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«Mon Dieu m'a dit: Mon fils, il faut m'aimer, tu vois » Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne.

» J'ai répondu Seigneur, vous avez dit mon âme ;
» C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas,
>> Mais vous aimer! >>

Il faut relire tous ces vers de "

sagesse » pour en comprendre la foi ardente et la souveraine beauté !

A partir de ce moment, la vie de Verlaine est une lutte entre sa foi nouvelle et les exigences renaissantes de ses anciennes passions.

D'abord, les bonnes pensées ont l'avantage, témoin cet admirable sonnet :

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre àme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.

Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ:
Une tentation des pires. Fuis l'infâme.

Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme.
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant

Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.

O pális, et va-t-en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains?
Si la vieille folie était encore en route?

Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?

Un assaut furieux, le suprême, sans doute!

O va prier contre l'orage. va prier.

Bientôt l'égalité s'établit entre les forces contraires.

Il faut avouer d'ailleurs que le pauvre poète offrait peu de résistance aux tentations.

Eternel enfant gâté, il demeurait, dans ses meilleures

intentions, l'esclave de ses nerfs malades que la moindre résistance surexcitait jusqu'à la fureur.

A ce propos, M. Anatole France nous a appris, de lui, cette anecdote bien caractéristique.

A cinq heures du matin, après une nuit d'orgie, Verlaine se trouve devant la porte d'une église. Au milieu des fumées du vin, il sent le repentir qui monte. « Pourceau, tu n'es qu'un pourceau », se dit-il, en se frappant avec humilité la poitrine.

Et, pris soudain d'un violent désir de confesser ses fautes, il entre dans l'église à peine ouverte et frappe timidement à la porte du confessionnal.

Le confessionnal est vide: pas de réponse.

Alors, le pénitent s'impatiente et sa voix résonne sous les voûtes :

« La confession, s'il vous plaît! Ohé! le curé! Ohé! le vicaire! »>

Le suisse, accouru au bruit, veut le mettre à la porte.
Et notre pécheur, hors de lui:

« Ah çà! est-ce qu'on va me laisser mourir sans confession? C'est pire qu'en 93, alors! Tu n'entends donc pas, vieux Barrabas?

» Je te dis que je veux me réconcilier avec le Bon Dieu, nom de... »

Dieu me préserve de vous dire le reste!

Cette dualité, ce parallélisme de son idéal moral et de sa vie matérielle, Verlaine l'a indiqué audacieusement lui-même en mettant au jour, ensemble, ces deux œuvres opposées : Amour, pleine d'un mysticisme profond, et Parallèlement, dont la volupté païenne dépasse Boccace et Catulle.

On a reproché au poète d'avoir affiché, par le titre même de ce second ouvrage : « Parallèlement, » la co-existence de sentiments et d'actions si opposés.

Quelques-uns ont crié à l'impossible et n'ont voulu voir là qu'une fantaisie coupable de littérateur.

Ceux-ci n'ont pas compris que ces oppositions choquantes sont dans la nature même de l'homme. En morale aussi, on peut dire pour chacun de nous que la Roche Tarpéienne est près du Capitole ».

A plus forte raison, est-ce vrai pour les natures instinctives comme celle de notre poète !

Verlaine, d'ailleurs, reste jusqu'à sa mort partagé entre ses aspirations mystiques et la satisfaction de ses passions inassouvies.

On le voit tour à tour suivre dévotement les offices et, non moins dévotement, officier lui-même dans les cafés louches du Quartier Latin, entouré de jeunes décadents qui boivent ses paroles en même temps que des bocks sans nombre.

L'été, il va dans la banlieue célébrer la paix des campagnes et le travail des champs.

L'hiver, grâce à des amis médecins, il se repose dans les hôpitaux des fatigues du plaisir et met à profit le calme claustral qu'il y trouve pour écrire ses dernières œuvres : Les uns et les autres, Jadis et naguère, Bonheur, Chansons nouvelles, et, en prose: Mes hôpitaux, Mémoires d'un veuf, Mes prisons, Confession.

Maintenant donc que nous avons tracé cette faible esquisse de l'homme, que dirons-nous du poète, de son influence sur les lettres et de la valeur de ses vers?

Ici, nous entrons sur un vrai champ de bataille. D'une part, vous voyez l'imposante armée du sens commun, ayant à sa tête les vieux généraux de la critique.

Ceux-là vous disent : « Verlaine ? Ce n'est pas un poète! Sont-ce des vers, ces lignes de 13 ou de 11 pieds, mis à la file, sans qu'on puisse le plus souvent savoir où placer la césure ?

Londres fume et crie. Oh! quelle ville de la Bible.
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles
Et les maisons, dans leur ratatinement terrible,
Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Et ils citent encore:

Dans un palais soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d'une musique mahométane,

Font litière aux sept péchés de leurs cinq sens.

a Verlaine? disent-ils encore, mais ce n'est pas même un homme de bon sens. >>

Et ils n'ont pas besoin de citer beaucoup d'autres vers comme ceux que je viens de vous lire pour faire comprendre que souvent on ne comprend pas Verlaine.

D'autre part, voici le petit groupe des jeunes. Ils ne sont pas nombreux, mais ils crient si fort qu'ils illusionnent sur leur nombre. Ils représentent assez bien, dans la littérature, le parti socialiste avec son amour des phrases creuses, du mouvement et du tapage, par opposition au groupe précédent, qui ferait songer, si vous voulez, aux sénateurs. Et les jeunes s'exclament:

« Verlaine! c'est le maître ! c'est le poète !

» Vous lui reprochez ses vers de 13 pieds. Gloire à lui, qui a brisé le moule usé de l'alexandrin classique ! Le divin Moréas n'a-t-il pas fait, après lui, des vers de 17 pieds?

» Vous lui reprochez l'obscurité de ses idées. Mais ne voyez-vous pas que c'est dans l'obscurité que réside la beauté du symbole ? Comprenez-vous les vers du divin Mallarmé ? Non, et c'est heureux, car si vous compreniez, nous manquerions notre but, nous qui avons pris pour idéal de n'être pas compris ! »

Qui a raison dans cette querelle?

La postérité jugera.

Mais si vous vouliez me permettre d'empiéter un peu sur ses droits, je vous dirais :

Je crois que, dans cette querelle, personne n'a tout à fait raison.

Les symbolistes ont tort de revendiquer Verlaine comme un de leurs chefs d'école.

L'obscurité, chez lui, n'est pas un système. Elle procède, à mon sens, de trois causes définies.

Et c'est ici que nous allons voir combien il était nécessaire de connaître sa vie avant de juger son œuvre :

Je vous ai dit que Verlaine fut toujours un enfant gâté. De là, une paresse d'esprit qui, souvent, ne lui laisse pas l'énergie nécessaire pour trouver le mot propre.

Il se contente d'à peu près et prend les expressions qui sonnent le mieux à son oreille, sans exiger qu'elles satisfassent tout à fait sa raison.

Il s'en vante d'ailleurs :

Il faut aussi que tu n'ailles point

Choisir tes mots sans quelque méprise...
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'indécis au précis se joint.

Mais soyez sûrs que si, vers la fin de sa vie, il tente ainsi d'ériger en règle cette habitude du terme indécis, au commencement il l'a prise uniquement par paresse, et les vers charmants dans lesquels il s'en glorifie n'empêchent pas que ce soit un défaut.

Je vous ai dit aussi, hélas! que Verlaine fut parfois un ivrogne. De là vient que souvent des images sans suite passent, comme en rêve, devant son cerveau alourdi.

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