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Il faut vivre, enfin, pour donner la vie où tout se tient. Abramowski prouve que l'image se « perfectionne » dans l'inconscient, et relève avec raison que le témoignage n'acquiert toute sa véracité qu'assez longtemps après l'événement. Il s'opère donc, hors de notre contrôle direct, une mise au point de nos impressions et de nos idées que la conscience doit se contenter d'enregistrer, et il se pourrait que cette même conscience ne fût que la réalisation passagère de cet invisible passé qui s'agite au dedans de nous et que M. Bergson a baptisé comme il convenait en l'appelant le moi profond.

Cette statuette en bois sculpté des Flandres, par exemple, cette sainte Marguerite aux longues tresses foulant un démon barbu, alors que je ne l'avais regardée, en passant dans le musée de Cluny, que d'un œil distrait, pourquoi m'a-t-elle un de ces jours assailli, obsédant mon imagination, me révélant, dans sa mesure réduite, un art déjà parfait, m'imposant, une fois de plus, dans la souplesse de son attitude et la fierté de son allure, le mystère de la femme et de la mort; pourquoi, voici des années, à Cassis, dans une maison amie, traversant au crépuscule une chambre muette, un motif de Tristan : «Le berceau de l'enfant... le premier nid d'amour >> m'a-t-il bouleversé en revenant à ma mémoire et m'a-t-il soudain découvert tout un aspect de la vie sentimentale que je croyais follement avoir épuisée ? Je sais bien. ce qu'on dira du point de vue d'une stricte psychologie sur ces deux phénomènes. Et il a pu se faire, en effet, que le souvenir de la statuette et de l'air musical, se rencontrant avec une disposition organique ou mentale particulière, aient vibré tout à coup sur un ton nouveau et donné l'illusion, ou la réalité, d'une richesse acquise subitement. Mais, sans compter que lors de cette double aventure, je me trouvais de corps et d'âme dans un état qui n'avait rien d'exceptionnel, sachant désormais qu'une houle constante et insensible agite l'obscur océan de l'oubli, que la vie ne se fixe point et se transforme sans cesse dans l'inconscient comme dans l'intelligence actuelle, je dois bien admettre que des impressions jadis fugitives n'étaient point devenues envahissantes sans avoir été soumises à quelque long travail dont nul écho ne m'était parvenu.

Non que les opérations qui se poursuivent ainsi hors de notre prise soient calquées rigoureusement sur celles de l'esprit. Si elles comportent une finalité, une logique et une certaine méthode, sans doute elles ne décèlent point de tels caractères qui restent enveloppés et d'ordre beaucoup plus émotif qu'intellectuel. Il nous doit suffire que la vie de l'inconscient soit bien en réalité une vie, qu'elle diffère de l'instinct qui se borne à une réaction plus ou moins immédiate, mais strictement organique et qu'enfin elle ausi tende à cet objet de toute vie : la pensée.

GONZAGUE TRUC

Souvenirs de la vie littéraire.

II. Paul Mariéton (1)

Parler de Mariéton après avoir parlé de Mistral, ce n'est presque pas changer de sujet. L'originalité d'un homme ne réside pas toujours toute entière dans son œuvre: elle est aussi dans son caractère, dans sa conversation et dans ses idées. Il a existé des originaux qui, par leur seule tournure d'esprit et sans l'apport d'une œuvre considérable, eurent pourtant leur influence et méritèrent de survivre. Mariéton fut un de ceux-là.

Ce lettré, auteur d'un beau livre sur la Provence, ce poète qui avait l'âme d'un Nodier romantique, était l'homme le plus tumultueux et le plus gai qu'on pût voir. Son existence fut un délire de bonne humeur, un dévergondage verbal, à travers lequel il promenait avec emphase sa flamboyante insolence, son front dominateur, sa barbe blonde, sa stature et ses bons yeux bleas de Slave. Mariéton est mort d'activité, de surmen ige mondain. Une semaine avant de mourir, il disait au curé de Villeneuve: « J'ai sept années de sommeil en retard. » Beaucoup n'ont connu que les feux d'artifice d'esprit de ce prodigieux garçon. Ses amis savent quelle sensibilité cachait la somptueuse exubérance dont il se servait, comme il disait, pour dégager son fluide. Ce colossal plaisantin était un homme d'idéal, qui écartait par ses éclats de rire les illusions et les rêves, comme on fait le moulinet avec sa canne pour éloigner les malfaiteurs. Il avait des superstitions inexplicables, la peur des incendies surtout. Il habitait un rez-de-chaussée, au coin de la rue Richepanse et de la rue Duphot, exprès, disait-il, pour pouvoir se sauver en cas d'incendie; et il lui arrivait, en se promenant avec vous sur le boulevard, de vous quitter brusquement pour aller voir si le feu n'était pas chez lui.

