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» campagne et l'on trouva chez eux un pot renfermant une pommade verte. Laguna l'examine et trouve qu'elle est composée d'extrait de ciguë, de jusquiame, de solanum, de mandragore et d'autres plantes narcotiques. Comme pré»cisément à cette époque, la femme du bourreau souffrait de » frénésie et d'insomnie, il lui fit frotter le corps avec cet onguent. Elle dormit après cela trente-six heures de suite, • et elle aurait dormi plus longtemps encore si on ne l'avait » éveillée par des moyens violents, entre autres des ven» touses. Elle se plaignit amèrement à son réveil qu'on l'eût » enlevée au bras d'un jeune homme (1) » avec lequel elle faisait une promenade à l'insu du bourreau.

Messieurs, voilà les préjugés. Voilà la folie des fous, des maniaques ou des déments. Ecoutez maintenant, pour en gémir, la folie de la peur, la folie de la superstition et de l'ignorance, la cruauté froide et dangereuse d'une époque énervée et crédule, cruauté contagieuse autant que la folie qu'elle veut réprimer et qui, du peuple affolé, passe intégrale à la science, à la magistrature, à la médecine, au sacerdoce et au pouvoir. Tout tremble et se défend par les supplices.

« Le président de la Tourette raconta à Bodin qu'il avait » connu dans le Dauphiné une magicienne qui, étant assise au » coin du feu, avait eu comme une extase », nous dirions aujourd'hui une attaque d'hystérie. « Comme elle était privée » de sentiment, son maître la frappa très fort. Pour voir si » elle était morte, on lui brûla les parties les plus sensibles; » mais rien de tout cela ne faisait impression sur elle. Le » maître et la maîtresse chez qui elle servait la laissèrent » gisant à terre, croyant qu'elle était morte. Mais le lende» main, son maître la trouva dans son lit. Il en fut tout

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effrayé et lui demanda ce qu'elle avait eu. « Ah! Monsieur,

(1) Gorres.

» dit-elle, vous m'avez bien battue!» Le maître raconta la » chose à ses voisins, qui pensèrent que c'était une sorcière. » Il finit par obtenir d'elle l'aveu qu'elle avait assisté au » sabbat. Elle confessa bien d'autres crimes encore et fut » brûlée. » (1)

Messieurs, toute erreur, a dit Bossuet, est une vérité dont on abuse. Il en pourrait être du sabbat, comme il en fut, comme il en est et comme il en sera toujours de tout. On a pu avoir intérêt à le méconnaître, on a pu avoir intérêt à l'affirmer et l'imagination populaire a pu faire du sabbat ce qu'elle fait de tout ce qu'elle touche, elle a pu le défigurer. Mais où elle ne saurait avoir tort, et c'est en cela seulement que je la crois à peu près infaillible, c'est en affirmant l'existence de ce qu'elle défigure et même de ce qu'elle calomnie. Le sabbat représente trop bien la dégradation humaine pour être tout à fait une fiction. On en a exagéré la peinture; on l'a paré de rêves et d'imaginations, mais, des bacchanales de l'antiquité à la Messe noire du XIVe siècle, il représente une transition, ou, si vous voulez, un trait d'union vraisemblable. Qu'était-il? Où se tenait-il? Je n'en sais rien. Des fouilleurs nous le décriront peut-être un jour avec précision et nous diront quel but religieux ou politique pouvaient avoir ces réunions nocturnes ? S'il était une protestation contre l'Evangile, il devait, pour réussir à cette époque, être immoral, et si, du grossier, il est tombé dans l'immonde, je ne m'en étonne point et vous ne vous en étonnerez pas non plus. Je crois la nature humaine capable de toutes les vertus et je la crois capable de tous les vices. Elle peut voler, elle peut ramper, elle peut fouir....

A Dieu ne plaise que je m'occupe ici de la Messe noire. L'auditeur français veut être respecté. Michelet l'a décrite

(1) Gorres.

avec un lyrisme qui me paraît abject (1). Ce qui avilit la femme ne saurait moraliser l'homme et ce n'est pas en abrutissant les peuples dans des assouvissements publics qu'on les dirige vers la liberté. Elle existe encore la Messe noire et un écrivain contemporain nous l'a dépeinte avec toutes ses ignominies de luxure et ses accumulations de sacrilèges.

Laissons tout cela de côté. Ce culte infâme rendu à l'impudeur ne doit nous arrêter que le temps de le flétrir. Laissons la boue à la boue et l'ordure aux pourceaux!

