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MÉMOIRES

SUR

ME DE MAINTENON

PAR

LANGUET DE GERGY'.

1 Voir, pour la personne et les écrits de Languet de Gergy, la Préface.

AVANT-PROPOS.

Il est d'autres vertus que le courage, d'autres succès que les victoires qui peuvent mériter aux rois le nom de grand; c'est même abuser de ce titre glorieux de le donner à ceux qui ont fait gémir le monde sous le poids de leurs armes, aussi injustes qu'heureuses, et qui, par le sang et le carnage, ont fait changer de maîtres aux nations sans les rendre ni plus fortunées ni plus libres; ceux qui ont procuré le bonheur de leurs sujets, qui ont eu pour eux des entrailles de charité et de tendresse, qui ont veillé à leurs besoins, qui leur ont procuré du soulagement dans leurs misères, méritent bien mieux les titres honorables que l'histoire donne aux grands hommes, et le vainqueur de ses voisins me paraît bien moins digne d'éloges que celui qui s'est fait le père de ses sujets.

Mais ceux-là sont encore plus grands, qui ont perpétué dans les siècles à venir les biens qu'ils avaient procurés à leurs peuples, qui par une sage prévoyance ont ménagé des remèdes aux misères futures, et qui, embrassant tous les siècles dans les charitables projets de leur bienfaisance, ont prévu les besoins de ceux qui n'étaient pas encore et leur ont assuré des ressources.

La foi nous découvre un degré de gloire encore plus sublime dans ces rois aussi religieux que bienfaisants qui, ne bornant pas leur prévoyance aux besoins temporels de leurs peuples, leur ont préparé des secours pour arriver au bonheur éternel, que l'Évangile nous fait envisager comme le seul bien véritable; des rois qui, comme le dit saint Augustin, attentifs sur ce royaume céleste où ils n'auront

à craindre ni les jaloux ni les usurpateurs, ont employé leur puissance et leurs trésors à procurer la connaissance, le désir et la possession des biens éternels à leurs sujets et à toute la postérité.

C'est par cet endroit que Louis XIV m'a paru plus digne de porter le nom de grand, nom qui par un événement singulier, après lui avoir été prodigué pendant sa vie avec flatterie, lui a été conservé avec justice après sa mort. Deux monuments illustres présentent des preuves sensibles de ce que j'avance ici à son sujet; monuments durables, qui transmettront aux temps à venir sa puissance et sa gloire, et encore mieux sa piété et sa charité. Ces monuments sont, l'un, l'hôtel royal des Invalides, et l'autre la maison de Saint-Louis établie à Saint-Cyr. Ces deux établissements ont des objets bien opposés; mais en les réunissant dans un même point de vue, on y trouve également l'éloge le plus glorieux que l'on puisse donner à la mémoire d'un roi pieux et digne du nom de Très-Chrétien. Dans l'un, Louis XIV a voulu donner aux vieux guerriers un saint repos et une mort chrétienne; dans l'autre, il a voulu préparer aux jeunes filles de sa noblesse une éducation pure et pieuse, et dans tous les deux procurer également aux uns et aux autres des secours encore plus utiles à leur sanctification qu'à leur subsistance. En soulageant dans les vieux soldats les ennuis et les fatigues de la vieillesse, il leur a préparé des remèdes aux vices trop communs parmi les militaires; en soulageant la pauvreté des filles d'une noblesse ancienne, et leur procurant une éducation aussi chrétienne que gratuite, il leur a ménagé des moyens d'assurer leur salut et d'en prévenir les écueils; il a garanti les uns d'une vieillesse oisive, et les autres d'une jeunesse ignorante. Or, combien de l'un et de l'autre état qui ont été déjà et qui seront encore dans la suite des siècles redevables de leur salut éternel à l'ingénieuse libéralité d'un grand roi.

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