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alin. 2); vous ne perdez que les parties de la chose qui se trouvent détruites, les constructions aujourd'hui anéanties. Il en serait de même si votre usufruit était établi sur une seule maison qui ne se trouvât détruite qu'en partie et dont une portion pourrait encore être habitée; l'usufruit, dans ce cas, n'étant pas éteint et continuant sur cette dernière portion, continuerait par là même sur le sol et les matériaux de la partie détruite (art. 623).

Mais si, au contraire, l'usufruit n'est établi que sur une maison et que cette maison soit détruite en entier, comme alors nous n'avons plus de maison, l'objet de l'usufruit, cet usufruit s'éteint, et l'usufruitier, perdant cette qualité, n'a plus droit ni sur le sol de la maison ni sur les matériaux en provenant (art. 623, alin. 1). Et il en serait ainsi encore s'il s'agissait de plusieurs maisons formant autant d'objets distincts de cet usufruit. Ainsi, quand vous avez l'usufruit de sept ou huit maisons, alors même qu'elles ne formeraient qu'un seul ténement, et que l'une d'elles vient à périr, votre usufruit continuera bien sur les autres maisons, mais vous ne jouirez ni du sol ni des matériaux de celle qui est détruite; car l'usufruit portant alors spécialement et divisément sur la maison no 1, sur la maison no 2, etc., la ruine d'une de ces maisons offre la perte totale de l'un des objets, et par conséquent produit extinction totale du droit, lequel étant ainsi anéanti, ne peut pas plus subsister sur les débris de la chose que sur la chose même qui n'existe plus.

En deux mots : tant que l'objet ou l'un des objets de l'usufruit ne périt qu'en partie, l'usufruit, trouvant toujours un objet, continue; et puisqu'il continue, il portera sur cet objet entier, dans l'état où il est maintenant. Mais quand l'objet, unique ou non, peu importe, périt en entier, l'usufruit s'éteint, et par conséquent ne peut plus porter sur quoi que ce soit. C'est d'après ce double principe que l'usufruitier d'un ou de plusieurs animaux ne formant pas l'unité appelée troupeau, voit s'éteindre entièrement son droit sur chacun des animaux qui meurent, et en doit rendre les cuirs, quoique son usufruit continue sur les animaux survivants; tandis que l'usufruitier d'un troupeau n'a de cuirs à rendre que quand ce troupeau périt tout entier.

551 bis. Maintenant qu'arrivera-t-il si le bâtiment dont la destruction a éteint l'usufruit est reconstruit, soit par l'ex-usufruitier, soit par le propriétaire? ceci ne nous paraît offrir ancune difficulté. Et d'abord, la reconstruction de l'édifice, peu importe par qui elle est faite, ne peut faire revivre l'usufruit qui s'est une fois éteint; il n'en peut pas être de ce cas comme du cas de consolidation, où l'acquisition de la nue propriété par l'usufruitier peut se trouver nulle en droit, et réputée légalement non avenue la reconstruction ne fait pas et ne peut pas faire qu'il n'y ait pas eu destruction, et que l'usufruit n'ait pas été éteint et absolument éteint. Décider le contraire, ce serait dire que la perte de la chose n'éteint pas l'usufruit, mais seulement en suspend l'exercice, et que cet usufruit ne serait vraiment éteint qu'autant qu'il s'écoulerait trente ans avant la reconstruction; ce serait en définitive

physique, il reste encore vrai de dire que l'usufruit s'éteint par la perte de la substance juridique, qui rigoureusement n'est qu'un très-grave changement de forme; à la différence de la propriété qui ne s'éteint que par la perte de la substance physique, par l'anéantissement proprement dit de la chose. En effet, quand cet édifice en pierres s'écroule de fond en comble, l'usufruit que j'en avais s'éteint, quoique les pierres existent toujours et continuent d'avoir une grande valeur; ces matériaux, dont je jouissais quand ils étaient assemblés, je n'en jouis plus aujourd'hui quand ils sont désunis; philosophiquement, physiquement, il n'y a eu qu'un changement de forme, qu'une modification dans la manière d'être des choses; et cependant mon droit est brisé, tandis que celui du propriétaire existe toujours et ne disparaîtrait qu'autant que les choses seraient consommées, anéanties. On pourra donc toujours dire, si on le veut, que dans notre droit encore l'usufruit, à la différence de la propriété, s'éteint mutatione rei. Mais du moins, ce sera une mo-. dification profonde, un changement de forme tellement grave, que dans le langage de tous on ne l'appelle pas changement de forme, mais destruction. Ici le doute n'est plus possible, l'arbitraire n'est plus à craindre, et s'il reste encore quelque peu de vague dans les paroles, il n'en peut plus rester dans les idées : quand on m'a concédé l'usufruit d'une maison, d'un objet que je devais habiter ou faire habiter par d'autres, et qu'il n'y a plus que des pierres gisantes sur le sol, il est palpable que l'objet de mon usufruit est éteint; mais quand l'usufruit porte sur un hectare de terre, qu'importe que cette terre soit marécageuse ou sèche, qu'elle me donne du bois ou du raisin, du foin ou des blés? C'est toujours un hectare de terre, et les produits qu'elle donne importent peu.