Certains jours, ce folâtre avait des accès de tristesse dont ne parvenaient à le distraire ni les pirouettes, ni les ébrouements, ni les calembours qu'il appelait à son aide. Je le trouvai une après-midi au lit, écœuré, fulminant contre la vie. « Je suis très malheureux, me dit-il, je subis en ce moment une crise don Juanesque. J'ai trois rendez-vous pour ce soir. C'est si accablant, que je suis resté couché. Ah! l'âne de Buridan! Quelle belle histoire, mon cher! >>

Mariéton aimait l'esprit sous toutes ses formes, depuis les subtilités les plus fines jusqu'aux plus mauvais calembours de collège. La fatalité a ses caprices : cet éternel parleur était affecté d'un bégaiement terrible, dont il riait lui-même, frappant du pied, enlevant de force les syllabes, les yeux fermés, la tête haute. Loin de gêner sa parole, ce bégaiement activait encore sa conversation torrentielle. Il en tirait même des effets

comiques. Un soir, à table, villa Tanit, chez la nièce de Flaubert, devant dix personnes, il entame une histoire: «Llll... » Le son se prolongeant, Mariéton s'interrompit en disant : « Qui est-ce qui fait ça ? » Ce fut un succès. Il disait du poète Hérédia, qui bégayait aussi: « Hérédia est le bègue professionnel. Moi, je suis le bègue amateur. » Il fallait voir l'effet que produisaient certaines suspensions de syllabes, quand il prononçait, par exemple, des phrases comme celles-ci: « Comment! vous ne connaissez pas M. de M...un? »

Un jour, pour appeler un fiacre, il bégaya tellement, qu'il n'arrivait plus à donner l'adresse. Le cocher ne put s'empêcher de rire. s'empêcher de rire. Riez, mon ami, dit sévèrement Mariéton. Je... je... continuerai quand vous aurez fi... fini... » Une autre fois, dans un café, il demande à son voisin, toujours en bégayant, de vouloir bien lui faire passer un journal. Le hasard voulut que le voisin fût (1) Voir l'Opinion du 25 octobre 1919.

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C'est chez la nièce de Flaubert, Mme Franklin Grout (alors Mme Commanville) que je rencontrai pour la première fois Paul Mariéton, vers 1892. Je fus abasourdi par la folâtrerie abracadabrante de ce tempétueux garçon qui, après une présentation d'un quart d'heure, sortait avec vous bras dessus, bras dessous et vous racontait sa vie, ses amours et ses rêves. Il avait dans le monde des façons d'agir qu'on ne pardonnait qu'à lui. Je l'ai vu offrir le bras aux dames comme s'il jouait la comédie. Il vous interpellait d'un bout à l'autre de la table. Aucune conversation n'était possible quand il était là. C'est toujours lui qui parlait. Il rapportait tout à lui. Il disait sérieusement: «< Tous ceux qui se désorbitent de moi en meurent »; et il citait les gens : « Un tel s'est brouillé avec moi; un ans après il était mort... Un tel m'a tourné le dos; il n'est pas mort, il est fonctionnaire, c'est la même chose... Un tel ne m'a plus fréquenté depuis deux ans, il est devenu gaga... » Il avait toute une série d'exemples...

