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les Quatre Ordres et entre l'Université et le pays.

Nous savons que tout cela ne sera pas facile. Et dans la vignette que nous avons choisie pour emblème, nous avons placé, à côté des ruines, des épines et des chardons. Mais nous avons déjà tenu une partie de nos promesses. Notre échafaudage s'élève, non seulement dans cette gravure symbolique, d'allure un peu médiévale, mais au sein même des réalités intellectuelles d'aujourd'hui. Et derrière cet échafaudage, au-dessus de la maison à reconstruire, sous la banderole corporative qui porte allègrement le nom des « Compagnons », le vieux soleil se lève pour saluer l'Université nouvelle.

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Un élève de Lucens (canton de Vaud), a écrit la composition suivante :

"La vache est un mammifère. Ses jambes arrivent jusqu'à terre. Dans sa tête il pousse environ deux yeux. La vache a deux longues oreilles d'âne à côté desquelles sortent deux courbes de la tête.

On n'appelle pas la jeune vache vache, c'est pourquoi elle s'appelle veau. La vache ne pond pas comme nos poules. On mange son intérieur, et avec son extérieur, le cordonnier Muller fait du cuir. »

Authentique, orthographe à part.

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Un musée doit-il accepter un Stradivarius ?

Non, disent les administrateurs du British Museum qui viennent de refuser plusieurs Stradivarius qui leur étaient offerts. Laisser un Stradivarius s'ennuyer dans sa boîte ouverte, c'est un peu un crime de lèse-musique. Qu'est-ce qu'un Stradivarius qui ne joue pas ?...

En Italie, une ingénieuse combinazione a permis de résoudre élégamment la question. Le violon de Paganini est, en effet, exposé à Gênes, dans une boîte de verre mais, à l'occasion, on autorise un illustre visiteur à en tirer quelques accents. Sarasate, entre autres, fut autorisé à se servir du violon du Maître.

La Suède et la guerre de l'indépendance.

"Les événements ont dissipé en Suède bien des illusions et les partisans d'une entente politique et économique avec les Etats alliés et l'Amérique, osent maintenant dire leurs préférences. Sait-on qu'autrefois in peu de sang suédois a coulé pour la défense des libertés américaines?

Au cours de la guerre d'Amérique le lieutenant suédois Rehberimder servait à bord du vaisseau Le Glorieux, commandé par le vicomte d'Escars, capitaine dans l'escadre du vicomte de Grasse. Au combat du 12 avril 1782 le Glorieux, en dépit d'une défense désespérée, fut

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Et plus belle, Corrigée et amendée

Amour et amour.

par L'AUTEUR

au

Dans une des curieuses Variétés étymologiques qu'I publie dans la Romania, M. A. Thomas recherche la raison pour laquelle amorem a donné amour alors que la formation populaire et savante eût voulu ameur, et il conclut à une influence de la poésie amoureuse des troubadours.

Au cours de cet examen, M. Thomas a fait cette curieuse trouvaille: il a découvert, d'après Martin Le Franc et Firmin le Ver, qu'au début du XVe siècle, les deux formes coexistent, l'une appliquée aux hommes, l'autre aux bêtes... Et il conclut ainsi (il me permettra de le reproduire en langage usuel, car il use d'une « ortografe fonétique » capable d'effrayer le lecteur non prévenu):

« Donc, l'amour pour les hommes, l'ameur pour les bêtes, tel se présente alors l'état des choses dans la langue française. Cette distinction, fort propre à rehausser la dignité de l'espèce humaine, a disparu depuis, et la bête n'a plus rien à envier à l'homme: toute la nature animale s'insurge aujourd'hui contre les lois phonétiques. »>

Ainsi l'homme veut se distinguer. Il entend aujourd'hui encore que les animaux crèvent, et il se réserve pour lui seul le privilège distingué de mourir. Il a pareillement spécialisé jadis sa façon de faire l'amour. La vanité a des détours secrets.

