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surgés. L'état de siége, la mitraille et les bourreaux punirent encore leur tentative. En 1840 l'union fut proclamée; c'est-à-dire que le parlement irlandais fut supprimé, et que, sous couleur d'association et de fraternité, la petite île fut enchaînée à la grande par des attaches plus solides et plus tyranniques encore. Le peuple montra qu'il ne se faisait plus illusion. Il reprit les armes, et continua à appeler et à braver les châtiments, comme par le passé. Toujours entre l'administration et les sujets, entre les riches et les pauvres, un échange de vengeances réciproques.

misérables vêtements, une détestable nourriture, la désolation de presque tout le royaume; les habitants sans bas, sans souliers, sons abris, vivant de pommes de terre; en aucun pays on ne vit jamais autant de mendiants, etc. >> Le duc de Grafton, l'évêque Berkley, lord Chesterfield, tous les écrivains sont d'accord avec Swift et tracent le même tableau. Le docteur Campbell s'exprime ainsi : « En Irlande on ne rencontre que des haillons, des malades et des gueux. La malpropreté est universelle comme la misère. A peine l'artisan de Dublin se rase-t-il une fois par mois ; et le rasoir, lorsqu'il s'en sert, ne fait que découvrir les traces Parmi les avocats qui se chargèrent de la tâche périlleuse hideuses du scorbut et des maladies dégoûtantes qu'engen- de défendre leurs concitoyens devant les magistrats anglais, drent la faim, la détresse, et même le vice. Entrer dans il y en eut un qui, après quelques plaidoyers, fut bientôt le une boutique et même dans une église, c'est s'exposer à la plus célèbre et le plus aimé de tous. Il était né à Dublin, contagion prurique ou à l'infection des ulcères gangréneux d'une famille ancienne qui descendait, disait-on, des rois qui couvrent les misérables qui s'y trouvent... La vie de ce de Kerry. Ses parents l'avaient envoyé faire ses études en peuple est celle des brutes: les hommes s'entassant pêle-mêle France aux colléges des Jésuites de Douai et de Saint-Omer; avec le bœuf, la vache et le cochon, sous un toit commun et, une fois ses cours terminés, il était revenu dans sa paqui est un véritable chenil. » Arthur Young donne de sembla- trie, pénétré des grands principes de tolérance et de liberté bles détails et en ajoute d'épouvantables sur les traitements que la philosophie française répandait partout, et en même que se permettent les gentilshommes, comme ils s'appellent, temps, ce semble, de la doctrine loyoliste que la fin justifie vis-à-vis des manants, en l'absence de toute justice sé- les moyens. Les succès prodigieux qu'il obtint au barreau, rieuse, sur l'odieuse façon dont ils rompent des marchés, la popularité inouïe qu'il ne tarda pas à s'attirer førtifièrent dès qu'ils y trouvent leur compte, et sur les infâmes abus en lui la généreuse ambition de prendre en main la cause qu'ils font de leur puissance irresponsable sur leurs vas- sacrée de l'Irlande et de relever ce noble pays au rang qui saux. (Voyez Voyage en Irlande.) Et sur cette terre les lui appartient. Il comprit tout ce qu'il pouvait faire de ce hommes poussent comme l'herbe; la population aug- peuple enthousiaste que sa parole émouvait si profondé– mente dans d'effrayantes proportions, à mesure que s'é- ment, et qui, lorsqu'il sortait du tribunal, se pressait sur tend la détresse. En 1733 il y avait deux millions de ca- son passage à genoux les mains jointes, en le couvrant de tholiques, c'est-à-dire de pauvres sans secours, sans bénédictions. Convaincu par les enseignements du passé protection, sans espoir en 1835 il y en avait sept mil- de la stérilité pour le bien de la