X

Mariéton s'était donné le rôle d'un baladin grandiose vivant en perpétuelle mascarade. Malgré des intermittences mélancoliques, sa vie apparaissait comme un gigantesque coq à l'âne. Il faisait des calembours partout, à tout propos, sans respect pour les circonstances ou les personnes. Lui reprochait-on cette manie, il répondait: « Je m'en f..., comme disait le pape au cardidinal Rampolla. » Racontant la mort de je ne sais plus quel ambassadeur, qui avait demandé à voir sa maîtresse : « Il est mort, disait-il, avec sa connaissance. » Il déclara, un jour qu'on vantait la supériorité des hôtels suisses : « Il ne faudrait pourtant pas nous faire prendre l'Helvétie pour des lanternes. » Il appelait le docteur Doyen : « Le cancer classique, le cancer européen. » Le surprenait-on à mettre de l'ordre dans ses papiers : « Je pense, disait-il, donc j'essuie. » On citait une gaffe de Massenet : « Mauvaise note pour un musicien. » Il appelait les anarchistes des « entrepreneurs de bombes funèbres». Il déclarait aimer les voyages, mais le pôle Nord le laissait froid. Il disait que « parmi les romanciers il y avait beaucoup d'épelés et peu de lus ». Il n'oubliait jamais de répéter en s'en allant : « Filons... historien juif. » Il dit d'un ami qui lui empruntait de l'argent avec des phrases prudhommesques : « C'est le tapeur pompier », et, le soir, il appelait cela du tapage nocturne. Il était chauve comme un genou, et j'aurais eu mauvaise grâce à l'en plaisanter, faisant partie moimême de ce qu'il appelait « les hommes de la pierre polie ». Cette calvitie inspirait sa verve : « Les chauves sourient... Chauve qui peut... ». « Quelqu'un, raconte Léon Daudet, lui conseillant un jour de porter perruque, cette proposition l'indigna : « Vous n'y pensez pas! dit-il. Ma calvitie fait partie intégrante de ma personne. Que dirait mon concierge? » Le fait est que sa calvitie et son concierge jouaient un grand rôle dans sa vie. Son concierge était son valet de chambre, et la calvitie une inépuisable source de plaisanteries.

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Les Sports

Au Salon de l'Aéronautique

Dans les deux halls du Grand-Palais, ce sont les gestes précis, l'activité silencieuse des mécaniciens, gens impassibles et distants, qui ont la fierté ingénue d'un métier difficile et il est sûr que c'est merveille de regarder sortir de leurs doigts, pièce à pièce, luisants, parés, polis, finis, les « Goliath » énormes ou les sveltes oiseaux de guerre.

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Avec l'impatience d'un homme qui veut tout voir à la fois, j'entre, jetant aux murs, aux planchers, dans les recoins et sous les voûtes, le premier coup d'œil, aigu et rapide, celui qui juge. Le Salon s'annonce-t-il bien? Bien que nombre d'envois manquent, on aperçoit cela tout de suite, moins à la ligne et à la silhouette des appareils déjà en place qu'à des nuances, à des riens, à la façon dont ils sont posés, éclairés, au degré d'harmonie qui règne entre le cadre et l'objet. Disposer heureusement un Salon d'aéronautique, cela demande un goût aussi sûr que l'arrangement délicat d'une vitrine de jouets.

Et, de fait, à analyser sa curiosité, ne la trouve-t-on pas semblable à celle qui, ces jours-ci, aux expositions des grands magasins, fait se bousculer tant d'enfants, grands et petits? Ces «<mécaniques », encore un peu mystérieuses pour la foule, ces tendeurs, ces mâts, ces voilures, à la fois robustes et frêles, ont l'aspect de jouets fantastiques offerts aux convoitises de Pantaflottants. Et la coïncidence est amusante qui fait s'ouvrir gruels en culottes courtes, de Gargantuas aux cheveux

ce Salon une semaine avant Noël.

ce

Eh bien, oui, le Salon sera réussi ! Tel celui de l'Automobile, il révèle à nouveau, affirme avec plus de force encore la facilité d'adaptation de notre industrie. gratitude qu'on leur doit, les puissants avions militaires; On reconnaît, non sans plaisir, et avec le sourire de mais notre satisfaction croît, à voir que le gros effort s'est porté sur l'avion de transport et de tourisme ne sont que wagons, limousines et légers monoplaces, créés de toutes pièces pour les besoins de la paix En douze mois, on a su étudier et réaliser une transformation radicale de l'aviation, dont nous devons beaucoup attendre. C'est le même soin, le même fini dans dire, après avoir vu le Salon, que l'aviation marchande des conceptions toujours plus hardies on ne peut plus

est à faire elle est créée.

:

Cette constatation acquise, cette justice rendue à nos hommes, reprenons plus posément notre promenade.

Les visiteurs, dès l'entrée, auront la surprise de retrouver les anciennes gloires, les concours héroïques des vieux temps: un Blériot d'avant-guerre, dont on se demande avec émotion si ce n'est pas celui de la première traversée (non, ce n'est pas lui!), la « Demoiselle » de Santos, « l'« Antoinette » de Latham; et, planant au-dessus des deux escaliers symétriquess qui descendent des galeries dans le premier hall, un « Rep » antique, dont les vives couleurs sont un peu passées, face à une vénérable « cage à poules ».

