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exempts de faiblesses? La politique puise ses préceptes dans la nature. Elle dit que tant que la terre sera habitée par deux sexes différens, ils auront toujours la même prière à se faire, et la même reconnaissance à exiger de leur complaisance mutuelle. Un tendre sentiment est payé quelquefois par une confidence sérieuse, par une insinuation écoutée, par un conseil demandé ou suivi, dans une affaire importante. Les objets les plus graves ne sont souvent portés dans les cabinets des princes les plus austères, qu'après avoir passé par la bouche des femmes; et il serait rare qu'un négociateur qui aurait le sexe en général contre lui, parvînt à réussir. Vous devez donc tâcher de plaire aux femmes par toutes sortes de politesses, de prévenances et d'attentions; méritez leur estime et leur amitié par une conduite également sage et agréable; et formez avec elles des liaisons qui pourront vous devenir utiles, lorsque vous saurez profiter de leur habileté comme de leurs faiblesses.

Sachez, mon fils, que les querelles qui s'élèvent entre deux ministres, pour des objets qui n'ont aucune analogie à leur mission, ont souvent brouillé leurs maîtres, parce que l'ambassadeur le plus honnête, ne pouvant écarter la prévention qui l'anime contre celui à qui il croit avoir des torts à imputer, n'épie plus ses démarches de sang-froid et leur donne aux yeux de sa cour, une tournure, qui, aigrissant les esprits, engage à des partis violens.

La dignité qui doit régler toutes vos démarches, ne veut pas que vous fréquentiez ces maisons ouvertes aux joueurs, dans lesquelles la bonne foi succombe sous les coups de l'adresse. Si vous êtes soupçonné, vous êtes perdu; en vain chercherez-vous à vous justifier en implorant des témoignages qui attestent votre probité; un homme en place est déshonoré dès qu'il est forcé de donner son apologie dans un cas aussi grave; si je connaissais moins vos sentimens, je vous rapporterais ce qui est arrivé à un ministre, le plus

chétif et le plus opulent de tous ceux qui sont répandus sur la surface des cours.

Je croirais manquer à vos sentimens, si je vous entretenais ici des dangers d'une passion aveugle et d'une alliance déshonorante; la place que vous occuperez, ne vous mettra jamais au-dessus des règles reçues, et si vous osiez vous marier sans le consentement de votre maître, vous perdriez votre état et votre fortune, et la considération attachée à l'un et à l'autre.

Voilà, mon cher Fils, tout ce que le temps me permet de vous écrire; votre esprit suppléera à ce que j'ai omis, et votre juste défiance vous garantira des piéges dans lesquels je suis tombé; adieu..... adieu.....

IV.

DE L'ART DE NÉGOCIER,

(Par le célèbre DE HALLER.)

Illi hæc inter se dubiis de rebus agebant,
Certantes.

Par le terme de négociation, on entend communément l'art de manier les affaires d'État, en tant qu'elles regardent les intérêts respectifs des grandes sociétés, qui sont censées indépendantes, et se trouver entre elles dans la liberté natul'éclat des affaires de cette

relle.

Il n'est pas étonnant, que espèce impose assez aux hommes, pour les porter à donner à l'art de traiter ces affaires, le nom qui devrait convenir à l'art de traiter les affaires en général, qu'elles soient publiques ou particulières. C'est le plus grand intérêt d'une nation, qui décide de la valeur d'une idée, et c'est cette valeur qui est exprimée par les termes qu'on reçoit exclusivement dans une langue.

Cependant la négociation ne se borne point aux affaires qui se traitent de peuple à peuple : elle a lieu partout où il y a des différends à concilier, des intérêts à ménager, des hommes à persuader, et où il s'agit de faire réussir un dessein. Toute la vie par conséquent peut être regardée comme négociation continuelle. Nous avons sans cesse besoin de gagner des amis, de ramener des ennemis, de redresser des impressions désavantageuses, de faire entrer les hom

une

mes dans nos vues, et de nous servir enfin de tous les ressorts propres à faire prospérer nos projets. Il est des affaires de particulier à particulier qui, par le choc des passions, par la contrariété des caractères, et par la différence de la façon de penser des parties, deviennent si embrouillées qu'elles ne demandent pas moins d'art et d'habileté pour être terminées, qu'un traité de paix entre les plus grandes puissances. J'ai vu traiter une bagatelle, qui, par la difficulté de réunir un grand nombre de personnes différentes d'état, de nation, de religion et de sentiment, occasiona autant de pourparlers, exigea autant de finesse, et causa autant de peine que l'affaire la plus importante.

Quoique l'art de négocier les affaires publiques ait mérité jusqu'ici, et mérite encore préférablement notre attention, l'étendue et l'utilité de celui de traiter les affaires en général, devrait nous engager à ne pas le négliger. Son examen sera d'autant plus nécessaire, que la théorie de la négociation, prise dans le sens le plus universel, est commune aux affaires de toute espèce, et que la négociation publique ne diffère de la particulière que par son objet, et par quelques nuances de l'exécution, accommodées à la diversité des circonstances. Il ne sera donc pas inutile de faire la recherche des règles de la négociation en général, et de les appliquer alors à la publique avec les modifications requises.

A cet effet, il est bon de donner quelques principes relatifs à la théorie des passions, et je me bornerai aux principaux, en faveur de la brièveté, et pour éviter les répétitions.

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Pour ne point tâtonner dans l'obscurité, et pour ne point tomber dans des inconséquences continuelles, il est indispensable de se former une idée nette de l'affaire à traiter et d'en dresser un plan bien lié, et pour le fonds, et pour les moyens les plus propres pour obtenir le but désiré. Il est des hommes naturellement inquiets, qui s'agitent sans cesse,

qui portent leur inconstance d'objet en objet, et qui, sans dessein arrêté, s'occupent de tout pour paraître occupés. Ce défaut gagne souvent ceux qui décident du sort des nations. Une cour a des vues vagues d'agrandissement; elle veut se faire valoir et jouer un rôle parmi les puissances, ou son ministère veut immortaliser son nom par un vain bruit. Cette cour sera donc continuellement dans une action inefficace, s'occupera sans savoir de quoi, et ses ambassadeurs, pour parer le reproche d'inutilité, négocieront pour négocier. Qui plus est, quelques politiques ont voulu tourner en maxime cette inquiétude infructueuse, et donner pour règle qu'il ne faudrait jamais être sans négociation. Cependant à côté des contradictions et des incertitudes que cette vaine ardeur de négocier met dans la conduite des États et des particuliers, elle alarme encore à contre-temps ceux avec lesquels nous avons à traiter. En voyant notre agitation, qu'ils ne supposeront point porter sur des riens, ils nous prêtent des desseins vastes et cachés, et se défient de nos démarches les plus innocentes.

C'est en fixant, par un projet bien concerté, l'état de l'affaire en question, qu'on prévient ces inconvéniens. La sagesse combine ce projet pour le fond, et la prudence choisit les moyens pour en assurer l'exécution. Dans les affaires particulières, la même personne qui tâche de faire réussir un plan, est obligée encore à le former en entier. A cet effet, il est nécessaire de savoir l'art de dresser un projet, et de lier si bien ses différentes parties, qu'elles se prêtent un secours mutuel. Mais cet art est une science différente de la négociation, qui, à proprement parler, n'est que la science des moyens pour mettre en exécution un plan déjà tout formé.

Dans les affaires publiques le cas est différent. Le négociateur suit son instruction, fondée sur un plan dressé par son souverain, et il ne lui reste que la gloire d'une heureuse

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