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ses services, la justice de Napoléon eût frappé le maréchal Bernadotte, après sa coupable désobéissance d'Auerstaedt et d'Iéna, le prince royal de Suède n'aurait pas, six ans plus tard, fixé les irrésolutions d'Alexandre, donné la main aux Anglais et forcé les alliés, qui manquaient d'audace, à pousser l'invasion jusque dans Paris.

Devenu, grâce à l'Empereur, héritier du trône de Suède, Bernadotte emporta dans sa patrie adoptive de profonds ressentiments, parmi lesquels il faut sans doute placer au premier rang l'importune conviction de ses fautes et l'insupportable injure de la clémence impériale.

Les exigences de Napoléon envers la Suède, motivées par les plus irrésistibles nécessités de la politique, accrurent et irritèrent les mauvaises dispositions de Bernadotte. Mal conseillé par les passions de son cœur, et surtout par les agents des puissances étrangères, il se retirait chaque jour davantage de l'alliance française, lorsque la conjuration des rois se groupa autour de lui, pour lui imprimer une impulsion qu'il était tout disposé à recevoir. Alors Louis XVIII, si fier de sa

T. I.

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naissance, lui adresse des lettres de frère; Alexandre vient à Abo; pour apprendre de lui la guerre et la politique; l'Autriche le proclame l'Agamemnon de la ligue européenne, et ne veut combattre que s'il combat; la Prusse n'aspire qu'à mettre ses légions sous ses ordres; l'Angleterre lui envoie des ambassadeurs, lui offre de l'or, des soldats, un second royaume en Europe, une colonie en Amérique, et, oubliant qu'il naquit Français, elle l'appelle un héros. La vertu de Bernadotte n'était pas de trempe à résister à de puissantes sédictions; et quelle séduction, pour une âme ulcérée d'orgueil et de jalousie, que d'avoir, pour suppliants, pour frères, pour amis, pour disciples, les potentats qui naguère étaient aux pieds du vainqueur d'Austerlitz!

Alors se forma, par les incitations de l'Angleterre et les efforts secrets de Charles-Jean, la coalition de 1813, plus redoutable que toutes les autres, parce que les rois, devenus tout à coup révolutionnaires, parlèrent à leurs peuples le langage d'Arminius aux Germains, ou plutôt le langage de lá Convention aux Français de 1793.... Et ce fut un

soldat de nos grandes guerres, qui, le premier, fit fermenter, au cœur de l'Allemagne offensée de notre domination, les principes d'indépendance et de liberté qui avaient vaincu l'Europe liguée contre la France révolutionnaire!

Hélas! les peuples ajoutèrent foi aux magnifiques promesses de leurs maîtres; ils saisirent leurs armes, marchèrent contre l'empire, et le génie des batailles fut vaincu par le génie de la liberté !

C'est une circonstance unique peut-être dans l'histoire du monde, que des rois absolus invoquant la liberté pour raffermir le despotisme. Terrible et salutaire enseignement pour les peuples dont l'imprudente générosité croirait encore à la parole des princes! - Je raconterai la participation de Bernadotte à cette œuvre inouïe de déception !

Cependant, si les rois de l'Europe avaient foulé aux pieds les engagements les plus sacrés envers Napoléon; s'ils avaient méconnu leurs intérêts les plus chers, pour embrasser l'alliance anglaise qui avait causé tous leurs désastres, en les précipitant dans le sanglant démêlé où elle dépensait beaucoup d'or et peu de sang, ces princes pouvaient

du moins être entraînés par de légitimes rancunes contre la France de la révolution, qui avait brisé le trône des uns et ébranlé celui des autres. Ces têtes couronnées avaient tremblé dix ans devant notre propagande armée; ces souverains, institués par Dieu même, avaient été vaincus par un héroïque peuple, et obligés de recevoir la paix d'obscurs plébéiens devenus généraux d'armées ou chefs d'empire. Enfin, les représentants héréditaires du principe monarchique, ne pouvaient pardonner à la France d'avoir foulé aux pieds une couronne et donné à toutes les nations le signal de la liberté. On comprend donc que le ressentiment de tant d'injures fut profondément gravé dans leur cœur.

Mais lui, Bernadotte, qu'avait-il à reprocher à sa patrie?... sa gloire et sa fortune. L'homme qui devait tout à la révolution, offrant son épée de despote en despote et tendant la main aux Anglais dont l'or coulait depuis vingt ans pour arracher à la France tout ce qu'elle avait puisé de grandeur, de force et de prospérité dans cette même révolution!..... - Je dirai comment cet homme, que la nature avait créé loyal et généreux, devint plus cou

pable dans sa trahison que Condé dans sa révolte. Assis sur les marches d'un trône, Charles-Jean n'était plus ni Français, ni Suédois, ni citoyen; ce n'était pas un caractère, c'était un prince qui voulait devenir roi; et pour être sûr de le devenir, il détrôna la France.

Ici finit la partie sévère de ma tâche.

Après avoir prononcé, contre le prince royal de Suède, un anathème que la postérité répétera peutêtre, il me sera doux de montrer le roi CharlesJean cherchant à expier, par trente années d'un bon gouvernement, ses torts envers sa patrie et la liberté du monde.

Sans doute, en étudiant la vie royale de Bernadotte, on peut y découvrir encore quelques révoltes de cet amour du pouvoir, qui grandit toujours avec la possession du trône; mais, en définitive, sous le règne de ce prince, la Suède a joui d'une prospérité inaccoutumée et d'une véritable liberté.

Peut-être la seconde partie de la vie de CharlesJean appartient-elle aux vices de son époque, et la troisième aux qualités de l'homme.

Que si, en appréciant cette existence mêlée

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