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C'est la légende du 16 avril 1917, qui doit être appelée du nom de celui à qui elle profite: « L'affaire Nivelle ». Depuis deux ans on la voit grandir, s'affirmer, prendre corps. A cette intention, un groupe de mystérieux prosélytes se livrent à une propagande effrénée. Lancée aux Etats-Unis, le 5 janvier 1918 par les soins d'un publiciste américain, M. Wythe William dans un hebdomadaire de New-York, le Collier's, la légende s'est propagée en France avec une rapidité suspecte. Dès les premiers mois de 1918 une traduction de l'article du Collier's est envoyée à certains journaux de province qui en font état. Puis, la censure intervenant, les personnalités des principales villes de France, présidents de Chambres de commerce, magistrats, ingénieurs, menbres du barreau, professeurs, etc., reçoivent sous pli cacheté par les soins d'une main inconnue, des exemplaires de cette traduction tapés à la machine et sans nom d'expéditeur. Des journalistes de Paris peu à peu gagnés à la cause, s'en mêlent. La presse se divise en deux camps. Partout où vous allez vous trouvez des gens que la propagande orale a touchés et qui ont leur opinion faite. Chose plus grave, des partis politiques entreprennent de se servir de cette légende comme d'une arme commode. Et voici qu'à la veille des élections, nous assistons à un suprême effort de propagande destiné à l'imposer au pays comme vérité historique. Quels résultats espère-ton de ce travestissement de la vérité? Il est malaisé de le discerner. En tout cas, il est déplorable qu'en vue de favoriser telles ou telles manœuvres électorales on laisse s'accréditer une explication fausse d'un des grands faits de la guerre. Si nous voulons que la leçon des événements ne soit pas perdue, il importe de les voir sous leur vrai jour. D'ailleurs, aucun des vaillants soldats qui ont pris part à l'offensive du 16 avril, des plus humbles aux plus grands et sauf les intéressés n'accepteront la légende d'une armée victorieuse arrêtée brusquement dans son élan, par une intervention supérieure, au moment où elle allait bousculer l'ennemi et le rejeter sur la Meuse. En plusieurs occasions, les combattants ont eu, au cours de la guerre, l'impression que la victoire était possible et qu'on l'aurait obtenue si l'on avait osé davantage. Par exemple, les exécutants de l'attaque d'Artois, en mai 1915, ont cru ce jour-là que la percée était acquise. Bien qu'il faille toujours faire la part de l'exaltation du combat, une telle assertion est soutenable. Mais qu'on nous montre le soldat qui, en un point quelconque du vaste front attaqué le 16 avril, a pensé, ne fût-ce qu'un instant, qu'il avait le terrain libre devant lui et qu'il suffisait de pousser en avant pour consommer la défaite d'un ennemi désemparé? Car c'est cela que veut nous prouver la version fantaisiste du 16 avril. D'après le récit du Collier's le commandement allemand voyant ses troupes terriblement ébranlées par la bataille, sachant que deux armées franprendre part, se préparait à la retraite, lorsque l'ordre çaises toutes prêtes et non encore engagées, allaient y vint du côté français de suspendre les opérations. En dépit des objurgations des Anglais, l'ordre fut maintenu. Dès lors, l'ennemi rassuré resta sur ses positions. Nous avions perdu l'occasion de transformer la défaite des Allemands en déroute, de le rejeter sur la Meuse et peut-être de libérer le sol national d'un seul coup Il découle de ces affirmations cette conséquence for midable que, si l'offensive n'avait pas été suspendue, | la guerre aurait été écourtée de deux ans et que nous aurions évité la perte de milliers de vies humaines. L'on comprend que quiconque en France a eu à déplorer la mort d'un des siens après cette date ne se sente ébranlé par la thèse et ne désire tirer l'événement au clair. M. Painlevé, à la tribune de la Chambre, a repoussé en ce qui le concerne certaines insinuations. Mais la question dépasse de beaucoup M. Painlevé. C'est toute une méthode de la conduite de la guerre qui est en cause. Il s'agit de savoir si l'on va exalter l'impéritie, l'absence de préparation, l'audace et l'entêtement aveugles, l'ignorance lamentable des conditions dans lesquelles se présentait la bataille, et nous donner en exemple les chefs assez fous pour se lancer dans l'aventure malgré les avertissements innombrables qu'ils avaient reçus, ou bien si l'on va se rendre un compte exact des erreurs commises pour en éviter le retour. Il s'agit de savoir si la passion politique va obscurcir un des problèmes de stratégie les plus clairs qui soit de cette longue période d'expériences qui nous ont acheminé à la victoire. Qu'on ne s'y trompe pas; si l'on s'obstine à faire intervenir dans une question exclusivement militaire le Deus ex machina de la trahison politique, on ruine l'intelligence de la guerre par quoi ce pays pourrait arriver à discerner dans l'avenir ceux qui sont dignes de sa confiance à la tête des armées et ceux qui ne le sont pas. La France a à lutter contre son tempérament. D'instinct, elle est portée à croire les hommes qui lui promettent monts et merveilles. Elle a le goût du miracle et du héros miraculeux. Elle déteste les prudents, les temporisateurs, les sages qui prévoient les difficultés. Elle aime les improvisateurs. Or, rien n'est plus néfaste que ce tour d'esprit. La victoire n'est pas sortie toute armée d'un cerveau; elle n'a pas été le fruit d'un hasard heureux ou d'une inspiration de génie; dans les