Page images
PDF
EPUB

à sa patrie, par sa culture, sa frugalité, son industrie et son commerce étendu dans toutes les parties de l'Europe; à une nation enfin qui occupe une des premières places dans l'union des États germaniques, et ne manque pas de titres à un accroissement de puissance, tandis que toute diminution de son état de possession ne saurait qu'altérer l'équilibre intérieur de l'Allemagne, en paraissant sanctionner un principe aussi dangereux pour l'ensemble du corps que funeste pour l'individu qui en serait frappé le premier.

Elle peut donc prétendre, du meilleur droit, à être protégée efficacement contre sa séparation de son souverain, et contre toute diminution de territoire. Il lui est permis d'y compter avec d'autant plus de confiance que S. M. l'empereur de Russie l'a prise sous sa protection particulière, a rendu publiquement, en plusieurs occasions, justice complète à ses efforts pour la cause commune, et lui a fait promettre par le gouvernement général son intégrité. Le roi s'en tient également à cette assurance par une suite de la confiance entière que ce monarque lui a demandée, en lui témoignant l'espoir que les événemens mettraient S. M. I. à même de prouver son amitié et son intérêt à la dynastie royale. La Providence a béni les armes des alliés. La paix est faite, et le moment est venu où rien ne peut plus empêcher ces souverains de suivre les mouvemens de leurs cœurs généreux, ni le roi d'appeler définitivement leur attention à sa situation. Il met sa confiance en Dieu, en son droit, et en la justice et la loyauté des cours alliées. Fait à Berlin, au mois de juillet 1814.

TOME III.

ΤΟ

II.

MÉMOIRE RAISONNÉ

SUR LE SORT DE LA SAXE ET DE SON SOUVERAIN,

Distribué par

les plénipotentiaires français, à Vienne,

Prince de TALLEYRAND, duc de DALBERG, comte de NOAILLES.

La question sur le sort de la Saxe et de son souverain, peut être envisagée sous le double rapport du droit et de l'utilité. On parle du royaume comme d'un pays vacant, du roi comme d'un criminel qui n'a plus rien à attendre, si ce n'est peut-être de la clémence.

Le roi n'a point abdiqué; si donc il a perdu ses droits, il faut nécessairement de deux choses l'une ou que la conquête seule ait pu les lui faire perdre, ou qu'un jugement l'en ait privé.

Quand l'oppresseur de l'Europe disposa du Hanovre, qu'il avait conquis, loin de reconnaître qu'il avait pu en disposer, l'Angleterre déclara la guerre à la puissance qui avait consenti à le recevoir de lui.

Quand, par représailles, celle-ci donna la Guadeloupe à la Suède, le même oppresseur de l'Europe réprouva, à son tour, sa doctrine que la conquête seule peut ôter la souveraineté. L'Angleterre et son ennemi ont donc également rejeté cette doctrine; la conquête n'a donc pas pu rendre le royaume de Saxe vacant.

Le roi de Saxe n'a certainement pas été jugé, car il n'a été, ni cité ni entendu ; il est donc tout au plus dans le simple état d'accusé, c'est-à-dire, dans un état où celui qui s'y trouve ne perd pas même le droit d'être tenu pour innocent jusqu'à ce qu'il ait été condamné.

Si le roi de Saxe devait être jugé, par qui le serait-il? Serait-ce par ses accusateurs? Serait-ce par ceux qui veulent profiter de ses dépouilles? Serait-ce par ceux dont la politique a seule créé cette nécessité qui l'absout de toutes les fautes qu'elle aurait pu lui faire commettre?

Serait-il jugé par la Saxe? La Saxe le rappelle de tous ses vœux. Par l'Allemagne ? L'Allemagne désire, avant toutes choses, qu'il soit rétabli dans ses droits. Par le congrès? Quel est celui d'entre les ministres qui doivent le former, qui a reçu une telle mission?

Mais à quoi bon ces questions? Est-ce aux souverains de l'Europe qu'il faut dire que les rois n'ont d'autre juge que celui qui juge les justices? Et doit-on craindre d'entendre les maximes contraires, de la bouche des ministres de ces souverains?

Le roi n'a point été jugé, il ne pouvait pas l'être. Comment donc serait-il condamné?

Admettons, pour un moment, qu'il puisse l'être et qu'il le soit d'après quel principe de justice la peine portée contre lui serait-elle étendue aux princes de sa ligne, et à ceux de la ligne ducale qui ont combattu dans les rangs des alliés, qui ont versé leur sang, qui ont tout sacrifié pour la cause commune? La confiscation que les nations éclairées ont bannie de leurs codes, serait-elle introduite au dix-neuvième siècle dans le droit général de l'Europe? Ou la confiscation d'un royaume serait-elle moins odieuse, que celle d'une simple chaumière?