révolte, telle qu'elle étai lions. En vain les Anglais voyaient arriver d'Irlande une entendue et pratiquée, il résolut d'employer son influence cargaison perpétuelle de misérables exténués qui venaient extraordinaire à rallier les forces insurrectionnelles épardemander l'aumône et révéler l'infortune de leur patrie; pillées, à les discipliner et à les organiser dans des ves en vain à diverses reprises des voix s'élevèrent pour appeler précises d'affranchissement, et non plus pour la destruction la commisération publique; en vain Swift, par exemple, et la vengeance. Cet homme n'était autre que O'Connel. Il lança des pamphlets dans le public où il proposait tout sim- créa l'Association catholique. Ce corps immense, sans cesse plement de faire bouillir et rôtir le surplus de la population accru, fut à la fois pour l'Irlande un vrai parlement, un au-dessus de dix ans, et de consacrer cet aliment nouveau gouvernement national qui entra dans une lutte systémaà sustenter les pères et les mères, et où il s'écriait : Prenez tique avec le parlement et le gouvernement de Londres. garde, vous attirerez sur vous la vengeance impitoyable O'Connel sut avec habileté coordonner cette société princidu ciel! L'Angleterre n'y prit garde. Alors la prédiction de palement appuyée sur les passions religieuses avec les autres Swift se vérifia. Il y avait toujours eu des luttes partielles sociétés fondées par la misère et les colères prolétaires; il antre les propriétaires et les prolétaires qu'ils taillaient à réunit, ainsi qu'on l'a très bien dit, l'insurrection de la merci : les révoltes devinrent générales et permanentes. La faim avec l'insurrection de la foi dans une seule insurrecvieille insurrection irlandaise recommença, plus cruelle tion permanente dont il parvint à concentrer dans ses mains que jamais, plus redoutable pour l'île usurpatrice. Depuis les fils directeurs. L'empire qu'il obtint sur ces masses ré1761 surtout, les opprimés sous les noms divers de Withe-calcitrantes fut inouï : les orangistes l'appelaient le roi d'IrBoys, de Right-Boys, d'Oak-Boys, de Ribbonmen, etc., | lande; mais son pouvoir surpassait celui d'un roi: quel se levèrent dans toutes les provinces et firent une guerre monarque eût pu empêcher ses fidèles sujets de boire autre infernale aux monopoleurs, aux riches et aux agents du gou- chose que de l'eau, comme il le fit à plusieurs reprises et vernement, incendiant les maisons, dévastant les champs, pendant plusieurs jours, notamment dans les fameuses soumettant à des supplices inouïs les hommes, les femmes élections du comté de Clare? Les habitudes d'ivresse ne et les enfants; mutilant et égorgeant les bestiaux eux-furent pas les seules choses qu'il effaça. Il s'efforça de renmêmes. Les rois et les parlements, comme on pense bien, rendirent à l'Irlande vengeance pour vengeance, meurtres pour meurtres, crimes pour crimes, et ne demeurèrent pas en reste. Des têtes innocentes tombèrent par milliers avec des têtes coupables; les cachots et l'Australie se peuplèrent de condamnés. Inutiles efforts. Les flammes qu'on avait cru éteintes par les exécutions se réveillèrent, avec une force nouvelle, à chaque occasion qui s'offrait. En 1798, ous l'influence de la révolution française, une explosion eut lieu, la plus formidable qui eût depuis bien long-temps attaqué la domination anglaise. L'île entière s'organisa pour 'indépendance, comptant sur la France qui l'avait inspirée peut-être, qui brisait alors les fers des nations, et dans les amées de laquelle avaient combattu en moins de deux siècies quatre cent mille irlandais. Mais cet espoir fut déçu. La paix d'Amiens ne stipula rien pour les malheureux in