Avant de gagner la grande nef, voici, dans la salle qui y conduit, deux nacelles de dirigeables nous avons laissé derrière nous, non loin de la vieille nacelle du Lebaudy 1902, le mince fuselage qu'on suspend aux vedettes Zodiac ; c'est maintenant, à gauche, le vaste, long et robuste wagon qui s'allonge sous le ventre énorme des « Astra », et dont l'avant trapu braque sur l'horizon le tube menaçant d'un 75; je ne le considère pas sans émotion : que d'heures vécues dans une cabine semblable, entre le ciel et l'eau! A droite, je reconnais l'œuf miraculeux, tout d'aluminium, qui enferma les

pilotes des dirigeables de Chalais, et qui semble, avec ses moteurs inclus dans sa coque, un coureur en plein élan, les couds collés au corps.

Enfin, sur la clarté de l'immense voûte, ce sont les diplodocus, les ichthyosaures, et nul doute que la curiosité du public ne s'adresse d'abord à eux. Au centre, une «< saucisse » gonflée frôle presque, de son dos verdâtre, les drapeaux alliés éployés au plafond; elle n'est pas belle, mais elle fut vaillante, et c'est un juste hommage rendu à l'héroïsme obscur et magnifique des observateurs. Autour d'elle, on n'aperçoit d'abord, émergeant des appareils de toute taille, que les « Goliath » et les << Mammouth » : c'est à eux que je suis allé.

Le Goliath dont le frère jumeau est entré dans l'histoire est beau de puissance et de lignes, sans lourdeur, malgré ses 28 mètres d'envergure; quatorze passagers peuvent prendre place dans le fuselage, peint d'une belle couleur bleue. Derrière lui, le Caudron, out gris, spacieux, confortable, véritable wagon construit pour seize voyageurs, et à l'intérieur duquel, par les hublots, j'aperçois les fleurs d'une fraîche tapisserie ; trois moteurs, de 240 thevaux chacun, l'entraîneront dans les libres espaces.

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De l'autre côté, le grand Blériot le Mammouth en tenue kaki, s'oppose à l'Handley Page, blanc et noir. Le premier, large et ramassé, a l'air d'un obus monstre

spacieux hangars, les rigides formidables auront des maisons dignes d'eux; le public, sur les panneaux exposés par les constructeurs, pourra juger de leurs dimensions et de leurs formes. L'un d'eux, où est figuré un rigide engagé dans son hangar jusqu'à mi-corps, et qui, je crois, est exposé par Limousin, est un morceau décoratif de premier ordre.

Somme toute, de ma visite et de ce que l'on m'a conté, je garde deux impressions réconfortantes celle, d'abord de deux efforts jumeaux, menés par l'Etat et les constructeurs, qui ne se confondent ni ne se contrarient; celle, ensuite, que l'Aéronautique a un destin magmifique à remplir. Si l'avion s'est révélé redoutable dans une guerre d'où il est sorti plus rapide et plus fort, il n'en reste pas moins l'instrument le plus généreux du progrès ce n'est pas la machine à tuer qui ne sert et ne se plaît qu'aux massacres, et qui se rouille dans un coin après le combat; des deux fins auxquelles il s'emploie, celle de la paix est la plus noble et vous pourrez voir qu'il y est prêt.

La Vie Economique.

J. V.

issu d'on ne sait quel mortier colossal: il possède L'Avenir de la Conférence du Travail de Washington 14 hélices, mues par 1.200 chevaux ; il peut engloutir vingt-huit personnes. L'ensemble est réellement impressionnant. L'avion anglais, moins parfait de lignes, a de la force et de la souplesse; et, au surplus, il a fait ses preuves.

Les nouveautés du Salon seront des avions entièrement métalliques moins la voilure exprés pr Clément et par Potz les premiers construits pour obtenir d'énormes vitesses, les seconds, au contraire, simples appareils de tourisme D'ailleurs, les engins de cette sorte, biplaces et monoplaces, abonderont à côté des grands sleepings, les constructeurs se sont ingéniés à établir un type de petit avion maniable et peu coûteux. Un des clous du Salon sera le minuscule biplan de Marçay, mû par un moteur d'automobile de 9 HP., et qui mesure seulement 4 mètres d'envergure sur 3 m. 75 de long. On dit que cet avion sera mis à prix 10.000 fr.

