formule d'engagement de l'A. N. O. D. ou de nous signaler les moyens pratiques d'arriver jusqu'à eux Mais n'hésitez pas à faire la démarche vous-même. Vous ferez cet effort pour votre pays. Il vous est plus facile de réussir dans des démarches auprès des candidats que dans celles que vous avez pu faire auprès des électeurs.

La formule d'engagement est publiée ci-après.

Plus d'outillage économique insuffisant! Plus de vues timides!

Le pays décidera l'organisation complète du travail sur les bases des syndicats et l'organisation de la production sur le large plan qui convient à une nation forte, victorieuse et paisible, riche d'avenir.

L'extension des droits des syndicats.

L'institution de conseils mixtes élus pour déterminer les conditions générales d'exercice d'une profession et prévenir ou juger toutes contestations entre patrons et ouvriers.

La réfection de notre outillage économique et l'encouragement à toutes les initiatives pour la reprise et le développement du commerce, de l'industrie et de l'agriculture.

FORMULE D'ENGAGEMENT.

Après avoir pris connaissance du programme ci-joint, je déclare l'accepter dans son intégralité et m'engage, si je suis élu, à m'employer énergiquement à le faire aboutir au cours de la prochaine législature et à voter les projets du propositions de lois qui en assureront la réalisation.

DEUX RÉUNIONS.

Aujourd'hui, Probus fait au Musée Social, sous la présidence de M. Daudé-Bancel, une conférence sur l'action syndicale nécessaire.

Vendredi prochain, l'Association organise, salle Wagram, un meeting où Probus exposera le programme de l'A. N. O. D., et où les chefs de tous les partis politiques et autres ligues seront invités à venir contradictoirement exposer leurs vues.

Nous voulons ainsi à la fois définir nettement notre attitude à l'égard des groupements politiques et, d'autre part, créer une première manifestation publique.

Il est indispensable que tous nos adhérents participent à cette démonstration et qu'ils amènent avec eux le plus grand nombre possible d'amis. Toutes dispositions seront prises pour que la réunion se déroule dans le plus grand calme.

L'Ouest-Eclair publie régulièrement, en tête de ses colonnes, des « idées de Probus »; nous signalions l'autre semaine la belle campagne d'Alfred de Tarde dans le Courrier du Centre, et voici aujourd'hui les échos du Journal de Rouen, du Phare de la Loire, du Petit Marseillais.

Le Journal de Rouen dit, entre autres choses :

Au cours de la guerre, un travail considérable a été accompli pour la réforme des institutions de notre pays. Qu'il s'agisse de la présidence de la République, du Parlement, des administrations diverses, de l'en-eignement, de l'organisation industrielle, commerciale ou financière, on ne compte plus les livres qui ont été publiées, les articles qui ont paru dans les revues. Tout n'est pas de premier ordre, il s'en faut ; mais cela témoigne d'un grand effort, et aussi de la conviction profonde que c'est dans cette reconstitution, et non dans les querelles de partis, que nous trouverons le salut du pays et son relèvement.

Le groupe le plus remarquable est assurément celui que constituent les « Compagnons de Probus ».

Dans le Phare de la Loire, M. J.-B. Piobetta après avoir brillamment analysé le programme de l'’A. N O. D. et noté ses points de rencontre avec la Constitution américaine, écrit:

Vouloir nous couler dans un moule de fabrication améri caine, serait peut-être une imprudence.

Il ne s'agit point de cela.

Mais la question est posée. Et les idées de Probus sont assez riches en suggestions heureuses pour qu'on en puisse tirer un projet rationnel de revision de la Constitution, ocnforme au génie de notre race et aux besoins du pays.

Le Petit Marseillais cite le Comité de l'A. N. O. D. parmi ceux qui constituent la « Fédération des groupements républicains des Bouches-du-Rhône », en vue des élections. La Fédération, explique le Petit Marseillais, « rangs à tous les citovens désireux de poursuivre, sous l'égide du drapeau républicain, les réformes que réclame la démocratie ».

ouvre

ses

Le traité de paix de Versailles avec l'Allemagne est ratifié à la Chambre des députés par 372 voix contre 53.

LE 3 OCTOBRE. La Chambre des députés vote les motions 1o invitant le Gouvernement à s'entendre avec les Alliés pour rendre effectif le désarmement de l'Allemagne ; 2' demandant la réunion prochaine de la Société des Nations; 2o activant les négociations financières interalliées pour les réparations des dommages, restaurations des régions envahies et règlement équitable des charges de guerre.

Le Sénat adopte les projets de loi modifiés par la Chambre pour le relèvement des traitements des fonctionnaires.

LE 4 OCTOBRE. La Chambre continue le vote des motions à la suite de la ratification du Traité et adopte le projet de loi sur le régime provisoire de l'Alsace et de la Lorraine.

La grève des spectacles reprend, deux directeurs de théâtres ayant refusé de signer l'accord proposé par le ministre de l'Instruction publique, choisi comme arbitre. LE 5 OCTOBRE. La grève des cheminots anglais se termine par un accord; le travail doit reprendre immédiatement. La grève des courses cesse ; le prix du Conseil municipal peut être couru à Longchamp.

Les Espagnols au Maroc s'emparent de Fondak, la place forte de l'insurgé Raisouli, qui est en fuite.

LE 6 OCTOBRE. Un ministère turc se constitue par un compromis entre le parti ententophile et les nationalistes.

LE 7 OCTOBRE. Le Conseil suprême des Alliés trouve insuffisante la réponse faite par le gouvernement allemand pour l'évacuation des provinces baltiques et charge le maréchal Foch de la réplique.

Le gouvernement propose le renouvellement de la Chambre des députés pour le 16 novembre, les élections des conseils municipaux le 23 novembre, des conseils généraux et d'arrondissement le 7 décembre, du Sénat le 11 janvier, l'élection présidentielle entre le 15 janvier et le 3 février.

Le roi d'Italie ratifie le traité de paix de Versailles. La grève des spectacles, arbitrée par le ministre de l'Instruction publique, se termine par un accord.

On pouvait donc s'attendre durant cette période à une d.minution des apports chroniques que les épargnants font à l'Etat. Or, pendant la première quinzaine dudit mois, le produit net des Bons de la Défense nationale et les Bons du Trésor s'est élevé à 1.459 millions, c'est-à-dire à un total dépassant de plus de 160 millions celui de la première quinzaine d'août, qui était lui-même parmi les plus élevés.

Que conclure de ces versements, qui vont en augmentant, même à l'époque la moins productive de l'année? D'abord, que les disponibilités restent considérables, ce qui est de bon augure pour le succès des grandes entreprises par lesquelles ne tardera pas à s'affirmer le renouveau de notre activité économique, et puis cela prouve aussi que la confiance dans l'Etat français, dans la France victorieuse, c'est-à-dire en somme la confiance en nous-mêmes, en nos énergies collectives, est plus que jamais intacte. Prendre un Bon de la Défense, c'est faire en effet, en même temps qu'une bonne affaire, un acte de foi, acte instinctif et irraisonné, la plupart du temps, mais qui n'en est pas moins réel, et par où se manifeste d'une façon bien caractéristique ce robuste optimisme, qui fut notre grande force pendant la guerre, et qui nous permettra d'affronter avec honneur les luttes pacifiques de l'avenir.

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