conditions de la guerre moderne, aucun génie n'était capable de faire naître la victoire du néant. C'est par une longue suite de mises au point, de corrections, d'expériences, que le commandement a été en possession de la méthode et des moyens qui lui ont permis de vaincre. L'offensive du 16 avril fut une des étapes de ce dur enseignement, une des plus douloureuses, elle fut une terrible épreuve qui a failli briser l'instrument mais d'où l'armée, grâce à la sagacité admirable d'un chef dont on ne reconnaîtra jamais assez les services, est sortie plus forte et mieux préparée. La science militaire n'échappe pas au bon sens. Je mets en fait que tout homme de bonne foi en possession des données du problème peut le résoudre selon la vérité. Ce sont ces données que nous allons mettre sous les yeux des lecteurs. Nul doute qu'ils n'arrivent à la même conclusion que nous et qu'ils n'écartent définitivement la dangereuse légende du 16 avril qu'on veut imposer au public. II. CONCEPTION INITIALE DE LA BATAILLE. C'est à la fin de 1916, dans une conférence tenue à Chantilly entre les alliés, le 16. novembre, que l'on voit, sous l'inspiration du général Joffre, apparaître le premier projet de l'offensive du printemps de 1917. La bataille de la Somme. prolongée jusqu'au milieu de novembre, avait creusé dans la ligne ennemie une poche profonde. Installé sur des positions de fin de combat, celui-ci ne pourrait vraisemblablement pas résister à une nouvelle offensive générale appliquée de part et d'autre, du vaste saillant de Noyon. Pris comme dans une tenaille entre Bapaume et Vimy par les Anglais, entre Somme et Oise et entre Reims et Soissons par les Français, obligé de faire face à des attaques successives sur 150 kilomètres, il risquait de se voir enfoncé sous ces pressions convergentes. Un large pan du front allemand en s'écroulant pouvait entraîner la dislocation complète du système défensif de nos ennemis. D'où la possibilité de les obliger à un repli précipité qui, accompli en pleine bataille, ouvrait le champ aux éventualités fructueuses de la guerre de mouvement. Pour la première fois, il était légitime d'espérer réaliser la trouée que nous avions cherchée en vain depuis plus de deux ans. Mais il fallait faire vite, ne pas attendre que l'ennemi ait eu le temps d'accumuler sur cette partie si vulnérable de son front des organisations nouvelles et des troupes de réserve. Sur ces entrefaites, le général Nivelle succède au général Joffre. Le projet d'offensive, sous son impulsion, va se développer dans des proportions grandioses. Au moment où le général Nivelle arrive à la direction suprême des armées, des idées audacieuses, vraiment neuves et dont on ne peut méconnaître l'ampleur, sont en train de se faire jour dans l'état-major. L'expérience du 24 octobre à Verdun, au cours de laquelle nos troupes ont, en quelques heures, enlevé avec le fort de Douaumont toutes les positions de l'ennemi sur 10 kilomètres d'étendue et 7 ou 8 de profondeur, a démontré qu'on pouvait adopter une conception plus large de la bataille jusque-là strictement limitée à la conquête d'objectifs rapprochés. Dans une « Instruction » datée du 16 décembre 1916, le commandement a codifié les enseignements des derniers combats. Cette « Instruction »>, dont l'application à l'offensive prochaine aura des conséquences formidables, s'exprime ainsi dans sa préface: « Les attaques doivent être effectuées sur un front aussi large que possible afin d'enlever à l'ennemi la possibilité de concentrer ses feux et de contrarier le jeu de ses éléments réservés. C'est d'ailleurs à cette seule condition que l'on peut espérer atteindre des objectifs éloignés. « La continuité du front d'attaque doit toujours être réalisée en ce qui concerne la préparation d'artillerie; elle peut ne pas l'être, exceptionnellement, pour l'attaque de l'infanterie, au cours de la progression, quand il y a intérêt à manoeuvrer pour faire tomber en les débordant les points d'appui particulièrement solides. Encore est-il presque toujours indispensable d'attaquer partout de front, en dosant soigneusement l'infanterie en fonction des zones d'avance les plus favorables. « Les attaques viseront à l'enlèvement de la ligne d'artillerie ennemie, afin de désorganiser la défense par la prise de ses canons. A cet effet, l'artillerie, contrebatterie et destruction devra être poussée le plus en avant possible et effectuer la préparation, non pas seulement sur la première position ennemie, mais sur toutes les positions sur lesquelles elle peut agir. Elle sera ainsi en mesure d'assurer, dans les meilleures conditions, l'accompagnement indispensable de l'infanterie par ses feux. « On observera qu'il n'est pas indispensable de détruire uniformément toutes les tranchées, mais surtout certains ouvrages importants: abris de mitrailleuses. ouvrages, réseaux de fils de fer, et de pratiquer des coupures aux points choisis. « Les attaques à conduire au cours des opérations se succéderont dans le plus court délai, afin d'exploiter à fond les résultats obtenus et de réduire le plus possiblele temps dont l'ennemi peut disposer. « Il y aura lieu de prévoir et de préparer cette succession rapide des attaques dans un plan détaillé, établi a priori. Comme pour les attaques initiales, l'artillerie sera à chaque fois poussée aussi en avant que possible; des voies d'accès seront créées pour l'arrivée rapide des munitions et du matériel. Les troupes réservées seront constamment maintenues à proximité des troupes d'as- saut... >> |