Malechance impériale.

noncée, a failli ne retrouver du palais de Compiègne, que L'Impératrice Eugénie, dont la visite à Paris est andes murs noircis par le feu. La Cour impériale avait quatre

grandes résidences, une par saison. Les Tuileries, théâtre des bals et des fêtes, pendant l'hiver, Saint-Cloud au printemps, Fontainebleau en été. Compiègne à l'automne. Le feu a détruit Saint-Cloud, les Tuileries, et entamé Compiègne. Si M. d'Esparbès est superstitieux, il fera bien de renforcer le service d'incendie de Fontainebleau.

Métempsychose.

Un de nos con frères très illustre et dont « les reporters sont partout » publiait ces jours-ci un article de critique consacré à l'auteur du Bachelier.

Cette glose était agrémentée d'un superbe portrait de M. Paul Bourget sous lequel un rédacteur distrait avait écrit froidement : Jules Vallès.

Les metteurs en pages ont de douces ironies.

Pléonasmes.

Un music-hall annonce une « démonstration » de Carpentier. Et pour que le public ne croie point à quelque projection cinématographique, l'affiche porte : « Georges Carpentier. Lui-même. En personne ».

Devant une affirmation aussi nette, espérons que les spectateurs diront eux-mêmes :

Je l'ai vu, dis-je vu, de mes propres yeux vu...

La Bretagne et le vin.

M. Daniel, professeur d'histoire naturelle à l'Université de Rennes, conseille à ses compatriotes la culture de la vigne. Plusieurs plants de vigne spéciaux lui ont, dit-il, donné un vin excellent.

Remémorons-nous d'ailleurs certain passage de Rabelais où il est dit qu'un chien ayant goûté les raisins d'une vigne bretonne fut fort irrité par leur goût acide; et Rabelais ajoutait même que lorsque le chien revoyait un de ces plants, il « aboyait le cep de vigne » tant sa rancune était persistante. Espérons que M. Daniel ne veut point encourager l'espèce de ces plants canophobes.

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300 publications hebdomadaires, bi-hebdomadaires et mensuelles, n'ont pu paraître aux Etats-Unis, raison de la grève des ouvriers des machines à imprimer qui demandent 50 dollars par semaine. Des millions d'Américains sont ainsi privés de leur nourriture régulière de romans, poésies, renseignements professionnels, et un nombre incalculable de gens, habitués à trouver leurs opinions dans leur journal hebdomadaire, sont privés, nous dit-on, de tout thème de conversation. Ce qui est bien flatteur pour les collaborateurs de ces revues!

Les revues ont l'intention de publier tous les numé ros en retard à la fois. Une pareille inondation litté raire dépasse l'imagination!

Affaires Intérieures
La Genèse

Je n'aurais jamais cru que 650 personnes pussent être aussi nombreuses! Dès le matin, les couloirs du PalaisBourbon foisonnent de députés qui se rendent à leurs bureaux ou à leur groupe. Car les bureaux sont déjà formés si les groupes sont encore en formation.

La formation des groupes ne laisse pas d'ailleurs que d'offrir au psychologue un curieux sujet d'étude. Elle permet de comprendre la genèse, comment l'univers sortit du chaos et pourquoi il demeure tellement imparfait. Pas plus que les fondateurs de groupes, le Créateur n'a pu, sans doute, réaliser tout son programme. L'homme est une transaction, la femme un amendement. Il fallait en finir !

Dans quelques jours ou dans quelques semaines les représentants du peuple appartiendront à un groupe. Hormis les unifiés, ils seront un peu embarrassés de justifier leur choix. La première inquiétude du député sollicité d'entrer dans un groupe est de savoir de qui se compose le groupe. Le premier soin des fondateurs de groupe est donc « d'appâter » avec des noms sympathiques, « Vous avez Un Tel? Alors j'adhère »>! Mais il arrive qu'Un Tel, après avoir donné son nom, l'a retiré En sorte que, du lundi au mardi, le groupe n'est plus. «ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ». A force de se perdre et de se retrouver on se lasse et il y a des adhésions qui ressemblent à des échouages.

