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II.

CONSEILS A UN JEUNE VOYAGEUR.

J'avais des conseils à donner à un des jeunes élèves du ministère, qui vient d'être chargé d'une mission temporaire pour le Brésil. J'ai demandé à celui d'entre eux, qui préside aux travaux de tous (le vicomte de C***), des instructions telles qu'il se les ferait à lui-même s'il avait été l'objet du choix du ministre, pour remplir cette mission: il me les a remises; ce travail est bien ; il présente des vues ingénieuses et justes; mais ses recommandations ne sont pas à l'usage de tout le monde ; il faudrait, à celui qui aurait à les suivre, l'avide curiosité, l'activité d'esprit, et l'essor d'imagination de celui qui les a conçues, et cette réunion de qualités est peu commune. Heureusement, pour les affaires, elle n'est pas un besoin.

J'attends du voyage du jeune élève à qui j'adresse les miennes, des résultats plus substantiels et plus faciles à recueillir. Ce ne sont pas des émotions vives et de poétiques descriptions que je lui demande. Je le laisse aller à Rochefort, s'embarquer, passer la mer et débarquer. Je crois bien qu'il ne pourra rien faire de mieux, dans cet intervalle de temps, que d'écrire un journal où, se laissant aller à ses premières impressions, il se rende compte à lui-même de toutes celles qu'il aura reçues des objets qui attireront son

attention et des situations fort diverses où il se trouvera successivement placé en courant sur les grands chemins, ou en visitant les ports, les chantiers, les arsenaux d'une ville maritime, et en naviguant sur la haute mer. A l'égard de tous ces sujets d'observation, je ne puis que lui conseiller de s'astreindre à écrire tous les jours quelques pages, et de suivre, dans ce travail, les indications qu'il trouvera dans les instructions de son ami.

C'est à Rio-Janeiro que commencent les miennes : là, ce que je lui recommande d'observer, ce n'est pas la nature si belle, si nouvelle pour lui, si riche en merveilleux effets de perspective, et dont le premier aspect excitera en lui un premier sentiment d'admiration et de surprise. C'est pour les hommes que je veux qu'il réserve tout son intérêt ; pour les hommes uniquement; pour leurs mœurs et pour les différences, surtout, qui existent entre ces mœurs et celles de l'Europe. Je veux, enfin, qu'il s'attache particulièrement à trouver dans la recherche, l'étude attentive et le discernement de toutes ces différences, la raison de celles qui, sous le rapport de l'état moral, social, religieux et politique, distinguent de tous les autres peuples celui qu'il va se trouver en position d'observer.

Il y a pour les nations, sous quelque climat et sous quelque forme de gouvernement qu'elles vivent, des mœurs domestiques, des mœurs sociales et des mœurs politiques. Les premières diffèrent peu d'un peuple à l'autre; les grandes différences se font remarquer parmi eux dans les secondes, et quant aux troisièmes, le plus grand nombre de peuples n'en a point. Notre jeune voyageur ne doit jamais perdre de vue ces données de fait, dans ses observations sur les mœurs des diverses classes des Brésiliens.

Ces classes, non-seulement au Brésil, mais encore dans tous les pays dont se forme la vaste étendue de la partie méridionale du nouveau monde, sont plus distinctes qu'en

Europe. L'attention que le voyageur est toujours disposé à donner à ce qui lui semble nouveau, y est, sur ce point, incessamment et fortement attirée par des contrastes. Les distances qui séparent les classes, le caractère moral de chacune d'elles, leur ignorance ou leurs lumières comparatives, et tout ce qui résulte de toutes ces inégalités relativement à l'empire, à l'ascendant des classes élevées ou à la condition excessivement subordonnée des classes inférieures, sont les sujets d'observation qui doivent le plus occuper le jeune voyageur. Ce n'est qu'en recueillant sur tous ces points des informations exactes, détaillées et complètes, qu'il pourra se voir en mesure de se faire, au terme de sa mission, une idée exacte de la position actuelle de ce pays, et de former des conjectures plausibles sur l'avenir que la providence lui destine.