Mais je n'ai pas la chance de l'apercevoir : il n'y a ́encore, sur les grandes carpettes rouges, que les géants que j'ai décrits, et quelques appareils militaires : Morane, Voisin et Nieuport.

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En des planches artistiques, par des cartes et des plans, il synthétisera ses travaux, expliquera ses projets, matérialisera son effort, qui, pour une fois, s'ajoute à l'activité privée sans s'y substituer. Il nous transportera ainsi dans un avenir magnifique et proche ; après avoir vu les divers « Mammouth », nous saurons ainsi de quels ports ils s'envoleront, pour quels buts et par quelles escales. Il nous montrera les futures gares aériennes, telles qu'elles seront demain, avec leurs bâtiments, leurs ateliers, leurs buffets, avec, même, le pavillon du chef de gare. Heure:ux homme! Tant d'architectes rivaux se seront évertués à lui bâtir des demeures, qu'il ne risque qu'une chose, c'est d'en avoir trop.

Enfin, les limousines volantes seront garées dans de

La Conférence Internationale du Travail a terminé sa première session (1). Elle s'est prononcée en faveur de la journée de huit heures et de la semaine de quarante-huit heures, pour l'interdiction du travail féminin de nuit, pour le renforcement des précautions sanitaires imposées dans les industries insalubres, pour le payement par l'Etat du salaire des femmes en couches et pour l'interdiction du travail industriel des enfants âgés de moins de quatorze ans. Toutes ces «< recommandations » ont été transmises aux gouvernements représentés qui ont été invités à les traduire en mesures législatives.

Ces propositions répondent directement au but pour lequel la Conférence a été créée : elles tendent à « améliorer des conditions de travail qui «< impliquaient l'injustice, la misère ou des privations pour un grand nombre de personnes ». Sans doute, de nombreuses autres améliorations restent encore possibles à réaliser. Mais cette première assemblée n'était qu'une réunion d'organisation; elle doit avoir de nombreux lendemains; c'est déjà quelque chose qu'elle ait commencé la besogne.

Le bilan moral de la conférence n'a pas non plus été négligeable.

On doit tenir pour un premier résultat son fonctionnement même, dans les conditions qui avaient été prévues; je veux dire la collaboration effective dans son sein des délégués représentant les organisations patronales et ouvrières de chaque pays. Le profond malaise dont souffrent actuellement toutes les nations industrielles ne pourra être résolu que par l'entente des éléments producteurs. Pour mettre fin à la lutte des classes, il faut d'abord que les représentants de celles-ci se rencontrent. Or, jusqu'ici, le terrain pour cette collaboration faisait défaut, toutes nos organisations syndicales étant unilatérales. Qu'il en soit réalisé une, mondiale et vraiment mixte, réunissant les uns et les autres sur un pied absolu d'égalité, et que ceux-ci y aient collaboré un mois durant sans frictions excessives est un fait plein de pro

messes.

Un second ordre de possibilités très intéressantes

(1) Voir l'article de M. Roger Picard dans l'Opinion du 8 novembre sur le programme et le but de la Conférence.

résulte de l'attitude des délégués japonais. Jusqu'ici les pays de race jaune s'étaient toujours refusés à entrer dans aucun accord international sur les conditions du travail et, comme leur concurrence industrielle ne peut être négligée, cette abstention paralysait tous les efforts pour le mieux-être des classes ouvrières. Cette pierre d'achoppement n'existera plus désormais, les délégués japonais ayant accepté le principe d'une évolution progressive de l'industrie nipponne vers le régime pratiqué en Europe. Ils ont seulement demandé qu'il leur soit permis de procéder par étapes, le chemin à parcourir étant plus considérable pour leur pays. Ceci leur a été accordé. Le Japon pourra continuer provisoirement à pratiquer une journée de neuf heures et demie, eu égard au fait que celle-ci y était encore de onze heures dans beaucoup d'industries; et l'âge minimum pour le travail industriel des enfants a été abaissé à douze ans pour tous les pays d'Extrême-Orient. Mais ces concessions s'accompagnent de la promesse d'une unification absolue dans l'avenir (1).

Un troisième fait notable fut la suggestion spontanée des délégués ouvriers qu'une section sanitaire soit créée au secrétariat permanent de la Conférence du Travail, au siège de la Ligue des Nations et d'autres auprès du ministère du travail de chaque pays. Les délégués de la C. G. T. française soutinrent cette demande en expliquant que la collaboration des organisations ouvrières garantissait à ces organismes sanitaires nationaux d'immenses résultats. Evolution capitale, puisque nos syndicalistes français faisaient jusqu'ici une question de principe de leur refus de collaborer avec les pouvoir publics. Ce résultat, à lui seul, suffirait à rembourser la collectivité du coût de leur voyage...

