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courrier ainsi que je me l'étais proposé, ne pouvant lui rien écrire de considérable ni de certain jusqu'à la première conférence. Enfin, Sire, nous l'eûmes hier matin chez le Pensionnaire. Il était seul avec les sieurs Buys et Wanderdussen; aucun des ministres de cette République n'y assistait. Il nous communiqua son mémoire. Nous ne découvrîmes que trop aisément, à la première lecture qu'il en fit, tout ce que ce projet contenait de dur, et de contraire aux ordres que nous avions de Votre Majesté, aussi-bien que d'embarrassant dans l'exécution, qui n'était point sûre quand même Votre Majesté consentirait aux conditions qu'on veut exiger d'elle. Cependant je demandai au Pensionnaire le temps de faire nos observations comme il avait fait les siennes ; et pour ne pas perdre un moment dans une conjoncture pressante par l'ouverture imminente de la campagne, nous convînmes que nous retournerions chez lui le soir à six heures. Nous n'eûmes donc, Sire, qu'un intervalle fort court pour faire des remarques qui auraient demandé plusieurs jours, et Votre Majesté ne s'en apercevra que trop lorsqu'elle entendra la lecture de celles que j'ai l'honneur de lui envoyer: mais quand elles auraient été meilleures, l'utilité n'en eût pas été plus grande, ayant affaire à des gens persuadés qu'ils peuvent donner la loi, et que toutes les nouvelles qu'on leur écrit de France sont véritables. Votre Majesté en verra l'effet par le projet qu'ils nous ont remis, et par les réponses qu'ils ont faites à nos observations. Ils comptent cependant que ces articles sont ceux de la paix ; que Votre Majesté acceptera toutes les conditions qu'ils contiennent. Et sur ce fondement les mesures sont déjà prises pour avoir incessamment les ratifications de l'Angleterre et de la Hollande, afin que rien ne retarde l'exécution de ces mêmes articles.

Si j'avais eu le pouvoir de les signer, j'aurais rompu la négociation, plutôt que d'engager Votre Majesté à de telles

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conditions, qui ne lui donnent, à mon sens, aucune sûreté suffisante de la paix, quoiqu'on exige celle de l'évacuation de ses places mais voyant, Sire, qu'on ne demandait aucun engagement de sa part jusqu'à ce que je sois de retour auprès d'elle, j'ai cru qu'il était de son service de lui faire pleinement connaître les prétentions de ses ennemis; et de la laisser en état de décider sur la manière dont elle voudra leur répondre. J'ai donc pris le parti de laisser M. Rouillé à La Haye, où il demeurera jusqu'à ce que Votre Majesté lui donne ses ordres. J'ai promis qu'il les recevrait le 4, ou tout au plus tard le 5 du mois prochain, c'est le seul engagement que j'ai pris. M. le prince Eugène m'a promis que jusqu'au 4 il ne ferait aucune entreprise; mais il ne m'a point demandé d'engagement réciproque de la part de M. le maréchal de Villars, et je n'aurais pas pu le lui donner.

Votre Majesté est donc entièrement libre de rejeter absolument ces conditions, comme j'espère que l'état de ses affaires le lui permettra ; ou de les accepter, si malheureusement elle croit devoir finir la guerre à quelque prix que ce soit, comme ses ennemis s'en flattent et le publient.

Dans le premier cas, l'inconvénient de laisser M. Rouillé à La Haye quelques jours après moi, ne sera, ce me semble, d'aucun préjudice à Votre Majesté; et, dans le second cas, il serait très nécessaire d'avoir sur les lieux un homme autorisé à signer des articles qui sont proprement le traité de paix. Voilà, Sire, les raisons qui nous ont déterminés M. Rouillé et moi. J'espère avoir l'honneur d'en rendre un compte plus particulier, à la fin de cette semaine, à Votre Majesté, étant parti ce soir de La Haye pour retourner auprès d'elle. J'ose lui dire par avance que si elle rejette, comme je l'espère, les articles que j'ai l'honneur de lui envoyer, il est de son service qu'elle rompe sur les demandes qu'on lui a faites à l'égard de l'Alsace et en faveur de M. le duc de Savoie, plutôt que sur aucun article qui regarde

rait indirectement l'Espagne ; car on a mis ici dans l'esprit de la nation que Votre Majesté n'a jamais eu dessein d'abandonner cette couronne et les Indes, et qu'elle voulait seulement procurer la paix à son royaume, laissant à ses ennemis la dépense et l'embarras d'une guerre en Espagne, que Votre Majesté soutiendrait aisément par des assistances secrètes.