dre la fermentation irlandaise plus pure d'excès et plus humaine, en même temps que plus régulière et plus imposante, et en général il réussit jusqu'au prodige à cette œuvre dont on ne lui a pas assez tenu compte. Ce qu'il avait pensé arriva : tous les préjugés de la métropole, toutes ses haines et tout son orgueil furent obligés de céder devant le système nouveau de conjuration populaire que leur opposa le grand agitateur. L'émancipation des catholiques fut proclamée et consentie par les torys eux-mêmes. O'Connel entra à la Chambre des communes, avec une phalange de patriotes irlandais. Son rôle s'agrandit dès lors prodigieusement, et la cause qu'il défend marcha par lui de victoires en victoires.

Il y a deux ans, dans un banquet qui lui fut donné à Liverpool, il faisait allusion en ces termes à une caricature qui le représentait comme le mendiant de Gil Blas armé d'une

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Le patriotisme qui anime O'Connel est si ardent qu'il a dévoré dans son cœur toutes les autres passions. Il ne saurait pas détourner à d'autres usages les sommes qu'on lui livre pour la défense des peuples; il en a la conscience et en même temps il a le sentiment que personne ne l'ignore, pas même ceux qui disent le contraire: voilà pourquoi il reçoit et demande tranquillement, fièrement, comme on réclame une dette. Sa vie privée est modeste, simple, étrangère à tout luxe et à tout besoin désordonné. Quoi qu'aient affirmé les tories, quoiqu'un jour ils aient amené dans une assemblée à laquelle assistait O'Connel un jeune homme qui se prétendit le fils naturel de l'agitateur, et offrit de prouver sa filiation, il est avéré que ses mœurs sont pures. Ce gros revenu, il le lui faut, non seulement pour acheter des voix à sa patrie, mais encore pour subvenir aux nombreux voyages qu'il entreprend chaque année dans un but semblable. Il ne va pas seulement en Irlande, il parcourt les trois royaumes pour y semer partout les sacrés principes qu'il représente, et conquérir des amis à ses infortunés compatriotes parmi toute la population anglaise. Après la ses sion parlementaire, une autre session non moins importante commence pour lui: celle des clubs et des meetings. Après avoir électrisé et ébranlé les chambres et les ministres, il court électriser et ébranler les électeurs et les masses, et toujours au profit de sa pauvre Irlande, et du progrès divin du monde. Aucun homme n'a jamais eu une activité plus étonnante que cet homme; aucun non plus n'a jamais obtenu de plus grandes et plus étranges ovations. En 1835 et 1856 surtout, sa parole remuait et dominait tout l'archipel britannique; l'Angleterre entière était suspendue à sa bouche, et l'Irlande prenait en sa personne une inattendue et magnifique revanche.

escopette : « C'est en imitant ce mendiant que j'ai obtenu | additionnelles, sans cacher les dépenses qui les rendent l'émancipation. Le mendiant de Gil Blas demandait la nécessaires. Dans un meeting où il se trouvait, un réfor>> charité au nom du ciel et couchait en joue les voyageurs. miste évalua qu'il en avait coûté au héros 750 000 fr. pour » Je crois sincèrement que c'est la meilleure manière de s'asseoir au parlement avec ses fils, son gendre, son neveu, » demander la charité publique; et je persévérerai. » En et tous ses satellites; il en conclut qu'il fallait venir à son effet une fois au parlement il a continué à exiger concessions aide, et immédiatement des fonds considérables furent sor concessions, en remuant sans cesse l'élément révolu- votés à l'unanimité. Konnaire dont il dispose et en proférant les plus audacieuses peaces contre le gouvernement. Depuis l'émancipation il a conquis de cette manière plusieurs garanties importantes; ei revient souvent encore sur cette méthode. Il y a deux mois à peine qu'il disait aux électeurs de Dublin: « Je >> vous présenterai un plan de société préparatoire qui devra s'agiter jusqu'à ce que les droits réclamés par l'Irlande >> aient été obtenus. Je demanderai au mois de novembre » que deux cents députés soient envoyés d'Irlande avec des >> pétitions pour obtenir les droits qu'on nous refuse. Ces » députés traverseront l'Angleterre ; ils s'efforceront d'é» mouvoir le peuple anglais par la peinture des griefs de >> l'Irlande, et si cette députation ne réussit pas, la société >> se formera en association nationale pour la révocation de >> l'union et le rétablissement de la législature irlandaise. »> Il veut pour l'Irlande toutes les franchises parlementaires et tous les droits de vote accordés au peuple anglais; une proportion convenable de membres admis à siéger dans le parlement; une réforme complète des corporations modelée en tous points sur le bill de réforme des corporations anglaises; la complète extinction des dimes, soit sous le nom de loyer, soit sous toute autre dénomination, et l'application à des objets d'utilité publique, surtout d'exécution universelle, de l'allocation générale ainsi réduite d'au moins quarante pour cent. Il n'admettra aucune transaction sur ces questions, ni aucune réduction. Mais on peut être sûr aussi que, dans les manœuvres qu'il ju- | gera nécessaires pour obtenir ces grands résultats, il se donnera toute liberté sans scrupule. L'intérêt de l'Irlande | justifie à ses yeux beaucoup de choses : intrigues, ruses, trafics, flatteries, désertions de principes. Il s'est fait l'adulateur de la reine et des ministres; il a abandonné la cause des Canadiens si semblable à celle des Irlandais; il a paru dans les fêtes du couronnement en habit de cour, sans s'inquiéter s'il ne démentait pas ses harangues tribunitiennes. Il a cru recommander ainsi à la faveur l'Irlande qu'il personnifie, et cela lui suffit. A chaque élection nouvelle se reproduisent sous son inspiration des scènes dont nous ne nous faisons pas idée. Ce sont des prêtres qui prononcent du haut de l'autel des diatribes furibondes et calomnieuses contre les concurrents des candidats catholiques; qui les appellent ignobles mécréants, hypocrites infâmes, trafiquant de leur âme, etc.; qui refusent aux électeurs qui ne leur obéiront pas la confession et le baptême de leurs enfants, les frappent d'excommunication religieuse et d'excommunication morale, etc.; ou bien, ce sont des marchés, des achats d'électeurs, tout un commerce de siéges étrange au moins pour nous, comme dans la fameuse affaire de l'ex-sheriff Raphael, dont on parla tant en 1836. O'Connel se joue de tout, brave tout sans remords et sans hésitation. Peu lui importe ce qu'on lui reprochera; a pour mission de sauver son pays: le reste n'est rien à côté de cette grande tâche.