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L'ordre du jour de l'Assemblée de Washington était beaucoup trop limité. Les congressistes eux-mêmes s'en rendirent compte, puisque, à quatre reprises, et à des propos différents, ils l'élargirent en en sortant. Non seulement aucune des causes qui provoquent 99 pour 100 des grèves n'y figurait, mais toutes les questions étudiées se trouvaient déjà résolues dans les plus importants des Etats participants (1).

Ce programme si étroit avait cependant été rédigé par les mêmes hommes qui avaient fixé à la Conférence un but presque illimité. Ceux qui lui demandaient de supprimer la misère et de corriger toutes les causes d'injustice sociale, l'emprisonnèrent ensuite dans une besogne d'unification de textes législatifs.

Cette contradiction s'explique par le désir des auteurs du traité de paix de limiter au minimum les occasions de heurt entre les délégués patronaux et ouvriers. Mais, ce faisant, le Congrès de Paris ne prit pas garde qu'il réduisait dans la même proportion les possibilités de résultats de la conférence.

Cette micompréhension a faill avoir des conséquences désastreuses. Ele a beaucoup diminué l'intérêt des séances de Washington et elle est responsable du peu de publicité que les journaux ont fait à ses comptes rendus. Elle a fourni aux syndicalistes révolutionnaires - qui craignent la concurrence de la conférence pour l'Internationale ouvrière une arme pour la combattre,

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(1) Les délégués ouvriers nippons réclamaient l'application immédiate de la journée de huit heures. Ils quittèrent la séance quand celle-ci leur eut été refusée. Cet incident est significatif.

(1) La seule décision prise à Washington qui ne figure pas déjà dans le code français le paiement par l'Etat du salaire des femmes en couches, porte sur une question dont la discussion n'avait pas été prévue.

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Si l'on veut que la Conférence du travail se développe et qu'elle réalise ses riches possibilités, le programme de sa session de 1920 devra être établi dans un esprit différent. Toutes les causes connues de la fermentation actuelle des masses ouvrières devront y figurer.

L'une des principales, et des plus générales, revendications du quatrième Etat à l'heure présente, est le droit incontestable de tout ouvrier, homme ou femme, à recevoir un salaire minimum lui permettant de mener une vie décente. Les bases de celui-ci doivent être fixées.

Les fluctuations désordonnées et excessives du coût de la vie ont désaxé l'échelle des salaires de base dans presque toutes les industries. De là de nombreuses grèves. L'évolution des salaires parallèlement à l'évolution du coût de la vie doit être étudiée. Une règle d'ensemble à ce propos serait d'un immense profit.

ganisations ouvrières par les employeurs, et la prétenLa question de la reconnaissance obligatoire des ortion de maints syndicats ouvriers d'obliger ceux-ci à n'employer que des syndiqués, appellent aussi des solutions générales.

Il ne suffit pas de dire que ces questions sont épineuses et que leur discussion opposera inévitablement les délégués patronaux aux délégués ouvriers. Il est indispensable qu'elles soient résolues quelque jour. On entrevoit d'autre part des compromis possibles si elles sont étudiées toutes à la fois. Par exemple, l'obligation pour l'ouvrier d'être syndiqué, avec un droit absolu de choisir son syndicat, rouge ou jaune; et l'obligation pour le patron de reconnaître toutes les associations ouvrières groupant plus d'un certain nombre ou d'un certain pourcentage de ses salariés, ce minimum étant à déterminer.

Je terminerai par cette réflexion d'un syndicaliste anglais, qui se classe dans son pays parmi les plus révolutionnaires, mais dont la remarque même prouve le bon sens :

« L'âge de l'entrée en apprentissage, les précautions à imposer aux industries du plomb, ou les conditions. faites à l'émigration ouvrière dans quelques pays, sont évidemment des questions intéressantes. Mais elles doivent venir à leur place. Quel pourcentage du prolétariat intéressent-elles?... Leur solution est souhaitable; mais leur discussion ne doit venir qu'après celle des questions plus importantes et plus générales. Qui oserait prétendre qu'il n'y en a point? Le coût excessif de la vie trouble, matin et soir, cent millions de travailleurs des deux mondes. En France, en Angleterre, aux Etats-Unis et en République Argentine, pour m'en tenir à ces seuls pays, 4 millions de travailleurs sont actuellement en grève pour obtenir de plus hauts salaires et un million et demi pour imposer la reconnaissance de leur droit syndical. Discuter en ce moment l'âge de l'apprentissage, le régime des industries insalubres ou l'émigration, me rappelle l'histoire du compagnon qui s'inquiétait de retapisser son vestibule, alors que le premier étage de sa maison était en feu... >>

MAURICE GUICHARD.