M. Charles Reibel, lui, a pensé que l'heure n'était pas encore venue des groupements sérieux et que le classement hâtif présentait plus de danger que de nécessité. Aussi a-t-il déposé sur le bureau de la Chambre une proposition tendant à ce que soit nommée par les bureaux une commission chargée de reviser le règlement. Cette commission devrait rapporter dans le délai missions provisoires seraient élues pour assurer le foncmaximum de deux mois. D'ici là, quatre ou cinq comtionnement de la machine parlementaire.

J'ignore, au moment où j'écris, quel accueil la Chambre aura fait à la proposition de M. Reibel qui me paraît la sagesse même. La réforme des méthodes de travail est indispensable. Certes on se tromperait beaucoup en imaginant qu'elle peut être opérée par la seule réforme du règlement. Le règlement le mieux établi e dispense pas l'assemblée d'un effort de discipline. Quid leges sine moribus! Mais enfin le règlement a bien son importance. Et si l'on décidait d'appliquer tout de suite l'ancien règlement qui place les commissions dans la dépendance des groupes politiques, on aboutirait à ce classement hâtif que M. Reibel a raison de craindre, on placerait la Chambre en face du fait accompli, on disposerait d'elle sans l'avoir consultée, on engagern't

son avenir.

La commission chargée de reviser le règlement devra éviter deux erreurs contraires mais d'une égale gravité : le respect excessif et le mépris excessif des textes anciens. Ces textes n'ont pas été improvisés, ils ont été à maintes reprises remaniés. Il ne s'agit pas de bouleverser un règlement qui enregistre les résultats d'expériences nombreuses. Il s'agit de l'accommoder aux nécessités du présent de telle manière que le gouvernement puisse gouverner et que les assemblées puissent contrôler. Il s'agit de le mettre au point, ou, pour parler comme aujourd'hui, de le mettre à la page. M. Reibel a sagement pensé qu'une œuvre de cette importance ne devait pas être bâclée. L'opinion publique pensera de même. Dans la proposition déposée elle verra non pas un moyen dilatoire mais un acte efficace. Le temps que la commission passera à la recherche du temps perdu sera vite regagné.

MAURICE COLRAT.

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Affaires Extérieures

Les entretiens de Downing Street

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Il y a un peu plus d'un an, M. Clemenceau, invité par M. Lloyd George, s'embarquait pour franchir la Manche. Et je me souviens encore de la stupeur admirative avec laquelle je vis ce vieillard attaquer son omelette matinale et résister à la mer démontée, à bord d'un de ces contre-torpilleurs, dont les coups de reins, subits et prolongés, éprouvent parfois les marins les plus fermes et les plus entraînés. Pour la seconde fois depuis la victoire, sur une nouvelle invitation de son collègue britannique, le « Tigre » a pénétré 10, Downing Street, dans la maisonnette vieillotte et modeste, à la porte bourgeoise et aux fenêtres intimes, où se décident, où se décident, depuis deux cent cinquante années, les destinées de l'empire anglais. De longs comptes rendus, parus dans la presse parisienne et américaine, ont énuméré, dans un ordre logique, les résultats nombreux et définitifs de ces entretiens. Fidèle à mes souvenirs, je les ai lus avec quelque scepticisme et non sans ironie.

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X

Le communiqué officiel, publié par le Foreign Office, le 14 décembre, est plus bref et moins triomphant. Ces communiqués britanniques, étant philosophe de mon métier, il faut peu de chose pour me distraire, m'amusent toujours beaucoup. J'en ai vu fabriquer, sous mes yeux, un certain nombre. Et je sais avec quelle discipline traditionnelle et quel sérieux imperturbable le fonctionnaire, civil ou militaire, service, s'ingénie à ne rien dire, à rassurer les esprits chargé de cc par une affirmation simpliste, (« ces trois jours ont affirmé une fois de plus la complète solidarité des Alliés »), à dérouter les curiosités par des classifications ingénieuses. C'est ainsi qu'on lit dans le premier paragraphe du communiqué, abordés, « M. Clemenceau fut appelé à Londres pour avant toute indication sur les sujets conférer au sujet de différentes questions intéressant la France et la Grande-Bretagne. Beaucoup de ces questions se rapportaient aux finances et aux questions économiques. » Le rédacteur du communiqué espère ainsi faire croire au lecteur ingénu que M. Lloyd George a pris l'initiative de cette conversation, surtout en vue d'étudier l'aide financière et économique que John Bull pourrait prêter à Jacques Bonhomme. Pour le penser, il faudrait ne rien savoir des sentiments moins qu'admiratifs qu'inspirent à notre voisin et ami la gabegie gouvernementale et la lâcheté fiscale dont nous donnons l'exemple. Sans un effort parallèle de l'exécutif et du contribuable, il sera impossible de trouver, outre-Manche, autre chose que des phrases courtoises et des promesses lointaines (1). Et c'est justice... Mais le rédacteur du Foreign Office, docile à la tactique, a voulu être poli.

