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entière à la paix universelle de l'abbé de Saint-Pierre & de Jean-Jacques? (1)

Hé! vous ne le pensez pas vous-même; vous êtes trop éclairé, pour être de bonne foi, & vous en êtes d'autant plus coupable. La seule règle que la philosophie puisse fournir dans cette matière à la politique, c'est d'imiter les Romains dans les beaux tems de leur république; c'est de faire précéder toutes les guerres de ces formalités qui annoncent dans un peuple de l'amour. pour la justice; c'est de respecter religieusement les droits de l'humanité dans les ennemis vaincus, & de montrer de l'estime à ceux qui savent s'en rendre dignes.

Laissez-là, croyez-moi, M. le Comte, votre plan de propagande; la société de Philadelphie ne fera ne fera pas fortune en Europe, & il est démontré, même en Angleterre que vous reconnoissez pour votre aînée en principes de morale & de politique, que les Quackers ne pourront jamais se réunir en cors de peuple. Pour être persuadé que votre nation ne prendra jamais la douceur de la colombe, il ne faut que se rappeller les actes de férocité dont elle vient de donner l'effroyable exemple. Heureusement une pareille maladie n'est pas épidémique, & si le reste de l'Europe est belliqueux, il est aussi magnanime & généreux, malgré les préjugés qui le garottent encore, & malgré les tyrans qu'il adore. Savez-vous ce qu'il faudroit pour faire regner la philosophie sur le peuple que

(*) Voyez page 4 du rapport.

vous prétendez régénérer ? Lui donner des mœurs; le convaincre que ce n'est que par l'exercice des vertus domestiques, qu'il peut se préparer à la pratique des vertus publiques; que qui ne sait être ni mari, ni père ni voisin, ni ami, ne sauroit être citoyen; que l'homme vertueux va, comme par instinct, au devant de ses devoirs, & qu'il faut qu'il les sache estimer, pour donner à ses magistrats le courage & la constance qui leur sont nécessaires.

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A quoi serviroit, en effet, de donner la constitution la plus sage à des hommes corrompus, dont on ne corrigeroit pas d'abord les vices? A quoi serviroient des loix méprisées par les moeurs publiques? Suffit-il donc de faire des loix, pour que les hommes У obéissent ? N'éprouvez-vous pas le contraire chaque jour? Ne sait-on pas que de créer de nouveaux magistrats chez un peuple corrompu, ce n'est qu'y introduire de nouveaux abus ? Qu'un législateur qui ne va pas à la racine des maux, en laisse subsister la cause? Que lorsqu'il ne corrige pas les hommes, il ne corrige pas l'état, & que ses efforts eux-mêmes finissent par le rendre incorrigible?

Avez-vous commencé, essayé seulement, cette grande tâche ? Qu'avez-vous fait jusqu'à présent pour les mœurs ? Vous avez assigné des droits à l'homme, avant de lui avoir parlé de ses devoirs; & c'est précisément l'inverse qu'il falloit prendre. Vous n'avez donc eu pour objet qu'une révolution dans l'état, & non dans les mœurs ; c'est-à

dire, qu'à l'exemple des empiriques, vous n'avez voulu faire usage que d'un palliatif; sous prétexte de nous guérir d'une maladie de langueur, vous avez aigri, irrité toutes nos humeurs ; & pour nous délivrer de quelques maux que la patience eût adoucis, vous nous avez fait des plaies mortelles.

Cependant l'édifice politique s'écroule de toute part; ici ce sont des provinces entières qui, honteuses d'être mutilées, réclament contre une dissection qui les rend méconnoissables à leurs propres yeux; là ce sont des villes qui, étonnées d'avoir un drapeau rouge à déployer, ne savent à qui la force publique appartient, si c'est à ceux qui la commandent, ou à ceux qui l'exercent. La capitale, qui n'avoit point jusqu'à présent d'autre ressort que l'argent, pour produire le mouvement, est tombée dans une inaction léthargique; elle est déchirée par des passions qu'elle ne peut plus satisfaire; elle a conservé les vices de la richesse au sein de la misère; les denrées & les marchandises ont conservé leur ancien prix, & les salaires ont diminué; l'argent s'est resserré en proportion que l'inquiétude sur la fortune publique a augmentée; la création d'un papiermonnoie en a fait un monopole; l'usure, dirigée par le charlatan qui vient enfin de se démasquer lui-même, l'a converti en une marchandise, & il s'accumule chaque jour dans un plus petit nombre de mains ; le peuple sent d'autant plus vivement sa misère, qu'il s'étoit accoutumé à plus d'abondance, & ses murmures sont prêts à éclater en une

aveuglé fureur; ailleurs, un camp nombreux, formé par une sorte d'inspiration appelle à lui la religion & la royauté fugi tives; dans un autre endroit, l'on diroit, à voir les soldats s'entretuer au moment même qu'on les régénère, qu'ils renaissent des dents du dragon, qu'un nouveau Cadmus doit abbattre. Par-tout on voit les tribunaux renversés, & une justice arbitraire entre les mains d'un peuplé féroce.

Cependant le royaume est entouré de flottes & d'armées, aguerries & disciplinées. Tous vos voisins sont vos rivaux, & prêts à devenir vos ennemis; tous abhorrent vos excès, & chacun d'eux vous redemande une portion de son ancien patrimoine.

Et vous délibérez froidement, dans votre comité diplomatique, si vous ferez l'honneur à quelqu'un de vos anciens alliés, de lui demeurer fidèle, ou s'il n'est pas de votre dignité de les abandonner tous, & de vous suffire à vous-mêmes! Vous faites attendre, pendant six semaines, au ministre du roi d'Espagne, une réponse qu'il vous demandoit prompte & cathégorique.

Insensés que vous êtes! Est-ce bien à vous de vous montrer difficiles! Qui est-ce donc qui rechercheroit votre alliancé, dans l'état où se trouve votre marine & votre armée ? Ne savez-vous pas qu'il vaut mieux se passer d'alliés que de communiquer avec des

pestiférés?

Je vous en demande pardon, M. le Comte, mais il faut que vous optiez entre vous isoler, où vous en tenir à la forme, comme à la te

neur des traités subsistans entre la France & les autres puissances; aucune ne vous permettra de les adopter pour une partie, & de les modifier sur le reste ; vouloir altérer un ; traité, c'est vouloir l'anéantir.

Deux grandes raisons vont vous démontrer cette vérité ; elles sont précisément la réponse aux deux principes que vous établissez.

Les traités sont les contrats des souverains, ou pour mieux dire, des nations; car les nations ne peuvent s'obliger entr'elles que par des représentans, soit perpétuels, soit temporaires.

Or un contrat devient obligatoire, par l'engagement du mandataire, pour ceux qui l'ont constitué; le consentement de ceuxci se lie nécessairement au consentement de celui-là; autrement il faudroit convenir que les nations ne peuvent point traiter entr'elles, qu'il ne sauroit y avoir de foi publique, ni de droit des gens, & tout se réduiroit au droit du plus fort.

P

Si les contrats des nations doivent avoir la même force que ceux des particuliers, ils doivent être soumis aux mêmes regles, or il est de principe, conforme à la saine raison, à l'équité naturelle, qu'on n'est jamais reçu syncoper un contrat; il faut l'admettre en entier, ou le rejetter en entier. Les traités sont comme tous les actes qui ont reçu le caractère & l'impression de l'autorité publique, ils ne sont plus au pouvoir de l'une des parties, ils appartiennent à la foi publique,

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Ainsi un peuple, lié par un traité définitif,

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