POLITIQUE

Feuillets de la

Les élections des conseils généraux et cantonaux étant faites, les députés sont revenus nombreux au Palais-Bourbon et la Chambre a repris les séances publiques. Les couloirs y ont trouvé une animation nouvelle d'autant plus grande qu'entre collègues comme entre députés et journalistes, les connaissances sont maintenant faites et que les nouvelles n'ont pas manqué.

Quels sont les résultats des conversations de Londres ? M. Klotz demeurerat-il ministre des finances? Le Cabinet sera-t-il remanié ? L'élection de M. Painlevé sera-t-elle validée ? A quelle date émettra-t-on en Angleterre, l'emprunt annoncé ? Voilà des thèmes actuels.

D'abord, le voyage de Londres. Un de ses résultats les plus évidents aura été de faire voir la vanité des informations de notre grande presse. A peine, M. Clemenceau avait-il touché le sol britannique qu'agences et journaux célébraient à l'envi sa merveilleuse traversée. Jamais, il ne s'était mieux porté, il n'avait été plus alerte et dispos. La tempête est salutaire aux lions marins, disait l'un, et l'autre chantait le robuste Vendéen exposé aux paquets de mer, sur un pont de navire et puisant comme dans son élément naturel d'étonnantes ardeurs. Il nous fallut attendre le retour pour connaître que, dans la simple réalité, un coup de roulis avait jeté le lion marin contre un bastingage et qu'il en avait une côte luxée. L'examen médical devait même révéler que cette côte était brisée. Tout ceci pour exprimer que si les informations publiées sur les négociations de Londres sont pareilles à celles du voyage, il convient de n'y pas trop croire.

D'ailleurs ces informations ont été bien peu de chose. Un vaste titre du Petit Parisien a appris aux lecteurs que « M. Clemenceau, que nous avons vu, est fort satisfait des résultats des conversations. Suivait un exposé des sujets traités. Mais l'Opinion, qui ne dispose point du crédit de son grand confrère dans les conseils du gouvernement, sait que, si le rédacteur du Petit Parisien a vu le président du conseil dans un vestibule du ministère de la guerre, s'il lui a même serré la main, il n'a pas fait plus. Nous jugeons que ce n'est pas pour nous rassurer. Voyons donc, avec nos faibles lumières, ce qui s'est passé à Londres.

assez

Un point certain, le plus certain de tous, c'est l'émission d'un emprunt français sur le marché britannique. Une note officielle l'a fixé lundi dernier en ajoutant que le chiffre, la date de l'émission et les modalités seraient arrêtées plus tard. Nous ne croyons pas être mauvais prophète en disant que l'émission aura lieu en mars 1920 et que M. Klotz n'y présidera point.

Sur les questions économiques, impossible de rien connaître de solide. Mais ce qu'on aperçoit donnerait à souhaiter que les résultats politiques fussent dignes de faire compensation. On

Semaine

a obtenu cependant la continuation des livraisons de charbon. Quant à la paix à traiter avec la Turquie, il est convenu qu'on doit la signer. Quelles en seront les conditions ? C'est une autre affaire.

Et ces négociations de Londres nous amènent naturellement à parler de sujet. Car la question Klotz est, on peut M. Klotz et des bruits répandus à son l'écrire, dominée par les conversations avec la Grande-Bretagne.

