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dans le délai d'une année, à partir de l'arrêté préfectoral qui désigne les terres susceptibles d'expropriation : en ce cas, tout propriétaire, dont le terrain est compris dans l'arrêté, peut présenter requête au tribunal luimême [14]. Cette requête sera communiquée par le ministère public au préfet, qui devra, dans le plus bref délai, envoyer les pièces. S'il fait cet envoi, le tribunal statue dans les trois jours; s'il ne le fait pas, le tribunal peut, d'après les règles du droit commun, statuer sur les dommages-intérêts qui seraient légalement réclamés contre l'administration ou ses ayants cause.

Le jugement d'expropriation, outre les motifs et le dispositif, doit contenir l'énonciation ou le visa des pièces, et les noms des propriétaires expropriés, à peine de nullité (1).

La loi, qui n'a pas exigé que le jugement d'expropriation fût contradictoire avec les propriétaires, a dû prendre les plus grandes précautions pour faire connaître ce jugement soit aux propriétaires, soit aux tiers intéressés. Aussi, 1° le jugement doit être publié et affiché par extrait dans la commune de la situation des biens, tant à la principale porte de l'église du lieu qu'à celle de la maison commune; le jugement doit être inséré en l'un des journaux publiés dans l'arrondissement, ou, s'il n'en existe aucun, dans l'un de ceux du département:

c'est la publicité générale pour la commune, l'arrondissement, le département de la situation. 2° La notification doit, de plus, s'adresser spécialement aux propriétaires; en conséquence, « l'extrait contenant les

(1) Arrêt de cassation, 2 février 1836.

noms des propriétaires, les motifs et le dispositif du jugement doit leur être notifié au domicile qu'ils auront élu, dans l'arrondissement de la situation des biens, par une déclaration faite à la mairie de la commune où les biens sont situés; dans le cas où cette élection de domicile n'aurait pas, eu lieu, la notification de l'extrait sera faite en double copie au maire et aux fermier, locataire, gardien ou régisseur de la propriété : » - c'est la notification spéciale. 3° La publicité doit encore être relative aux tiers qui peuvent avoir des droits réels d'hypothèques ou de priviléges sur l'immeuble: immédiatement après l'accomplissement des formalités qui viennent d'être indiquées, le jugement d'expropriation doit être transcrit au bureau de la conservation des hypothèques de l'arrondissement, conformément à l'article 2181 du code civil [15-16]. Mais cette transcription n'est pas exigée à peine de nullité; et l'on ne peut pas la considérer comme une formalité substantielle [19].

La notification du jugement rend la procédure contradictoire et définitive; le jugement n'est susceptible ni d'opposition ni d'appel; mais il est soumis au pourvoi en cassation, lequel doit être formé par déclaration au greffe du tribunal, dans les trois jours de la notification du jugement. Le pourvoi doit être, sous peine de déchéance, notifié dans la huitaine, soit à la partie, au domicile déjà indiqué, soit au préfet ou au maire, suivant la nature des travaux. Le jugement peut être attaqué seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme du jugement: les vices de forme qui seraient en dehors du jugement et qui s'appliqueraient à des actes antérieurs, ne seraient pas cause suffisante de

pourvoi. La loi a voulu concentrer sur le jugement et non étendre aux actes préparatoires l'examen de la cour de cassation, relativement aux nullités de forme, sauf les attributions ordinaires pour cause d'excès de pouvoir et d'incompétence [20].

La procédure est exceptionnelle, même à la cour de cassation, tant la loi a voulu de rapidité dans l'exécutions des projets d'utilité publique. La chambre civile est saisie directement; elle doit prononcer dans le mois, et l'arrêt par défaut n'est pas susceptible d'opposition quand il est rendu à l'expiration de ce délai.

6° Effets du jugement. Les effets du jugement d'expropriation doivent être considérés et par rapport au propriétaire, et par rapport aux tiers.

