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Dans la semaine écoulée entre la 6-ième et la 7-ième séance, c'est-à-dire du 1 au 7 Mars, les cabinets eurent à échanger de fréquentes communications dans le but d'établir un accord au sujet de la rédaction du 5-ième point ci-dessus mentionné, au sujet duquel le Plénipotentiaire s'était réservé de prendre l'avis définitif de son gouvernement. Voici en quoi consistait la question: la navigation générale était intéressée à ce que les tarifs à établir par la Russie sur le bras de Kilia fussent substantiellement conformes à ceux que la Commission Européenne avait fixés ou fixerait pour le bras de Soulina; une différence dans les tarifs aurait ouvert la voie à une concurrence en faveur d'un bras et au détriment de l'autre; or pour établir cette uniformité il est nécessaire que la Russie, qui connait par l'intermédiaire de son Délégué à la Commission Européenne, les tarifs de Soulina et contribue à les établir, communique la Commission elle-même plus ou moins directement les tarifs qu'elle entend établir sur le bras de Kilia. Cette idée a été celle de tous les Plénipotentiaires et a été aussi admise par le Plénipotentiaire Russe mais sous certaines réserves. Le gouvernement Russe reconnaissait l'utilité des tarifs substantiellement uniformes. Mais jaloux de ses droits de souveraineté, parmi lesquels il faut compter celui d'établir les tarifs, il comptait le maintenir sans atteinte, en donnant cependant l'assurance d'en user dans le sens ci-dessus indiqué d'uniformité. Il hésitait cependant à consentir à une communication directement faite à la Commission Européenne des Règlements y relatifs.

Les instructions de Votre Excellence m'invitaient à me prononcer dans un sens de conciliation et je n'ai pas manqué de les suivre, en ce qui me concernait, dans les fréquents colloques que j'ai eus avec mes collègues à ce sujet. Je n'ai pas besoin de rappeler ici toutes les phases de la question, je me bornerai à les résumer. Dans la 7-ième réunion du 7 Mars, le Plénipotentiaire Russe a donné lecture d'une rédaction qui avait été précédemment communiquée confidentiellement aux Plénipotentiaires et qui fut adoptée. Voici cette rédaction du 5-ème point.

>>Il est bien entendu qu'aucune restriction ne limitera le droit de la Russie de prélever des péages pour les frais des travaux qu'elle entreprendra. Cependant dans le but de maintenir saufs les intérêts réciproques de la navigation sur les bras de Soulina et de Kilia, et afin d'assurer un accord dans le travail, le gou

vernement Russe communiquera aux gouvernements représentés dans la Commission Européenne les Règlements de péage qu'il jugerait utile d'introduire.<<

Comme je l'ai dit, cette rédaction a été adoptée dans ce sens (constaté par le premier Plénipotentiaire Russe et inscrit au Protocole) que l'accord entre les Puissances serait nécessaire pour la mise en vigueur du règlement de péage. Ainsi s'est terminée cette question qui avait un instant fait douter du succès de la Conférence.

Dans cette 7-ème réunion le Plénipotentiaire de la Turquie, se reférant à une réserve faite précédemment par lui, a demandé qu'il fût constaté dans le Règlement annexé au traité, à l'article 97, que la nomination du Délégué de la Bulgarie dans la Commission mixte devait être soumise à l'approbation de la Sublime Porte. Il a fait de cette réserve une condition sine qua non de l'adhésion de la Turquie à l'œuvre de la Conférence et de l'apposition de sa signature sur le traité. La Conférence n'a pas voulu compromettre au dernier moment la conclusion de l'œuvre laborieuse qu'elle avait entreprise et a admis cette constatation, non pas dans le Règlement, mais dans le Protocole, avec la déclaration que l'insertion au Protocole avait la même efficacité que si elle faisait partie du traité.

Dans la même réunion et sur la proposition du Plénipotentiaire de l'Italie, la Conférence a fait la réserve expresse de la juridiction consulaire telle qu'elle était établie par les traités entre les Puissances et les Etats riverains.

Aujourd'hui enfin a été tenue la 8-ème et dernière séance pour la signature du traité. J'ai déjà rendu compte de ce qui s'y est fait par un autre rapport adressé par moi sous cette même date, à Votre Excellence.

Dans toutes ces négociations, le Plénipotentiaire de S. M. le Roi, s'inspirant des instructions que Votre Excellence lui a données par sa dépêche du 10 Janvier 1883 et par les télégrammes suivants, a rempli la mission qui lui avait été confiée de la manière qu'il a cru la plus conforme à ses instructions et la plus utile aux intérêts de l'Italie. Il s'est particulièrement efforcé de faire œuvre de conciliation chaque fois qu'il en a eu l'occasion, tout en maintenant les engagements pris antérieurement par le gouvernement du Roi au sujet des points principaux, tels que les Règlements et spécialement la Commission mixte. Il a eu soin

de témoigner, chaque fois qu'il a pu le faire, la sympathie habituelle de son gouvernement pour les petits Etats riverains; il s'est prononcé ensuite en faveur de la plus longue durée des pouvoirs de la Commission Européenne, question dans laquelle était impliqué l'intérêt le plus grand et le plus direct de l'Italie, dans tout ce qui concerne la navigation du Danube.

La Conférence de Londres ne pouvait avoir la prétention (tel est au moins l'avis du plus obscur de ses membres qui écrit ces pages) de faire une œuvre parfaite, mais elle a fait indubitablement une œuvre utile et conforme aux exigences des circonstances présentes.

