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» vous votre état à mon arrivée, et voyez ce que vous » êtes maintenant.... (1). »

Pour apprécier la noble fermeté de ce langage, il faut se reporter à la situation politique de l'Europe en 1847. Partout la révolution, ses principes et ses hommes étaient vaincus. La proscription planait sur l'Europe entière; elle frappait toutes les têtes libres, présidait à de froids calculs et dévorait, en espérance, des milliers de victimes. A Carlsbad, à Francfort, à Berlin, à Vienne, à Pétersbourg, à Varsovie, le despotisme triomphant attaquait la liberté civile, la liberté politique, la liberté de la pensée, toutes les libertés, et, partout, le despotisme avait pour auxiliaires les passions et les ressentiments implacables des vieilles aristocraties. En France, l'émigration, le parti de l'étranger et les missionnaires; en Angleterre, une oligarchie, obstinée à défendre ses priviléges féodaux, et, en Allemagne, l'anti-judaïsme et les congrès liberticides n'étaient plus occupés qu'à river les chaînes des peuples, et à faire la guerre au genre humain. Enfin, les destinées de l'Europe paraissaient retombées dans les mains d'une classe qui, pour faire triompher ses seuls intérêts, se précipitait aveuglément dans les voies de la monarchie absolue et de la tyrannic. Partout la ruse à la place de la bonne foi, la violence à la place de la justice,

(1) Voir pièces justificatives, no 19.

et une affreuse ingratitude pour récompense des services que les peuples venaient de rendre aux rois opprimés par Napoléon. Telle était la situation de l'Europe, lorsque le prince royal de Suède, menacé lui-même dans son existence, ne craignit pas de revendiquer hautement les droits des nations, de flétrir tous les actes d'oppression, de proclamer d'austères vérités, et de prêter à plusieurs victimes l'appui d'une pitié courageuse.

Peut-être le souvenir de cette époque de sa vie, a-t-il quelquefois consolé Bernadotte du malheur d'avoir trahi ses devoirs envers la France.

CHAPITRE IX.

Majorité du duc de Sudermanie (fils de Bernadotte). ·

Conseils du roi. -Mort de Charles XIII. - Avénement de Bernadotte au trône de Suède, sous le nom de Charles-Jean XIV. Mécomptes des partisans d'une restauration. Abaissement de Gustave IV. - Sacre de CharlesJean. Voyage en Norvége. Couronnement comme roi de Norvége. Les diamants. Insurrection complaisante. Dot de mademoiselle Moreau. — Congrès d'Aix-la-Chapelle. Atteinte portée, par les alliés, à l'indépendance de la Suède. Attitude énergique de Charles-Jean. Il revendique les droits des nations.

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Vraies ou fausses, les conspirations essayées contre Bernadotte n'avaient abouti qu'à affermir son autorité. A chaque accusation dirigée, du dehors ou du dedans, contre le prince de son choix, la Suède répondait par un nouveau témoignage de confiance et d'affection. La majorité du duc de Sudermanie vint resserrer encore les liens qui unissaient la nation à la famille de ce prince. Cet événement, arrivé le 4 juillet 1817, jour où le fils de Charles-Jean entrait dans sa dix-neuvième année, fut accueilli avec transport par la population de Stockholm, et célébré avec une grande magnificence. Le 14, le duc de Sudermanie fut admis pour la première fois à siéger au conseil du roi. Charles-Jean saisit cette circonstance pour adresser au jeune récipiendaire une longue admo

nition sur les devoirs des rois et les droits des peuples, et faire retentir au loin l'exposé de ses principes politiques et sociaux. La morale de cet interminable discours, est qu'un prince doit racheter la faveur de son rang par de grandes vertus et des qualités supéricures, et que, si de belles actions excitent l'admiration des peuples, il faut en faire de bonnes pour mériter leur amour. « Songez, mon

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fils, que l'auguste couronne que donne un peuple libre sera toujours mal affermie sur une tête gonflée d'orgueil et de caprices. Malheur au prince qui se persuade, qu'en effaçant les traces des droits » de la nation, il rehausse l'éclat et le pouvoir du » trône! Souvenez-vous, mon fils, que le prince ⚫ le plus sage est celui qui suit de l'oeil les éléments

qui menacent de détruire les empires, qui les » saisit avant que l'explosion arrive, et qui sait pré » venir leur retour par son propre respect pour les

» lois.">

Comme on le voit, ces conseils étaient moins une leçon adressée à l'inexpérience du duc de Sudermanie, qu'une critique rétrospective des actes du mal heureux prince dont les fautes avaient frayé à Ber nadotte le chemin du trône de Suède. Aussi Charles-Jean eut-il grand soin de faire retentir, dans le monde entier, cette oraison paternelle qui, comme toutes ses harangues, finissait en rappelant ce que l'auguste orateur avait fait lui-même pour la Suède

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et pour l'Europe. « J'ai mis mes premiers soins à étu» dier les lois fondamentales de l'État, à rechercher » les éléments de son existence, à connaître ses res» sources, à observer les mœurs et les vertus de mes >> nouveaux concitoyens. Enlevé tout à coup à ces occupations par l'invasion de notre territoire, » il me fallut tirer l'épée et voler, avec nos braves, » à la défense de nos droits outrageusement atta>>>> qués. Les circonstances où se trouvait l'Europe » ne nous permirent point de nous borner à venger » notre propre injure. La Suède devait faire cause > commune avec les opprimés. Cette cause était juste, la Providence seconda nos efforts et le ré>>sultat de cette grande lutte fut de rétablir, dans le Nord, un nouvel ordre de choses qui ramena, dans l'antique famille scandinave, un peuple que lui donna la nature elle-même et que les » seules passions humaines avaient pu en séparer.» A ces paroles ambitieuses et pesamment doctorales du prince royal de Suède, l'histoire préférera, sans doute, cette simple et franche exhortation du vieux Charles XIII à son petit-fils :

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« Mon âge et mes infirmités ne me permettent » pas d'exprimer, dans ce moment solennel, tout ce que ma longue expérience et ma tendresse pour » toi m'inspirent. Je me borne à te rappeler que tu gouverneras un jour deux peuples libres. Prouveleur, en respectant leurs droits, comment tu veux

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