Les seuls d'ailleurs qui l'accusent dans toutes ces circonstances, ce sont les ennemis de l'Irlande et de la liberté. Les autres l'applaudissent et le secondent. L'Irlande si apparie lui fournit exactement chaque année un revenu d'un demi-million, que les prêtres se chargent de perce"oir eux-mêmes à la porte des églises, afin qu'il puisse continuer à la servir, même par la corruption. Les tories ont beau l'appeler grand mendiant, il tend toujours la main pour recevoir sa rente. Ses amis provoquent quelquefois eux-mêmes, de son consentement, des souscriptions

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Celui qui obtient ces triomphes sans pareils est un grand vieillard, encore vert, à la figure ronde, aimable, sereine, aux joues roses et fraîches. « En Allemagne, dit l'historien Raumer, qui alla le voir en 1855, on le prendrait pour un bon Allemand, bien simple, bien franc, bien sensé, ou pour un intendant de bonne maison. » Les Anglais disent qu'il ressemble à un capitaine de vaisseau. Le prince Pukler Muskau, qu'il reçut, en 1829, dans son domaine sauvage et solitaire de Derrinane, lui trouva aussi une tournure martiale, et tout l'air d'un général français de l'empire. Sa voix est forte et retentissante; dans le calme, sa prononciation est monotone, pénible, désagréable, et ses propos sont vulgaires et très médiocres. Dès qu'il s'échauffe, il se transforme et devient incomparable de discours, d'accent, de gestes, de pose et de regard; il trouve d'instinct, pour le besoin de chaque moment, toutes les ressources, toutes les variétés, non seulement de l'éloquence, de l'expression et de la pensée, mais de cette autre éloquence décisive aussi, l'éloquence du corps. Passé maître, ce qu'on sait de reste, dans les combats d'invectives en usage chez nos voisins, et inimitable dans l'art de créer à propos des reparties bouffonnes ou cruelles pour répondre à celles qu'on lui prodigue, surtout depuis qu'ayant eu le malheur de tuer en duel un de ses adversaires, il a juré qu'il ne se battrait plus; il est aussi, dès qu'il le faut, ce qu'on ne veut pas assez voir, logicien, gracieux, tendre, pathétique, sublime au plus haut degré. Loin de le déconcerter, les interruptions et les attaques l'excitent et l'inspirent, comme tout véritable orateur. Pour donner une idée de cette aptitude il faudrait citer des séances entières de la Chambre des communes, et l'espace nous manque. Nous allons seulement

mettre sous les yeux de nos lecteurs deux courts morceaux qui les mettront à même de juger si nous avons eu tort d'attribuer à O'Connel d'autres mérites que celui de la violence sauvage et du burlesque. Nous les engageons aussi à lire un long discours parlementaire improvisé par l'illustre patriote le 5 février 1833, et dont M. Michelet, un homme qui s'entend en choses éloquentes, a écrit dans son Histoire de France: «Je ne crois pas que depuis Mirabeau, aucune assemblée politique ait entendu rien de supérieur. >> Voici nos extraits empruntés à deux allocutions prononcées dans des meetings, pendant ses tournées triomphales de 1856:

