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— non dans le domaine politique, mais dans le monde très supérieur de la pensée.

Les privilégiés, il en est de tous ordres, sans essayer de se refaire une âme de primitifs, chimérique tentative, communient avec la nature comme peuvent le faire des civilisés très cultivés, très renseignés, mais très vibrants encore.

Les autres, mon Dieu! ils la connaissent aussi, la nature, ils la regardent du moins, ils l'encombrent même. On voyage, on habite toute la planète, on parle savamment de pays et de grèves qu'ignoraient nos aïeux. Nous sommes loin de Rousseau, découvrant ingénument les Alpes;- heureux Rousseau, qui n'a prévu ni les funiculaires, ni l'agence Cook!

de Chateaubriand, qui promena sa mélancolie dans la campagne de Rome, sans se croire tenu d'en rapporter le manuel du parfait touriste...

Le moindre bourgeois parle en connaisseur du Cap Nord ou des Jeux Olympiques, des Norvégiennes de Hugues Le Roux, ou des « Corinthiennes >> de Larroumet.

Mais qu'ont de commun ces courses vertigineuses à travers le monde avec le sentiment de la nature?

J'en sais qui, près de leur foyer solitaire, un poète en mains, sont de plus vrais rustiques, des

amants plus fervents de la terre, des initiés à son culte plus pieusement convaincus que ces touristes étiquetés et tarifés.

Les peuples primitifs n'y mettaient point tant de malice; vivant dans la nature, mêlés, confondus en elle, n'éprouvant pas le désir de s'en détacher, ils aimaient ce qui les entourait comme on s'aime soi-même, sans le dire très haut, simplement.

La société nous a séparés violemment de la Mère bienfaisante; les religions, les philosophies se sont entendues pour glorifier en l'homme un être d'exception, supérieur aux choses et leur maître.

L'homme a cru à sa grandeur et s'est mis à dédaigner la nature; oublieux de ses obscures et profondes racines, il s'est isolé et abîmé dans sa propre contemplation. Ce mépris du monde extérieur est encore au fond de toutes les âmes moyennes, facilement satisfaites d'elles-mêmes; il n'a jamais été dans les âmes élues des poètes, des rêveurs, à quelque époque qu'ils appartiennent.

Vous figurez-vous, par exemple, que l'humanité supérieure du grand siècle, j'entends le xvire,– ait ignoré la nature? Les classiques étaient d'entêtés citadins, soit, mais ils lisaient Homère, Platon, Virgile..... mieux et plus que nous, hélas! mais ils le savaient par cœur, le délicieux morceau de

Sophocle sur le blanc Kolonos... Seulement voilà!... Le législateur du Parnasse à cette époque, c'était le parisien Boileau, et non l'exotique Leconte de Lisle; l'ancêtre, c'était Malherbe le timoré et non Hugo le magnifique; le novateur enfin, c'était La Fontaine et non Verlaine. Les émotions intimes étaient gardées intimes, mais on se refuse à croire que, sous les feuillages de Port-Royal, le long de la transparente Yvette, le crépuscule des soirs et les souffles printaniers n'aient été doux à l'âme tendre d'un Racine s'ouvrant à la vie, à l'amour.

Le romantisme, ses précurseurs, ses descendants, ont connu combien l'homme vaut mieux d'être replacé parmi les choses: partie de l'univers, son effort sinon son terme, son épanouissement sinon son triomphe.

D'accord, cette fois, avec les savants, les poètes ont célébré les harmonies naturelles.

Ils ont dit la terre divinement belle et maternelle, ils ont rétabli l'universelle parenté des êtres, montré l'enchaînement ininterrompu de la vie et des vies; devant eux sont tombées les barrières qui subdivisaient l'âme divine éparse dans tout, se sont aplanis les degrés où se heurtaient le rêve, la pensée, avides de s'éperdre dans l'illimité de l'étendue.

Ce sentiment est l'essence même du lyrisme, puis

que aimer la nature, c'est encore s'aimer soi-même, mais en trouvant dans une extension harmonieuse et indéfinie de son « moi » des satisfactions esthétiques, que, isolé, il serait impuissant à donner. C'est se prolonger dans l'infinité des choses petites et grandes, belles de tous les symboles qu'elles enferment.

L'aurore et le printemps, le couchant et l'automne
Sont avec la forêt et le fleuve et la mer
D'extérieurs aspects de ton soi monotone;
Le verger fructifie et mûrit dans ta chair,

La nuit dort ton sommeil, l'averse pleut tes pleurs,
L'avril sourit ton rire et l'août rit ta joie,

Tu cueilles ton parfum en chacune des fleurs,
Et, tout n'étant qu'en toi, tu ne peux être ailleurs.
HENRI DE RÉGNIER.

Les autres thèmes lyriques: Dieu, l'amour, la mort, sont contenus dans la nature, reflétés par elle, œuvre divine qui meurt sans cesse, mais pour renaître dans la perpétuité de l'amour.

Sentiment personnel, complexe, qui varie avec chaque âme, mais se ramène à l'unique découverte des correspondances établies entre les multiples formes de la vie.

Les voluptueux jouissent en amoureux d'un beau paysage. Écoutez Albert Samain vous dire la poésie.

d'un décor lunaire :

Tremble argenté, tilleul, bouleau...

La lune s'effeuille sur l'eau....

Comme de longs cheveux peignés au vent du soir,
L'odeur des nuits d'été parfume le lac noir.
Le grand lac parfumé brille comme un miroir.
La rame tombe et se relève,

Ma barque glisse dans le rêve.

Là-bas, la lune écoute, accoudée au coteau,
Le silence qu'exhale en glissant le bateau...
Trois grands lys frais-coupés meurent sur mon manteau.
Vers tes lèvres, ô Nuit voluptueuse et pâle,
Est-ce leur âme, est-ce mon âme qui s'exhale ?

Les sensibles ouvrent leur cœur à l'amie de toutes les heures. Telle Thétis émergeant de la blanche mer comme une nuée : << Mon enfant, pourquoi pleures-tu ?... Parle, ne cache rien, afin que nous sachions tous deux. » Et, bienfaisante, elle se met en harmonie avec l'âme triste qui se confie :

Une aube affaiblie

Verse par les champs

La mélancolie

Des soleils couchants.

La mélancolie

Berce de doux chants

Mon cœur qui s'oublie
Aux soleils couchants...

VERLAINE.

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