:

Il y a une dizaine de jours qu'on raconta parmi des personnes informées que M. Loucheur pour qui le président du Conseil montre une estime toute particulière remplacerait l'actuel ministre des finances. Ce dernier, assurait-on recevrait en compensation la présidence de la commission interalliée des dommages de guerre, poste de 250.000 francs par an. D'autres disaient le gouvernement général de l'Algérie et d'autres encore assuraient que, si M. Long n'eût pas été tout récemment désigné, M. Klotz, assurément, aurait été en Indochine. Làdessus M. Loucheur fut mandé par M. Clemenceau à Londres pour y traiter les questions économiques et d'autres qui touchent aux finances puisqu'il s'agit de l'emprunt. De là, à conclure que la modification projetée était faite, il n'y avait rien, semblait-il. Il y avait cependant la ferme volonté de M. Klotz.

pas d'être

Car M. Klotz a des projets financiers : projet d'impôts nouveaux, projet d'emprunt. Il y tient. Il veut les exposer à la Chambre nouvelle et les lui faire adopter. Il Il n'admettrait poussé doucement vers la sortie du ministère. Il l'a dit. Il le ferait voir. Et M. Loucheur est bien trop galant homme pour faire de la peine à un collègue. Et le Tigre lui-même, n'est pas assez tigre. Alors M. Klotz demeurera notre ministre des finances. C'est chose assez facile puisqu'aussi bien, comme nous l'écrivons plus haut, l'emprunt en Angleterre ne se fera qu'après l'élection présidentielle, c'est-à-dire après le départ du ministère Clemenceau.

Le Cabinet ne sera donc pas remanié avant la grande discussion de février, à moins que d'ici là des incidents ne se produisent. On raconte, par exemple, que la santé de M. Stephen Pichon n'est point bonne, qu'elle donne même des préoccupations, et ne pourrait-on s'étonner de voir notre pays trop longtemps sans ministre des affaires étrangères ? Des mauvaises langues objecteraient peut être que pareil sort lui est déjà arrivé. Mais ce n'est pas la même chose.

M. Claveille aussi doit recevoir un autre poste. Concluons, que malgré tous les démentis présents, le ministère pourrait bien ne pas rester très longtemps ce qu'il est et être modifié avant les élections sénatoriales.

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On assure que le Tigre verrait sans déplaisir la défaite de ce collaborateur. Cependant M. Jeanneney fait répandre comme talisman dans les journaux de son département la photographie de la plaquette offerte par le président du Conseil à tous les membres de son Cabinet en souvenir du ministère de la victoire. Les bonnes gens imaginent que c'est un témoignage personnel à M. Jeanneney. Ils seraient fort étonnés d'apprendre que depuis quelques semaines, M. Clemenceau adresse à peine la parole au collègue qu'on avait surnommé le soutienGeorges ».

Enfin pour rester au Sénat, il est désormais certain qu'un décret présidentiel interviendra après les élections pour saisir la nouvelle assemblée de l'af-, faire Caillaux. On commencera une nouvelle commission d'enquête qui fera sienne la procédure de M. Pérès qui poursuit et étend encore ces jours-ci ses investigations. Le 27 janvier, l'affaire viendra devant la Haute Cour reconstituée.

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Surprise pour les personnes bien informées, la sous-commission nommée afin d'examiner les élections contestées du troisième secteur de la Seine, a conclu à la validation de MM. Painlevé, Ferdinand Buisson, Rozier, Levasseur et Aubriot par 3 voix contre 2. Depuis trois jours et notamment depuis le márdi 16, on affirmait que l'opinion du bu reau comme celui de la sous-commission était faite et que MM. Spronck, Boucheron et Lerolle seraient proposés comme élus en place de MM. Painlevé, Buisson et Rozier. Les gens bien informés ont eu tort. Ils prétendent que la faute en est à l'absence de l'abbé Hackspill, parti pour Metz, et à celle de M. Dessein, souffrant. L'affaire, assurent-ils, n'est pas terminée. Un débat public sera engagé qui ressemblera fort peut-être à une première rencontre politique.

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Donc, M. Paul Deschanel a été brillamment élu à la présidence de la Chambre, par 478 voix sur 505 votants, et il n'y a pas eu pour une vice-présidence de candidat alsacien-lorrain. D'abord on avait pensé à faire nommer M. François qui a lu la déclaration commune. Ensuite et à la veille même du scrutin, on avait parlé de l'abbé Wetterlé. Nul doute que l'un comme l'autre eussent été élus s'ils avaient été candidats. Mais les députés des provinces retrouvées ont pensé que ces fonctions ne sont pas uniquement d'apparat. Elles exigent une connaissance du milieu et du règlement qu'ils n'ont pas encore et qu'il est fort naturel qu'ils ne possèdent pas. Ils ont donc décliné l'hommage qu'on comptait justement leur rendre.

Ces élections faites et le programme financier du gouvernement exposé, on va s'occuper du Congrès de Versailles. Deux mois sont vite écoulés et tant d'avenir tient dans cette élection! M. Cle

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