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SUR LA NOMINATION

ET LA DESTITUTION

DES

COMMISSAIRES DE LA TRÉSORERIE NATIONALE,.

ET DES MEMBRES DU BUREAU DE COMPTABILITÉ.

MESSIEURS,

L'objet qui vous occupe en ce moment intéresse à la fois et l'ordre des finances, et le maintien de la liberté, la fortune publique et la constitution. Mais c'est dans toute son étendue qu'il vous convient de l'envisager. Ainsi, en vous parlant de la destitution des membres du comité de comptabilité, je discuterai le mode de leur nomination; je vous parlerai même de la nomination et de la destitution des commissaires de la trésorerie, gardiens plus immédiats encore de la fortune publique ; je ne séparerai point ce qui, par la nature des choses, doit être décidé par les mêmes principes et dans une même loi. Pour le bureau de comptabilité, le mode de la

destitution et celui de la nomination ont été réglés par l'Assemblée constituante; mais elle n'a statué que sur la nomination des commissaires de la trésorerie, et vous a laissé à prononcer sur leur destitution.

Dès l'instant où la déclaration des droits a été reconnue par l'Assemblée constituante, où les articles fondamentaux de la constitution, décrétés par elle, ont été acceptés par le roi, il a été aisé de voir que la France aurait une constitution libre, et qu'aucune force ne pourrait plus l'en priver.

Mais aussi, dès ce même moment, les observateurs attentifs ont pu voir éclore le projet de substituer l'empire de la corruption à celui de la force, et ils ont senti que c'était le véritable ennemi contre lequel les défenseurs de la liberté, de l'égalité, allaient avoir à combattre.

Sous l'empire de la corruption, on perd la liberté, mais on en garde l'apparence. Au lieu du droit de se gouverner, on conserve le privilége de se vendre. Les pouvoirs établis n'attentent pas audacieusement aux droits des hommes, mais ils leur en retirent peu peu l'exercice réel.

à

On a toute la liberté dont ceux qui se vendent ont besoin, et ce n'est pas beaucoup dire; mais cet état honteux est cependant le plus commode de tous pour les hommes qui ont des richesses, de l'intrigue et des talents sans vertus.

Un penchant nécessaire, y entraîne avec plus ou moins de force toute nation libre, mais riche. L'hérédité du chef du gouvernement rend cette pente plus glissante.

Un parti caché s'efforce de nous y précipiter, et un des premiers devoirs des représentants du peuple est d'opposer de généreux efforts à cette tendance dangereuse. Ne croyez pas, Messieurs, qu'il soit ici seulement question de cette pureté de principes si ridicule aux yeux du machiavélisme, et de prévenir des périls qui menaceraient la liberté des générations futures. Il s'agit du salut de la chose publique; il s'agit pour nousmêmes de rester libres, ou de cesser de l'être. Gardonsnous d'espérer que nous pourrions nous arrêter au point où la corruption a conduit quelques autres nations. Lorsqu'elle se glisse dans une constitution déjà fortifiée par l'habitude, chez un peuple dont les opinions politiques sont formées, son action est paisible: son influence, presque insensible, ne porte à la prospérité publique que de sourdes atteintes. L'État parait fleurir lors même qu'il a déjà dans son sein le principe de la dissolution; et ce n'est qu'après avoir épuisé le crédit par une dette immense, et attaqué, par les impôts, les sources de la reproduction, que le mal frappe enfin les yeux inattentifs de la multitude. Mais, dans une nation où la liberté commence, où la constitution naissante, après avoir excité l'enthousiasme, a besoin de conquérir l'opinion, le système de la corruption enfanterait bientôt de nouveaux orages. En jurant de maintenir la constitution, nous avons juré de veiller sur tous les dangers qui peuvent la menacer, et la corruption est le plus grand de tous; nous avons juré de la maintenir tout entière, et la corruption détruirait cette douce, cette juste égalité qui en est le carac

tère distinctif, cette égalité qui la rend si chère à toutes les âmes élevées et pures. Pensez-vous que le peuple voulût se soumettre à des pouvoirs dégradés par la corruption? Pensez-vous qu'il obéît à des lois que ce souffle impur aurait infectées? Après une révolution à laquelle le peuple entier a pris part, et sous une constitution dont il a dicté les principales dispositions, laisser la corruption s'introduire, c'est vouloir une révolution nouvelle.

Tant que les moyens de corruption sont bornés, qu'on sajt sur quelle masse d'argent, sur quelles nominations de places elle fonde ses espérances, dès lors, comme tout ennemi dont on connaît bien les forces, elle devient moins dangereuse. Mais les moyens de corruption qui naissent de l'obscurité et du désordre des finances ont une force toujours croissante; car c'est alors que l'on corrompt pour obtenir de l'argent, et que l'on obtient de l'argent pour corrompre; c'est alors que chaque surcharge, mise sur le peuple, devient la faculté d'acheter le droit de lui faire supporter une charge nouvelle.

Mais quel sera le moyen de rendre impossible ce genre d'influence secrète, de prévenir ce désordre des finances, avec lequel on ne peut avoir qu'une liberté incomplète, incertaine, orageuse, avec lequel il est impossible d'assigner des bornes au pouvoir de corrompre ? C'est de séparer absolument du pouvoir exécutif l'administration du trésor public; c'est de la soustraire entièrement à son autorité. Les hommes les plus éclairés de l'Assemblée constituante l'avaient senti: cette idée, développée par quelques

uns, frappa tous les esprits sains, toutes les âmes justes; et c'est sous la surveillance immédiate du corps législatif que la trésorerie nationale fut mise par la loi.

Cependant, le plan proposé par la raison et l'amour de la liberté ne fut exécuté qu'en partie, et c'est de la nécessité de le compléter que je viens ici vous parler.

La loi a établi que les hommes chargés en chef de la trésorerie nationale seraient nommés par le roi, et elle n'a rien prononcé sur leur révocation, ce qui les rend inamovibles de fait : car, comment et par qui seraient-ils destitués, si la loi n'en donne le droit à personne? Or, quand bien même (ce que je suis très-éloigné de croire) cette inamovibilité serait la meilleure institution possible, encore faudrait-il que la loi l'eût prononcée; et qu'elle ne résultât point uniquement de son silence.

La loi qui donne au roi la nomination des commissaires de la trésorerie n'est pas constitutionnelle; leur nom ne se trouve pas dans la liste des places auxquelles la constitution accorde au roi le droit de nommer, et cette omission n'a point été l'ouvrage du hasard.

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On n'avait pas oublié, à l'époque de la révision qu'au moment où la loi avait été portée, on avait proposé à l'Assemblée constituante, ou de donner ce choix au roi, ou de le confier, soit aux assemblées nationales, soit à des électeurs pris dans leur sein. Au lieu de prononcer d'abord la nécessité de ne laisser, sur cette nomination, aucune influence au

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