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CIVILE

DU CLERGÉ.

L'Assemblée nationale a décrété (1) que la religion romaine est la seule dont les ministres et le culte doivent être payés aux dépens de la nation, et c'est par ce décret seul qu'elle a pu acquérir le droit de régler la constitution du clergé de cette religion.

Les ministres d'une religion quelconque ne doivent être soumis, dans leur hiérarchie, dans leur culte, qu'aux lois auxquelles sont soumises les sociétés libres et volontaires formées par les citoyens. Mais toute dépense publique doit avoir pour objet l'utilité commune, et par conséquent l'Assemblée nationale n'a pu légitimement mettre les frais du culte de la religion romaine au rang des dépenses, sans se réserver le droit de régler ce culte de manière à le rendre utile.

Ce n'est donc point dans la vue de le rapprocher des usages de la primitive Église (2), qu'elle doit s'oc

(1) Le 2 novembre 1789.

(2) Le 8 mai 1790, uu rapport fut présenté à l'Assemblée nationale sur la constitution civile du clergé : on y parlait de retour à la primitive Église.

cuper de la constitution du clergé, mais dans celle de la rendre le plus utile possible à ceux qui professent cette religion et à ceux qui ne la professent pas; car tous sont également citoyens, et tous payent également pour cette dépense.

Cette utilité se réduit à deux points: la paix et l'enseignement d'une bonne morale.

L'habitude prise par la pluralité des citoyens français d'avoir des ministres de religion entretenus sur les fonds nationaux, n'aurait pu être changée actuellement sans causer des désordres. Il était sage de conserver cette dépense au rang des dépenses publiques; mais il ne faut pas que ce qui a été fait pour prévenir les troubles puisse en devenir une semence, et on ne peut l'éviter qu'en empêchant les ministres de la religion de former un corps reconnu par la puissance publique. Que l'on parcoure l'histoire ecclésiastique, et l'on verra qu'il n'y a pas une seule contrée de l'Europe où les assemblées de prêtres n'aient causé de grands maux.

Dans l'état actuel de nos mœurs, la morale de la pluralité des citoyens est unie à la religion, non pas seulement dans ce sens qu'ils puisent dans la religion les motifs les plus puissants de remplir les devoirs de la morale, mais dans ce sens que les ministres de la religion se sont faits les juges de ces devoirs et sont chargés seuls de les enseigner. Cet ordre de choses est sans doute incompatible avec la raison, avec l'intérêt général des hommes; il est également absurde et dangereux qu'une classe d'hommes se croie en droit de décider de la morale; mais cet

ordre existe, il ne pouvait être changé en un moment. Il était sage par conséquent que la nation, en payant pour les dépenses religieuses, acquît le droit d'empêcher le mal qui peut résulter encore longtemps de l'influence des prêtres sur la morale publique. Il faut donc bien se garder d'instituer, pour les prêtres, des maisons particulières d'éducation soumises uniquement à d'autres prêtres; ce serait le moyen de perpétuer et d'introduire l'enseignement d'une morale abjecte, perverse ou fanatique.

Mais en constituant le clergé de la manière la plus propre à maintenir la paix, à éviter l'enseignement d'une mauvaise morale, il est nécessaire de respecter les droits de la conscience des prêtres; ils doivent rester absolument indépendants pour les fonctions purement religieuses, tant que, dans l'exercice de ces fonctions, ils ne blesseront point les droits d'autrui; et par cette même raison, la constitution du clergé ne doit rien renfermer de ce qui est contraire au dogme de l'Église romaine.

Il est utile de déterminer d'abord quels sont les droits de la conscience, après quoi on sera plus libre de déterminer ce qui est le plus convenable pour le maintien de la paix et la sûreté de la morale.

y a deux ordres d'ecclésiastiques, des prêtres et des évêques (car les archevêques sont une institution de pure police, qu'il faut supprimer si elle est inutile). L'ordination des prêtres et la consécration des évêques doivent être absolument libres. Tout homme ordonné prêtre, tout homme consacré évèque, peut être légitimement évèque d'un diocèse

ou curé d'une paroisse, par le seul vœu des citoyens.

Les actes de la juridiction ecclésiastique doivent être absolument indépendants; mais ils ne doivent avoir aucun effet temporel, ni directement, ni indi

rectement.

Ainsi, par exemple, un évêque, un curé peuvent excommunier; mais l'excommunication ne doit ôter aucun droit, et, si elle expose à des violences, l'excommunicateur doit être condamné à payer des dom

mages.

Ainsi, un évêque peut interdire un prêtre; mais si le prêtre continue de remplir ses fonctions, il ne doit être soumis à aucune peine.

Les électeurs d'un curé ou d'un évêque seraient astreints seulement à choisir, les uns, un prêtre ou un homme muni d'un certificat d'un évêque disposé à l'ordonner; les autres, un homme consacré évêque, ou muni d'un certificat d'un évêque disposé à le consacrer.

Les coopérateurs qu'on voudrait donner aux évêques et aux curés seraient élus de même.

Les conditions de n'élire pour évêques que d'anciens curés; pour curés, que d'anciens vicaires, ne sont qu'un moyen d'établir dans le nouveau clergé un esprit de corps toujours dangereux. Il semble que, par cette disposition du plan présenté, par l'établissement d'une éducation particulière aux ecclésiastiques, par l'espèce de vie commune à laquelle on veut les obliger, par des synodes multipliés, on ait voulu rendre au clergé la partie de son crédit qu'il

va perdre avec ses richesses, et en faire, dans l'État, un corps à part pour le dédommager de n'être plus un corps de l'État.

Si on croit qu'un clergé peu riche ne puisse être dangereux, on se trompe; les moines de l'Égypte étaient pauvres, quand ils excitaient tant de séditions sanglantes dans Alexandrie. Le clergé presbytérien était pauvre en Écosse, et jamais l'intolérance et l'esprit de domination n'a été porté à un plus haut degré ; le clergé de Genève était pauvre, quand il fit brûler Servet. Ce n'est point parce que le clergé était riche qu'il est devenu puissant, mais c'est parce qu'il était puissant qu'il est devenu riche.

Ainsi, point de synodes, point de séminaires, point d'invitation à la vie commune, point de condition inutile d'éligibilité. L'élection libre des citoyens peut se faire d'autant plus, qu'on peut les obliger à à choisir entre des candidats, et qu'on peut exiger une promesse d'accepter. Cette promesse n'est pas contraire à l'esprit ecclésiastique; il est permis de promettre d'accepter, si on est élu, ce qu'il est permis d'accepter après l'avoir été.

Je sais qu'autrefois de saints personnages ont fait de grandes difficultés pour se laisser élever à l'épiscopat; qu'un d'eux même, qui était gouverneur de sa ville, s'avisa, le jour de son élection, de faire donner la question à des accusés, et d'amener des courtisanes dans son palais, pour que le peuple, le croyant cruel et débauché, ne s'obstinât plus à le faire évêque; mais cette humilité n'est plus dans nos mœurs, et celui qui refuserait de dire : J'accepterai

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