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ports avec l'alexandrin. En réalité, nos alexandrins à rimes féminines ont 13 syllabes. Le chant et la récitation théâtrale les conservent, la prononciation familière n'en fait sonner que 12. L'oreille, habituée aux rythmes classiques, aurait dû accepter sans peine ce vers et c'est peut-être à celui-là qu'elle répugne le plus. Verlaine en a cependant montré les ressources :

Simplement, comme on verse un parfum sur une flamme
Et comme un soldat répand son sang pour la patrie,
Je voudrais pouvoir mettre mon cœur avec mon âme
Dans un beau cantique à la sainte Vierge Marie.

Mais je suis, hélas! un pauvre pécheur trop indigne,
Ma voix hurlerait parmi le chœur des voix des justes :
Ivre encore du vin amer de la terrestre vigne
Elle pourrait offenser des oreilles augustes.

Quant à la rime, Verlaine la conserve, mais avec quel dédain il raille les excès funambulesques et puérils de Banville et son groupe :

Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie,
Si l'on ni veille, elle ira jusqu'où ?
Oh! qui dira les torts de la Rime?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou

Qui sonne creux et faux sous la lime?

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Verlaine libère la rime des règles étroites qui la contraignaient; il ose par exemple faire rimer un mot avec lui-même :

Bon pauvre, ton vêtement est léger
Comme une brume,

Oui, mais aussi ton cœur, il est léger
Comme une plume.

Ailleurs, c'est un féminin avec un masculin.

C'est le chien de Jean Nivelle
Qui mord sous l'œil même du guet
Le chat de la mère Michel;
François-les-bas-bleus s'en égaie.

Voici que la nuit vraie arrive.....
Cependant jamais fatigué

D'être inattentif et naïf

François-les-bas-bleus s'en égaie.

Arrive et naif sont moins que des rimes, des assonances; Verlaine les place rarement à la fin des vers, mais dans l'intérieur, il en tire, ainsi que de l'allitération, des effets d'harmonie très saisissants.

C'est à cause du clair de la lune
Que j'assume ce masque nocturne
Et de Saturne penchant son urne
Et de ces lunes l'une après l'une.

Et dans cette strophe les allitérations des t.

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employés dans le cours du vers.

Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimées que la vie exila;

les muettes à la césure:

Tels les mourants savourent l'huile du saint Chrême

La succession des rimes féminines:

Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.
De cette façon nous serons bien heureuses,
Et si notre vie a des instants moroses,

Du moins nous serons, n'est-ce pas ? deux pleureuses.

Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Éprises de rien et de tout étonnées,

Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu'elles sont pardonnées.

Ou masculines:

Allons, frères, bons vieux voleurs,

Doux vagabonds,

Filous en fleur,

Mes chers, mes bons,

Fumens philosophiquement

Promenons-nous

Paisiblement :

Rien faire est doux.

Toutes ces innovations de détail dues à la délicatesse d'oreille du poète ont contribué à conquérir le vers à la musique :

De la musique encore et toujours!
Que ton vers soit la chose envolée

Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée

Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Le vers libre pouvait naître ; Verlaine avait trayé la route, les poètes s'y engagèrent. Voyons en quoi consiste cette tant raillée liberté du vers.

Les rythmes impairs, par leur imprévu, ont préparé le rythme diversifié à l'infini du vers libre, le rythme adéquat à la pensée, qui n'a d'autre règle que de la suivre, souple, sinueuse, sans la contraindre, sans l'enfermer, dédaigneux des enjambements factices et des inversions forcées.

Par l'escalier fleuri aux larges marches basses
Que l'averse d'avril fouette et lave à grande eau
Et qu'a séché, par places, le vent d'est
Sous son pied leste

(On suit sa trace,

De marche en marche, jusqu'aux roseaux),

Main dans la main, tous deux, sous la neuve clarté,
Marche à marche, à pas lents, descendons vers l'été.
F. VIELE-GRIFFIN

Tandis que le rythme des premiers vers fait songer à ces brusques averses d'avril séchées par un coup de vent qui passe rapide et bref comme le vers« sous son pied leste, » le rythme des derniers chemine lent, pas à pas, descente harmonieuse et régulière sur les marches fleuries, qui vont se perdre dans les roseaux.

La rime n'est plus ici que pour l'oreille, rien de la versification livresque qui joignait des syllabes qu'une orthographe, d'ailleurs souvent erronée, avait rendues semblables, mais dont le rapprochement sonnait faux.

Dans ces vers de Vielé-Griffin nous voyons à la rime est et leste, eau et roseaux. Qu'importent à la diction l'x et l'e qui ne se prononcent pas, les enjambements et, par suite,les liaisons d'un vers à l'autre étant rares dans les vers libres.

Les vers sont faits pour être dits, non lus, et la variété mélodique gagne parfois de l'imprévu à ces combinaisons nouvelles.

Il est ainsi telles assonances autrement musicales que certaines rimes classiques, d'un son voisin, mais assez dissemblable pour être désagréable à l'oreille: telles ces rimes méridionales: robe et aube, grâce et terrasse. Opposez-leur ces harmonieuses assonances d'Henri de Régnier lune et nocturne,

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