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manière énergique, en déclarant dans l'art. 329 que le silence gardé par l'enfant, pendant cinq ans seulement de majorité, fait naître une présomption de renonciation qui enlève l'action à ses successeurs.

41. Mais par quel délai l'action se prescrira-t-elle contre les héritiers?... La loi n'ayant indiqué aucune prescription spéciale pour ce cas, il s'ensuit qu'on ne peut appliquer ici que la règle générale de l'art. 2262, qui déclare qu'aucune action prescriptible ne peut durer plus de trente ans. C'est donc après trente années écoulées depuis l'ouverture de la succession de l'enfant, sans interdiction ni minorité de l'héritier (art. 2252), que l'action en réclamation de l'état de l'enfant sera prescrite pour cet héritier.

42. Ce que nous venons de dire dans ce no II concerne tous les héritiers, mais ne concerne qu'eux. Et d'abord, il s'agit de tous héritiers, de tous ceux qui sont appelés à un titre quelconque au droit héréditaire, à la totalité ou à une quote-part de la masse de biens qu'on appelle l'hérédité; et ce, par la raison que l'action fait partie de cette masse de biens. Ainsi, le droit passe à tous les successeurs universels; les successeurs particuliers en sont seuls exclus. Donc, l'action appartient, selon les cas, aux héritiers légitimes, aux enfants naturels, au conjoint survivant, à l'État, aux légataires universels ou à titre universel; elle n'est refusée qu'aux légataires particuliers ou à ceux des successeurs universels qui renonceraient à la succession (Voy. art. 317, n° I).

III. 43. Mais il ne s'agit aussi que des héritiers, de ceux-là seulement qui ne peuvent intenter l'action qu'à titre d'héritiers de celui dont ils réclament l'état; c'est à eux seuls que s'appliquent les règles consacrées par les deux art. 329 et 330. Ceux au contraire qui, à la qualité d'héritiers, joindraient celle d'enfant ou descendant direct de l'enfant défunt, ne seraient pas soumis à ces mêmes règles. En effet, si je prétends que mon père, qui a passé jusqu'à sa mort pour fils naturel de Marie-Julie Lebret, a été constamment trompé sur son état, et que j'aie la preuve qu'il était le fils légitime du baron de Saint-Germain, que l'on dit à tort décédé sans enfants, il est bien clair que l'action que j'intente alors n'est plus une action pécuniaire. Ce n'est plus seulement l'état de mon père, c'est aussi mon propre état que je réclame, puisque je prétends qu'au lieu de me nommer Jacques Lebret, je me nomme et suis Jacques de Saint-Germain, petit-fils et héritier du baron de ce nom. Mais si c'est alors mon état, à moi, que je réclame; si j'agis en mon propre nom et non pas comme héritier, comme simple individu pécuniairement intéressé; si c'est ma famille, mon titre, mon nom que je demande, et non pas seulement de l'argent, ou peut-être même pas d'argent du tout (parce que le baron de Saint-Germain est mort pauvre ou décédé depuis plus de trente ans déjà); s'il en est ainsi, on ne peut donc pas m'appliquer l'art. 329 et me déclarer non recevable, parce que mon père serait mort après cinq ans de majorité sans rien dire. Ce n'est plus dans le cas de cet art. 329, c'est dans le cas de l'art. 328 que je me trouve placé, puisque c'est mon état que je réclame, et mon

action, dès lors, est imprescriptible. Et puisque ce n'est plus comme héritier que j'agis alors, il importe donc peu que j'aie renoncé à la succession de mon père; car en renonçant à cette succession, je n'ai pas renoncé à ma famille et à mon nom.

