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sances de l'Europe, que la France réclame aujourd'hui pour elle.

Elle ne peut donc traiter avec aucune, si son indépendance absolue, dans son gouvernement intérieur, n'est la base du traité; elle ne peut accepter aucune condition qui renferme le moindre sacrifice de cette indépendance.

Enfin, par la même raison que la France a renoncé à toute conquête, la conservation de l'intégrité de son territoire est encore la condition préalable de toute négociation avec une puissance qui en aurait envahi quelques portions.

Les principes énoncés par les despotes ligués contre elle, doivent frapper les nations les plus engourdies. L'opinion que les rois peuvent réclamer une autorité légitime, indépendante de la volonté du peuple, y est formellement prononcée. On ne rougit point d'y présenter le genre humain comme l'inaliénable patrimoine d'une douzaine de familles; on y menace du pillage et de la mort quiconque osera ne voir dans ces races sacrées que des hommes soumis aux lois émanées de la volonté nationale; et c'est dans le dixhuitième siècle que la tyrannie, fière des automates qu'elle a pliés à une honteuse discipline, ose tenir cet insolent langage! Elle semble croire incurable cette stupidité qui est son ouvrage, comme si les accents de la liberté n'appartenaient pas à toutes les langues; comme si, dans leur énergique simplicité, ils ne devaient point frapper tous les esprits et réveiller tous les courages.

Ainsi, ces rois ne se donnent même pas la peine

de dissimuler leur mépris pour les hommes; ils ne cachent pas qu'ils ne veulent plus souffrir sur la terre que des cadavres ou des esclaves. Grâces leur soient rendues de cette imprudence qui, sans doute, ranimera, chez les peuples endormis dans l'esclavage, le sentiment de leur dignité première. Ce ne sont point les Français, ce sont les tyrans eux-mêmes qui ont sonné le tocsin de la liberté, et les écrits les plus ardents de cette propagande qu'ils ont fait semblant de craindre, ne vaudrout jamais un seul de leurs manifestes. Mais quelle est donc cette guerre qu'ils viennent faire à un peuple libre ? C'est une guerre de faussaires, d'incendiaires et de traîtres.

Ils fabriquent de faux assignats, avec lesquels la horde émigrée trompe et ruine les négociants de leurs propres alliés. C'est par la corruption et le parjure qu'ils cherchent à pénétrer dans nos villes ; ils permettent, ils ordonnent des violences personnelles contre les patriotes vertueux qui leur sont indiqués par ces Français parjures dont ils ont accepté la honteuse alliance (1).

Sont-ils forcés d'attaquer une de nos places, ce n'est point aux murailles et aux soldats qu'ils font guerre, c'est aux maisons et aux habitants; ce

la

(1) Si trop souvent, par une politique coupable, on s'est permis d'employer, dans une guerre contre une nation, le secours de ces citoyens rebelles, les hommes d'État, dignes de ce nom, ont toujours senti l'injustice et le danger de ce honteux moyen.

Jean de Witt, cet homme qui réunissait à tant de vertus et de courage le génie des sciences et celui de la politique, ne voulut pas que, dans la guerre entre Cromwel et les Provinces-Unies, Charles II montât sur la flotte hollandaise.

ne sont point les armées qu'ils cherchent à vaincre ; ce n'est point la puissance nationale qu'ils veulent combattre, c'est l'espèce entière des hommes libres qu'ils dévouent à la destruction. Croient-ils les intimider? Non, sans doute; mais ils satisfont la soif de sang humain qui les dévore. Ils savent bien qu'ils s'exposeraient à d'horribles représailles, si la nation française était moins généreuse; mais ce sont ces représailles mêmes qu'ils appellent ils voudraient élever par là, entre leurs sujets et nous, une haine qui leur répondit d'une obéissance prête à leur échapper. N'ont-ils pas déjà fait brûler les faubourgs de Courtrai par un traître qui, depuis, a passé dans leur armée? Ne se sont-ils pas opposés à ce que les victimes infortunées de cette trahison reçussent la réparation que leur offrait la France d'un dommage fait en son nom?

