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aux tribunaux qui faisaient procéder à des expertises préalables; les lois de 1833 et de 1841 en ont investi le jury. Le progrès des garanties en faveur des propriétaires s'étend, sans interruption, du point de départ à la législation actuelle.

Le système de la loi de 1841, pour arriver au payement de l'indemnité, s'appuie sur des mesures préparatoires et des points essentiels qu'il faut marquer successi

vement.

I. Déclaration et notification des ayants droit. Le propriétaire a reçu la notification du jugement qui l'exproprie; il doit appeler et faire connaître à l'administration, dans la huitaine de cette notification, les personnes intéressées aux questions d'indemnité. Les personnes qui doivent être appelées par le propriétaire et désignées sous sa responsabilité, sont :

1° Celles qui ont des droits d'usufruit;

2o Celles qui ont des droits d'habitation et d'usage réglés par le code civil, des droits de servitude résultant des titres mêmes du propriétaire ou d'autres actes dans lesquels il serait intervenu;

3o Les fermiers et locataires.

L'art. 21 ne mentionne expressément que ces ayants droit, et dans sa seconde partie, il se sert de l'expression les autres intéressés, ce qui semblerait comprendre tous ceux non formellement indiqués dans la première partie de la disposition. Toutefois, nous ne pouvons regarder la première partie comme une disposition limitative: la discussion, qui a eu lieu devant la chambre des dé

putés (1), prouve que par l'expression générale les autres intéressés on voulait principalement indiquer les usagers non compris dans le code civil et exclus par le § 1o de l'art. 21. Des raisons d'une étroite analogie entre les usufruitiers et les emphytéotes, entre ceux qui ont des droits réels temporaires ou perpétuels et les tenanciers à domaine congéable, entre les fermiers et les colons partiaires, doivent imposer au propriétaire l'obligation de déclarer et notifier les emphytéotes, les domaniers, les colons partiaires, comme les autres ayants droit indiqués par l'art. 21.

Le propriétaire qui négligerait de faire connaître ces diverses classes d'ayants droit, dont l'existence ne peut lui être inconnue et dont le nombre ne peut être grand, resterait seul chargé envers eux des indemnités qu'ils pourraient réclamer. Si le propriétaire ne les appelait pas, ils pourraient intervenir pour la conservation de leurs droits contre l'État; car, en principe, l'intervention est de droit en faveur de ceux qui devaient être appelés (2).

Les autres intéressés, et spécialement les usagers non compris dans le code civil, sont tenus de se faire connaître à l'administration, dans la huitaine de la notification du jugement d'expropriation au domicile élu par le propriétaire. Ils sont censés mis en demeure par l'avertissement public et collectif donné lors du dépôt des

(1) Voir l'extrait du rapport fait à la chambre en 1833 sur l'art. 121, dans DUVERGIER, t. XXXIII, p. 293.

(2) Argument des art. 466 et 477 du code de procédure civile; des art. 23, 24, 27, de la loi de 1841.

plans à la mairie [6]. Le propriétaire est dispensé de les appeler et de les faire connaître. Le grand nombre des usagers qui ont des droits dans les bois et forêts, les landes ou les marais, le peu d'importance de chaque portion du droit considéré dans chaque individu, malgré l'importance du droit collectif; enfin, les mesures de publicité qui s'effectuent dans les communes où résident les usagers, et dans les communes qui souvent sont ellesmêmes usagères, tous ces motifs ont fondé la distinction de la loi au sujet des droits d'usage. Les usagers doivent intervenir d'eux-mêmes dans le délai fixé, à défaut de quoi, dit l'article 21, ils seront déchus de tous droits à l'indemnité. Il semblerait résulter de la généralité de ces expressions, que les usagers n'auraient aucun droit d'indemnité à réclamer même contre le propriétaire. Mais ces expressions ne doivent être appliquées dans leur sens exclusif qu'en faveur de l'Etat (1). Quant au propriétaire, il faut distinguer s'il a ou s'il n'a pas déclaré, au moment de l'évaluation de l'indemnité, l'existence des droits d'usage qui grevaient sa propriété. S'il ne l'a pas déclarée, il a reçu une part de l'indemnité qui ne lui appartenait pas, puisqu'il a été indemnisé comme si sa propriété avait été libre de tous droits d'usage. Dans ce cas, les usagers pourraient réclamer, à titre de dommages et intérêts, la somme qui représenterait la valeur des droits d'usage; le propriétaire ne peut, par son silence de mauvaise foi, s'enrichir aux dépens des usa

(1) Tel est l'esprit de la loi, d'après la discussion résumée dans DUVERGIER t. XXXIII, p. 293.

gers « Consilii non fraudulenti nulla obligatio est ; cæterum si dolus et calliditas intercessit, de dolo actio competit (1). »

II. Offre de l'indemnité. L'État notifie aux propriétaires et à tous autres intéressés, qui auront été désignés ou qui seront intervenus, et fait publier l'offre d'une indemnité [23]. Les offres d'indemnité sont différentes, selon les titres différents des ayants droit. L'indemnité première est offerte au propriétaire. Une indemnité spéciale, et distincte de celle du propriétaire, est offerte:

1° Aux fermiers et locataires, à raison de la résiliation du bail ou de la réduction des lieux affermés [39, 21, 23];

2. A ceux qui ont des droits d'usage ou d'habitation, des servitudes actives;

3 Aux usagers qui ont des droits collectifs, non réglés par le code civil [636], et qui sont intervenus.

Quant aux usufruitiers ou ayants droit de même qualité, qui exercent leur droit sur le montant de l'indemnité, au lieu de l'exercer sur la chose, il n'y a qu'une seule indemnité à offrir pour le propriétaire et l'usufruitier; mais ce dernier peut avoir intérêt à empêcher l'acceptation d'une offre trop faible; on doit donc lui notifier les offres comme au propriétaire [22]. Il n'a au surplus son droit de jouissance qu'à la charge de caution, sauf le cas d'usufruit légal.

(1) Digeste, De regulis juris, 47.

Les offres faites par l'administration peuvent être acceptées à l'amiable: lorsqu'un propriétaire aura accepté les offres de l'administration, le montant de l'indemnité devra, s'il l'exige et s'il n'y a pas eu contestation de la part des tiers, être versé à la caisse des dépôts et consignations pour être remis ou distribué à qui de droit, selon les règles du droit commun [59]. Les tuteurs et représentants des incapables peuvent accepter les offres pour les biens des mineurs et interdits, mais avec l'autorisation de la chambre du conseil, et sous la condition d'emploi prescrite par le tribunal [13-25-26]. Les préfets, les maires et administrateurs peuvent accepter les offres d'indemnité pour les biens appartenant aux départements, aux communes, aux établissements publics, avec l'autorisation des conseils généraux, et celle du conseil municipal ou du conseil d'administration approuvée par le préfet en conseil de préfecture; le ministre des finances a qualité pour accepter les offres concernant les biens de l'État.

Les offres doivent être acceptées par les personnes capables dans les quinze jours de la notification, et, dans le mois, par les représentants des incapables. Les propriétaires capables et autres intéressés qui n'acceptent pas les offres qui leur sont faites, sont tenus d'indiquer le montant de leurs prétentions: faute par eux de se conformer à cette obligation, ils seront condamnés aux dépens, quelle que soit l'estimation ultérieure du jury [24-40, §4]. Le silence des intéressés équivaut au refus. Les offres n'étant pas acceptées soit par le propriétaire, soit par les intéressés, il y a lieu à la convocation du jury.

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