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dont le commandement lui était confié, et de rendre hommage au gouvernement qui allait être établi par la volonté nationale. La lettre de Bernadotte au célèbre conventionnel est du 8 avril (1) et, le 14, un décret du sénat avait conféré au comte d'Artois le titre de lieutenant-général du royaume. Enfin, le même jour où il faisait appel au patriotisme de Carnot, le prince royal de Suède écrivait à son fils que la France venait de secouer le joug qui l'asservissait, et qu'elle travaillait maintenant à se donner une constitution qui lui assurerait la paix. « Je marche, disait-il, à la tête de l'armée sué

doise, et je me porte vers cette belle France où » la justice de notre cause et ton bonheur futur » m'appellent (2). » En effet, le 10 avril Bernadotte transporta son quartier-général à Bruxelles. Alors, les alliés occupaient Paris, Napoléon venait d'abdiquer la couronne, et la seule cause que défendait le prince royal de Suède avait irrévocablement triomphé. Quel pouvait donc être le véritable motif qui détermina Bernadotte à pousser son armée vers le midi, lorsqu'un grand intérêt suédois le rappelait vers le nord. La cause de ce mouvement

(1) Voir pièces justificatives, no 42.

(2) Lettre du prince royal de Suède au duc de Sudermanie, Liége, 8 avril 1814.

est encore un mystère; mais, si l'on cherche à l'expliquer par inductions, on est conduit à penser que Charles-Jean ne considérait pas les événements de Paris, comme la dernière conséquence de la révolution qui s'opérait en France. En d'autres termes, le sentiment d'un grand intérêt personnel agitait peutètre encore le cœur de Charles-Jean. C'est du moins ce qu'il est raisonnablement permis de conclure des expressions équivoques de la lettre qu'il écrivit à la veuve du général Moreau, le 19 mars 1814. Voici ce document:

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« Nous avions conçu de grands projets pour l'in» térêt des alliés et le bonheur de la France, mais l'impitoyable destin s'est opposé d'une manière cruelle , à leur exécution. Dans les circonstances actuelles, tout ce que je vois, tout ce que j'éprouve me dé> termine à me livrer entièrement aux événements. J'attends de Dieu de supporter courageusement ⚫ les dégoûts inséparables de ma situation; mais, si > le sort ouvrait des circonstances que je pusse › saisir pour servir encore d'une manière utile l'Europe et mon ancienne et malheureuse patrie, croyez, Madame, qu'aucun sacrifice ne me coùterait; je me trouverais heureux de pouvoir justifier une opinion et des espérances qu'on dit étre › fondées sur moi. Quelques mesures prises, quelques démarches faites par deux personnes qui ont

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plus fixé le but que les moyens propres à l'attein

dre, ont éloigné peut-être mes succès que tout >> semblait rendre prochains; mais espérons que l'impénétrable Providence fera naître encore des » circonstances propres à l'exécution de ses dé>> crets (1). »

Quoi qu'il en soit, et sans rechercher si l'ambition ardente de Bernadotte rêvait encore le sceptre impérial, disons qu'il arrêta les Suédois sur l'ancienne frontière de son pays, et que, s'il se rendit à Paris, ce ne fut qu'accompagné de quelques officiers seulement. Mais, avant de le suivre dans l'intérieur de la France, il est juste de rappeler un fait honorable pour mémoire.

Des officiers prisonniers, et, parmi eux, plusieurs généraux, avaient été conduits à Bruxelles. Le prince royal, dont le quartier-général se trouvait dans cette ville, les accueillit avec bienveillance. Mais quelques-uns de ces hommes dont la fidélité ne survit pas à la fortune, crurent sans doute faire leur cour à l'ex-maréchal de France, en insultant au naufrage de l'empereur Napoléon. Bernadotte, qui avait écouté en silence leurs diatribes contre le héros abattu, leur dit froidement : « Allez, messieurs, il sera pourvu à vos besoins, jusqu'à ce que l'échange

(1) Lettre du prince royal de Suède à madame Moreau, Liége, 19 mars

des prisonniers puisse avoir lieu.» Et, se tournant vers le général Dulore qui n'avait pris aucune part aux lâches récriminations de ses camarades:

Quant à vous, général, je vous rends votre liberté voilà ma bourse, acceptez-la, et revenez en France : rentré dans vos foyers, vous vous acquitterez envers moi. Adieu, général. »

CHAPITRE VI.

Bernadotte à Paris.

Craintes qu'il inspire aux alliés. - La France n'éprouve pour lui qu'un sentiment pénible.-Visite de Lafayette. Je suis

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-Son entrevue avec Alexandre. - Ses plaintes sur la conduite des alliés La coalition ratifie la réunion de la Norvége à la

envers la France. Suède. Bernadotte revient à Bruxelles. II annonce à l'armée suédoise qu'il va la conduire à de nouveaux combats. Il réclame la Guadeloupe comme compensation des dotations que lui avait accordées Napoléon. — Indemnité de vingt-cinq millions.— M. de Talleyrand et le grand-livre. — Rentrée de Bernadotte en Suède. — Récapitulation des services qu'il a rendus aux ennemis de son pays.

Le traité de Kiél, qui stipulait la cession de la Norvége, était intervenu entre la Suède et le Danemark sans la participation des autres puissances. Or, tout semblait annoncer que la protestation des Norvégiens, contre la réunion des deux royaumes scandinaves, était secrètement fomentée par les cabinets alliés qui cherchaient déjà à éluder les engagements que l'Angleterre et la Russie avaient pris envers le prince royal, lorsque l'épée de ce prince était indispensable au triomphe de la coalition.

Livré à cette grande inquiétude, Bernadotte courut à Paris, demander la garantie de tous les cabinets alliés et leur faire approuver les motifs qui le

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