Et c'est après tous ces crimes commis de sang-froid, c'est après avoir épuisé contre nous toutes les perfidies du machiavélisme, toute la férocité des conquérants sauvages, qu'ils osent reprocher au peuple français des excès dont nous gémissons et dont il se repent, mais où le ressentiment de leurs trahisons, le spectacle de leur férocité, l'indignation contre leurs insolentes menaces, l'ont entraîné malgré lui.

La nation française est juste ; elle ne confond point avec ses véritables ennemis un prince égaré par eux, au point de méconnaître ses intérêts les plus pressants. Elle ne confond point avec la maison d'Autriche, qui veut sa servitude ou sà ruine, le roi de Prusse, secrètement destiné par cette maison

à partager bientôt l'asservissement ou la chute de la France. L'illusion de l'un doit cesser, mais la haine de l'autre sera éternelle, parce que, sans parler ici des humiliations auxquelles les trahisons de Marie-Antoinette ont exposé l'orgueil autrichien, le chef de cette puissance ne renoncera point à ses projets contre l'Italie, contre la Suisse, contre le Brandebourg, contre l'Empire, pour le succès desquels le dévouement servile de la France, ou la destruction de ses forces, sont évidemment une condition nécessaire.

L'Autriche sait trop que, si le peuple français reste libre, elle sera forcée de respecter elle-même la liberté de l'Europe; elle sait que la guerre entre elle et nous sera éternelle, tant qu'une révolution dans la Belgique ne placera point entre Vienne et Paris toute l'étendue de l'empire germanique; elle sait que les États qui forment cet empire ne doivent qu'à nous, ne peuvent conserver que par nous, ce qui leur reste encore d'indépendance, et que la crainte, l'avarice ou l'orgueil ne peuvent leur faire oublier longtemps.

La cause de la France est à la fois celle de la liberté des hommes contre les rois, et de l'indépendance des peuples contre les conquérants usurpateurs ou copartageurs des nations; et cette cause doit triompher.

Dans la guerre, l'enthousiasme est un signe coustant et certain de la victoire. Cromwell avoua luimême à Ludlow, qu'averti par les premières défaites des troupes du parlement, il se crut obligé d'exciter le fanatisme de ses soldats, pour opposer la fureur

religieuse à l'honneur chevaleresque des défenseurs de Charles ler. L'amour de la liberté, de l'égalité, est aujourd'hui la passion dominante des Français; forts de cet enthousiasme, allumé au flambeau de l'éternelle vérité, ils n'ont besoin du fanatisme d'aucune erreur. Ils n'en auront même pas à combattre. On sait aujourd'hui, d'un bout de l'Europe à l'autre, que tous les hommes ont les mêmes droits; que les rois n'ont de pouvoir légitime que celui qu'ils tiennent de la volonté ou de l'insouciance du peuple gouverné par eux; que la conscience de l'homme devant être libre, chacun est le maître de choisir son dieu comme ses prêtres.

Nul homme de sens n'ose défendre ni les rois, ni la noblesse, ni l'établissement d'un culte exclusif, que comme des institutions politiques utiles à la paix, à la prospérité d'une nation trop ignorante ou trop corrompue pour s'en passer encore. On en est réduit à calomnier les hommes, à les accuser d'être indignes d'exercer, dans toute leur étendue, ces droits qu'ils tiennent de la nature et que l'on n'ose plus. leur contester. Or, quel enthousiasme, quelle passion capable de grands efforts, quels mouvements dignes de commander les succès, peuvent naître de cette froide et fausse politique! A quel imbécile persuadera-t-on de mourir pour défendre ce qu'on est obligé de lui donner comme une erreur, que, par mépris pour lui-même, on juge encore utile de conserver (1)?

(1) Qu'on lise l'ouvrage de Burke, le plus éloquent ennemi des

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