Quand Charles-Quint, chef de l'empire, dont Jean-Frédéric n'était que vassal, et dont, conséquemment, il était justiciable, transféra l'électorat de la Saxe, il ne le transféra point à une autre maison.

L'Europe réunie, si elle pouvait juger le roi de Saxe, serait-elle moins juste que ne le fut Charles-Quint? Les puissances alliées qui ont voulu restaurer l'Europe, veu

lent-elles, d'ailleurs, imiter les exemples que leur offre le règne de Charles-Quint.

En toute chose, considérons les suites. Agir comme si la conquête seule donnait la souveraineté, c'est anéantir le droit public de l'Europe, et la placer sous l'empire exécutif de l'arbitraire et de la force. Se constituer juge d'un souverain, c'est sanctionner toutes les révolutions; le tenir pour condamné, lorsqu'il n'est pas et qu'il ne peut pas même être jugé, c'est fouler aux pieds les premiers principes de la justice naturelle et de la raison même.

Maintenant, à qui la disposition que l'on prétend faire de la Saxe, serait-elle utile?

A la Prusse? Deux millions de sujets qui, d'ici à plus d'un siècle, peut-être, ne s'affectionneraient point à la dynastie nouvelle, qui se sentiraient opprimés, et croiraient légitime tout moyen de sortir d'oppression, seraient pour elle une cause permanente d'embarras, d'inquiétude et de danger. On veut fortifier la Prusse, on l'aura réellement affaibli. Est-ce, d'ailleurs, la Prusse qui a droit de s'approprier les biens de ses voisins? Oublie-t-on la tection qu'elle a donnée à l'Allemagne par les négociations à Bâle, à Rastadt, à Ratisbonne, en 1805, à Vienne.

pro

il

A l'Allemagne? Pour savoir quels sont ses intérêts, n'y a qu'à consulter son vœu. Les princes n'ignorent assurément pas ce qu'ils doivent désirer ou craindre; or tous, à l'exception d'un seul, disent que c'en est fait de l'Allemagne, si la Saxe est sacrifiée.

La situation de l'Allemagne est un des obstacles les plus forts à la réunion de la Saxe à la Prusse; mille feux y couvent la cendre. Cette réunion serait peut-être l'étincelle qui embrascrait tout! Si cela arrivait, la France resteraitelle spectatrice tranquille de ces discordes civiles? Il est plutôt à croire qu'elle en profiterait, et peut-être ferait-elle sagement d'en profiter.

A l'Angleterre ? Elle, à qui il faut surtout des marchés, que gagnerait-elle, si l'une des plus grandes villes de commerce de l'Allemagne, théâtre d'une des plus grandes foires du pays et de l'Europe, et jusqu'ici sous la domination d'un prince avec lequel l'Angleterre ne pourrait jamais avoir des démêlés, passait sous la domination d'une puissance avec laquelle elle ne peut être sûre de conserver une éternelle paix ?

Un autre prétexte allégué en faveur de la réunion de la Saxe à la Prusse, c'est qu'on veut faire de cette dernière une barrière contre la Russie. Mais les souverains des deux pays sont unis par des liens, qui font, que tant qu'ils vivront tous deux, l'un n'aura rien à craindre de l'autre ; cette précaution ne pourrait donc regarder qu'un avenir fort éloigné; mais que diraient ceux qui appuient avec tant de chaleur le projet de réunion, si, témoins de cet avenir, ils voyaient la Prusse s'appuyer de la Russie, pour obtenir en Allemagne une extension qu'ils lui auraient facilitée, et appuyer à son tour la Russie dans des entreprises sur l'empire ottoman? Non-seulement la chose est possible, elle est encore probable, parce qu'elle est dans l'ordre naturel.

L'union de l'Autriche et de la Prusse est nécessaire au repos et à la sûreté de l'Allemagne; mais la disposition qu'on prétend faire de la Saxe, serait la chose du monde la plus propre à rallumer une rivalité qui a duré jusqu'aux désastres de la Prusse, et que ces désastres ont suspendue, mais n'ont pas peut-être éteinte.

Ainsi, ces dispositions iraient contre le but même qui les aurait fait faire, et d'un premier mal naîtraient une foule de maux. Reconnaissons donc que l'injustice est un mauvais fondement, sur lequel le monde politique ne saurait bâtir que pour sa ruine.

[ocr errors]
« PreviousContinue »