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livre à toute l'organisation vivante une guerre systématique : ses rédacteurs font preuve chaque jour d'une connaissance approfondie de l'économie politique et d'un talent de rédaction remarquable mais on sent qu'en isolant des faits actuels, ce savoir, cette vigueur de style doivent rester sans influence; et ce n'est qu'à la longue qu'ils peuvent espérer de voir leur système s'accréditer et passer dans l'application. La Révolution n'a conquis,

effet, qu'une très-faible publicité, et c'est peut-être le journal le plus populaire par ses doctrines, et le moins populaire par son succès.

Le Globe et l'Avenir soutiennent des théories plus complètes: ils ne se bornent point à demander une part d'influence sur l'état matériel de la société, la législation civile et politique ; ils veulent aussi organiser sa législation morale, c'est-à-dire, les croyances religieuses.

On sait ce que fut le Globe dans sa première existence : recueil philosophique et littéraire, plutôt que feuille politique, il prit un rang élevé dans la presse périodique de l'Europe. Il fonda une nouvelle école de critique ; il introduisit en France beaucoup d'idées philosophiques et économiques, qui depuis y ont germé et produit des fruits; enfin, il traita la politique sous le point de vue d'un éclectisme large, et on peut dire qu'il devint le centre d'un nouveau libéralisme plus tolérant et plus éclairé, en même tems plus fort, parce qu'il était plus jeune.

Les jeunes gens, en effet, se rattachèrent en foule à ce drapeau qui conduisait, non pas à la guerre, mais à un voyage de découvertes, et le Globe rendit ainsi de trèsgrands services. Nous laissons de côté quelques ridicules; un engoûment germanique ou breton, qui devait nécessairement accompagner des études fortes et passionnées.

Immédiatement après la révolution de juillet, le Globe renouvela presque complètement le personnel de sa rédaction: il fit, pendant deux mois, une opposition purement

libérale contre la chambre et le ministère Guizot. Puis il changea de mains encore une fois, et devint l'organe de la doctrine de Saint-Simon.

Un des sectateurs de cette doctrine l'a exposée dans notre cahier de novembre 1830; peut-être en ferons-nous plus tard l'objet d'un examen critique.

Nous devons aujourd'hui nous borner à remarquer la frappante coïncidence qu'offre sa naissance et sa propaga➡ tion avec l'état social de l'Europe.

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Elle arrive, quand toutes les autres croyances meurent; quand le découragement s'empare de toutes les intelligences fortes et poétiques; quand la partie morale de l'homme ne trouve plus à se nourrir d'aucun rêve généreux; quand l'encombrement, la concurrence, c'est-à-dire, le combat remplissent toutes les carrières ; quand l'industrie, la science, la vie sociale enfin n'est plus que guerre acharnée et déchirement cruel, elle arrive avec des dogmes de bienveillance universelle, des promesses de classement paisible et d'équitable partage des biens: quand l'hérédité dans l'ordre politique est prête à périr sous une dernière attaque, elle arrive avec le principe de la complète abolition de l'hérédité, même dans l'ordre social: enfin quand la misère des pauvres est un remords pour quelques riches et la terreur de tous; quand partout les myriades de prolétaires menacent de devenir une armée de tigres, parce qu'on n'a pas daigné les traiter comme une race d'hommes, elle apporte un nouvel évangile, un évangile de science et d'industrie qui doit guérir cette lèpre immense.

Certes, il y a dans la concordance de cette doctrine avec les faits quelque chose qui porte à croire qu'elle n'est pas un paradoxe éphémère, et que, dans l'avenir qui se prépare pour le monde, la vaste pensée de Saint-Simon trouvera une application, sinon complète, au moins fort considérable.

En effet, laissant de côté la partie mystique de la doctrine, tout homme clairvoyant peut prédire que les peuples

marchent à l'accomplissement de plusieurs des principes organiques qu'elle renferme. Ainsi il n'est pas douteux que l'hérédité dont nous parlions tout à l'heure ne soit un jour totalement abolie; et ce jour est plus ou moins prochain, mais vraisemblablement moins éloigné que né le pensent ceux même qui croient à la nécessité de ce progrès. Ainsi, l'admission, même timide, même défiante et incomplète des classes lettrées à la jouissance des droits politiques est un premier pas vers le classement des individus, selon la capacité.

On peut donc regarder le Globe comme un pamphlet quotidien, destiné à jeter dans le monde des idées que le tems et la marche des événemens y feront germer et grandir. L'examen, auquel elles seront soumises dans ce mouvement de propagation, les dépouillera des erreurs et des nuages mystiques qui les entourent, et n'y laissera qu'un nouveau principe, purement matériel, de réorganisation sociale.

