Page images
PDF
EPUB

LIVRE DEUXIÈME.

DES BIENS ET DES DIFFÉRENTES MODIFICATIONS DE LA PROPRIÉTÉ.

337. La loi, après avoir traité des Personnes dans le livre précédent, nous présente dans celui-ci les Droits que ces personnes peuvent avoir sur les choses ou biens.

Pour cela, elle s'occupe tout d'abord des Biens eux-mêmes (tit. 1); puis de la Propriété, droit le plus complet qu'une personne puisse avoir sur un bien (tit. 2); enfin, des autres droits qu'on peut avoir sur une chose, c'est à-dire des démembrements de la propriété (tit. 3 et 4). Ainsi, l'intitulé exact et complet de notre livre serait : Des biens, de la propriété et de ses modifications, ce qui présente trois objets, tandis que la rubrique a le tort de n'en présenter que deux.

[blocks in formation]

338. Les deux mots Choses et Biens ne sont pas synonymes: le premier est le genre; le second, une espèce. Tout ce qui existe dans la nature reçoit le nom de choses; tandis que le nom de biens ne se donne qu'à celles de ces choses qui sont de nature à procurer à une personne un avantage à elle propre et exclusif, et à tomber sous sa propriété. Ainsi le soleil et les différents astres, l'air et les vents sont des choses, mais ne sont pas des biens. Le droit ne s'occupant des choses que sous le rapport de leur utilité exclusive pour les personnes, c'està-dire en tant qu'elles peuvent tomber sous la propriété de celles-ci, c'est toujours dans ce sens restreint et comme synonyme de biens que le mot choses est employé par la loi ou par ses interprètes.

Notre titre envisage les biens sous deux rapports; 1° en eux-mêmes, dans l'article préliminaire et dans les chap. 1 et 2; 2° dans leurs rapports avec ceux qui les possèdent, ce qui fait l'objet du chap. 3. Il suit de là que la division de ce titre, en un article préliminaire et trois chapitres, n'est pas logique : les chap. 1 et 2 auraient dû former les deux sections d'un seul chapitre commençant par l'article préliminaire, et

intitulé: Des biens considérés en eux-mêmes; le chap. 3 serait ainsi devenu le chap. 2.

516. Tous les biens sont meubles ou immeubles.

339. Les biens sont corporels ou incorporels. Les biens corporels sont ceux qui tombent sous nos sens et se perçoivent par eux; les biens incorporels sont ceux qui n'affectent pas les sens et ne se perçoivent que par l'intelligence, comme une rente, une créance, un usufruit, un droit de passage.

Les biens corporels sont meubles ou immeubles. Ils sont meubles, mobiles, mobiliers, quand, par leur propre force ou par une force étrangère, ils peuvent se mouvoir et aller d'un lieu à un autre tels sont un animal, un vêtement, une pièce de monnaie ; ils sont immeubles quand ils consistent dans le sol ou sont inhérents à lui: tels sont les fonds de terre, les édifices, les arbres et plantes non séparés du sol.

Quant aux biens incorporels, ils ne sont ni meubles ni immeubles; car n'ayant ni forme ni figure, et n'occupant aucune place dans l'espace, l'idée de déplacement, de transport d'un point à un autre, ne peut pas se présenter pour eux; aucune idée de mouvement ne peut, pour eux. ni s'affirmer ni se nier. Toutefois, la loi, par sa force créatrice, leur attribue aussi une nature mobilière ou immobilière; en sorte qu'il est vrai de dire, comme le fait notre article, que tous les biens, sans distinction, sont meubles ou immeubles.

--

CHAPITRE PREMIER.

DES IMMEUBLES.

517. Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent.

340. Il y a trois classes d'immeubles : 1° les biens qui sont tels par leur nature même, c'est-à dire qui sont réellement immobiles et hors d'état d'être transportés d'un lieu à un autre ; 2o ceux qui le deviennent par leur destination: ce sont des meubles, des objets conservant leur nature mobile, mais que la loi immobilise fictivement à cause de leur rapport intime avec un immeuble; 3" les biens déclarés immeubles en considération de l'objet sur lequel ils frappent: ce sont des biens incorporels, des droits, frappant sur une chose corporelle immobilière. Ainsi, de ces trois classes, deux se composent de biens qui ne sont pas immeubles réellement, et qui n'acquièrent cette qualité que fictivement, juridiquement.

Le Code va s'occuper des vrais immeubles dans les art. 518-524 ; des meubles immobilisés fictivement, dans les art. 522-525; puis des immeubles incorporels, ou droits immobiliers, dans l'art. 526.