J'aurais évité Mons à mon retour, s'il m'eût été possible de le faire sans donner à M. l'Électeur un juste sujet de croire et de se plaindre qu'il était abandonné. Comme il n'y a rien de signé, je crois qu'il est bon de l'instruire de la forte opposition qu'il trouvera de la part des ennemis de Votre Majesté, et du peu de secours qu'il doit attendre de la part des Hollandais, dont il croyait les dispositions favorables pour lui.

Les bonnes raisons ne peuvent présentement les persuader; et si malheureusement les succès de la campagne répondaient à ce qu'ils attendent eux et leurs alliés, il n'y aurait plus de bornes aux demandes injustes des uns et des

autres.

Je suis avec un très profond respect, Sire, de Votre Majesté, le très humble, très obéissant et très fidèle sujet et

serviteur.

ANNEXE.

Il est un traité dans les fastes de la diplomatie, qui, rédigé en dehors des formes consacrées, doit rester un monument éternel à la gloire du moderne Antonin qui en fut le promoteur. Par cet acte, les princes les plus puissans de l'Europe, stipulant pour eux et pour leurs peuples, serraient les noeuds de l'amour fraternel. Destinée à donner à la politique une plus haute sanction que celle du pouvoir des hommes, la SAINTE-ALLIANCE est sortie du génie et du cœur de l'empereur Alexandre. Expression d'une pensée sublime, véritable réalisation du sénat européen que méditait

Un roi dont le peuple a gardé la mémoire,

ce pacte conciliateur devait enfin enchaîner le fléau de la guerre, et cimenter la paix de monde.

La Sainte-Alliance fut d'abord conclue directement entre les souverains de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse; tous les États chrétiens de l'Europe y accédèrent ensuite; et George IV, alors prince-régent, à défaut d'une adhésion expresse que ne permettait pas la constitution britannique, en avoua du moins les principes.

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AU NOM DE LA TRÈS SAINTE ET INDIVISIBLE TRINITÉ. LL. MM. l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse, et l'empereur de Russie,

Par suite des grands événemens qui ont signalé en Europe le cours des trois dernières années, et principalement

des bienfaits qu'il a plu à la divine Providence de répandre sur les États dont les gouvernemens ont placé leur confiance et leur espoir en elle seule, ayant acquis la conviction intime qu'il est nécessaire d'asseoir la marche à adopter par les Puissances dans leurs rapports mutuels, sur les vérités sublimes que nous enseigne l'éternelle religion du DieuSauveur ;

Déclarent solennellement, que le présent acte n'a pour objet que de manifester, à la face de l'univers, leur détermination inébranlable, de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l'administration de leurs États respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que les préceptes de cette religion sainte; préceptes de justice, de charité et de paix, qui, loin d'être uniquement applicables à la vie privée, doivent, au contraire, influer directement sur les résolutions des princes, et guider toutes leurs démarches, comme étant le seul moyen de consolider les institutions humaines, et de remédier à leurs imperfections.

En conséquence LL. MM. sont convenues des articles

suivans:

Art. 1. Conformément aux paroles des saintes Écritures, qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères, les trois monarques contractans demeureront unis par les liens d'une fraternité véritable et indissoluble, et se considérant comme compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et en tout lieu assistance, aide et secours; se regardant envers leurs sujets et armées comme pères de famille, ils les dirigeront dans le même esprit de fraternité dont ils sont animés pour protéger la religion, la paix et la justice.

2. En conséquence, le seul principe en vigueur, soit entre lesdits gouvernemens, soit entre leurs sujets, sera celui de se rendre réciproquement service, de se témoigner

TOME III.

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