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« Je demande la liberté genérale, la liberté de la com>> munauté chrétienne tout entière. Liberté civile et reli>> gieuse : telle est la devise fondamentale du parti irlandais, >> et pour moi toute ma vie a été consacrée à la défense de >> ce principe. Puis-je voir sans émotion l'Ecosse avoir sa >> réforme des corporations, comme l'Angleterre a eu la >> sienne; puis quand il s'agit de l'Irlande, la Chambre des >> lords ne pas craindre de proclamer que les Irlandais ne >> sont pas dignes du bienfait légal ? Au plus fort de la mê»lée, le duc de Wellington, dans les plaines de Waterloo, >> se tourna-t-il vers les Irlandais tout couverts de sang » pour leur crier qu'ils n'étaient pas dignes de figurer au >> premier rang des braves? Lord Nelson, à Trafalgar, lors>> qu'il disait à sa marine L'Angleterre compte que cha>> cun ici fera son devoir, ordonna-t-il de jeter à fond de >> cale les Irlandais comme indignes de participer à la vic» toire? Non. Eh bien, partout vous retrouvez le sang ir>> landais mêlé au sang anglais, et la gloire des deux peuples >> rendue commune par le partage des mêmes dangers. Au>>jourd'hui encore c'est un Irlandais, le lieutenant-géné>> ral Evans, qui conduit au feu comme à l'honneur la lé»gion anglaise en Espagne; et cependant l'Irlande est en » proie à la détresse. »

« Ecossais, avec vous je pense tout haut, et c'est un plai>> sir pour moi. On apprendra en Irlande l'accueil que » m'ont fait les Anglais et les Ecossais; on l'apprendra avec >> ravissement. La reconnaissance irlandaise poussera un >> cri de joie; on saura comment l'Ecosse a reçu l'humble >> enfant d'Erin, et les âmes ardentes de mon pays seront » émues; les mères irlandaises, tenant sur leur sein leur > nouveau-né, et le berçant avec des airs nationaux, s'ar

>> rêteront à ce touchant récit; elles mêleront les vieux >> chants écossais, l'hymne de Wallace, aux vieux chants >> de l'Irlande; puis, pendant le sommeil de leur enfant, » elles prieront Dieu de bénir le généreux et noble peu>>ple qui, dans les jours de malheur, a tendu à l'Irlande >> opprimée une main secourable. >>

Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain avec ordre, mais sans MONTAIGNE. miracle, sans extravagance.

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L'empire de la langue française, dit Joseph de Maistre, ne tient pas à ses formes actuelles; il est aussi ancien que la langue même. »

A ce témoignage de l'écrivain piémontais ajoutons celui d'un autre étranger; Eichorn, écrivain distingué de l'Allemagne moderne, s'exprime ainsi dans son Histoire générale de la civilisation et de la littérature:

« La France du moyen âge servit la première d'exemple aux peuples modernes. De la Méditerranée à la Baltique, on imita sa chevalerie et ses tournois; sur une moitié du globe on parla sa langue, non seulement dans l'Europe chrétienne, mais à Constantinople même, dans la Morée, en Syrie, en Palestine et dans l'île de Chypre. Ses ménestrels, courant d'un pays à l'autre, y portèrent leurs romans, leurs fabliaux, leurs contes; ils les chantèrent dans les cours, dans les cloîtres, dans les villes et les hameaux. Partout leurs poésies furent traduites et servirent de modèles. L'Italie et l'Espagne imitèrent les poëtes français du sud; l'Allemagne et les peuples du Nord imitèrent ceux des provinces septentrionales; enfin l'Angleterre même, pendant plusieurs siècles, et l'Italie, pendant quelque temps, rimèrent dans l'idiome du nord de la France. >>

Voici, quant à l'Italie, plusieurs faits à l'appui de ce qui précède.