La qualification d'immeubles par l'objet auquel ils s'appliquent, don

née aux immeubles incorporels, laquelle était exacte lors de la confection du Code, se trouve aujourd'hui ne pas embrasser toute la troisième classe. Trois décrets, des 16 janv. 1808, 1er mars même année, et 16 mars 1810, ayant permis d'immobiliser des droits qui s'appliquent à des meubles, il faut désormais pour embrasser tous les immeubles incorporels ou droits immobiliers, dire que la troisième classe se compose d'immeubles rendus tels, non plus par l'objet auquel ils s'appliquent, mais d'une manière plus générale, par la détermination de la loi; ou bien il faudrait distinguer une quatrième classe d'immeubles (Voy. art. 526, no VIII).

518.

leur nature.

Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par

341. Il n'y a de chose réellement immeubles, que 1, le sol, qui l'est par lui-même, par są nature originelle; 2o comme accessoires du sol et par une modification de leur nature première, toutes les choses inhérentes au sol, immédiatement ou médiatement. Un bâtiment resterait donc meuble, s'il était construit sans fondements ni pilotis, comme il arrive souvent pour des cérémonies publiques, pour des foires ou assemblées. C'est de constructions ordinaires, sur pilotis ou foudements, que notre article entend parler.

[ocr errors]

519. Les moulins à vent ou à eau, fixes sur piliers et faisant partie du bâtiment, sont aussi immeubles par leur nature.

SOMMAIRE.

I.

Un moulin est immeuble par une seule des deux conditions indiquées dans l'article.

II. Le moulin, et en général tout édifice, est immeuble, par quelque personne qu'il soit construit. Erreur de Delvincourt.

I. 342. Pour qu'un moulin soit immeuble, il n'est pas nécessaire, comme le ferait croire la rédaction de notre article prise à la lettre, qu'il soit fixé par des piliers et qu'en outre il fasse partie d'un bâtiment; une des deux circonstances suffit. Le moulin fixé par des piliers, étant dès lors inhérent au sol, est donc immeuble; de même, celui qui fait partie d'un bâtiment est immeuble, par cela seul, comme et avec ce bâtiment. Notre article signifie donc : « les moulins fixés sur piliers et ceux faisant partie d'un bâtiment. » L'art. 531 prouve d'ailleurs cette vérité, puisqu'il déclare qu'un moulin n'est meuble, qu'autant qu'il n'est ni fixé par des piliers, ni construit comme partie de la maison.

[ocr errors]

II. — 343. En déclarant immeubles par leur nature même, les moulins à vent simplement fixés par des piliers, le Code amène un changement aux anciens principes. Autrefois, l'union physique qui se réalise entre le moulin et le sol au moyen de la fixation par piliers ne paraissait pas assez forte pour devenir le principe de l'immobilisation;

cette union physique n'était comptée pour rien, et si le moulin, dans ce cas, quoiqu'il ne fût point attaché au sol, devenait cependant immeuble, c'était uniquement quand (et parce que ) il y était placé, intentionnellement, à perpétuelle demeure. Il suivait de là qu'il n'était pas immeuble quand il n'était placé que par un locataire ou un usufruitier, ceux-ci étant censés ne l'avoir mis que pour l'emporter à la fin du bail ou de l'usufruit; il fallait qu'il fût mis par le propriétaire (Pothier, Communauté, nos 36 et 37).

Aujourd'hui que le moulin est déclaré immeuble par l'effet de son union physique avec le sol, immeuble par sa nature, il n'y a plus d'intention à apprécier, il n'y a plus à rechercher par quelle personne l'union a été réalisée, son immobilisation alors, comme celle de tout édifice, résulte, absolument et sans condition, de son accession réelle au sol Quod solo inædificatur, solo cedit.

Delvincourt tombe donc dans une grave erreur, quand il décide, sur la prétendue autorité de Pothier, qu'un moulin ou tout autre édifice est meuble quand il est bâti par un autre que le propriétaire du sol (note 4 de la p. 140). Il y a là une double méprise. 1o Pothier n'a jamais enseigné une pareille doctrine: c'était parce que le moulin à vent était regardé comme n'étant point attaché au sol, qu'il restait meuble quand il était mis par un autre que le propriétaire (no 36); quant à celui qui aurait été bâti sur le fonds comme le suppose Delvincourt, et quant à tous autres édifices construits sur ce fonds, ils étaient immeubles absolument et toujours (no 32). 2o La décision de Pothier, que Delvincourt a mal saisie, ne s'applique d'ailleurs plus sous le Code, ainsi qu'on vient de le voir au précèdent alinéa.