La liberté fluviale a été une fois de plus hautement reconnue et confirmée; l'ingérence de l'Europe dans la surveillance de cette liberté a été admise et établie pour une longue période. Les moyens de rendre facile, régulière et rapide la navigation Danubienne pour tous les pavillons, ont été assurés avec la sanction des bases fixes inscrites dans un Règlement obligatoire.

La satisfaction légitime, que la conclusion du traité devait produire est cependant diminuée pour le moment par le fait que la Roumanie et la Bulgarie ont déclaré qu'elles ne se tiendraient pas pour liées par les décisions prises sans leur participation. On peut cependant espérer que l'action unanime des grandes Puissances s'exerçant à Bucarest et à Sophia, dans cet esprit amical et conciliant qui leur est propre, réussira à amener le royaume de Roumanie et la principauté de Bulgarie à accéder aux stipulations de Londres qui leur assurent, ainsi qu'à la Serbie, une juste part dans la Commission mixte, laissent à la Roumanie la place qui lui a été assignée dans la Commission Européenne par l'art. 53 du Traité de Berlin et constituent une garantie pour tous les intérêts.

J'ajouterai une dernière considération.

Ce n'est pas ici le lieu de discuter le rôle que les eaux du Bas-Danube auront encore à jouer dans les conflits politiques et militaires de l'avenir. On peut cependant prévoir dès à présent que leur importance commerciale ira toujours en diminuant, à mesure que deviendront plus nombreux et plus rapides les autres moyens de communication qui conduisent au grand marché de l'Europe centrale en amont du Danube et qui d'un autre côté, aboutissent à la Mer Egée et à la Mer Noire. Il faut tenir compte de ces prévisions pour juger équitablement l'œuvre de la

Conférence de Londres. Le mérite principal de cette œuvre est, je le répète, d'avoir proclamé une fois de plus au nom de l'Europe le principe de la liberté de la navigation sur les grandes artères fluviales, principe qui probablement est destiné à trouver des applications, plus importantes ailleurs que sur le Danube. Agréez, etc.

(Signé) Nigra.

23.

Le Ministre des Affaires Etrangères à l'Envoyé de
Roumanie à Londres.

Monsieur l'Envoyé,

24 Mai 1883.

Aussitôt que les premières ouvertures furent faites pour réunir à Londres une Conférence, dans le but de régler différentes questions relatives à la navigation du Danube, la Roumanie demanda à y participer effectivement, c'est-à-dire, sur le même pied que les autres Etats appelés à assurer, de concert avec elle, l'exécution des traités concernant ce fleuve.

Cette demande était basée sur les précédents établis par le droit international, la position que la Roumanie occupe sur le Danube, la situation qui lui a été créée par le Traité de Berlin et les actes qui en découlent.

Le Protocole du 15 Novembre 1818 du Congrès d'Aix-laChapelle, qui réserve à tous les Etats le droit de participer aux réunions ayant pour objet leurs intérêts spéciaux, n'est que l'application d'un principe mis en pratique au Congrès de Vienne dans plusieurs questions de cette nature.

En effet, les huit grandes Puissances, réunies à Vienne pour délibérer sur les questions relatives à la libre navigation des rivières qui traversent plusieurs Etats, fixèrent, dans une séance préparatoire, le programme des négociations, et convinrent d'inviter les Plénipotentiaires de Bade, de Bavière, de Hesse-Darmstadt, de Hesse-Cassel, de Francfort, de Hollande, de Nassau et de Wurtem

berg à prendre une part effective aux réunions au sein desquelles devaient être discutés et décidés les principes généraux de la navigation des fleuves, aussi bien que les Règlements spéciaux de navigation du Rhin, de la Meuse, de l'Escaut, de la Moselle, du Mein et du Nècre.

Cette procédure fut appliquée à tous les arrangements fluviaux ultérieurs, dont les riverains indépendants n'ont jamais été exclus. Il était de toute justice de leur reconnaître un droit aussi incontestable. Les riverains ne sont-ils pas, en effet, dans ces questions, les plus intéressés; et, est-il admissible qu'un gouvernement indépendant se laisse majoriser dans ses propres eaux, directement ou indirectement, par des décisions prises et des arrangements conclus en dehors de sa participation?

La Roumanie occupe sur le Danube une position des plus importantes. Le cours inférieur de ce fleuve, depuis les Portesde-Fer jusqu'à la mer, formant le tiers de toute sa longueur navigable, baigne d'une manière non interrompue les rives Roumaines (2741 kilomètres de l'embouchure de l'Iller, en amont d'Ulm, jusqu'à la mer; 893 kilomètres de Verciorova à Soulina). La Roumanie possède dans ce parcours la plus grande partie des embouchures du Danube, et plus des deux tiers du développement des rives (87 kilomètres rives Serbes, 466 kilomètres rives Bulgares, 1221 kilomètres rives Roumaines). Son commerce d'importation ou d'exportation fournit à la navigation fluviale ou maritime, d'amont ou d'aval, son principal élément, et recevra un développement toujours croissant lorsque, après avoir donné tous ses soins à l'établissement de son réseau des voies ferrées, la Roumanie dirigera tous ses efforts vers l'amélioration des conditions de la navigation Danubienne.

Cette situation ainsi que la reconnaissance de son indépendance ont valu à la Roumanie la place que l'article 53 du Traité de Berlin lui a assignée dans la Commission Européenne, à côté des sept Puissances qui la composaient en vertu des stipulations du Traité de Paris de 1856.

L'indépendance de la Roumanie devenant un fait acquis et réel, et les embouchures du fleuve entrant pour la majeure partie en sa possession, on devait nécessairement l'associer à tous les actes émanant de la Commission Européenne du Danube.

La Roumanie fut admise dans cette Commission internationale au même titre que ses autres co-participants. Aucune réserve ne

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