Brunetto Latini, célèbre Florentin qui vint en France vers l'an 1260, y composa une sorte d'Encyclopédie intitulée: li Thrésors qui parole de la naissance de toutes choses. Ce livre est écrit en français (idiome du nord); « et se au>> cuns demandois pour coi chins livre est écrit en romanche, >> selonc le patois de Franche, puis ke nous sommes Ita» lyens, dit Brunetto Latini, je diroie que chest pour deus >> raisons: l'une que nous sommes en Franche; l'autre pour >> chou que la parleure est plus délitable et plus kemune à >> tous langages. »

Martin da Canale publia vers la même époque, en 1275, une Chronique de Venise, sa patrie, qu'il écrivit en français « par ce que, dit-il, la langue françoise cort par le monde, >> et est plus délitable à lire et à ouïr que nule autre. " Nous citerons encore les Guerres d'Italie, par Guillaume de La Pérène (1578); la Guerre d'Attila, par Nicolo de Casola, contemporain de Boccace; le Chevalier errant, roman en prose mêlée de vers, par Thomas marquis de Saluces (1395).

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Cette belle tête est gravée d'après un buste antique d'un admirable travail qui se trouve parmi les marbres Townley au Musée britannique. Comme on le pense bien, ce n'est pas un portrait; c'est une figure idéale. On ne peut lui assigner une date précise; mais il est permis de croire que c'est ainsi qu'à toutes les époques les Grecs représentèrent Homère. Tout porte à penser qu'il y avait pour ce poëte, auquel ils rendirent des honneurs divins, une forme et des traits consacrés dont les artistes ne s'écartaient pas, comme on sait positivement qu'il en existait pour les dieux.

Nos lecteurs n'ignorent pas que l'existence d'Homère et la création par un seul homme des poëmes mis sous son nom sont depuis plusieurs siècles fort contestées; elles ne furent jamais niées dans l'antiquité, et ce fait suffit peut-être pour réduire à néant toutes les objections modernes contre lesquelles s'élèvent du reste beaucoup d'autres raisons qu'il serait trop long d'exposer ici. Notre opinion à nous est celle qui commence à prévaloir dans un grand nombre d'esprits, à savoir qu'il y a eu en effet un Homère, qu'il a composé l'Iliade et l'Odyssée, mais qu'il aborda ces sujets après beaucoup de poëtes dont les noms disparurent dans la gloire du sien; qu'il ne fut pas simplement un arrangeur de morceaux épars, Tone VI. - OCTOBRE 1838.

comme le Vyasa des Indiens, quoiqu'on ait voulu l'induire de son nom même, mais qu'il fondit au creuset de son génie une foule de chants primitifs et se les appropria en les combinant ensemble, en y mélant ses propres inspirations en même temps que sa puissance organisatrice, et en les élevant à une forme supérieure, définitive, impérissable. C'est ce qu'ont fait les deux grands poëtes épiques du monde moderne. La Divine comédie et le Paradis perdu sont de magnifiques redites sur des sujets très populaires au treizième et au seizième siècle, et des constructions merveilleusement originales édifiées avec de nombreux essais antérieurs qu'ont retrouvés les érudits et dont ils ont eu quelquefois le tort de se servir pour abaisser la renommée de Dante et de Milton. Les épopées comiques de l'Arioste et de Rabelais sont encore d'admirables combinaisons nouvelles d'élements préexistants. L'œuvre de Shakspeare, épique aussi à bien des égards, peut être caractérisée de même.