344. Delvincourt donne pour raison de sa doctrine que le bâtiment n'étant immeuble que comme accessoire et partie du terrain, il s'ensuit qu'il ne peut appartenir, en qualité d'immeuble et tant qu'il n'est pas démoli, qu'au propriétaire de ce terrain.

Quand cette dernière idée serait vraie, il n'en faudrait pas conclure, comme le fait Delvincourt, que le bâtiment n'est immeuble qu'autant qu'il est construit par le propriétaire du sol; car un bâtiment appartient de droit commun au propriétaire du sol, et par conséquent est immeuble, alors même qu'il est construit par un autre (art. 553 et 555). Mais cette idée qu'un bâtiment n'est immeuble que quand il appartient au propriétaire du terrain, n'est pas même exacte. Qui m'empêche de vous vendre ma maison en me réservant la propriété du terrain qui la porte, et en stipulant que quand cette maison tombera de vétusté, ou si elle vient à être détruite par accident, je reprendrai la jouissance de mon terrain ?..... Dans ce cas, vous serez propriétaire de la maison, moi je serai propriétaire du terrain qui la porte, et cette maison n'en sera pas moins un immeuble. C'est là une des espèces du contrat de superficie, peu usité aujourd'hui, mais très-fréquent dans le droit romain et dans notre ancienne jurisprudence. Rien ne m'empêche encore de vous concéder le droit de bâtir pour vous un étage sur ma maison, composée aujourd'hui d'un rez-de-chaussée, lequel conti

nuera de m'appartenir ; ce serait bizarre, mais ce ne serait pas illégal; la loi elle-même, dans l'art. 664, prévoit le cas d'une maison ainsi divisée par étages. Or, dans le premier cas, la maison que je vous ai vendue; dans le second, l'étage que vous avez bâti, sont évidemment immeubles quoique le terrain ne vous appartienne pas; ce terrain reste ma propriété et se trouve frappé d'une servitude à votre profit. C'est ainsi que la mine ouverte dans mon terrain, et que le gouvernement vous concède (moyennant indemnité pour moi), n'en est pas moins un immeuble pour vous, quoiqu'elle soit une portion de mon sol, dans lequel et par lequel elle existe (Loi du 21 avril 1840, art. 5, 6 et 8). 520. Les récoltes pendantes par les racines, et les fruits des arbres non encore recueillis, sont pareillement immeubles. Dès que les grains sont coupés et les fruits détachés, quoique non enlevés, ils sont meubles.

Si une partie seulement de la récolte est coupée, cette partie seule est meuble.

521. Les coupes ordinaires des bois taillis, ou de futaies mises en coupes réglées, ne deviennent meubles qu'au fur et à mesure que les arbres sont abattus.

SOMMAIRE,

1. Les produits de la terre sont immeubles avec elle. II. Quand et comment ils deviennent meubles.

I. 345. Tous les produits du sol, de quelque nature qu'ils soient, ainsi les grains, les fruits, les légumes, les bois (1), tous les arbres, plantes et arbustes; les houilles, pierres, métaux et autres substances que l'on extrait de la terre, sont tous immeubles tant qu'ils sont inhérents au sol; ils ne deviennent meubles qu'au fur et à mesure qu'ils en sont séparés. C'est là une règle absolue et sans exception. Il y a, à la vérité, cette différence, que les produits que l'on extrait de la terre ont toujours été immeubles dans leur nature primitive, tandis que les arbres, grains, légumes, etc., ne le sont devenus qu'après avoir été meubles d'abord et en changeant de nature par leur inhérence au sol; mais tant que cette inhérence existe, soit qu'elle ait toujours existé, soit qu'elle ait commencé à tel moment par le travail de l'homme ou

(1) Les bois se divisent en taillis et futaies; et parmi les futaies, les unes sont mises en coupes réglées, les autres ne le sont pas. On appelle taillis les bois destinés à être coupés, taillés, tout jeunes encore, à des époques périodiques, sans qu'on les laisse jamais grandir; les futaies, au contraite, sont des bois composés de grands arbres Presque toujours, le terrain couvert d'un taillis porte aussi de grands arbres; de là l'usage d'appeler souvent les taillis bois sous futaie. Une futaie est mise en coupes réglées, ou aménagée, lorsque, à des époques périodiques (tous les dix ans, par exemple), on la coupe par parties; soit en prenant çà et là sur toute l'etendue du terrain, telle fraction un dixième) des arbres, soit en abattant à chaque fois tous les arbres d'une fraction du terrain.

« PreviousContinue »