Il ne faudrait pas davantage se laisser leurrer par les formules discrètes dont se sert la Note pour parler des problèmes russe et turc. Le texte semble indiquer qu'ils n'ont été abordés qu'à l'occasion de la présence de tel ou tel ambassadeur. Dans sa communication aux Communes du 15 décembre, le Premier a eu également grand soin de ne pas faire figurer ces questions au premier plan. La vérité est tout autre. C'était là, dans la pensée de M. Lloyd George, le véritable objet de sa conférence avec M. Clemenceau et M. Scialoja. Ces entretiens

(1) L'émission d'un emprunt anglo-français, destiné à améliorer le cours du change qui risque de gêner les exportateurs anglais, n'a été admise qu'en principe et pour un avenir assez éloigné. (Discours de M. Lloyd George du 15 décembre.)

de Downing Street se rattachent directement aux récents discours, dans lesquels le premier ministre anglais s'est défendu contre les attaques que lui a values le gâchis oriental. Il devient menaçant pour l'empire britannique Le réveil du nationalisme turc modifie les données de la

liquidation ottomane et en même temps peut exercer une répercussion sur les nationalismes arabe et égyptien L'effondrement de l'armée Koltchak ouvre au bolchevisme l'accès de l'Asie, et déjà le contact est établi

entre Moscou et des agents venus de l'Afghanistan et des Indes. L'agitation persiste sur la frontière du nordouest. Des indiscrétions récentes ont révélé que les émeutes indiennes avaient été plus graves et plus sanglantes que ne l'avait cru l'optimiste John Bull. Il sacrifié des millions de livres bien sonnantes à établir autour de l'orgie bolcheviste une cloison étanche : elle n'est plus qu'une barrière à claire-voie. Aussi le gouvernement britannique, vers la double nécessité de rogner ces dépenses et de protéger l'empire, est-il amené à envisager des solutions moins coûteuses et plus politiques (2).

avec

Mais pour les aborder, pour dresser les traités hongrois et turc, il est nécessaire de prévoir un organisme interallié. Et M. Lloyd George propose de reconstituer le conseil des Dix-Cinq. Grande-Bretagne, France, Japon, Italie, achetée au prix d'une concession sur Fiume, certaines réserves sénatoriales, reconstitueraient, Etats-Unis, amadoués par l'adoption de leurs premiers ministres et leurs ministres des affaires étrangères, l'agence de liquidation mondiale, dont nous avons pu déjà admirer les débats sereins et les soluL'expérience démontre que ces négociations entre chefs tions rapides. Cette perspective n'a rien de rassurant. de gouvernements n'ont que des inconvénients. Elles absorbent un temps et des activités, dont l'œuvre de reconstitution nationale ne saurait se passer. Ni en Angleterre, ni en France, ni en Italie les premiers ministres peuvent, aujourd'hui, concentrer, un seul jour, toute à sac; ici le pain va monter. Des tractations directes et surrection gronde en Irlande; hier Mantoue était mise leur attention sur les problèmes diplomatiques : l'inorales entre les maîtres transactions plus difficiles et les conflits plus graves : de l'exécutif, rendent les elles éliminent la procédure écrite; elles exigent des décisions improvisées; elles privent d'un recours commode. Cet aréopage, qui n'a plus le prestige de la couronne, manque d'autorité et froisse des susceptibilités. Comment les « Cinq » peuvent-ils résoudre le problème russe, sans la collaboration de la Pologne et de la Roumanie? Etudier les objections hongroises, sans le concours des Tchéco-Slovaques et des Yougo-Slaves? Régler la liquidation ottomane sans la coopération de la Grèce? Forcer la volonté allemande, sans l'appoint de la Belgique?