Nous croyons qu'Homère a existé; mais cela ne veut pas dire que nous admettions les fables répandues sur son compte et cette biographie que tout le monde connaît, et qui a été faussement attribuée à Hérodote. Il peut y avoir un fond de vérité dans ce récit traditionnel; mais peut-être

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aussi, en l'absence de documents sur la vie du poëte, at-on créé de toutes pièces la légende accréditée, comme en l'absence d'une représentation exacte de ses traits, on a imaginé le type dont nous donnons ici un exemplaire. Qu'Homère ait été aveugle, qu'il ait erré de ville en ville, en mendiant son pain; qu'il fût de Smyrne, de Colophon, de Salamine, de Chio, d'Argos ou d'Athènes, etc., etc., l'incertitude est complète sur ce point; en cet état les conjectures modernes n'ont pas manqué, et il y en a eu d'étranges. Récemment, par exemple, on a affirmé qu'Homère n'était autre qu'Ulysse, et que sor; stoire authentique se trouvait par conséquent, seulement embellie, dans ses deux poëmes. Nous croyons qu'Homère est l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée; mais nous ne lui rapportons pas toutes les œuvres qu'on lui a attribuées, et celles même qui courent encore sous son nom. La Batrachomyomachie et les Hymnes sont évidemment des productions d'une date ultérieure. Quant | aux poëmes perdus qui sont mentionnés par les anciens comme venant d'Homère, tels que la satire du Margitès, qu'Aristote dans sa Poétique n'hésite pas à lui rapporter, et qu'il considère comme la source primitive de la comédie en Grèce, les critiques alexandrins avaient montré que leurs devanciers s'étaient abusés à cet égard. De même que sur Hercule et sur Thésée, on avait accumulé tout un ensemble de travaux accomplis par une foule de héros, on avait fait honneur à Homère de toutes les créations poétiques de son époque. Il lui reste après examen l'Iliade et l'Odyssée; c'est assez pour une gloire sans rivale.

En Grèce, surtout, l'importance de ces deux chefsd'œuvre fut souveraine et incomparable. Tout en relève, tout s'y rattache, tout s'explique plus ou moins par eux, la religion, la politique, comme la littérature et les arts. Si entre les populations helléniques il resta toujours, malgré les diversités d'origine, de mœurs et de gouvernements, malgré les luttes intestines, un lien de famille et une sorte de fraternité, ils durent ce bonheur à ces poëmes universellement chantés et adorés sur leur territoire plus encore qu'aux institutions de leurs législateurs, aux jeux d'Olympie et de Némée par exemple, et au conseil amphyctionique; ils leur tinrent lieu des livres sacerdotaux, qui, chez les Juifs et les autres nations, servirent à fonder et à maintenir l'unité. Ce fut, comme on l'a très bien dit, leur Genèse et leur Deuteronome. La chose est vraie, même au sens religieux. Hérodote, au deuxième livre de son histoire, affirme qu'Homère fut avec Hésiode le créateur de la théologie qui régnait de son temps. Il faut se garder sans doute de prendre à la lettre cette assertion, et d'admettre que les dieux du paganisme sortirent spontanément tout armés du cerveau de l'immortel rapsode, comme à l'en croire sortit Minerve du cerveau de Jupiter. Avant lui Orphée et beaucoup d'autres hiérophantes, que ce nom seul représente dans cette ténébreuse histoire, avaient commencé et avancé lentement la transformation progressive des vieux dogmes apportés de l'Orient. Infailliblement ils avaient été secondés dans cette tâche par les chantres antérieurs de la guerre de Troie dont nous avons parlé et qui d'ailleurs figurent quelquefois, sous le nom d'aèdes, dans l'Iliade et dans l'Odyssée. A cet égard donc, il est encore juste de dire qu'il y a eu dans l'œuvre d'Homère le résumé d'un long et multiple travail. Mais les développements suprêmes qu'il y ajouta par sa virtualité propre, inspirée pourtant et fécondée, ainsi que cela arrive toujours pour les génies individuels, par les émanations de l'esprit général de son siècle; mais la façon éclatante, impérieuse, décisive, dont il l'exprima en s'en emparant, en un mot la grandeur et la splendeur de sa part, ont fait personnifier en lui et marquer de son effigie la révolution totale qu'il n'avait que complétée, couronnée, rendue rayonnante. Cette révolution consista principalement à introduire dans l'immobile Olympe des temps passés l'activité et toute la vie morale des hommes.