Messieurs, contre toutes ces folies et toutes ces abjections, desquelles elle aurait dû le plus souvent douter, mais auxquelles elle avait le tort de presque toujours croire, la législation pouvait-elle ne pas sévir? Une société ne peut pas agir d'après les idées qu'auront les générations futures. Elle doit assurer sa sécurité, d'après son besoin d'ordre, avec ses moyens actuels de répression, et d'après l'idée qu'elle se fait de la culpabilité de ceux qui veulent la bouleverser. Nos anarchistes n'ont peut-être pas complètement tort en critiquant les vices de la société actuelle; mais quand ils entament la discussion au moyen de la bombe, la réponse nécessaire et l'argument le meilleur paraît être la guillotine. Oh! déblatérer contre les anciens est chose facile. Faire mieux qu'eux, avec les idées qu'ils pouvaient et qu'ils devaient avoir, voilà l'obstacle et voilà la difficulté ! Chacun de nous. se croit facilement l'inventeur de ce qu'il sait ou de ce dont il jouit. Nous profitons du labeur de ceux qui nous ont précédés. Nous voyons plus loin qu'eux parce que nous sommes montés sur eux il n'y aurait pas de sommets s'il n'y avait pas de bases. Ecoutez donc sans trop d'étonnement et sans trop de protestations ce que vous allez entendre. Ecoutez-le,

(1) Michelet. La Sorcière.

par pitié pour vos ancêtres et par humilité devant vos descendants. Ecoutez :

L'Eglise romaine lutta longtemps de toutes ses forces contre les erreurs de la magie. Elle en condamna la pratique, elle en anathématisa la doctrine. Le sabbat, l'envoûtement, l'évocation des morts, les conjurations infernales, sont, dès les premiers siècles, et tour à tour, l'objet des proscriptions de l'Eglise. De siècle en siècle, les avertissements deviennent plus précis et, avec la contagion, les peines plus sévères. Une juridiction spéciale s'établit, pour nous, sévère à l'excès, pour l'opinion publique d'alors, trop lente dans ses formes et trop méticuleuse dans ses moyens d'investigation. Le peuple est naturellement lyncheur et, pour lui, la justice sommaire est la meilleure.

Vous ne tenez pas, Mesdames, à suivre la législation de la sorcellerie depuis les Romains jusqu'à nos jours. Peu vous importe quelles peines portaient contre elle les Germains, les Francs, les Visigoths, plus tard les Anglais et les autres. Que ce soit dans l'Antiquité, dans les siècles barbares, au Moyen-Age, à la Renaissance, avant ou après la Réforme, on a peur des sorciers, on les arrête, on les juge et, généralement, on les tue.

Que ce soit dans la France catholique, dans l'Allemagne et l'Angleterre protestantes, peu importe. La rage farouche de la répression allume partout des bûchers ou dresse partout des potences. De pauvres hallucinées, mélancoliques, poursuivies de leurs manies de culpabilité, viennent s'accuser elles-mêmes de crimes imaginaires et monstrueux. La plus cruelle torture ne vient pas à bout de leurs révélations délirantes. Nier, c'est la question, c'est le brodequin où les jambes se brisent; c'est l'estrapade où la malheureuse, assisc sur le sommet pointu d'une poutre triangulaire, s'emale lentement d'elle-même et, sous l'adjonction de poids. qu'on attache à ses membres, aussi longtemps que durent

ses dénégations ou son silence, s'y enfonce de plus en plus; c'est le collier qu'on lui passe au cou, c'est-à-dire un cercle de fer garni à l'intérieur de pointes qui menacent ses chairs. On l'assied, le cou tétanisé d'effroi. Sous ses jambes on place des tisons ardents et, quand elle se tord de douleurs, dans le feu qui la brûle, elle s'enfonce elle-même les pointes du collier dans la gorge et, pour les fuir, redresse son cou et replonge ses pieds dans les flammes. Alors elle avoue, qui n'eût avoué? L'aveu, c'est la mort, c'est le bûcher! quelquefois, par un reste de pitié, on l'étranglait avant de la livrer aux flammes.

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Hopkins, en Angleterre, qui se vantait d'avoir un don particulier pour découvrir les sorcières, fut envoyé en Ecosse » où elles pullulaient et, dans l'espace d'une année, il en fit pendre soixante. Il se servait ordinairement de l'épreuve » de l'eau ; ou bien, après avoir fait lier de pauvres vieilles » femmes de manière que tout le poids de leur corps repo»sait sur le siège, il les faisait asseoir pendant vingt-quatre » heures au milieu d'une chambre, jusqu'à ce que la circu

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lation du sang venant à cesser, elles fussent contraintes, » par la violence du supplice, à faire des aveux qui leur coû» taient ensuite la vie. On en tenait d'autres éveillées pendant cinq jours et cinq nuits, jusqu'à ce qu'elles tombassent » dans un état de demi-clairvoyance, pendant lequel elles » racontaient des choses dont elles ne se souvenaient plus » une fois revenues à elles-mêmes. Les excès de cet homme » durèrent jusqu'à ce qu'enfin un des personnages les plus importants du pays le soumit à l'épreuve de l'eau et, » comme il surnagea, on le fit mourir. Trois mille per» sonnes périrent ainsi pendant le long Parlement, et l'on » porte à trente mille le nombre de ceux qui furent exé» cutés en Angleterre depuis Henri VI jusqu'à la suppres»sion du Code pénal. Les deux dernières victimes furent la

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