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CHAPITRE IV.

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Effet de la victoire de Leipsig. Les prétentions des alliés ne connaissent plus de bornes. Bernadotte s'oppose loyalement à la déchéance du roi de Saxe.- 11 devient suspect. - Débat entre le roi de Prusse et lui. Il revient sur le Bas-Elbe, contrairement au désir des alliés.Les droits de la Suède contestés. On lui marchande la Norvége. — Fermeté de Bernadotte. On lui retire une partie des troupes alliées. - Ses opérations sur les deux rives de l'Elbe. Il reprend Lubeck sur les Danois. - Ses opérations contre le Danemark. Mouvements généraux des armées alliées. Elles s'arrêtent sur la rive droite du Rhin. Bulletin de Bernadotte. Il justifie les vengeances exercées contre la France. Cependant il s'était prononcé contre l'invasion du sol français. Lettre importante de Bernadotte à Alexandre.- Ses craintes. Il change de système. Sa correspondance avec Alexandre, etc.

Après les événements de Leipsig, l'armée française avait effectué sa retraite vers la Saale et s'était retirée sur Erfurth, faisant face à l'ennemi, chaque fois qu'il essayait d'inquiéter sa marche.

Apprenant, dans cette ville, qu'après s'être emparé de Wurtzbourg, l'armée austro-bavaroise marchait sur Hanau pour lui couper la retraite, Napoléon se porta rapidement sur le point menacé. Dès lors il était évident que l'armée française n'essaierait plus de se reformer que sur le Rhin. La coalition avait donc atteint le but qu'elle s'était proposé aux conférences de Trachenberg; celui de re

jeter Napoléon sur la rive gauche du Rhin. Mais la victoire de Leipsig avait exalté outre mesure les prétentions des alliés. Cette bataille offensive, la première qu'ils eussent remportée contre Napoléon, avait enhardi les plus timides, et ouvert un champ nouveau à tous les projets de vengeance, de conquête et d'usurpation. L'âme des conseils de la coalition, l'inspirateur de son système de guerre, le plus habile de ses capitaines, Bernadotte lui-même, était déjà tombé dans la disgrâce des souverains alliés. Le prince royal de Suède, naguère si caressé et si prôné, semblait avoir fait place au maréchal de l'Empire, pour lequel on n'avait déjà plus que des procédés équivoques et des égards contraints. Sa sollicitude pour les prisonniers de Leipsig et sa respectueuse déférence pour le roi de Saxe avaient provoqué le mécontentement de l'Autriche, de la Russie et de la Prusse. La Prusse, surtout, se montra d'autant plus offensée des égards de Bernadotte pour Frédéric-Auguste, qu'elle ambitionnait la Saxe et que, pour justifier le démembrement de ce royaume, il importait de mettre son monarque au ban de l'Europe, et de tenir pour félon à l'Allemagne un prince coupable d'être resté fidèle à un allié malheureux. A ces griefs personnels de Frédéric Guillaume, se joignait la jalousie des généraux prussiens que la nécessité politique avait courbés sous les ordres du prince royal de Suède, mais qui

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supportaient impatiemment l'autorité d'un Français qui les avait vingt fois battus.

Ces dispositions se manifestèrent dès le lendemain de la bataille de Leipsig. La première question agitée, dans une conférence tenue le 20 octobre, ayant été de savoir s'il n'y avait pas lieu de prononcer la déchéance du roi de Saxe et de le déclarer prisonnier de la coalition (1), Charles-Jean combattit énergiquement cette mesure que la Prusse réclamait avec autorité, que l'Autriche approuvait, et que la Russie ne repoussait que faiblement. Le prince royal de Suède, dont les yeux commençaient à se dessiller sur les pensées d'usurpation qui avaient succédé à la politique si timide de Trachenberg, représenta le détrônement de Frédéric-Auguste et comme une violation des conventions antérieures, comme un attentat au rétablissement des nationalités allemandes, que la coalition avait naguère adopté pour principe. Abordant ensuite les griefs des souverains contre le roi de Saxe, il attribua la persistance de ce prince dans l'alliance française, aux nécessités de sa situation et à l'exagération d'un sentiment noble et généreux. « Sans doute, dit-il, >> c'est au détriment des intérêts germaniques que >> la maison de Saxe est restée fidèle à l'empereur

(1) « Voir, pièces justificatives, no 8, le Rapport de lord Cathcart à lord Castlereagh, Leipsig, 19 octobre 1813.

Napoléon; mais ce tort est moins peut-être celui » du roi, que celui des circonstances au mi> lieu desquelles il s'est trouvé placé. La Russie > en 1809, l'Autriche et la Prusse en 1812 com> battaient aussi dans les rangs de Napoléon, et >> certes ni l'une ni l'autre de ces puissances n'approuvait la politique dévastatrice de ce conqué> rant, ni l'une ni l'autre ne désirait consolider » sa tyrannie et river les fers de l'Europe, mais elles › obéissaient à une nécessité passagère plus puis> sante que leur volonté et leurs sentiments. Du » reste, injuste ou équitable, opportune ou non, la » déchéance du roi de Saxe porterait une mortelle > atteinte au prestige de l'inviolabilité monarchique déjà trop effacé par vingt-cinq années de révolu

» tions. >>

Ces paroles, prononcées avec fermeté, blessèrent au plus haut point le roi de Prusse et le prince de Schwartzenberg. Ils affectèrent d'y voir une allusion peu bienveillante aux malheurs qui avaient fait, des cabinets de Vienne et de Berlin, les satellites du système impérial. Frédéric Guillaume équivoquait avec aigreur sur le désintéressement de Bernadotte. Mais ce prince répondit sèchement que son dévouement aux intérêts légitimes de la coalition était connu de toute l'Europe et surtout des habitants de Berlin. Le débat tendait à s'envenimer, lorsque l'empereur Alexandre y mit un terme, en déclarant que si le

prince royal montrait quelquefois une susceptibilité trop ombrageuse, nul n'avait des intentions plus loyales que les siennes, et qu'il y aurait ingratitude à méconnaître l'importance de ses services. Alors on arrêta que la question saxonne serait réservée, sans rien préjuger néanmoins à l'égard des indemnités territoriales et des rectifications de frontières qui pourraient être accordées à la Prusse, au préjudice de la Saxe.

Ce n'était point cependant sans quelques appréhensions que les alliés voyaient le prince royal de Suède prêt à repasser l'Elbe, et à se rapprocher, mécontent, des cent cinquante mille soldats qui formaient les garnisons françaises dans le nord de l'Allemagne. Dans la conférence du 21, on se demanda, si, au lieu de reporter de grandes masses sur le Bas-Elbe, il ne serait pas plus utile de les pousser immédiatement sur le Rhin, par Gera, Saalfeld, Hildburghausen, Bomhill, Neustadt, Hamelsbourg, Reineck et Aschaffenbourg, pour anéantir l'armée française avant qu'elle franchît le fleuve. Dans ce cas on se serait borné à faire observer le Danemark et les garnisons de Hambourg et de Magdebourg par des corps détachés. Bernadotte s'éleva résolument contre cette combinaison à laquelle, dit-il, les ordres du roi de Suède ne lui permettaient point de s'associer. Ensuite, il la repoussa par des motifs stratégiques puisés dans l'intérêt de la coalition et

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