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618. L'usufruit peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien.

Les créanciers de l'usufruitier peuvent intervenir dans les contestations, pour la conservation de leurs droits; ils peuvent offrir la réparation des dégradations commises, et des garanties pour l'avenir.

Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l'extinction absolue de l'usufruit, ou n'ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l'objet qui en est grevé, que sous la charge de payer annuellement à l'usufruitier ou à ses ayants cause une somme déterminée jusqu'à l'instant où l'usufruit aurait dû cesser.

I. 554. Cet article nous présente la sixième cause d'extinction de l'usufruit: l'abus de jouissance de la part de l'usufruitier. Ce cas offre ceci de particulier, que l'extinction n'a pas lieu de plein droit, mais doit être prononcée par le juge. Et en effet, il y a des degrés, il

y a du plus ou du moins, dans une jouissance irrégulière et illicite. Les faits dont le propriétaire se plaint doivent donc être soumis à l'appréciation du tribunal, qui devra prononcer une sentence plus ou moins sévère selon les circonstances.

II. 555. Si les faits reprochés sont peu graves, et que l'usufruitier, ou quelqu'un pour lui, offre de faire les réparations nécessaires et de donner des garanties pour l'avenir, on pourra le maintenir dans sa jouissance, en acceptant les offres, bien entendu. Si sa jouissance, au contraire, présente de graves abus, et qu'on ne puisse l'y maintenir sans exposer le propriétaire à un préjudice réel, les juges pourront lui enlever la jouissance pour la donner au propriétaire; mais ils ne devront le faire, en général, que sous l'obligation par le propriétaire de payer chaque année à l'usufruitier, jusqu'au moment où l'usufruit se serait éteint par quelque autre cause, une somme qui représente ou à peu près les avantages que la jouissance peut procurer. Ils pourraient aussi évidemment, puisque notre article soumet la décision à intervenir à leur appréciation des circonstances, maintenir l'usufruit, en ordonnant les mesures conservatrices indiquées par les art. 602 et 603 pour les cas où l'usufruitier ne trouve pas de caution. Que si enfin l'administration de l'usufruitier présente des abus criants et dénote une mauvaise foi qui mérite punition, les tribunaux sont autorisés à prononcer l'extinction d'une manière absolue et sans aucune indemnité.

Dans la première et la troisième hypothèse, il n'y a pas extinction, puisque l'usufruitier est maintenu en jouissance au moyen des précautions prises. Dans la seconde, l'usufruit s'éteint et se transforme en une rente temporaire à fournir par le propriétaire; mais on pourrait dire que l'abus de jouissance est plutôt alors l'occasion que la cause directe de l'extinction, cause qui se trouve dans la vente forcée que l'usufruitier fait de sa jouissance au propriétaire, en sorte que le cas pourrait être considéré comme rentrant dans la septième cause d'extinction. Dans le dernier cas, au contraire, il est clair que l'abus de jouissance par lui seul et directement la cause extinctive de l'usufruit.

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556. Du reste, il est évident que ce dernier moyen (lequel enrichitle propriétaire aux dépens de l'usufruitier, et fait ainsi exception à ce principe général du Code que nul ne doit s'enrichir au détriment d'autrui, même d'un fripon) ne devra être employé que rarement et quand l'usufruitier méritera vraiment d'être puni d'une insigne mauvaise foi. -Et puisque c'est une mesure exceptionnelle, exorbitante, une véritable peine, on ne devra pas l'appliquer, quand elle frapperait, non pas sur l'usufruitier lui-même, mais sur ses créanciers. La réclamation de ces créanciers, dans les cas où ils ne pourraient pas offrir des garanties suffisantes pour faire maintenir l'usufruit, ne permettrait de prononcer l'extinction qu'au moyen de l'indemnité annuelle dont on a parlé plus haut, laquelle irait à ces créanciers. Que s'ils offraient une complète garantie de tout préjudice passé et futur, l'extinction ne devrait pas être prononcée.

619. — L'usufruit qui n'est pas accordé à des particulier, ne dure que trente ans.

620. L'usufruit accordé jusqu'à ce qu'un tiers ait atteint un âge fixe dure jusqu'à cette époque, encore que le tiers soit mort avant l'âge fixé.

557. Ces deux articles se trouvent expliqués par le no IV de l'art. 617; nous ajouterons toutefois une observation.

Et d'abord, on sait déjà qu'il ne serait pas vrai de dire que l'usufruit accordé jusqu'à ce qu'un tiers ait tel âge, quarante ans, par exemple, durera toujours jusqu'au moment où ce tiers aura atteint (ou aurait atteint, s'il n'était pas mort) sa quarantième année; car, avant ce moment, l'objet de l'usufruit peut périr; puis, l'usufruitier peut renoncer, il peut y avoir prescription, abus de jouissance, etc.; et puis encore la mort de l'usufruitier arrivée avant ce moment éteindrait aussi l'usufruit. Notre art. 620 signifie donc seulement que l'usufruit accordé jusqu'à tel âge d'un tiers ne s'éteint pas par la mort de ce tiers arrivée avant l'âge fixé. Sans doute il peut s'éteindre par bien d'autres causes; mais le Code déclare qu'en prenant pour terme tel âge d'une personne, le constituant doit être réputé avoir pensé, non pas précisément à l'existence du tiers, laquelle devait lui importer peu, mais à un nombre déterminé d'années : Non ad vitam hominis respexit, sed ad certa curricula, disait la loi romaine. Nous le répétons donc, l'article signifie seulement que l'usufruit ne s'éteindra pas par la mort du tiers.