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Ce fut un incontestable et immense progrès. Mais l'intelligence humaine, représentée par une foule de poëtes, de philosophes et d'artistes, s'éleva graduellement vers une notion supérieure de la divinité, et alors on ne vit plus que les imperfections de la doctrine dépassée. Platon, Cicéron, ces organes de ce qu'on peut nommer le christianisme païen, s'en prirent encore à Homère seul quand ils attaquèrent l'anthropomorphisme. Le philosophe romain écrivit : « Homère a transporté aux dieux les habitudes des hommes; j'aurais mieux aimé qu'il eût transporté aux hommes les habitudes des dieux. » Sans doute cela eût été infiniment préférable. Mais toute époque a sa pensée et ses principes dont il faut comprendre l'opportunité, la légitimité relative. On ne peut demander au printemps les fruits de l'automne. Toutefois, en s'élançant plus loin qu'eux et en critiquant la théodicée dont ils étaient la meilleure expression, l'antiquité ne cessa pas de s'incliner devant les poëmes homériques, et de les considérer non seulement comme des merveilles de l'art, mais comme de prodigieux monuments philosophiques. A côté de symboles qui avaient fait leur temps, les penseurs y trouvèrent toujours de profondes révélations sur les mystères qu'ils cherchaient à éclaircir. Thalès et ses contemporains, Socrate, Platon, Aristote, Epicure, Cicéron, etc., citaient continuellement les vers d'Homère comme des autorités. Platon a dit de lui, dans son traité des Lois, que c'était le plus sage des poëtes et des philosophes. C'était l'opinion générale chez les anciens; et elle avait été développée particulièrement dans un grand nombre de livres grecs et latins dont le titre seul : Homère philosophe, a survécu. Longin, le plus admirable critique de l'antiquité, avait fait un de ces ouvrages. Horace a consacré une de ses inimitables épîtres au même sujet; c'est la deuxième du premier livre. Elle commence ainsi : « Lol»lius, pendant que tu plaides au Forum, j'ai relu à Préneste >> le chantre de la guerre de Troie. C'est un maître de sa»gesse meilleur que Chrysippe et Crantor, on apprend » mieux à son école qu'à toute autre ce qui est beau, ce » qui est honteux, ce qui est utile, ce qui est nuisible; si » tu n'as rien de mieux à faire, écoute les raisons sur les» quelles je me fonde. Le poëme où est raconté le long duel » de la Grèce avec les Barbares amené par l'amour de Pâris, >> contient les égarements des rois et des peuples. Anténor >> est d'avis de couper les racines mêmes de la guerre. Que ré» pond Pâris? Il se refuse à être obligé de régner tranquille >> et de vivre heureux. Nestor s'efforce de ramener la paix » entre le fils de Pélée et le fils d'Atrée. L'amour enflamme » l'un, la colère enflamme l'autre. Tous les excès des rois >> retombent sur les peuples. La sédition, les perfidies, les cri>>mes, les désordres, la fureur se déploient également dans les >> murs de Troie et dans le camp des Grecs. Dans l'Odyssée, » Ulysse est un utile exemple que nous présente le poëte de >> tout ce que peuvent la vertu et la sagesse : Ulysse qui, vain» queur d'Ilion, a vu avec profit les villes et les mœurs de >> beaucoup de peuples, et a supporté pendant un long tra» jet sur les mers, d'innombrables épreuves, sans se laisser jamais submerger par les flots de la mauvaise fortune. >> Tu connais les chants des sirènes et les breuvages de Circé, » qui, si les compagnons du héros eussent eu la folle curio>>sité d'y goûter, les eussent fait ramper sous la domination » de cette terrible courtisane, et transformés en chiens im>> mondes et en ignobles porcs. Nous, nous sommes la » multitude qui ne sait que manger, prétendants de Pénélope, débauchés, Alcinoüs, tous voués au culte de notre >> corps, trouvant beau de dormir au milieu du jour et d'ou>> blier les ennuis au son de la cithare, etc. » Les savants ne trouvaient pas dans l'Iliade et l'Odyssée moins de motifs d'admiration que les philosophes et les moralistes, et, comme ces derniers, ils plaçaient tous Homère à leur tête. Strabon particulièrement ne tarit pas d'étonnements et d'éloges pour l'exactitude géographique du poëte. Les guerriers et les

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