Du moment où l'Angleterre et la France renoncent à répartir les affaires pendantes entre des organismes professionnels dirigés par un rouage central, et reconstituent, dans sa splendeur première, le Conseil suprême, il n'y a qu'un moyen d'éviter le retour des surprises et des conflits, qui ont marqué les séances de l'hiver t du printemps 1919 réaliser, à l'avance, par écrit, sur Foreign Office et le quai d'Orsay. L'alliance ne doit tous les points, à Londres, l'accord préalable entre le pas être une formule ou un objectif, mais une réalité vivante et quotidienne. Il faut que, au cours des négociations prochaines et publiques, l'union intime et confiante des deux gouvernements et des deux pays se manifeste à tous avec une précision indiscutable. Or relisez le communiqué du Foreign Office: il ne

(2) J'en parlerai, la semaine prochaine.

20 Décembre 1919

renferme aucun renseignement sur cet organisme militaire interallié, que MM. D. Lloyd George et Clemenceau ont décidé de conserver et de maintenir sous le commandement du maréchal Foch. Parcourez le bref discours du Premier Anglais il n'est pas moins discret sur ce point capital. Pourquoi? Le cabinet veut-il laisser à ces conversations entre états-majors anglais, belge et français, le caractère strictement militaire, professionnel, théorique, qu'ont eu, de 1910 à 1912, les pourparlers de même ordre? Le ministère britannique craintil que cette entente sur des questions d'effectifs et d'horaires soit considérée comme ayant un caractère politique, général et obligatoire? M. D. Lloyd George redouterait-il de paraître substituer à la garantie angloaméricaine, limitée et temporaire, la réalisation d'un bloc anglo-franco-belge?

L'opinion conservatrice est, cependant, très nette. Elle est unanime. Ministériels et antiministériels sont d'accord. Aucune différence ne sépare le centre droit, qui lit le Daily Telegraph, des extrémistes, dont le journal, le Morning Post, écrit, à la date du 15 décembre :

<< La France et la Grande-Bretagne ont décidé d'agir et sont arrivées à un accord économique et politique, qui assurera la coopération des deux puissances occidentales... L'union des deux nations libres sauvera la civilisation des forces maléfiques qui cherchent à la dissoudre. Une telle union dans l'état de paix est le résultat inévitable et logique de la camaraderie née de la guerre. »

Le Morning Post est si enthousiaste, qu'il en arrive à prendre ses espoirs ardents pour des réalités immédiates. Le Times est trop bien renseigné, malgré sa campagne contre M. D. Lloyd George, pour commettre la même erreur. Il n'en exprime pas moins les mêmes sentiments que les organes ministériels :

«L'Angleterre et la France doivent agir immédiatement, et chez les hommes compétents, il n'y a pas deux opinions sur le caractère que doit avoir cette action.

Cette action est déterminée par les données réelles de la situation. Elle ne saurait avoir qu'une seule base: l'union la plus étroite possible dans les idées comme dans les faits. L'ennemi le sait parfaitement ; et il fait tout ce qu'il peut pour ruiner le seul contrefort solide de la paix. Mais l'Angleterre et la France le savent également elles sont résolues à renforcer ce rempart par tous les moyens en leur pouvoir. Elles savent, comment, pendant des années i les protégea et protégea l'Europe contre les desseins allemand's. Elles savent comment, lorsque ces desseins furent mûrs, et quand l'Allemagne se jeta sur un monde paisible, ce bon accord leur permit de sauver les libertés européennes. Assurément, elles ne renonceront pas à cet abri pour les années qui viennent. Il importe maintenant que les deux pays fixent, en plein accord, une politique commune sur tous les points et un plan de coopération économique tel que cette politique peut l'exiger. »> (12 décembre.)