44. Cette doctrine, qui nous paraît la seule vraie, la seule fondée en morale et en logique, n'est cependant pas généralement admise; Toullier (Il-910), M. Duranton (III-151), M. Zachariæ (III, p. 664) et aussi M. Demolombe (V-305), enseignent que quand l'enfant ne réclame son état que comme une suite et une conséquence de l'état de son père, cet état, par exception aux principes, devient prescriptible, et que son action, traitée pour ce cas comme une action pécuniaire, s'éteint par la renonciation de cet enfant, par la renonciation qu'aurait faite le père aujourd'hui décédé, par le silence que ce père a gardé pendant cinq ans de majorité; par toutes les causes, en un mot, qui résultent de la théorie de l'art. 329.-D'après cette doctrine, qui rejette dans l'art. 329, et au nombre des actions simplement pécuniaires, l'action par laquelle l'enfant réclame son propre état en invoquant l'état de son père comme base du premier, il faudrait dire que cet enfant ne peut agir que quand il devient vraiment héritier de son père, c'est-àdire, dans le cas seulement où il accepte sa succession. Ainsi, par cela seul que l'enfant aurait répudié la succession de son père, il ne pourrait jamais réclamer son nom, sa famille, son état; il ne pourrait jamais arriver, ni par représentation ni de son chef, aux successions qui s'ouvriraient plus tard dans sa famille, quoique l'art. 744 déclare positivement qu'on peut très-bien représenter celui à la succession duquel on a renoncé ; tout serait irrévocablement perdu pour lui !!!

Ce résultat, on le comprend, doit embarrasser les partisans du système que nous rejetons. Aussi, comme Toullier chancelle quand il cherche à fixer ses idées sur ce point. A cette question: Les enfants peuvent-ils réclamer l'état de leur père en renonçant à sa succession? Toullier répond en substance: «On pourrait dire oui: mais cependant le Code semble dire non; et pourtant il paraîtrait dire oui ! » Et malheureusement M. Duvergier, dans ses notes, n'ajoute rien à cette doctrine, si c'est là une doctrine.

Toullier a tort de vouloir mitiger un système qui doit être adopté en entier ou rejeté en entier. Si l'on range l'action de l'enfant dans l'art. 329, à l'instar des actions pécuniaires; si l'on dit qu'aux yeux de la loi l'état et la famille ne sont plus qu'une question d'écus pour l'enfant qui ne peut réclamer son état qu'en réclamant celui de son père, il faut être conséquent et dire que cet enfant ne pourra agir qu'en se portant héritier de son père... Mais pourquoi donc rendre la loi si matérialiste, si peu morale, si peu logique, quand son texte ne l'exige en aucune façon ? La loi ne nous dit-elle pas, dans l'art. 328, qu'à l'égard de l'enfant lui-même, à l'égard de celui qui réclame son propre état à lui, l'action est imprescriptible? Et qu'importe que pour établir cet état, il ait besoin d'établir préalablement l'état de son père? n'avonsnous pas vu, par exemple, que les héritiers d'un mari, qui ne pour

raient pas poursuivre comme objet principal l'adultère de la veuve, peuvent très-bien prouver cet adultère pour arriver au désaveu de l'enfant, désaveu qui sera la conséquence de cet adultère prouvé? Pourquoi donc ne pourrais-je pas demander principaliter, et comme objet direct, mon état à moi, sauf à prouver l'état de mon père, dont il est la conséquence?... On objecte que « laisser ainsi une action imprescriptible à tous les descendants directs, ce serait éterniser l'inquiétude des familles et l'incertitude des propriétés; que, si favorable que soit l'action en réclamation d'état, le législateur a dù en limiter la durée en la personne des enfants de celui dont l'état a été supprimé, attendu que les exemples d'enfants ainsi privés de leur état sont moins nombreux que les exemples d'individus qui cherchent à troubler injustement les familles, et qu'il y a plus de gens excités par la cupidité que de pères et mères dénaturés. » (Voy. Toullier, II-610.) Mais on oublie ici, comme on l'oublie dans la fameuse question des aliénations faites par l'héritier apparent (art. 137, no IV, t. I), que la loi a suffisamment veillé à cet objet, en établissant la prescription de tous les droits pécuniaires. On oublie que si la prescription ne peut pas m'enlever mon état, elle m'enlève très-bien les droits pécuniaires résultant de cet état; de sorte que, si je puis exercer l'action à toute époque, quant à l'état lui-même, je ne pourrai plus l'exercer, en ce qui concerne les biens, après trente, ou même après vingt ou dix années, selon les cas. S'il en est ainsi, si la prescription s'accomplit d'après les règles ordinaires pour tout ce qui est question d'argent, il n'est donc pas à craindre que la cupidité éternise l'inquiétude des familles.