Eh bien, c'est ce sens restreint de l'article qui est l'objet de notre observation. Cette proposition déjà restreinte, il faut la restreindre encore; elle serait fausse si on la prenait absolument. La mort du tiers n'éteindra pas l'usufruit le plus souvent, mais elle l'éteindra quelquefois.

557 bis. En effet, il peut fort bien arriver que le constituant n'ait indiqué tel âge du tiers qu'en considération de l'existence de ce tiers jusqu'à cet âge, ad vitam hominis respiciens, non ad certa curricula. Ainsi, quand un testateur déclare que, pour mettre Pierre, son vieux domestique, en état d'élever son enfant, il lui lègue l'usufruit de telle maison jusqu'à ce que cet enfant ait atteint sa vingtième année, il est bien clair que si l'enfant meurt à seize ou dix-sept ans, Pierre son père perdra l'usufruit qui ne lui était donné que pour élever cet enfant. C'est ainsi que l'usufruit légal des père et mère, bien qu'il soit accordé jusqu'à ce qu'un tiers, l'enfant, ait atteint l'âge de dixhuit ans, s'éteindrait si l'enfant mourait avant cet âge, puisqu'il n'est que la récompense des peines que donne la puissance paternelle.

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Notre article devrait donc être rédigé ainsi : «L'usufruit accordé jusqu'à ce qu'un tiers ait atteint un âge fixe ne s'éteint pas par la mort du tiers arrivée avant cet âge; à moins qu'il ne soit établi en considération de l'existence du tiers.

558. Que si c'était jusqu'à la mort du tiers que l'usufruit fût accordé, ce serait jusqu'à la mort naturelle de ce tiers qu'il durerait; il ne s'éteindrait pas par sa mort civile. Le Code a bien déclaré que l'usufruit s'éteindrait par la mort civile de l'usufruitier, parce qu'elle ouvre la succession de celui-ci et lui enlève ses biens comme la mort naturelle; mais il faut se garder d'étendre la décision au tiers dont il s'agit, lequel ne jouit pas de l'usufruit, en sorte qu'il importe peu de savoir s'il conserve ou s'il perd ses biens.

Toutefois, il faut apporter à cette règle une exception analogue à celle que nous venons d'indiquer pour la règle de notre article. S'il résultait, soit des termes de l'acte, soit des circonstances, que la pensée du constituant, quand il a pris pour terme la mort du tiers, était d'accorder l'usufruit jusqu'au moment où l'usufruitier hériterait de ce tiers, la mort civile de celui-ci, en faisant arriver l'héritage à l'usufruitier, éteindrait dès lors l'usufruit.

621. La vente de la chose sujette à usufruit ne fait aucun changement dans le droit de l'usufruitier; il continue de jouir de son usufruit s'il n'y a pas formellement renoncé.

622. Les créanciers de l'usufruitier peuvent faire annuler la renonciation qu'il aurait faite à leur préjudice.

SOMMAIRE.

1.

Septième cause: La renonciation de l'usufruitier, c'est-à-dire l'aliénation qu'il fait de son droit.

II. Les créanciers auxquels cette aliénation préjudicie peuvent la faire annuler si elle est frauduleuse. Elle est de plein droit réputée frauduleuse quand elle est gratuite; sauf à l'adversaire à prouver l'absence de fraude.

-

I. 559. Il était peu utile de dire que la vente, ajoutons ou toute autre aliénation, que le nu propriétaire pourrait faire de la chose soumise à l'usufruit, ne nuit pas au droit de l'usufruitier; c'est une conséquence forcée, évidente, des principes fondamentaux de la matière. Le dominium de la chose étant divisé entre deux personnes dont l'une conserve l'abusus, tandis que l'autre en a l'usus-fructus, il est clair (chacun ne pouvant aliéner que ce qui lui appartient) que la première ne peut aliéner que sa nue propriété, comme la seconde ne peut aliéner que son droit de jouissance, et que dès lors l'aliénation faite par l'une ste étrangère au droit de l'autre, et ne modifie en rien sa position. Et de même que le nu propriétaire ne peut vendre, donner, échanger. aliéner enfin, que sa nue propriété, ce n'est aussi que sur cette nue propriété qu'il pourrait consentir des hypothèques ou autres charges réelles.

Mais si l'usufruitier ne peut pas être dépouillé de son droit par le propriétaire, il est clair qu'il peut intervenir dans l'aliénation que fait celui-ci pour céder son usufruit en même temps que l'autre cède sa nue propriété. Cet usufruitier, en effet, comme tout propriétaire, peut

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