I. Relativement au propriétaire. Après le jugement, la propriété est dans une situation transitoire, dans une condition mixte. Le droit de propriété est transféré l'Etat, la possession reste au citoyen. L'ancien propriétaire ne peut plus vendre, hypothéquer; il est dans une condition analogue au propriétaire dont l'immeuble a été saisi, après la dénonciation de la saisie ; la nullité de plein droit appliquée par l'art. 692 du code de procédure aux actes d'aliénation postérieurs à la dénonciation de la saisie, devrait s'appliquer aussi aux aliénations postérieures au jugement d'expropriation. L'ancien propriétaire n'a plus qu'un créance d'indemnité, une créance mobilière, et pour la sûreté de cette créance il a sur l'immeuble un droit de rétention, un droit de gage ou d'antichrèse. Telle est la théorie sur laquelle repose la loi de 1841, et qui a fondé les dispositions nouvelles de cette loi sur la dépossession en cas

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d'urgence (comme on le verra dans la section III). Ce principe est-il d'accord avec l'art. 545 du code civil? cela pourrait être douteux. L'art. 545 semble subordonner la cession même du droit de propriété à la condition de l'indemnité préalable de ces termes, «nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité, » on pourrait induire que le droit même de propriété, comme droit incorporel, ne passera de l'ancien propriétaire à l'État que par le payement de l'indemnité préalable. L'article 9 de la charte de 1830, sous l'empire de laquelle a été rendue loi de 1841, était moins absolu dans ses termes; il disait : « L'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable. » Or le sacrifice d'une propriété n'est vraiment consommé pour le citoyen, que lorsqu'il est privé tout à la fois et du droit de propriété et du fait de possession. Il suffit, dans ce système, que l'indemnité soit préalable au fait de la dépossession. Cela n'a rien de contraire aux articles 26 et 56 de la contitution de 1852. Ainsi, par le jugement d'expropriation et avant même le règlement de l'indemnité, le droit incorporel de propriété est transporté à l'Etat, et il l'est sous une condition résolutoire, savoir que l'indemnité sera payée ou consignée avant la prise de possession [53].

Le jugement d'expropriation peut ne comprendre qu'une portion des bâtiments et du terrain d'un propriétaire; son effet à cet égard n'est pas définitif. Lors du règlement de l'indemnité devant le jury, le proprié

taire pourra requérir que les bâtiments, dont une portion seulement est nécessaire à l'Etat, soient achetés en totalité. Il pourra user du même droit à l'égard de toute parcelle de terrain qui, par suite du morcellement, se trouvera réduite au quart de la contenance totale; à deux conditions, cependant: 1° que le propriétaire ne possédera aucun terrain contigu à la parcelle ainsi réduite; 2o que la parcelle, réduite au quart de la contenance totale et isolée de tout terrain appartenant au même propriétaire, sera d'une étendue inférieure à dix ares lorsqu'elle reste encore de dix ares ou plus, l'administration ne peut être forcée de l'acquérir [50].

II. Effets du jugement relativement aux tiers. Les tiers intéressés aux résultats de l'expropriation sont ceux qui ont des droits subordonnés à la propriété. Ils sont de différentes classes:

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1° Ceux qui ont un droit réel et constitutif d'un démembrement de propriété, savoir les usufruitiers dont parle l'article 21 de la loi et, par analogie, les emphytéotes. L'effet du jugement est d'éteindre leur droit sur l'immeuble et de le transporter sur l'indemnité. Mais leur indemnité est identique à celle du propriétaire. Le nu propriétaire et l'usufruitier ou emphyteote exercent leurs droits sur le montant de l'indemnité au lieu de l'exercer sur la chose [21-22-39]; seulement alors l'usufruitier, sauf les père et mère pour l'usufruit légal, et les emphytéotes seront tenus de fournir caution;

2° Ceux qui ont des droits constitutifs de charges temporaires ou perpétuelles sur l'immeuble, savoir les personnes qui ont des droits d'usage et d'habitation

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