45. Il faut donc, selon nous, distinguer deux cas de réclamation d'état, 1° S'il s'agit de la réclamation d'état rigoureusement dite, de l'action par laquelle le demandeur réclame son état personnel; alors, qu'il le base ou non sur la preuve à faire de l'état de son père, l'action est imprescriptible, c'est le cas de l'art, 328; 2o si le demandeur réclame un état qui n'est pas le sien, mais qu'il agisse seulement comme successeur universel de celui dont il réclame l'état, ce n'est plus là qu'une action pécuniaire prescriptible par trente ans ; c'est le cas des art. 329 et 330.

IV. 46 Maintenant, ces deux articles, il faut les bien entendre et ne pas confondre, comme l'ont fait des auteurs, les deux cas prévus par eux. L'art. 329 nous dit dans quel cas les successeurs universels aux biens peuvent intenter eux mêmes l'action; l'art. 330 nous dit dans quel cas ils pourront continuer l'action intentée par l'enfant.

Les héritiers, c'est-à-dire tous les successeurs universels ayant accepté la succession, ne peuvent intenter l'action qu'autant que l'enfant est décédé mineur ou dans les cinq années qui ont suivi sa majorité, c'est-à-dire avant l'âge de vingt-six ans révolus. Quand l'enfant meurt après cette époque, la loi tire du silence par lui gardé pendant les cinq années de majorité la présomption d'une renonciation, qui anéantit, pour les héritiers, une action qui chez eux n'est que pécuniaire. Et les héritiers ne pourraient pas se soustraire à l'effet de cette présomption

en prouvant ou que l'enfant est mort dans l'ignorance de son véritable état, ou même qu'il avait au moment de sa mort l'intention bien arrêtée d'agir prochainement; car, aux termes de l'art. 1452, « Nulle preuve « n'est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fonde<ment de cette présomption, elle dénie l'action en justice. » C'est donc là une de ces présomptions qu'on a appelées juris et de jure, et à l'effet desquelles il est impossible d'échapper (art. 124, no XXI).

Et puisque la simple renonciation tacite de l'enfant empêche l'action de passer aux héritiers, il en serait donc de même a fortiori d'une renonciation formelle. Ainsi, la transaction, la convention quelconque, par laquelle l'enfant aurait déclaré renoncer à son droit, bien qu'elle n'empêchât pas l'action de subsister toujours pour lui, l'empêcherait d'arriver aux héritiers.

Quand il y a eu de la part de l'enfant une renonciation formelle à son droit, aucune circonstance ne peut faire revivre l'action pour les héritiers: car elle est désormais anéantie en tant qu'action pécuniaire; or, c'est seulement comme telle qu'elle pourrait être exercée par eux. Mais ce même effet, cette déchéance irrévocable, ne résulte pas également du silence gardé par l'enfant pendant cinq ans de majorité; quand l'enfant a dépassé l'âge de vingt-six ans saus agir, il n'est pas encore impossible que les héritiers jouissent de l'action après sa mort. En effet, si plus tard cet enfant intente lui-même l'action, cette circonstance détruisant la présomption de renonciation que la loi avait posée, la mort de l'enfant arrivée pendant l'instance transmettrait aux héritiers le droit de continuer cette action par lui commencée. Telle est la disposition formelle de l'art. 330.

V.

- 47. Mais, bien entendu, pour que l'instance ouverte par l'enfant puisse être continuée après lui par les héritiers, il faut qu'il n'y ait pas renoncé, soit formellement, soit tacitement. La renonciation formelle à une action s'appelle désistement (art. 402, 403, C. proc.); la renonciation tacite consiste dans une prescription qui prend le nom de péremption d'instance, et qui résulte de trois années d'inaction (art. 397 et suiv., ibid). Si donc l'enfant, après avoir intenté l'action, s'en désiste ou la laisse périmer, cette action étant dès-lors comme non avenue, les héritiers en resteront privés : c'est ce qu'explique la fin de l'art. 330. Du reste, pour que le désistement ou la péremption aient lieu, il ne suffit pas que l'enfant ait déclaré et signifié qu'il se désiste, ou qu'il ait laissé passer trois ans sans poursuites; il faut que l'adversaire, dans le premier cas, ait signifié son acceptation du désistement, et que, dans le second, il ait fait prononcer la péremption (C. proc., art. 402, 403, 399). Si donc l'enfant meurt avant l'acceptation de l'adversaire, ou avant que la péremption soit demandée, les héritiers pourraient continuer l'action, en déclarant qu'ils retirent le désistement, ou en signifiant un nouvel acte de procédure pour empêcher la péremption.

