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eût pu être exigée alors comme aujourd'hui. De là son insistance sur le commun accord des Etats riverains pour les mesures relatives à l'application des principes établis, et la décision, formulée trois ans plus tard par un protocole du Congrès d'Aix-la-Chapelle du 15. Novembre 1818, suivant laquelle les puissances réunies au Congrès ne pourraient prendre aucune disposition quant aux droits des tiers sans le concours direct des états intéressés: On n'hésita pas alors, même au risque de voir plus tard, comme il advint en effet, l'égoïsme particulariste et les convoitises locales toujours hostiles au commerce, s'élever contre les prescriptions du Congrès de Vienne.

Les principes posés par le Congrès en matière de navigation sur les cours d'eau internationaux étaient l'expression réelle de la justice et de l'équité: La preuve en est, qu'ils ne partagèrent pas le sort de ces arrangements caduques, basés uniquement sur des considérations utilitaires du moment et propres à blesser les sentiments nationaux des peuples. Si les règles, relatives à la navigation, établies par le Congrès de Vienne ont survécu aux changements territoriaux des états et aux constitutions solennellement garanties en 1815, c'est uniquement grâce à l'heureuse liaison qu'on avait établie entre les exigences internationales et nationales, et à l'accord, qu'on avait su mettre entre le droit public et le droit international.

Quiconque devrait porter sur l'histoire un jugement, d'ailleurs très-circonspect, et déduire des analogies et des conclusions sur les causes appréciables, qui ont pu pro

longer l'existence des institutions publiques, serait fondé à penser que les dispositions du Congrès de Vienne, concernant la navigation des fleuves, n'auraient pas conservé cette longue vitalité, si, tant à l'origine que plus tard, elles avaient froissé le sentiment national, au même degré, par exemple, que le partage des territoires Italiens, et la constitution de l'acte de la Confédération Germanique. Si cette conclusion, si ce jugement sur l'histoire sont légitimes, il faudrait, dans les circonstances présentes, si radicalement différentes du passé, supposer, que la liberté de la navigation sur les cours d'eau ne pourrait être assurée d'une manière durable par des traités, ou garantie par des mesures coercitives de la part des gouvernements que moyennant une condition: C'est que le principe de la liberté du commerce international fût mis d'accord, de la même manière, qu'au Congrès de Vienne, avec les principes de la souveraineté territoriale des Etats riverains, et- ce qui ne présentait pas le même caractère de actualité lors de ce Congrès, avec le sentiment de nationalité, si fortement développé depuis 1815, des états, qui se trouvent riverains d'un même fleuve: En effet, les Gouvernements se verraient impuissants à réagir, malgré tout l'apparat de leur pouvoir, si venait l'opinion publique, croyant le peuple menacé dans ses droits naturels, s'élever contre des prescriptions portant à ses yeux le caractère d'une atteinte aux droits inhérents à l'état. La mer, le cours d'une puissante voie fluviale ne sont-ils pas comme un miroir naturel, où se réflète

la conscience qu'ont d'elles-mêmes les nations? Les hommes d'état qui siégeaient à Vienne ne se sont assurément pas mépris sur le sentiment qu'avaient alors de leurs droits les Gouvernements aussi bien que les peuples. Le développement des rapports de navigation pendant la période écoulée entre 1815 et 1856 en fait foi. Il faut aussi reconnaître, qu'il eût été vain, par égard pour une formule abstraîte, et en méconnaissance de l'état de choses traditionnel, de sacrifier les droits des Etats riverains au simple principe d'une liberté de commerce illimitée.

La réaction, d'ailleurs inévitable, eût dépassé, en un degré beaucoup plus sensible, celle, qui marqua l'application des principes, établis par le Congrès aux divers fleuves allemands. Les négociations préliminaires de l'acte de navigation du Rhin et plus encore de l'acte de navigation de l'Elbe témoignent, combien les Etats riverains s'attachaient à sauvegarder leurs droits de souveraineté territoriale, et combien étroite était l'interprétation, qu'on donnait aux prescriptions de l'acte du Congrès de Vienne. N'a-t-on pas maintenu sur l'Elbe des droits de péage, entièrement insoutenables au point de vue légal, et essentiellement contraires à l'acte de 1815? Le système politique, prédominant sur la généralité des fleuves Allemands repoussait toute prétention des états, qui ne comptaient pas parmi les riverains à la participation de l'usage des cours d'eau. Les velléités de la Hollande de fermer aux Etats riverains du cours supérieur du Rhin la route de la mer, échouèrent tou

jours, il est vrai, contre l'attitude et la résistance victorieuses des Grandes Puissances les plus intéressées. Mais la patience même, apportée à prendre au sérieux et à réfuter les arguties, intolérables à toute intelligence un peu saine, qu'invoquait la Hollande dans l'interprétation de l'expression »jusqu'à la mer«, témoigne du prix, qu'on attachait, en un cas douteux seulement en apparence, à ménager le principe de la souveraineté territoriale reconnue aux Etats riverains. C'était aller au delà de ce qu'exigeait une pleine conciliation avec les intentions de l'acte du Congrès de Vienne. On peut, comme il est d'ailleurs arrivé maintefois à trèsjuste titre, blâmer cet excès de condescendance du passé envers un particularisme obstiné, qui n'a jamais eu la volonté sincère, ni de prendre en considération la liberté de navigation des fleuves, ni de subordonner des intérêts particuliers à l'intérêt de la communauté. Mais il faut également reconnaître qu'en 1815 attendre les partisans du principe monarchique et les défenseurs de l'utilitarisme devaient assurément les premiers que toute tentative d'imposer par la force une ingérence quelconque fondée sur le principe de la liberté du commerce, les seconds que tout encouragement aux sentiments populairs d'hostilité envers les étrangers et le trafic commercial, avaient la conséquence inévitable et directe de compromettre la souveraineté territoriale des Etats riverains.

Quelle que soit d'ailleurs l'approbation ou l'improbation, que l'on puisse se sentir appelé à exprimer sur les mesures prises par la diplomatie continentale rela

tivement à l'application de l'acte du Congrès de Vienne, il demeure constant, que, dans tous les cas litigieux ou douteux, où il s'agissait de la démarcation entre les principes de la liberté de navigation des fleuves internationaux d'une part, et les droits territoriaux des riverains de l'autre, on ne saurait citer un seul exemple, qu'on ait lésé les droits des riverains, soit en leur imposant d'une manière violente quelque restriction territoriale soit en invoquant l'autorité de la majorité des voix. Tous les actes de navigation, issus des principes du Congrès de Vienne, reposent sur l'idée primordiale d'un accord librement consenti par chacun des Etats riverains et sur la. reconnaissance de leur droit absolu quant au pouvoir exécutif.

Fidèles à une maxime d'interprétation, observée et pratiquée avec une logique tenace et constante, les états les plus intéressés à la navigation fluviale ont eu le système invariable, dans les cas douteux, de donner le pas aux droits du riverain, quant à l'exercice de sa puissance souveraine, sur les exigences du trafic. déduites de la liberté du commerce. Cette interprétation a servi de règle constante dans la solution des réclamations contre les riverains.

Les deux Grands Etats Allemands se sont toujours déclarés partisans du droit des riverains, quant au régime des fleuves Allemands. C'est ainsi, que fit la Prusse, par exemple, lorsqu'il s'agit en 1829, d'applanir un différend relatif, à la navigation du Rhin, dans lequel la Hollande était intéressée à titre principal. Les deux

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