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malheur, mais dégradé par la honte : il n'y a rien à espérer de lui.

Il est donc vrai que la France n'a eu aucune raison de se plaindre du traité de Paris..... que ce traité étoit même un bienfait immense pour un pays réduit, par le délire de son chef, à la situation la plus désastreuse (1). Le maréchal Ney, dans sa lettre du 5 avril 1814, adressée à M. le prince de Talleyrand, avoue que Buonaparte reconnoissoit le danger de cette situation. Convaincu, dit-il, de la position criti que où il (Buonaparte) a placé la France, et de l'impossibilité où il se trouve de la sauver lui-même, il a paru se résigner et consentir à l'abdication entière et sans aucune restriction.

Dans quel abîme en effet n'avoit-il pas précipité la France?

Lors des conventions du 23 avril 1814, quelques esprits prévenus, oubliant notre posi tion, ne parurent pas les approuver dans toutes leurs parties; elles rendoient, disoient-ils, aux alliés, sans conditions, les places de l'Allemagne, encore occupées par nos troupes.

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(1) Extrait du procès-verbal du 12 mai.

Quoi! Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, ne valoient pas Dantzick, Hambourg, Torgau, Anvers? C'étoit rendre ces dernières villes sans conditions, que d'en faire l'objet d'un pareil échange, que d'obtenir à ce prix la retraite des alliés ! A l'époque du 23 avril 1814, les alliés occupoient la France, depuis les Pyrénées occidentales jusqu'à la Gironde, depuis les Alpes jusqu'au Rhône, depuis le Rhin jusqu'à la Loire; quarante départemens, c'est-à-dire près de la moitié du royaume, étoient envahis; cent mille prisonniers répartis dans les provinces où les alliés n'avoient pas encore pénétré, menaçoient de se joindre à leurs compatriotes; quatre cent mille étrangers sur le sol de la patrie, les réserves des Russes, des Autrichiens, des Prussiens, des Allemands, prêtes à passer le Rhin, les Suédois et les Danois venant grossir cette inondation d'ennemis, telle étoit la position de la France. Chaque jour on voyoit tomber quelques-unes des places que nous tenions encore sur l'Oder, le Weser, l'Elbe et la Vistule; et les landwehr qui avoient formé le blocus de ces places, prenoient aussitôt la route de notre malheureux pays. Au milieu de tant de calamités ́ présentes, de tant de craintes pour l'avenir que pouvoit exiger le gouvernement provisoire?

Quelle force auroit-il opposée aux alliés, s'il avoit plutôt consulté l'ambition que la justice, ou si les alliés avoient préféré leur agrandissement à leur sûreté ? L'armée n'avoit point encore vu à sa tête le prince, noble dépositaire des pouvoirs du Roi et trop séduite par les prestiges de la gloire, on peut juger à présent qu'elle eût été moins fidèle à ses devoirs qu'à ses souvenirs; désorganisée, découragée par la retraite honteuse de Buonaparte, eût-elle essayé, sous les ordres de son nouveau chef, de renouveler des combats qu'elle étoit déjà lasse de soutenir sous son ancien général? Aux premiers signes de mésintelligence, les alliés occupant la capitale et la moitié du royaume, se seroient emparés des caisses publiques, auroient levé l'impôt à leur profit, frappé de contributions les villages et les villes, dépouillé Paris de ses monumens, et enlevé au gouvernement toutes ses ressources? Ils auroient appelé leurs nouvelles armées d'au-delà du Rhin, des Alpes, et des Pyrénées; les Anglois, les Espagnols, les Portugais partant de Toulouse et de Bordeaux, les Russes et les Prussiens de Paris et d'Orléans, les Bavarois et les Autrichiens de Dijon, de Lyon et de Clermont, auroient opéré leur jonction dans nos provinces non

encore envahies, Le Roi n'étoit point arrivé; auroit-il pu se faire entendre au milieu de ce chaos? Sans doute il est impossible de conquérir la France. Les Espagnols, les Portugais, les Russes, les Prussiens, les Allemands ont prouvé, et les François auroient prouvé à leur tour qu'on ne subjugue point un peuple qui combat pour son nom et son indépendance. Mais combien de temps cette lutte se fût-elle prolongée ? Que de malheurs n'eût-elle point produits? Est-ce du sein de ces bouleversemens intérieurs que nos soldats auroient marché à la délivrance de Dantzick, de Hambourg et d'Anvers? Ces places n'auroient-elles point ouvert leurs portes avant le triomphe de nos armées, avant la fin des guerres civiles et étrangères, allumées dans nos foyers? car il est probable que dans le premier moment nous nous fussions divisés. Enfin après bien des années de ravages, lorsque la paix eût mis un terme à nos maux, cette paix nous eût-elle fait obtenir les citadelles rendues aux alliés par les conventions du 23 avril 1814?

Que si quelqu'un pouvoit avoir le droit de reprocher le traité de Paris à ceux qui l'ont signé, ce ne seroit pas certainement Buonaparte qui a donné lieu à ce traité, en intro

duisant les alliés jusque dans le cœur de la France. Dans tous les cas, il est insensé de soutenir qu'il falloit prolonger nos révolutions, recommencer des guerres désastreuses, compromettre l'existence de la patrie, afin de conserver quelques places, peut-être même quelques provinces conquises, il est vrai, par notre valeur, mais enlevées, après tout, à leurs possesseurs légitimes par l'injustice et la violence.

Au reste, pour juger en homme d'état les conventions du 23 avril 1814, et le traité du 30 mai qui en est la suite, on ne doit point les prendre isolément : il faut examiner leurs. causes et leurs effets, considérer la place qu'ils occupent dans la chaîne des actes diplomatiques : non-seulement ils firent cesser les calamités de la France, mais ils fondèrent dans l'avenir les droits des souverains et des peuples, la sûreté et la liberté de l'Europe.

Si ces traités forcèrent Buonaparte à descendre d'un trône usurpé, ne sont-ce pas ces mêmes traités qui le condamnent aujourd'hui de nouveau? car il se trouve qu'en vertu même du traité du 3ò mai 1814, ce ne sont pas les étrangers qui attaquent le fugitif de l'île d'Elbe: c'est lui qui a troublé la paix du monde.

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