Mais M. Lloyd George lit peu le Times et le Morning Post. Il ne feuillette le Daily Telegraph ou l'Obdont j'aurais pu citer l'éloquent article (14 décembre), - qu'à de rares intervalles. Il est resté fidèle aux lectures de sa jeunesse radicale.

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| objectifs de la France et de la Russie », etc., sont lus. avec piété de l'autre côté de la Manche par des milliers d'électeurs conscients et organisés.

Il est probable que les violences mensongères du Labour Leader (11 décembre) ne l'ont point impressionné. Seuls, les bolchevistes français, toujours heureux de collaborer avec les adversaires systématiques de leur patrie - peuvent croire que notre gouvernement cherche à recommencer la guerre, dans l'espoir d'acquérir de nouveaux territoires et d'imposer à l'Allemagne des charges économiques encore plus écrasantes. » Il n'en reste pas moins certain, que ces mensonges « depuis 400 ans, la France a maintenu l'Europe dans un état de guerre » « l'Angleterre a été entraînée dans le conflit pour réaliser les ambitions et les

Il est possible que l'avertissement donné sur un ton très sec, au nom de la gauche modérée, par la Westminster Gazette (13 décembre), ait impressionné davantage M. Lloyd George.

« On nous dit que des progrès ont été réalisés dans la voie d'une entente générale entre la France et la Grande-tetagne. Nous désirerions savoir, ce qu'implique cette phrase. Nous avons besoin d'un accord qui mette en marche l'industrie européenne et rende le commerce possible, en réorganisant les changes... Si la formule « Entente générale » a une signification politique, elle nous rend méfiants. Ce serait de la folie que d'affecter de croire que les aspirations des hommes d'Etat français sur ce continent sont les nôtres. »

Et la Westminster Gazette se prononce contre une quadruple Alliance si « on se sert du mot dans son sens ordinaire. >>

Sur un ton différent, au nom du radicalisme orthodoxe et de la bourgeoisie puritaine, le Manchester Guardian (11 décembre) formule la même interdiction. Et je suis sûr que son sermon piétiste a retenu l'attention de M. Lloyd George. Le monde souffre, parce que la << bonne paix », voulue par la Justice immanente, n'a point été réalisée. La France, « responsable dans une large mesure », de cette faillite morale, subit son premier « châtiment ». Victorieuse, elle manque de sécurité et. réclame des garanties.

« La sécurité d'un Etat ne peut être trouvée que dans la coopération et la coordination de tous les Etats. Il faut résister, quels que soient les arguments, à la tentation d'entrer dans une alliance exclusive, formelle ou tacite peu importe. Elle serait intolérable pour nous; parce que nous aurions implicitement adopté la conception française des garanties de la paix, au lieu de la nôtre... Le véritable intérêt de la France, qui a en face d'elle et continuera à l'avoir, un peuple plus nombreux et plus puissant, consiste à réaliser, par tous les moyens en son pouvoir, l'accord européen. Une politique de méfiance, de haine et de préparation militaire ne peut rien, pour nous l'assurer. La France veut-elle se joindre à nous et chercher une voie meilleure? »>

Il faut répondre à cette question, répondre en toute franchise. L'avenir, je ne dis pas de l'amitié, mais de la coopération franco-britannique, est à ce prix. Dans l'histoire anglaise, les période d'expansion et de repli alternent avec régularité. Aux poussées d'action mondiale succèdent des crises d'insularité tenace. La réaction qui s'annonce sera d'autant plus violente que les sacrifices militaires ont été plus lourds, que les problèmes intérieurs sont plus graves et la force ouvrière plus grande. Pour éviter toute interruption dans l'œuvre franco-britannique, le jour où la majorité changera de côté et le pouvoir changera de mains, il n'importe pas seulement d'en préciser les conditions: il faut encore les coucher par écrit.