Toutefois, le Globe n'abandonne pas le terrain des croyances religieuses; il cherche, au contraire, chaque jour à le déblayer pour y placer le temple de Saint-Simon. Chaque jour il analyse, avec une effrayante vérité, la maladie morale de ce tems, le dépérissement de toutes les croyances, l'absence de tout lien religieux. Il s'attache particulièrement à démontrer que le catholicisme est vieux, ou plutôt qu'il est mort, et que ce culte extérieur qu'il affiche au milieu de nous n'est plus qu'un fantôme que soutiennent et font mouvoir des ressorts étrangers.

Cette bouche qui proclame si haut la mort d'un colosse qui domina le monde a pourtant réveillé quelques âmes ferventes. Un homme d'un grand savoir et d'un magnifique talent, qui lui-même, pour émouvoir ses frères, avait naguères écrit un testament éloquent de sa religion, n’a pu sans douleur voir un ennemi la fouler aux pieds comme un cadavre. Il s'est levé, et d'une voix puissante il s'est écrié que le christianisme allait renaître.

M. DE LAMENNAIS a bien compris que, pour se faire en

tendre d'un siècle, il fallait parler sa langue; il a publié un journal, c'est l'Avenir.

Il a bien compris aussi que ce qui avait amené le catholicisme au point où nous le voyons, c'était son alliance adultère avec le pouvoir matériel; c'était la cupidité de ses agens pour les richesses et les plaisirs de ce monde.

Il a compris enfin que les doctrines de servitude avaient fini leur rôle et que toute théorie désormais devait s'appuyer sur la liberté.

Aussi, a-t-il pris pour devise deux mots bien beaux, trop long-tems antipathiques : DIEU et la LIBERTÉ.

Aussi, a-t-il supplié ses frères, avec cette éloquence qui commande, de laisser au pouvoir ses richesses et son patronage, et de ne réclamer de lui que la liberté.

Aussi, les a-t-il avertis que l'arme toute puissante aujourd'hui c'est la science, et qu'il fallait l'unir à la foi dont elle s'était séparée.

Le but de l'Avenir est donc premièrement d'obtenir du pouvoir la complète liberté des cultes et de l'enseignement; en second lieu, d'engager le clergé à refuser de lui tout salaire; troisièmement, enfin, de reconquérir pour le catholicisme son ancienne influence par la pauvreté et la libre prédication.

Quelques-uns lui attribuent des plans secrets : nous ne voyons pas de motif à ce soupçon ; et d'ailleurs, quand ces plans se manifesteront et marcheront à l'exécution, il sera tems de les combattre.

Pour aujourd'hui, on doit applaudir à des hommes qui ne réclament que ce que depuis long-tems nous avons demandé pour eux et pour nous, la liberté.

L'Avenir adopte donc la cause populaire et le libéralisme dans sa plus large acception: il ne cache point sa sympathie pour la révolution de juillet, pour la cause Belge, pour la Pologne, pour l'Irlande, et nous devons l'avouer, jamais le catholicisme n'avait été défendu par des armes plus brillantes et plus pures.

L'espérance de M. de La Mennais est-elle fondée ? Une croyance règne-t-elle deux fois sur le monde? Le catholicisme est-il compatible avec la forme et les mœurs des sociétés modernes? Sera-t-il possible de décider les prêtres catholiques eux-mêmes au sacrifice des douceurs de la vie? Enfin, le catholicisme triomphant de nouveau n'étoufferait-il pas cette liberté qui l'aurait fait renaître?

Ce sont des questions auxquelles le tems seul peut répondre.

Anselme PETETIN.

LES DEUX POLONAISES (1).

LE CHANT POLONAIS.

Sous un joug odieux la Pologne étouffée,
A son tyran barbare offre un sanglant trophée :
D'un peuple généreux contemplant le cercueil,
Le monde épouvanté se couvre d'un long deuil.
Un cri lointain s'est fait entendre:
Peuple français sois mon appui;
Je veux renaître de ma cendre.
Mon espoir serait-il trahi?

(1) L'auteur de ces deux Chants, graves et mélancoliques, dont les paroles ont été mises en musique par M. Albert SoWINSKI, jeune compositeur polonais d'un grand talent, avait eu le bonheur de connaître particulièrement le général Kosciuszko, et d'être honoré de sa bienveillante amitié, depuis 1796 jusqu'à l'an 1817, époque de sa mort. Il a publié, en 1818, une relation abrégée de la vie de ce grand citoyen (NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR THADDÉE KOSCIUSZKO), qui a été traduite en polonais, imprimée à Breslau, mais prohibée en Pologne par une censure ombrageuse et odieuse qui redoutait tout ce qui pouvait réveiller chez les Polonais le sentiment de leur nationalité. Le même écrivain, membre du Comité central polonais, formé à Paris sous la présidence du général LAFAYETTE, après avoir souvent consacré sa plume à la noble cause de la Pologne, qui est pour lui comme une seconde patrie d'adoption, paie ici un nouveau et faible tribut à cette cause sainte, qui est à la fois celle de l'Europe civilisée, et surtout de la France.

T. XLIX. FÉVRier 1831.

M. A. J.

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