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Le Berger noir devient le Berger blanc ou Jacques Simple, il « s'éveille au seuil blanc de l'année >> et se dirige vers la Forêt qu'il faut vaincre.

Nous voilà donc en pleine allégorie, et ce n'est pas là du nouveau, dira-t-on, c'est un retour au moyen âge, au Roman de la Rose, à Dante, au Tasse... Peut-être. Il fut même un temps où la Forêt enchantée était en littérature d'une exploitation courante. Mais quoi! La poésie vit de symboles depuis que les hommes s'avisèrent d'exprimer leur moi ou la nature en une langue rythmée, et le mot symbole est d'un sens très large; il désigne les procédés très divers d'éveiller par l'image, pensées ou sensations.

Il faut avouer qu'on assume un rôle pédant, presque sacrilège, en dépouillant les symboles de Retté du subtil nuage qui les voile - tels des dieux épiques en terrestres équipées et que nous appelons les séductions de la forme poétique. Ceux qui ont besoin de commentateurs pour lire les vers

sont d'ailleurs indignes qu'on leur dessille les yeux. Mais il est plaisant de parler de ce qu'on aime.

La Forêt bruissante n'est-elle pas de signification plus riche qu'il ne paraît d'abord? Doit-on la considérer seulement comme une prédication anarchiste? L'auteur l'a fait remarquer on peut en

dégager une haute philosophie et la comprendre comme un drame psychologique. L'Arcadie, c'est alors le monde supérieur des vertus généreuses, pitié, amour, dévouement- accessibles à tous ceux qui, dépouillant l'instinctif égoïsme par des victoires successives sur leur moi, se libèrent des passions et des erreurs, arrivent à se dégager des contingences vulgaires, et sont eux-mêmes libres, malgré les entraves sociales, ne connaissant plus les défaillances ou les dédains qui limitent la puissance d'agir.

Jacques tue le Sphinx hideux,

audacieux qui bravent la Forêt

dévorant les et cela parce

qu'il est simple, ni héros, ni sage. Il célèbre son

triomphe en strophes vibrantes :

Quel combat! La bête fausse
Ouvrait une bouche ardente

Et des yeux féroces.

Je n'ai pas peur, je lui plante

Au cœur ma sagette:

A nous la vilaine tête !

Nous la mettrons dans la plaine
Où nos brebis vont brouter,
Pour effrayer les hyènes

Et pour les chasser.

Je suis Simple le berger.

puis il avance, pour toute arme portant « le bel arc des révoltes heureuses ». Il se heurte d'abord au préjugé religieux, le plus fort, qui le premier s'imprima en nos cerveaux d'enfants, inséparable des joies, doux aux peines.

Dans une clairière fantastique se dresse la figure lamentable du Crucifié, un vieillard veille auprès de la Croix en ruines et les Riches lui donnent, pour cette garde, « la triple couronne et la robe de soie blanche ». Mais Jésus répondant à Jacques s'arrache de la Croix et se proclame le Fils de l'Homme. Le prêtre s'enfuit épouvanté, le Christ remplit le Simple de son esprit, il ne le suit pourtant pas, car il faut encore, dit-il

...que les loups, les Riches et les hyènes Boivent le sang de mes plaies.

Le Berger blanc triomphe :

J'ai chassé l'iniquité

Stupide en son arrogance;
Mon âme a nom liberté
Et mon cœur, vaillance

Car l'homme est ressuscité.

Puis les épreuves sensuelles l'arrêtent :

L'air chargé de pollens amoureux et charmeurs
Sent bon comme une fleur

Et la brise susurre une plainte apaisée.

Jacques, auprès d'un feu qui tombe, pleure la volupté de mai qu'il n'a pas goûtée, il pense aux vins dorés qu'il buvait autrefois par la permission du Maître, aux filles folles, à l'or qu'il amassait pour en jouir tout seul, à la douceur de la paresse, à celle des longs festins, et il regrette le temps où il enviait le Maître, détestait les hommes et frappait le faible. Son rêve de vertu lui semble chimérique, il doute :

Je ne sais rien hormis que je voudrais jouir,
Je ne suis rien hormis un qui ne veut souffrir
Sans nul plaisir.

Aussitôt paraissent les esprits de la chair, nés de la cendre du foyer:

Nous sommes les salamandres

Et les gobelins.....

Veux-tu des roses ?.....

Jacques va renier la vie supérieure, seule vraiment humaine, et entrer de nouveau dans le cercle des morts ou des passions basses. Mais des voix venues d'Arcadie le soutiennent. Il se sent assez

fort pour frapper au cœur la belle Salamandre, qui s'offre à lui, pâmée. Les esprits impurs disparaissent et il chante :

La Salamandre rusée

Aux yeux tentateurs

M'a voulu prendre le cœur

Danse feu, danse fumée !

J'ai tué la salamandre

Et ma folle envie

Si je les avais suivies

Je ne serais plus que cendres
Tombe feu, tombe fumée !

Pour être digne de la société future, il faut donc triompher des sept grands péchés qui, selon le catéchisme, nous ferment les portes du ciel mystique. Hélas! si tout homme doit ainsi besogner vaillamment dans son cœur, ce paradis anarchique chimérique comme tant d'autres recule loin du possible. Créer dans son âme une petite Arcadie serait pourtant chose douce!

Triompher de la chair est bien, cela ne suffit pas. Voici Jacques en un carrefour. Des chemins ouverts devant lui, l'un est tout embaumé de roses et de jasmins, l'autre tout neigeux d'aubépine; celui-là fleuri de glycine, et celui-ci semé d'orties.

Le berger sent un piège sous les fleurs, mais

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