Après ce sujet d'observation, celui qui doit être le premier, le principal, et je dirai presque l'unique objet de son attention, c'est l'administration publique, c'est-àdire, l'ensemble des rapports de tout genre que toutes les classes des sujets ont avec le pouvoir, et le bien qui, dans la combinaison régulière de ces rapports, unit l'intérêt public avec tous les intérêts privés. Ce sujet est grave, élevé, et on ne peut se flatter d'en embrasser l'ensemble d'une manière étendue, et d'en connaître les détails dans un voyage de courte durée; mais à l'aide d'une bonne méthode, on peut espérer de recueillir des notions utiles, instructives, et qui, plus tard, vérifiées et enrichies par de bonnes lectures, peuvent atteindre le but que tout voyageur réfléchi doit avoir en vue. Je recommande particulièrement à celui pour qui j'ai rédigé ces instructions, d'interroger les personnes qui lui seront indiquées, comme les plus propres à lui donner des renseignemens sur les diverses branches de l'administration du pays. Je vais les passer

successivement en revue, et indiquer brièvement les questions qui doivent lui être proposées.

1o Le système financier, qui comprend les recettes annuelles, leurs variétés, les modes de prélèvement, de répartition, leur somme totale; les dépenses, leurs espèces diverses, les sommes de chacune, les accroissemens, les décroissemens d'une année aux autres, leur cause, et enfin la règle et le contrôle de ces recettes et de ces dépenses.

2o Le système judiciaire, qui comprend la législation, les tribunaux, les degrés de juridiction, le personnel et sa hiérarchie, la marche plus ou moins lente, et plus ou moins dispendieuse, de l'administration de la justice; le crédit des cours dans l'opinion de toutes les classes des justiciables, le nombre des procès et celui des peines dans toute leur diversité, et la proportion de ces nombres avec celui des justiciables; les prisons, le nombre moyen des détenus; administration actuelle, améliorations espérées; police, ses magistrats, ses agens, sa force armée, le bien, le mal qu'elle produit ou peut produire.

3o Le système militaire de terre et de mer, qui comprend la législation de cette importante branche de l'administration publique, la composition des corps des diverses armes, leur nombre, leur force, le recrutement, la milice, le caractère moral de l'officier, du soldat, sous le rapport surtout de l'instruction, du courage, de la discipline et de l'honneur; les écoles pour l'admission; les règles pour l'avancement et pour la retraite; les asiles pour la vétérance; le matériel, les arsenaux, les magasins, les chantiers, les ports, les rades, les forteresses, les projectiles, les approvisionnemens, les vaisseaux armés, de tout rang; enfin la navigation marchande, de cabotage et d'expéditions lointaines, premier élément de la navigation armée.

4o Le système de l'administration intérieure, qui comprend le régime municipal, les priviléges, les rapports de tout genre entre les classes; le bien, le mal qui en résultent; le caractère propre de l'esclavage, de la domination, des conditions moyennes de l'aristocratie : les améliorations à tenter, à espérer, les dangers à craindre; l'instruction publique ; l'état de l'agriculture, du commerce; les mines, les fabriques, la pêche, la navigation intérieure, les routes; les hospices, les hôpitaux, la mendicité; productions principales du pays, celles qui excèdent les besoins, celles dont la somme leur est inférieure; débouchés des premiers, moyens d'échange pour la valeur des importations; prix des objets de consommation, prix des journées des ouvriers dans toutes les professions.

Je suis à regret forcé de passer à la hâte sur cette foule d'objets si divers, si importans, si utiles à bien connaître; et je prie le jeune voyageur de bien peser les expressions des quatre paragraphes qui précèdent, et des deux paragraphes qui vont suivre. Ce n'est pas un livre que j'ai prétendu faire pour lui, mais bien plutôt une table de chapitres, et c'est à lui qu'il appartient de les remplir. Je veux donc lui dire, avant de suivre le cours de ces indications, que dans ces paragraphes, il ne trouvera pas une expression qui ne puisse, qui ne doive être le sujet d'un grand nombre d'observations; elles sont, dans le fait, prises isolément, le titre réduit d'autant de chapitres dont chacun lui offrira le texte de cent interrogations diverses, et des réponses qui doivent l'éclairer sur l'objet de chacune d'elles. Je reviens à mon énumération.

5o Le système religieux. La religion de l'État; les cultes, le clergé, ses classes en haut clergé, et clergé du second ordre, en clergé séculier et régulier; établissement de chaque classe, sous le rapport des moyens d'existence, influence des uns sur les autres, influence de chacune sur

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