Tout ceci devient si clair et si simple par la comparaison de notre art. 330 avec les deux titres de la Péremption et du Désistement, que

manière énergique, en déclarant dans l'art. 329 que le silence gardé par l'enfant, pendant cinq ans seulement de majorité, fait naître une présomption de renonciation qui enlève l'action à ses successeurs.

41. Mais par quel délai l'action se prescrira-t-elle contre les héritiers?... La loi n'ayant indiqué aucune prescription spéciale pour ce cas, il s'ensuit qu'on ne peut appliquer ici que la règle générale de l'art. 2262, qui déclare qu'aucune action prescriptible ne peut durer plus de trente ans. C'est donc après trente années écoulées depuis l'ouverture de la succession de l'enfant, sans interdiction ni minorité de l'héritier (art. 2252), que l'action en réclamation de l'état de l'enfant sera prescrite pour cet héritier.

42. Ce que nous venons de dire dans ce no II concerne tous les héritiers, mais ne concerne qu'eux. Et d'abord, il s'agit de tous héritiers, de tous ceux qui sont appelés à un titre quelconque au droit héréditaire, à la totalité ou à une quote-part de la masse de biens qu'on appelle l'hérédité; et ce, par la raison que l'action fait partie de cette masse de biens. Ainsi, le droit passe à tous les successeurs universels; les successeurs particuliers en sont seuls exclus. Donc, l'action appartient, selon les cas, aux héritiers légitimes, aux enfants naturels, au conjoint survivant, à l'État, aux légataires universels ou à titre universel; elle n'est refusée qu'aux légataires particuliers ou à ceux des successeurs universels qui renonceraient à la succession (Voy. art. 317, n° I).

III. 43. Mais il ne s'agit aussi que des héritiers, de ceux-là seulement qui ne peuvent intenter l'action qu'à titre d'héritiers de celui dont ils réclament l'état; c'est à eux seuls que s'appliquent les règles consacrées par les deux art. 329 et 330. Ceux au contraire qui, à la qualité d'héritiers, joindraient celle d'enfant ou descendant direct de l'enfant défunt, ne seraient pas soumis à ces mêmes règles. En effet, si je prétends que mon père, qui a passé jusqu'à sa mort pour fils naturel de Marie-Julie Lebret, a été constamment trompé sur son état, et que j'aie la preuve qu'il était le fils légitime du baron de Saint-Germain, que l'on dit à tort décédé sans enfants, il est bien clair que l'action que j'intente alors n'est plus une action pécuniaire. Ce n'est plus seulement l'état de mon père, c'est aussi mon propre état que je réclame, puisque je prétends qu'au lieu de me nommer Jacques Lebret, je me nomme et suis Jacques de Saint-Germain, petit-fils et héritier du baron de ce nom. Mais si c'est alors mon état, à moi, que je réclame; si j'agis en mon propre nom et non pas comme héritier, comme simple individu pécuniairement intéressé; si c'est ma famille, mon titre, mon nom que je demande, et non pas seulement de l'argent, ou peut-être même pas d'argent du tout (parce que le baron de Saint-Germain est mort pauvre ou décédé depuis plus de trente ans déjà); s'il en est ainsi, on ne peut donc pas m'appliquer l'art. 329 et me déclarer non recevable, parce que mon père serait mort après cinq ans de majorité sans rien dire. Ce n'est plus dans le cas de cet art. 329, c'est dans le cas de l'art. 328 que je me trouve placé, puisque c'est mon état que je réclame, et mon

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