Page images
PDF
EPUB

contraires à son tempérament. Elle a maintenant une tribune, un auditoire, une bonne réputation. Il m'a fallu, à mon tour, et par obéissance, monter à cette tribune et parler à cet auditoire. Voici ce que j'ai dit. Vous en aurez la dédicace parce que vous en avez la responsabilité. C'est vous qui commandez, je suis un de ceux qui obéissent.

[blocks in formation]

L'homme, dans l'histoire, ne fut pas seulement religieux, il fut mystique. Le sentiment qu'il parut éprouver devant la nature fut un sentiment d'étonnement et d'effroi. Avec nos habitudes d'êtres civilisés et instruits, observés par la police et protégés par la gendarmerie, profitant des notions accumulées par l'expérience des siècles et des découvertes des grands hommes qui se sont lentement succédé dans le monde, nous nous rendons difficilement compte de ce que dut être l'univers pour des êtres qui n'avaient que leurs yeux pour le regarder et que des traditions plus ou moins nébuleuses pour les instruire. Forêts impénétrables, pays inexplorés, mer immense, firmament infini, montagnes mystérieuses, animaux redoutables, tempêtes, orages, cataclysmes, que devait être tout cela pour l'homme nu, craintif, désarmé, ignorant sa nature, ignorant son origine, ignorant sa destinée, ne connaissant rien, tremblant de tout,

luttant tous les jours pour sa nourriture, pour son repos, pour sa vie, que pouvait être tout cela si ce n'est le mystère, l'incompréhensible et l'épouvante?

Enserré dans le monde physique qui de toutes parts l'écrasait de ses secrets et de sa force, et qu'instinctivement il se sentait appelé à pénétrer dans ses causes et à dominer de son intelligence, l'homme attribua à la nature, ce qu'il se sentait à lui-même, une âme ou une vie intellectuelle. Comme les hommes, les choses vivent. Pour lui tout s'anime, la terre, le ciel, les forêts, l'air et les eaux. Tout vit, d'une vie personnelle, distincte, consciente et raisonnée. Une âme pour le ciel, une âme pour la terre, une âme pour la clarté, une âme pour les ténèbres. La clarté, c'est le Bien, les ténèbres, c'est le Mal. Fouillez tous les peuples et partout, chez les farouches et les pacifiques, les sauvages et les policés, se trouve dès l'origine ce dualisme entre les esprits qui se partagent le monde et que l'homme doit craindre ou adorer. Jéhovah et Lucifer, Ormuz et Ahriman, les Assouras et les Divas, les Dieux et les Titans, partout c'est l'opposition entre le bien et le mal, la guerre entre les esprits célestes et les esprits inferuaux. Les uns et les autres sont innombrables. Tout nous vient d'eux. Ils sont sans cesse occupés de nous. La joie, la douleur, la santé, la maladie sont le fait d'esprits que l'homme peut évoquer, qu'il peut saisir et dont il peut se faire obéir. Maître de la cause il sera maître de l'effet.

La légende raconte qu'après le déluge, Cham père de Canaan trouva les caractères runiques qu'avaient taillés Cain, et que ses descendants avaient enfouis dans la terre à l'approche du déluge. Il y eut de nouveau deux cultes sur la terre. « Pendant que les nouveaux Egrégores honoraient le vrai Dieu sur la sainte montagne, en bas, dans

la vallée, les fils des hommes exerçaient déjà leurs perfides enchantements (1). »

Baal est le dieu qu'on adore, tantôt sous la forme d'un bouc, tantôt sous la forme d'un taureau. On lui présente des enfants, il les dévore et les cris de ses victimes sont étouffés par les sons des instruments les plus bruyants et par les acclamations féroces d'une multitude insensée (2). De bonne heure ce culte se répandit, sous des formes diverses, en Egypte, dans l'Inde, en Grèce et en Chaldée. L'homme traite directement avec la puissance infernale. La Magie dominera les éléments, connaîtra l'avenir; dans le ciel elle guidera les astres et saura en intervertir le cours ; à sa prière la lune descendra, la nuit, sur la terre, et les Mages de la Perse, maîtres de la foudre, la feront à leur gré tomber sur leurs autels (3). Partout elle règne, ici objet d'admiration, là sujet de terreurs; ici vénérée dans un sacerdoce régulier, comblé d'honneurs et de puissance; ailleurs, méprisée, honnie, proscrite, regardée comme une science de malfaiteurs et de fripons acharnés à l'exploitation de la crédulité publique et, sous prétexte de mystère, se livrant à tous les crimes. Messieurs, on a peine à croire à toutes les superstitions qu'elle engendre et à tous les crimes commis en son nom. L'évocation des morts et la science des augures était son grand objet. Pour forcer les mânes à paraître on employait les conjurations et les menaces. Rien n'est plus horrible que la peinture que nous fait Lucain de l'évocation rituelle d'un légionnaire romain par une magicienne de Thessalie. « Elle incise le gosier du cadavre, » elle y enfonce une houe, « elle le traine sur la terre et

(1) Gorres, Mystique divine, naturelle et diabolique. (2) Gorres.

[blocks in formation]
[ocr errors]
[ocr errors]

» l'entre dans une grotte, au milieu d'une épaisse forêt » où n'a jamais pénétré la lumière du soleil. Là elle revêt » son costume officiel, détache ses cheveux liés par une » vipère, » et les laisse, comme un voile funèbre, retomber sur son visage. « Elle ouvre alors la poitrine du mort, la remplit du sang chaud fourni par une blessure toute fraîche, mêle tous les poisons que produit la nature, ce qu'on appelle l'écume de la lune, la bave des chiens » enragés, les os de l'hyène, le céraste, rien n'y manque » de tout ce qu'a souillé le souffle empesté de la nature. » La conjuration commence par un murmure faux, lequel » montant peu à peu, devient bientôt un bruit qui n'a » rien de commun avec la nature humaine et se termine » par le chant magique et effroyable de Thessalie. » «Puissance de l'abime, écoutez ma prière. Je vous ai déjà invoquée avec une bouche impure et pleine d'horreurs; » je vous ai déjà, à jeun de chair humaine, chanté ce >> chant; je vous ai déjà offert des cœurs pleins, frottés » avec un cerveau tiède encore. Déjà je vous ai présenté » dans des coupes des têtes et des entrailles d'enfants. »

D

« Mais l'ombre ne répond pas. La magicienne furieuse, » fouette le cadavre avec un serpent vivant et continue de » troubler de ses menaces le silence et le froid du royaume » des ombres. « Tisiphone, mégère à l'oreille dure, ne m'en» verrez-vous pas cette ombre maudite? Je vais vous » conjurer par votre nom, et attacher à la chaîne, les chiens » du Styx, à la lumière du jour. Je vous suivrai à travers les » bûchers et les tombeaux ; je vous chasserai de toutes les » tombes. Et toi, Hécate! je t'enchaînerai dans ta forme pâle » et maladive pour que tu ne puisses plus en changer. » M'obéirez-vous? Faut-il que j'invoque celui dont l'appari» tion fait trembler la terre, afin que la furie obéisse à ses » coups! Lasse d'invoquer et de menacer l'enfer et les cieux,

« PreviousContinue »