Que le Manchester Guardian et ses amis se rassurent. Ce n'est point à une œuvre de guerre, mais à une œuvre de paix, que Jacques Bonhomme convie son ami. Il a trop souffert pour songer a démolir: il ne veut que bâtir. Ce n'est point un programme de défense militaire que la France propose de dresser mais un plan d'action immédiate, Nul ne songe à rééditer l'« Entente Cordiale » de 1904, 1905, 1909, 1912, cette alliance de fait contre l'Allemagne, qui avait un caractère plus moral que politique, une forme moins écrite qu'orale. L'atmosphère mondiale, les cartes européennes, les tâches urgentes ne sont plus les mêmes.

Il faut liquider la guerre. En toute équité, ce n'est pas à la France qu'il appartient d'assurer seule tous les frais d'exécution d'un document dans l'élaboration duquel elle n'a joué qu'un rôle subalterne. Les charges doivent être réparties par écrit, proportionnellement aux

avantages obtenus. Et de même que les sécurités qu'obtient l'Angleterre en liquidant les colonies et les flottes germaniques, constituent une garantie pour la France, la neutralisation militaire du Rhin, si elle est appliquée dans la lettre comme dans l'esprit du traité, barre la route de Calais, en même temps que celle de Paris.

sera

Il faut organiser l'Europe. Aujourd'hui, la famine ravage l'Autriche et la guerre gronde dans les Balkans, les Russies sont en plein chaos et l'Asie turque en pleine effervescence. Même quand cette liquidation, auprès de laquelle l'œuvre du Congrès de Vienne n'était qu'un sera terminée, la tâche ne le jeu d'enfants, point. Pendant combien d'années durera l'instabilité de ces frontières récentes et de ces Etats naissants ? Périodiquement, l'incendie reprendra dans cette Europe vouée aux éternelles convulsions, parce que les flux humains, venus d'Orient, l'ont trop piétinée pendant des siècles.

Il faut organiser la paix. La Ligue des Nations ne doit pas être une agence de révision des traités nouveaux, mais une entreprise de liquidation des armements militaires. Au« pacte » timide et obscur, qui transporte à Genève une réédition du Conseil Suprême, aussi solennelle, oratoire et lente, il faut substituer, à Bruxelles, une institution, organisée et armée, qui, progressivement élargie, garantira la durée de la paix européenne d'abord, de la paix mondiale ensuite.

Cette triple tâche, qui absorbera les activités de plusieurs générations d'hommes, ne peut être réalisée que si deux nations, étroitement unies, d'accord sur leurs objectifs, imposent à l'Europe leur volonté d'ordre et de paix. L'Angleterre et la France, rassasiées de gloire et de terres, maîtresses de leurs libres destinées, créancières de l'Europe affranchie, ont seules l'autorité et l'expérience nécessaires pour porter cette responsabilité. Ce sera la «< Sainte Alliance » des peuples libérés.

Sur cette route, le Manchester Guardian trouve-t-il que l'Angleterre peut s'engager? Il en est une autre. Le Manchester Guardian la connaît bien. De 1906 à 1914, elle eut toutes les préférences. La politique de non-intervention européenne et d'isolement insulaire, l'équilibre sagement maintenu entre une France menacée et une Allemagne hargneuse, ont coûté aux Iles Britanniques un million de vies. C'est la route qui conduit à Ypres et à la Somme. Le Manchester Guardian veut-il que, dans moins de cinquante ans, la jeunesse anglaise reprenne, de son pas lentement cadencé, au son des graves cornemuses ou des fifres criards, le chemin du calvaire sanglant?

JACQUES BARDOUX.

La Pologne et le problème de l'est européen Aujourd'hui, la Pologne est devenue non seulement une « réalité agissante », mais un facteur politique et militaire et, peut-être, le plus important dans l'Est européen. C'est qu'au milieu de la débâcle générale entre la fureur teutonique momentanément enchaînée par la victoire des Alliés et le chambardement lugubre de la Russie des tsars, la Pologne a su utiliser très promptement ses forces sociales, latentes jusqu'ici, et surtout elle a réussi à organiser l'incomparable élan guerrier de la jeunesse polonaise. Autour de la personne du général Pilsudski, chef obéi et passionnément aimé, se forme d'abord un noyau organisateur et un centre d'attraction. Pendant la guerre, la nation polonaise a profité d'ailleurs de toute occasion, de tout prétexte pour créer une force armée. Ainsi, dans la lointaine Sibérie, sur le front russe, un peu partout en Russie à l'heure de la débâcle, en Amérique et en France, en Posnanie enfin surgirent des initiatives en apparence sans lien, mais coordonnées en réalité par la volonté impersonnelle de la nation.

Au moment de la victoire des Alliés, toutes ses forces dispersées à travers le monde s'élancèrent vers la Pologne dans un mouvement irrésistible. Bien entendu, la cohésion fit un peu défaut, surtout au début, à ces éléments formés dans des conditions et des milieux si divers. Mais si les règlements et les uniformes différaient, il avait par contre dans les rangs un effort continu vers l'unité et cette unité supérieure se forgea définitivement dans le feu de l'action.

« La Pologne, c'est une armée! » a dit, paraît-il, un général français, retour de Varsovie. Tout en faisant la part du paradoxe, il est facile de comprendre le sens de cette boutade. Ce sens ressort surtout si on la rapproche de cet autre mot connu: « La Pologne est destinée à devenir grande et héroïque ou à succomber. >>

En effet, menacée à l'Est et mal protégée par le traité de Versailles au Nord et à l'Ouest, la Pologne a choisi résolument la première alternative: elle veut être grande, elle est déjà héroïque.

La passion de la liberté, emmagasinée pendant de longues années de servitude, éclate maintenant avec une force irrésistible. C'est elle qui pousse les jeunes armées de la République polonaise jusqu'à la Dwina et le Dnieper pour défendre la liberté contre la barbarie bolcheviste. Mal vêtues et mal armées, les troupes polonaises contiennent seules victorieusement l'assaut des forces bolchevistes. Elles ont atteint actuellement à peu de choses près tous leurs objectifs; elles ont dépassé de beaucoup la ligne de Minsk-Baranowicze-LuniniecRowno et menacent directement la ligne PetrogradWitebsk-Mozyr-Zlobin, ligne vitale pour les bolcheviks, reliant le nord au midi. Cette situation militaire à l'Est, stabilisée depuis assez longtemps, indique en même temps le rôle véritable de la Pologne prédestinée à être « le boulevard de la civilisation occidentale ». Certains publicistes, dont l'impartialité de jugement est voilée par leurs sympathies bolchevistes (la revue américaine New Republic, par exemple) contestent à la Pologne cette fonction. Ils lui assignent plutôt le rôle passif, celui de « carrefour » des peuples et des civilisations. Carrefour ou boulevard, peu importe! Si c'est un carrefour, où passent les gens d'une moralité douteuse ou tout simplement d'un tempérament trop turbulent, raison de plus pour y placer une garde solide, sûre et dévouée. Le rôle international de la Pologne, c'est précisément d'être la gardienne de ce nœud de communications entre l'Allemagne assoiffée de revanche et la Russie dont l'inertie morale est au moins égale à son grand poids.

Quelques politiques alliées semblent être d'avis qu'il serait préférable (pour la paix européenne, bien entendu) d'accorder à l'Allemagne « le débouché russe ».

Ces politiques semblent raisonner de la manière suivante: Ouvrons les écluses vers l'Est à l'énergie allemande qui briserait autrement le cadre même du traité

de Versailles.

C'est un excès de mansuétude ou pure illusion sentimentale, pis encore, c'est un manque de l'imagination politique indispensable pour voir et surtout pour pré

voir.

«< Ouvrir » à l'Allemagne la Russie pour la détourner de l'Occident? Autant vaudrait jeter de la paille pour détourner le feu d'une maison qui brûle! La Russie, n effet, longtemps encore, ne pourrait offrir que du combustible à l'Allemagne brûlant déjà du désir de vengeance.

D'autre part, une illusion non moins tenace semble dominer la politique russe de certains alliés. Elle consiste à voir en la Russie une alliée future de l'Occident victorieux à condition de satisfaire tous les appétits grand-russiens. Or, sur ce terrain de surenchères, il est impossible de battre l'Allemagne qui, évidemment, est prête et avec quelle joie à sacrifier la Pologne et

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